Intervention de Françoise Laborde

Réunion du 7 février 2018 à 14h30
Orientation et réussite des étudiants — Discussion générale

Photo de Françoise LabordeFrançoise Laborde :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, si le principe de l’université pour tous peut être considéré comme un mythe, selon les mots mêmes du Président de la République, l’accès à l’enseignement supérieur constitue un droit à l’exercice duquel nous refusons toute entrave.

À l’instar d’Edgar Faure en 1968, le groupe du RDSE a l’intime conviction que l’augmentation du nombre d’étudiants est salutaire pour notre société comme pour l’épanouissement individuel. Je suis ravie de voir que, cinquante ans après, il est toujours une référence pour bon nombre de nos collègues. Même si je pense que mon groupe a une certaine légitimité à le citer, je n’oublie pas qu’un grand homme n’appartient à personne.

Dans son discours prononcé au sein de la Haute Assemblée le 24 octobre de cette année-là, Edgar Faure mettait en garde ceux qu’il dénommait les « pessimistes », vivant dans une « sorte de délectation morose de l’époque des lettrés rares et précieux ». À ceux qui étaient favorables à l’instauration d’une sélection, il rétorquait que celle-ci ne réglerait pas le problème des universités et du déséquilibre de l’enseignement en France. Selon lui, la sélection éliminatoire était contraire à la société de promotion et à la démocratie. Il fallait donc « aider chacun, démocratiquement, à atteindre sa qualification propre, sa qualification optimale et même toute la culture générale qu’il est susceptible d’embrasser ».

Son analyse demeure d’une étonnante actualité, par le prisme de la culture polyvalente pour tous, du droit à une seconde chance et à l’éducation permanente. L’enseignement supérieur n’a pas pour seule vocation de fournir des emplois ; nos amendements vont en ce sens. Il est important de le rappeler, car nous sommes aujourd’hui dans l’incapacité d’établir une vision prospective exacte des métiers qui émergeront.

Les universités exercent une mission de service public qui dépasse les considérations économiques. Les étudiants ne sont pas des chiffres. Leur affectation, donc leur avenir, n’est pas un simple jeu d’algorithmes, par lequel on apparie des flux qui ne peuvent parfaitement correspondre.

Bien sûr, les problèmes posés par la plateforme APB, tout comme le taux d’échec en licence et la crise des affectations appellent une réponse rapide, mais il faut également mobiliser des leviers transversaux, inscrits depuis l’école maternelle jusqu’à l’encadrement des étudiants de premier cycle. À ce titre, les mesures du plan Étudiants vont dans le bon sens.

Affirmer que les étudiants de l’université ne subissent pas de sélection est erroné. Celle-ci est omniprésente, implicite, et commence dès le début de la scolarité, selon les origines sociales.

Après plusieurs années d’atermoiements, ce texte pose une base légale et transparente à l’affectation des candidats dans les établissements d’enseignement supérieur et une humanisation de la procédure, là où l’avenir du candidat reposait sur un traitement automatisé et un tirage au sort dans les filières en tension. La situation ne pouvait pas durer et la mise en demeure de la CNIL était justifiée. C’est la raison pour laquelle le groupe du RDSE partage l’économie générale du texte, qui contient d’autres avancées telles que la suppression du régime de sécurité sociale des étudiants ou la nouvelle contribution d’accompagnement social, sanitaire, culturel et sportif.

Il reste à déterminer si les modalités de cette affectation sont socialement justes. Y aura-t-il réellement une sélection dont on n’ose pas prononcer le nom ? Oui, pour les filières en tension, comme c’est le cas aujourd’hui, d’autant plus que les capacités d’accueil ne suivent pas le dynamisme démographique.

Tel que le texte est rédigé, le groupe du RDSE craint une aggravation de la sélection sociale avec l’arrivée des générations du baby-boom des années 2000. J’y reviendrai lors de la présentation de nos amendements. Il semble également contestable de prendre en compte le parcours extrascolaire du candidat, comme cela figure dans l’arrêté ministériel du 19 janvier 2018 autorisant la mise en œuvre de Parcoursup.

À la lecture des fameux « attendus », je m’inquiète des exigences demandées sur le modèle type des offres d’emploi : par exemple, en droit, la capacité d’ouverture sur le monde dont je vois mal qu’elle puisse être jugée avec les éléments transmis, ou, en STAPS, la nécessité d’un investissement associatif ou l’exercice de responsabilités collectives.

Aux origines de l’échec en licence, on trouve surtout un manque de moyens flagrant pour les filières non sélectives par rapport aux filières sélectives. Le système français de l’enseignement supérieur doit être corrigé dans ce qu’il a de plus inégalitaire, car on accorde toujours plus de moyens à ceux qui en ont le moins besoin.

Le projet de loi trouve ici ses limites, avec le risque d’accroître le taux de sélectivité dans les filières en tension, qui sont de plus en plus nombreuses. Je vois mal comment les capacités d’accueil suivront la demande : le milliard d’euros annoncé sur le quinquennat est très en deçà des besoins estimés lors de l’élaboration de la stratégie nationale de l’enseignement supérieur, la STRANES, soit 10 milliards d’euros sur dix ans. Si ce montant peut paraître élevé, il n’est en aucun cas absurde, car il s’agit d’un investissement d’avenir pour ouvrir à notre jeunesse l’accès au savoir et lui permettre de s’adapter aux évolutions complexes de notre société.

Le groupe du RDSE, s’il salue les avancées de ce texte, souhaite que nos débats en renforcent le caractère socialement équitable.

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