Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi qui vous est présenté aujourd'hui représente plus qu'une simple transposition de deux directives européennes, la directive 98/81/CE du 26 octobre 1998 relative à l'utilisation confinée de micro-organismes génétiquement modifiés et la directive 2001/18/CE, relative à la dissémination volontaire d'organismes génétiquement modifiés dans l'environnement.
La question des organismes génétiquement modifiés, les OGM, est largement débattue dans notre pays depuis de longues années et a fait l'objet de rapports parlementaires, l'un au Sénat - n'est-ce pas M. le rapporteur ? -, l'autre plus récemment à l'Assemblée nationale.
Ce sujet alimente aussi couramment d'assez nombreuses controverses, aboutissant à des prises de position quelquefois passionnées et, pour certaines d'entre elles, irrationnelles. Il suscite de la part de nos concitoyens d'assez nombreuses interrogations et pâtit surtout d'une relative méconnaissance, sur le plan tant scientifique que technique. Reconnaissons qu'il est difficile, sans une étude préalable approfondie, de se constituer une opinion totalement éclairée sur la question.
Pourtant, les organismes génétiquement modifiés - appellation sous laquelle on désigne d'ordinaire le génie génétique et les biotechnologies - constituent dans notre pays, et plus généralement dans le monde d'aujourd'hui, une réalité très tangible dans les domaines scientifique, thérapeutique et économique.
Sur le plan scientifique et thérapeutique, peu de nos compatriotes savent à quel point les OGM sont aujourd'hui, et depuis d'assez nombreuses années, très largement utilisés. Bactéries et levures génétiquement modifiées servent depuis plus de vingt ans - je dis bien « plus de vingt ans » - à la fabrication de médicaments. C'est ainsi que plus de cent cinquante spécialités pharmaceutiques sont produites par génie génétique, à partir de micro-organismes.
Le génie génétique permet de produire, dans des conditions plus sûres, des médicaments qui, auparavant, étaient obtenus par voie d'extraction. L'insuline, l'hormone de croissance et des facteurs de coagulation sanguine sont ainsi produits à partir des biotechnologies. Des médicaments trop complexes pour être synthétisés chimiquement ou trop peu abondants pour que l'extraction soit envisageable sont aujourd'hui produits par génie génétique. C'est le cas de l'interféron ou de l'interleukin dans le traitement des cancers.
Les OGM constituent aussi une réalité économique.
On estime en effet qu'en 2004 plus de 80 millions d'hectares dans le monde étaient plantés d'organismes génétiquement modifiés. Il en existe, par exemple, aux États-Unis, où sont issus d'espèces OGM plus de 80 % du coton, plus du tiers du maïs et 50 % du soja, au Brésil, en Inde, en Chine ou, plus près de nous, en Espagne, où près de 60 000 hectares sont aujourd'hui plantés en OGM.
En réalité, comme toutes les technologies nouvelles, cette technologie peut ouvrir des perspectives pour l'humanité, pour notre avenir, être source de progrès, d'amélioration des modes de production, voire être à l'origine d'innovations d'une portée éventuellement considérable.
On évoque, par exemple, la possibilité de produire, demain, des plantes qui consommeraient moins d'eau. Or, beaucoup d'entre vous le savent, un problème majeur se profile à l'horizon pour nourrir tout simplement l'humanité du fait, non pas d'une pénurie de surfaces cultivables, mais d'un manque d'eau à l'échelle de la planète tout entière. Faute de progrès dans les techniques de cultures, on estime en effet que d'ici à cinquante ans nous n'aurons pas, avec les méthodes de cultures actuelles, les ressources en eau suffisantes pour nourrir la population mondiale d'alors. Il est possible, et même sans doute envisageable, que des plantes génétiquement modifiées permettent d'apporter à ce problème terrible une solution parfaitement acceptable.
Dans un autre ordre d'idée, des recherches aujourd'hui conduites sur des maïs, sur des sojas, permettraient que les porcs qui absorbent ces plantes produisent moins de déchets phosphorés. Parvenir à limiter la teneur en phosphate du lisier contribuerait à régler un problème environnemental que les élus bretons - mais pas seulement eux - connaissent bien.
Les nouvelles technologies, les progrès de la science suscitent donc des espoirs, ouvrent des perspectives. La France, qui est un grand pays scientifique, mais aussi un grand pays agricole, ne peut tourner le dos à ces éventuels facteurs de progrès.
Mais notre époque nous a aussi montré que le progrès apporté par telle ou telle technologie nouvelle pouvait malheureusement, sur d'autres plans, à d'autres points de vue, être synonyme d'inconvénients, parfois graves. C'est ainsi qu'au fil des années s'est forgée la conviction que l'on devait également mesurer préalablement les éventuels inconvénients des technologies nouvelles, des progrès attendus.
Ce mouvement des idées, relativement récent à l'échelle de l'humanité et relativement court mesuré à la grande phase de la révolution industrielle et de la révolution scientifique, nous a conduits à échafauder des principes nouveaux. Celui que nous mettons en oeuvre et qui est l'objet principal du texte qui vous est présenté, mesdames et messieurs les sénateurs, s'appelle, dans notre pays, le principe de précaution.
Ce principe est entré dans notre système juridique grâce à la Charte de l'environnement, qui a été voulue par le Président de la République et à l'adoption de laquelle vous avez participé. Il figure à l'article 5 de la Charte, laquelle prévoit également le respect de ce principe par l'ensemble des textes, tant les lois votées par notre Parlement que les mesures réglementaires.
Ce principe inspire donc ce projet de loi tout comme il est à l'origine, mais exprimé différemment et traduit autrement, des directives communautaires dont nous assurons, dans ce texte, la transposition.
Compte tenu des craintes légitimes qui s'expriment face aux conséquences des technologies nouvelles et des produits nouveaux, nous devons nous assurer que la mise en oeuvre des organismes génétiquement modifiés ne comporte aucun inconvénient, ni pour la santé humaine bien évidemment ni plus largement pour notre environnement, et qu'elle n'entraînera en particulier aucun recul de ce que l'on appelle « la biodiversité ».
Mesdames et messieurs les sénateurs, le texte que j'ai l'honneur de vous présenter instaure des régimes de contrôles rigoureux tendant à donner à nos concitoyens toutes garanties en la matière. Il est sous-tendu par une volonté totale de transparence : tout doit être public, accessible, tout doit pouvoir faire l'objet de débats. Ce n'est que de cette façon que l'on peut espérer conquérir la confiance de nos concitoyens sur des sujets controversés.
Nous mettons en place un régime de contrôles rigoureux pour l'utilisation confinée des OGM, avec des autorisations préalables ; nous mettons en place un régime d'autorisation préalable, après consultation du public, pour tous les essais et expérimentations en champ Tous les scientifiques s'accordent en effet à dire qu'il est nécessaire, pour pousser l'expérimentation, de suivre le comportement des plantes en plein champ, car leur culture exclusivement en espace confiné ne permet pas de mesurer les conséquences de leur introduction dans le milieu naturel. Naturellement, cela ne peut se faire qu'avec un régime d'autorisations, une fois toutes les précautions prises et un plan de surveillance rigoureux mis en place.
Ce texte comporte l'interdiction des OGM contenant des gènes de résistance aux antibiotiques, qui pourraient éventuellement avoir des conséquences sur la santé humaine. S'agissant des plantes bénéficiant d'une autorisation de mise sur le marché décidée au niveau européen, ce texte met également en place un régime d'autorisations préalables, avec une validité limitée à dix ans et des plans de surveillance. Sont également prévus un régime d'étiquetage obligatoire des OGM et une déclaration des lieux de culture.
Bref, obéissant au principe de précaution, assurant la transparence, ce projet de loi est, pensons-nous, de nature à rassurer ceux que, pour telle ou telle raison, rationnelle ou moins rationnelle, les OGM inquiètent.
Pour créer une instance de contrôle, une instance d'expertise, chargée d'éclairer le public et les décideurs, nous mettons en place un conseil des biotechnologies qui rassemble les trois organismes antérieurement chargés d'émettre des avis. Ce conseil comportera deux sections : l'une composée de scientifiques de toutes les disciplines, susceptibles d'éclairer les décisions en la matière ; l'autre composée de personnalités socio-économiques, pour que le débat trouve une expression au sein de la société civile.
Voilà la teneur de ce texte de précaution, sage et conforme, naturellement, aux deux directives européennes qu'il est chargé de transposer.
Les amendements adoptés par la commission des affaires économiques vont dans le même sens. Avant même que nous ne procédions à leur examen, je souhaite dire que le travail attentif et particulièrement compétent de M. le rapporteur et de l'ensemble de la commission nous permettront certainement de disposer d'un texte plus clair, à certains égards plus précis, et par conséquent répondant mieux aux objectifs que nous avons en commun.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite vivement que, dans la sérénité qui marque toujours vos débats, ...