Or si l'Institut national n'a plus de commandes, comme c'est le cas aujourd'hui, il ne peut éclairer la société et se trouve contraint de laisser le champ libre aux seuls opérateurs privés qui, eux, ont d'autres intérêts.
La recherche, mes chers collègues, c'est urgent ! En effet, l'innovation, la recherche appliquée, la recherche fondamentale, c'est le développement de notre pays, c'est une perspective pour nos ressortissants, pour la préservation de notre niveau de vie et pour notre indépendance.
L'internationalisation de la recherche est une réalité depuis dix ans. Et l'idée qui avait cours chez nous, idée selon laquelle les activités à forte valeur ajoutée n'étaient pas menacées par les pays à bas coût de main d'oeuvre, a été battue en brèche d'un coup. La délocalisation de la recherche européenne poursuit son accélération. En témoigne, monsieur le ministre, l'abandon de la participation de Bayer - ex Rhône-Poulenc - au programme Génoplante.
Il faut sauver la recherche ! Le rapport que j'ai eu l'honneur de présenter à Mme Haigneré, alors ministre déléguée à la recherche, tirait particulièrement la sonnette d'alarme sur ce point dès 2003. Pourtant, quelle est l'évolution dans ce domaine depuis trois ans, monsieur le ministre ?
Nous voulons donc profiter du présent projet de loi pour réitérer cette demande et mettre en avant notre souci de relancer la recherche publique dans sa mission fondamentale. Le Gouvernement doit lui donner les moyens d'être à la pointe du progrès pour que de nombreux partenariats public-privé efficients voient le jour dans notre pays, en créant les conditions de l'indépendance des chercheurs. Cela fera spécialement l'objet de la discussion d'un amendement tendant à insérer un article additionnel après l'article 3.
Il appartient donc à la recherche publique de faire de façon neutre toute la clarté sur le sujet en identifiant les risques et les avantages pour la société, l'environnement et l'homme. Il faut prendre le temps d'évaluer les impacts des OGM sur la santé et l'environnement.
Pourquoi ne pas tenter d'apporter la preuve que la transgénèse est une technique qui peut servir l'intérêt général sans qu'il y ait collusion avec d'autres intérêts ? Serait-ce impossible ?
Le deuxième angle essentiel évoqué par le rapport de 2003 est celui de l'information et de la transparence.
L'un des premiers à avoir souligné son importance est notre collègue député Jean-Yves Le Déaut en 1998, avant le rapport des quatre sages qu'il a d'ailleurs corédigé en 2002.
Qu'en est-il du débat avec la société aujourd'hui ? Comment les attentes de nos concitoyens sont-elles prises en considération et quelle est donc l'organisation de notre pays par rapport à cette attente ?
Depuis 2003, on ne sent rien de nouveau dans le débat, peut-être parce qu'il n'y avait rien à dire de plus.
De toute façon, monsieur le ministre, il importe de faire de ce texte, un instrument d'enclenchement d'un processus citoyen responsable.
Les élus locaux, les associations, la société civile en général ont le droit de savoir, de donner leur avis, et les pouvoirs publics ont le devoir de leur conférer les moyens d'être informés dans le détail, de sorte qu'ils puissent à leur tour être des acteurs éclairés du débat.
C'est l'esprit de l'article 7 de la Charte de l'environnement, qui figure désormais dans le préambule de la constitution de la Vème République et qui dispose : « Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d'accéder aux informations relatives à l'environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement. »
Monsieur le ministre, vous ne l'ignorez probablement pas, je ne suis pas un spécialiste scientifique de la question des OGM. J'y ai été confronté en tant qu'élu local et j'ai rapidement constaté que, en dépit de la profusion d'écrits et de débats, mes pairs élus locaux étaient en définitive peu informés, alors qu'ils sont parfois directement concernés sur le territoire de leur commune et qu'ils peuvent être conduits à prendre des décisions sans posséder le minimum d'éléments de compréhension ou d'information.
Depuis qu'il est de notoriété publique que certains maires n'avaient pas été informés des essais au champ conduits dans leur commune, le ministère de l'agriculture a fait en sorte, semble-t-il, que cela ne se reproduise plus. Mais cette information est-elle systématique et les modalités de sa délivrance sont-elles spécifiées dans un règlement ?
Vous soumettez à notre approbation la création d'une instance symétrique à l'instance d'évaluation et de contrôle scientifique qui permette la pleine expression de la société civile. En 2003, nous avions souhaité la création d'une telle instance. Le Gouvernement a donc évolué sur ce point - j'en suis heureux, monsieur le ministre -, mais il demeure à nos yeux que la définition du conseil des biotechnologies n'est pas suffisamment précise dans sa version actuelle, en particulier en ce qui concerne sa composition et son rôle ; nous vous proposerons un amendement à ce sujet.
Nous vous proposerons surtout d'associer les territoires au débat, en mettant en place des commissions locales d'information et de suivi, les CLIS, en lien avec le conseil des biotechnologies. Ces commissions devront se prononcer sur les protocoles de mise en place éventuelle en milieu extérieur. Elles constitueront de véritables barrières, de vrais filtres participant aux choix de poursuite ou non d'une recherche en externe. Dans quelles conditions et dans quel but ? Pour plus de transparence et pour une participation plus grande de la société. Elles éviteront aussi aux maires de se retrouver seuls face à une question locale et permettront d'élargir ainsi le cercle des détenteurs des informations et des codécideurs.
Monsieur le ministre, dans l'exposé des motifs de ce texte, vous mentionnez deux directives européennes : la directive 98/81/CE relative à l'utilisation confinée de micro-organismes génétiquement modifiés et la directive 2001/18/CE relative à la dissémination volontaire d'organismes génétiquement modifiés, cette dernière norme encadrant le prolongement de la recherche en milieu ouvert, comme la mise sur le marché de productions d'OGM.
Au fur et à mesure de notre analyse du projet de loi, nous avons affirmé une ligne de conduite claire, fondée sur le principe de précaution : il s'agit, d'une part, de promouvoir la recherche, y compris la recherche publique, et, d'autre part, d'appliquer le principe de transparence et de participation de la société à travers les CLIS. Cette ligne de conduite est ni plus ni moins conforme aux conclusions du rapport de la mission sénatoriale d'information de 2003.
À partir de là, trois étapes se distinguent : la première correspond bien à la recherche en milieu confiné ; la deuxième, au prolongement de la recherche en milieu ouvert ; la troisième, à la dissémination volontaire d'OGM en vue de leur mise sur le marché.
S'agissant de la première étape, celle de la transposition de la directive de 1998, le groupe socialiste du Sénat est globalement favorable à cette démarche, qui nous semble indispensable - vous l'avez entendu dans mes propos. Ce sont les articles 1er à 10 qui traduisent l'essentiel de cette transposition. Nous nous attacherons, au moment de leur discussion, à défendre des amendements tendant à présenter des propositions supplémentaires pour conforter la recherche, l'information et la participation de la société.
Pour marquer le passage de la première étape à la suivante, une évaluation doit être faite afin de déterminer dans quelle mesure il peut y avoir passage, ou non, du milieu confiné au milieu ouvert. Une CLIS doit être saisie à cet effet, en lien avec le conseil des biotechnologies, à l'occasion de chaque projet, pour en examiner l'opportunité, pour valider, ou non, le prolongement de l'opération, pour préciser les emplacements et assurer la plus grande transparence, en accompagnement des protocoles de cultures. C'est la première barrière, le premier filtre nécessaire. Ainsi la démocratie participative s'exprimerait sur des cas précis et pratiques.
Lorsqu'elle serait déclarée opportune, souvent pour des raisons médicales, la deuxième phase d'essai serait ensuite enclenchée, aux fins d'une analyse approfondie, tenant notamment compte de la composition biochimique et des variations climatiques de l'environnement naturel, en vue d'éclairer le conseil des biotechnologies et les CLIS.
Ces étapes sont incontournables avant toute dissémination volontaire en plein champ ayant pour objectif une mise en production et une commercialisation des OGM, lesquelles constituent la troisième étape du présent texte.
Pour l'heure, et sans préjuger le vote du Sénat sur nos amendements, mon groupe, compte tenu du fait que l'organisation du conseil des biotechnologies et des CLIS n'est à ce jour pas effective et que les efforts de l'État en faveur de la recherche publique se révèlent nettement insuffisants, s'opposera, dans l'attente d'en savoir davantage sur le sujet, à la troisième étape de mise en culture de plantes génétiquement modifiées, ou PGM, à vocation commerciale, dans notre pays.
En effet, il manque deux dispositifs essentiels : une mission forte dévolue à la recherche et la mise en place de barrières et de filtres permettant la transparence et la participation de la société.
La précipitation des industries agro-alimentaires à vouloir tirer des profits est en contradiction avec la notion de progrès, qui, selon nous, est attachée à l'importance des apports d'une innovation pour la société, lesquels ne sont pas perçus d'emblée en matière d'OGM.
Dès lors, il appartient aux pouvoirs publics, et singulièrement au législateur, de faire en sorte que les avancées scientifiques soient favorisées, en s'entourant cependant de toute la prudence rendue nécessaire par leurs implications potentielles. En effet, à ce jour, rien ne démontre que c'est la raison qui gouverne le monde... en dehors de la raison du plus fort.
Le principe de précaution, caractérisé par Philippe Kourilsky et Geneviève Viney, en 1999, ne doit pas être seulement pris en compte, comme l'écrit notre collègue Jean Bizet dans son rapport sur ce projet de loi, mais doit être véritablement mis en oeuvre, ce qui signifie non pas l'immobilisme, mais une obligation de recherche, dans laquelle l'absence totale de certitudes à l'heure actuelle est compensée par la rigueur des procédures. C'est fondamental !
Or, ce que le projet de loi nous présente en matière de coexistence des cultures est insuffisant. Des conditions de coexistence à définir par un arrêté dont nous ne savons rien à ce jour, tout comme la simple prévision d'une indemnisation en cas de présence fortuite d'OGM, ne peuvent nous satisfaire en termes de précautions. En l'état, ces mesures ne nous paraissent pas répondre à la proposition du rapport de la mission sénatoriale d'information de 2003 sur ce point.
C'est d'autant plus gênant que le rapport que la Commission européenne vient de publier, le 9 mars dernier, sur la mise en oeuvre des mesures de coexistence entre cultures OGM et cultures non OGM conclut à une expérience limitée, qui empêche une harmonisation des pratiques en Europe.
Monsieur le ministre, il nous faut plus de garanties en France sur une question qui ne fait l'objet que d'une recommandation de l'Union européenne - et non d'une réglementation -, laquelle laisse les États membres se débrouiller seuls en la matière.
En conclusion, et avant de laisser la parole à mon collègue Daniel Raoul, je souhaite reprendre la phrase finale du rapport de 2003, qui me paraît toujours d'actualité : « Seule une reprise en main politique permettra de ne pas subordonner le développement des OGM à la seule logique économique et de maîtriser une innovation qui touche à la place de l'homme sur terre et au devenir même de notre Humanité. ».
C'est cette ligne politique qui animera mon groupe politique dans ce débat.
Nous ne nous retrouvons pas dans le texte que vous nous présentez, ce qui devrait nous conduire, indépendamment de notre position sur les amendements, à émettre un vote négatif sur l'ensemble du projet de loi.