Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, deux semaines après avoir examiné le projet de loi relatif à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire, le Sénat est à nouveau appelé, en première lecture, à débattre d'un autre sujet qui suscite des échanges passionnés au sein de la société.
Les OGM appartiennent au domaine des biotechnologies. Ils sont source d'innovations scientifiques et de progrès. Les chercheurs attendent depuis des années qu'on leur accorde enfin le droit de mener leurs recherches, tant en milieu confiné qu'en champ.
Le rapporteur de la commission des affaires économiques, notre collègue Jean Bizet, aborde aujourd'hui ces problèmes avec une expérience certaine, ayant participé aux auditions et aux travaux que le Sénat et l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, l'OPECST, ont menés à deux reprises sur les biotechnologies, travaux repris dans deux rapports remarquables. Je le remercie de son travail et souhaite vivement que les amendements qu'il présentera au nom de la commission reprennent des dispositions écartées par le Conseil d'État concernant notamment l'information du public et du Parlement.
Ainsi, soucieux d'asseoir au mieux leur examen sur des faits établis, les sénateurs de l'Union centriste-UDF ont reçu la semaine dernière les représentants de la filière semences, de l'agriculture biologique, des consommateurs et des associations de protection de l'environnement.
Ils présenteront également des amendements qui leur semblent nécessaires pour préciser à la fois ce que doivent être l'information, la transparence et la coexistence des producteurs.
Par ailleurs, en tant que membre de l'OPECST, j'ai le privilège de participer à une expérience de jumelage et de partenariat avec un membre de l'Académie des sciences en vue de favoriser la relation entre la science et la société.
Puisque le but de ce jumelage est de nouer de plus étroites relations entre le Parlement et la communauté scientifique, j'ai souhaité, à l'occasion de l'examen de ce texte, mettre en pratique cet échange privilégié, d'autant que mon partenaire scientifique est une personnalité internationale de la génomique végétale.
Cet éminent chercheur académicien a souhaité rappeler que le progrès génétique en amélioration des plantes n'est pas chose nouvelle, et qu'il a été mené de manière empirique durant des millénaires. Sur les bas-reliefs de la civilisation perse, on représentait déjà le sélectionneur muni d'un pinceau déposant du pollen sur une fleur de figuier pour la féconder.
Il juge regrettable les craintes souvent irraisonnées suscitées par les OGM, car, dans les cultures les plus naturelles, dans les sols mêmes, on trouve des plantes et des substances toxiques ou des micro-organismes porteurs de résistances aux antibiotiques.
Il rappelle la recherche publique s'est interrogée très tôt sur la toxicité éventuelle des aliments dérivés des OGM, bien avant que ces questions ne soient débattues dans la presse et dans les médias.
De ces divers travaux sont issues les règles qui encadrent la culture et la commercialisation des plantes génétiquement modifiées, les PGM. Il n'y a guère de technologies pour lesquelles on constate une telle anticipation des risques.
Les PGM sont-elles dangereuses pour ceux qui les consomment ?
L'ADN qui porte les gènes est-il dangereux lorsqu'il est présent dans l'alimentation ? En fait, notre alimentation contient naturellement une grande quantité de gènes. Une bouchée de salade contient des millions de cellules, chacune comportant 30 000 gènes dans son ADN. Ce sont des milliards de gènes qui, chaque jour, passent dans notre tube digestif. Ils sont dégradés au cours de la digestion, et les gènes recombinants présents dans les OGM subissent le même sort, car ils ont la même structure et la même composition chimique que les gènes de la plante hôte utilisée comme aliment. Ce ne sont pas des corps étrangers, comme le serait un fragment de sac plastique éventuellement présent dans notre alimentation. Nos cellules ne peuvent donc pas être transformées par l'ADN qui circule dans notre tube digestif. Nous n'avons aucun risque d'hériter des gènes des tomates que nous mangeons et de devenir nous-mêmes des OGM si nous mangeons du riz génétiquement modifié.
Dans les PGM, le gène supplémentaire introduit va permettre la synthèse d'une protéine supplémentaire, qui sera mélangée aux autres protéines des cellules de la plante.
Composition et toxicité sont vérifiées de manière approfondie dans le cas des PGM. En sus de leurs caractères agronomiques, les variétés de PGM sont analysées par une série de tests de composition et de mesure de toxicité sur des animaux avant d'être commercialisées.
Le principe est d'autoriser leur commercialisation une fois qu'il aura été montré que leur composition est équivalente en substance à la variété non génétiquement modifiée dont ils dérivent et qu'ils ne présentent pas une toxicité nouvelle imprévue.
Il est à noter que la commercialisation d'une variété améliorée par le croisement sexué hors OGM n'est pas soumise à ces contrôles, le principe étant de la considérer comme inoffensive dans la mesure où la plante dont elle dérive est déjà commercialisée. Or, souvent, ces variétés améliorées ont reçu par croisement des fragments entiers de chromosomes porteurs de gènes d'intérêt, mais aussi de nombreux autres gènes de fonction inconnue.
Les PGM sont-elles dangereuses pour l'environnement ?
Les botanistes et les sélectionneurs savent depuis longtemps que les plantes d'une même espèce peuvent brasser leurs gènes par croisements.
Ce brassage des gènes entre plantes via le pollen est donc un processus tout à fait naturel que les sélectionneurs utilisent pour la production de semences hybrides. Les plantes, génétiquement modifiées ou non, produisent du pollen et peuvent se croiser avec les plantes voisines de la même espèce. Cela présente-t-il un risque ? Oui, le risque que le pollen de la plante génétiquement modifiée féconde une plante de la même espèce dans le champ cultivé attenant. Cela présente-t-il un danger ? Non, tant que la PGM cultivée n'est pas elle-même dangereuse.
Ce sont notamment ces fécondations croisées qui amènent l'agriculteur à utiliser des semences certifiées plutôt que de semer les graines qu'il produit. Si les PGM cultivées dans un champ produisaient des médicaments, on pourrait à juste titre s'inquiéter des conséquences de tels croisements aboutissant à la présence de médicaments dans l'alimentation, ce qui nécessiterait alors un isolement géographique prononcé. Dans le cas de PGM destinées à un usage standard, ce sont les règles usuelles de production et de multiplication des semences qui doivent s'appliquer, selon des procédures validées de longue date pour la production de semences certifiées : ou bien la PGM est destinée à produire une substance particulière qui peut constituer un danger si elle est présente dans la chaîne alimentaire - il faut alors la maintenir confinée -, ou bien tel n'est pas le cas, et elle est certifiée comme une autre variété non génétiquement modifiée de la même espèce.
En Europe, les cultures de PGM sont en pratique interdites - exception faite de la Roumanie et de l'Espagne -, les essais sur les PGM étant quant à eux aussi bloqués. De ce fait, l'agriculture européenne est freinée dans son développement méthodologique et dans sa compétitivité, alors que les importations de protéines dérivées de cultures PGM sont privilégiées. Nous assistons à un accroissement progressif de notre dépendance agro-alimentaire à l'égard du reste du monde. Cela est d'autant plus paradoxal que l'Europe bénéficie d'une grande diversité de sols et de climats, qui devrait nous permettre de subvenir à nos besoins agro-alimentaires ou énergétiques, grâce aux biocarburants. Les technologies liées aux modifications génétiques ont prouvé leur intérêt en médecine et en santé, et nombreux sont les médicaments qui en sont issus. Ces technologies présentent aussi un intérêt réel en agriculture comme compléments des pratiques d'amélioration des plantes. Les difficultés peuvent être surmontées en utilisant les pratiques déjà employées pour la production de semences certifiées.
Ces technologies PGM sont aujourd'hui diabolisées au nom du principe de précaution. Il est certes possible de se passer de ces techniques si tel est le souhait des citoyens. Il faudrait cependant évaluer les conséquences de ce type de décisions, en particulier en matière d'environnement, décisions en vertu desquelles les besoins et l'usage des phytosanitaires en production végétale seront maintenus à un niveau élevé, faute d'alternative. Rappelons-nous l'exemple du phylloxéra au début du siècle passé.
Je pense sincèrement que seules l'information et la transparence sont susceptibles d'éclairer le débat. Le conseil des biotechnologies doit jouer un rôle prépondérant. Les experts qui seront nommés doivent être compétents et indépendants. Ils devront assurer une parfaite diffusion de l'ensemble des travaux, participer au débat, et, par leurs conseils, éclairer le Gouvernement, le Parlement et, enfin, le public, notamment par le dépôt d'un rapport annuel.
La recherche publique doit pouvoir mener en toute indépendance ses travaux sur les OGM et répondre à la demande d'expertise. La confiance en cette expertise scientifique est essentielle pour responsabiliser les acteurs de la filière, pour apporter l'information légitime et transparente souhaitée par la société. Ce texte encadre et ajuste l'utilisation raisonnée des OGM et nous permet de respecter nos engagements communautaires.