Je veux insister sur le fait que les jeunes femmes seront les premières victimes de votre réforme, madame la ministre, bien qu’elles soient plus nombreuses dans les séries générales et qu’elles réussissent mieux au baccalauréat. En effet, les attendus, dont on arrive déjà à appréhender le cadre par les premières délibérations des établissements et le document de cadrage du ministère, laissent craindre la création de tunnels du secondaire vers le supérieur. De fait, l’officialisation de ces tunnels pose la question de la perpétuation à l’échelon du supérieur de l’orientation sexuée.
Officialiser des barrières, notamment concernant les séries au baccalauréat, c’est empêcher celles et ceux qui veulent poursuivre leurs études dans une autre direction que celle ouverte par la série choisie de s’orienter vers leur projet d’études. Pour les jeunes femmes, cette orientation biaisée dans le supérieur représente un obstacle supplémentaire, dans la mesure où le choix de série, dès la fin de la troisième, est déjà genré.
Ainsi, comme le montrait Françoise Vouillot, les stéréotypes sexistes influencent les orientations, a fortiori dans l’âge de construction de soi. C’est comme cela qu’on se retrouve avec une filière littéraire composée à 81 % de lycéennes, contre à peine 45 % en filière scientifique. Sur ce point, il est d’ailleurs intéressant de noter que, dans le cas de la filière S, à note égale, un vœu de lycéen est plus souvent respecté qu’un vœu de lycéenne… On retrouve aussi cette différentiation sexuée en filières technologiques et professionnelles, où la distinction se fait entre filières de production pour les jeunes hommes et filières de services pour les jeunes femmes. On peut faire ce constat dans tous les pays, notamment occidentaux, comme le pointait un rapport de l’UNESCO…
De fait, en créant des barrières à l’entrée en L1 en fonction des séries et enseignements, comme l’ont déjà décidé certaines universités et comme l’impliquent les attendus nationaux, vous rassurez certains élèves, certes, mais vous maintenez les jeunes femmes dans une orientation genrée. Je vous l’accorde, madame la ministre, le travail d’émancipation des jeunes femmes ne débute pas à la fin du lycée, mais il aurait été de bon ton que votre réforme n’ajoute pas une pierre à cet édifice d’orientation subie.
En autorisant certaines universités à filtrer les candidatures en licence en fonction de la série du baccalauréat obtenue et en mentionnant dans les attendus nationaux des critères orientant les jeunes en fonction de leur série, vous transférez vers l’enseignement supérieur l’orientation sexuée subie au lycée. Cela est d’autant plus regrettable que cette orientation genrée a évidemment des répercussions à long terme, dans le milieu professionnel, avec des métiers qui sont très majoritairement masculins et d’autres qui sont au contraire quasi exclusivement occupés par des femmes.
Cette non-mixité de certains métiers et certaines filières est pour le moins archaïque, source d’inégalités professionnelles et salariales. On s’éloigne encore de la volonté exprimée par le Président de la République de faire de l’égalité entre les femmes et les hommes une grande cause du quinquennat.