Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, dès le mois de juillet 2017, le Premier ministre était venu l’affirmer devant vous à l’occasion de sa déclaration de politique générale : la Nouvelle-Calédonie est une priorité pour le Gouvernement, et en particulier, bien sûr, pour le ministère des outre-mer.
Le projet de loi organique qu’il vous est proposé d’examiner constitue une illustration concrète de la volonté du Gouvernement d’accompagner au plus près la Nouvelle-Calédonie, quitte à bousculer les agendas.
Élaboré à l’issue du comité des signataires organisé au mois de novembre, soumis immédiatement à l’avis du Conseil d’État et du congrès de la Nouvelle-Calédonie, avant son passage en conseil des ministres en décembre, il vous est présenté aujourd’hui.
Dès le mois prochain, l’Assemblée nationale l’étudiera à son tour. S’agissant d’un projet de loi organique, la loi qui sera adoptée par le Parlement sera, bien sûr, soumise au Conseil constitutionnel.
Avec ce texte, qui vient solder une difficulté apparue il y a plusieurs années dans les discussions relatives aux listes électorales, l’ensemble des institutions de la République auront démontré leur pleine mobilisation pour contribuer, chacune dans ses compétences, à soutenir la Nouvelle-Calédonie, à lui permettre d’avancer.
L’histoire de la Nouvelle-Calédonie, depuis trente ans, est celle d’un dépassement des antagonismes, des barrières culturelles et identitaires, pour ériger un modèle politique unique au monde. Ce modèle repose sur la conviction qu’il appartient à tous de contribuer au vivre ensemble et à la définition de ce que doit être le destin commun de celles et ceux qui vivent en Nouvelle-Calédonie.
Sur le plan politique, cela a conduit à élaborer un schéma institutionnel profondément original. Localement d’abord, avec une architecture en trois provinces, un congrès et un gouvernement. Surtout, dans l’esprit de l’accord de Nouméa, et afin de bâtir tous ensemble la Nouvelle-Calédonie de demain, les membres de l’exécutif, élus à la proportionnelle, représentent toutes les tendances politiques. Majorité et opposition se côtoient au sein d’un collège dans lequel le consensus est au fondement de toutes les décisions.
Le fait majoritaire, comme principe de décision collective, a donc subi des aménagements forts pour que la majorité tienne compte des intérêts des autres groupes politiques minoritaires.
Cette organisation et la philosophie politique qui la sous-tend conduisent d’ailleurs à s’interroger sur la confusion que nous entretenons souvent, en particulier en France, entre démocratie et prise de décision majoritaire. La démocratie, c’est l’élection à la majorité. Mais la prise de décision majoritaire n’est pas le seul chemin que peut suivre la démocratie pour se déployer.
Cette approche particulière de la prise de décision est à l’œuvre avec le troisième partenaire des différents accords qu’est l’État. Lui aussi participe à la recherche permanente du compromis et du consensus.
L’État est le garant des accords conclus. Il est le partenaire qui, avec ses moyens et son expertise, accompagne la réflexion collective, rappelle aussi les limites de ce que le droit permet. L’État est un acteur de la discussion : il l’anime, il propose des solutions, des idées, des compromis.
C’est dans cet esprit que le Premier ministre a conduit les travaux du comité des signataires du mois de novembre dernier. Les échanges ont permis d’aboutir, vous le savez, à un compromis politique sur la question sensible de l’inscription d’office sur les listes électorales de personnes résidant en Nouvelle-Calédonie et répondant à différents critères leur permettant d’aspirer à participer au référendum.
Le projet de loi organique qui vous est soumis transcrit cet accord politique fort. Il vise à garantir la légitimité et la sincérité des résultats du scrutin. Il a largement pris en compte les propositions émises par le congrès de la Nouvelle-Calédonie, consulté à chaque étape sur l’ensemble des textes.
Je tiens à le rappeler, car la confusion est parfois entretenue dans les esprits : le présent texte ne modifie pas le corps électoral, dont la composition répond à des critères fixés en 1998 ; il ne traite que la question de l’inscription d’office d’électeurs remplissant a priori les conditions pour participer au scrutin, avec comme finalité d’inscrire le maximum d’électeurs potentiels sur la liste électorale spéciale pour la consultation, la LESC.
Environ 11 000 personnes, de statut civil coutumier ou de droit commun, sont potentiellement concernées par les nouvelles dispositions. Ce chiffre résulte de croisement de fichiers opéré en 2017 et le travail se poursuit pour l’affiner, en lien étroit avec le groupe de travail local, composé des experts de chaque parti, qui suit ce dossier depuis plusieurs années.
Pour inscrire ces personnes sur la liste électorale spéciale, une procédure d’inscription d’office sur la liste électorale générale était indispensable. L’avis du Conseil d’État, que le Gouvernement a consulté sur ce point, a permis de mettre en place une procédure adaptée.
Outre les inscriptions d’office sur la liste électorale générale et sur la liste électorale spéciale, le projet de loi organique ouvre la voie à la mise en place de bureaux de vote délocalisés, permettant aux électeurs des îles résidant à Nouméa de voter sur place.
Cette disposition répond à une demande forte exprimée à plusieurs reprises par les élus de Nouvelle-Calédonie qui craignaient que des électeurs ne doivent renoncer à participer au scrutin, faute de place dans les avions ou de moyens de s’offrir un tel déplacement.
En corollaire, parce que ce qui est privilégié est le vote personnel des électeurs, compte tenu de l’enjeu, un encadrement plus strict des procurations a été jugé pertinent par tous. Le dispositif de droit commun est aujourd’hui très peu encadré ; il semblait nécessaire de le renforcer. Je me félicite que la commission des lois du Sénat ait accepté le dispositif proposé par le Gouvernement, en accord avec l’ensemble des partenaires locaux.
Mais je reviens à mon propos sur les modalités particulières d’élaboration des décisions concernant la Nouvelle-Calédonie. Depuis trente ans, qu’observons-nous ? La procédure particulière d’élaboration de la décision publique à l’œuvre en Nouvelle-Calédonie a fini par irriguer les institutions nationales. Depuis trente ans, le sujet est préservé des querelles politiciennes, des coups d’un jour, de tout ce qui pourrait en réalité déstabiliser le territoire. Il faut s’en féliciter.
Chacun a pris la mesure de l’enjeu. Et chacun a pris conscience qu’il endosserait une responsabilité immense s’il ne s’inscrivait pas dans cette démarche engagée par d’illustres prédécesseurs. Cette démarche se veut respectueuse des opinions de chacun pour définir un chemin collectif qui réponde aux aspirations de tous.
Pierre Frogier me pardonnera l’usage d’un concept qui lui est cher, mais j’ai envie de dire que les palabres océaniens et, avec eux, le respect, l’écoute, la prise en compte sincère de l’autre et de ses contraintes ont fini par faire école jusqu’à Paris. Au moins lorsqu’il s’agit de la Nouvelle-Calédonie…
À ce titre, je me félicite que le travail conduit par le Gouvernement sur ce projet de loi ait avancé sereinement, dans un échange constructif avec le Parlement. L’Assemblée nationale et le Sénat doivent en effet prendre toute leur part dans les réflexions en cours. C’est pourquoi il est important que vous ayez eu l’occasion, monsieur le rapporteur, de vous rendre en Nouvelle-Calédonie. La mission d’information de l’Assemblée nationale fera d’ailleurs de même la semaine prochaine.
Je me félicite également des améliorations que vous avez introduites dans le projet de loi organique déposé par le Gouvernement. Indéniablement, à l’issue de son examen par la commission des lois, ce texte est mieux rédigé. Je pense en particulier à la réécriture d’une partie du premier article, qui y a gagné en clarté, à laquelle, je le sais, vous veillez. Je pense aussi à l’harmonisation des écritures entre les deux premiers articles.
L’amendement du sénateur Poadja que vous avez adopté a permis d’introduire, selon le vœu du congrès de la Nouvelle-Calédonie, une consultation supplémentaire de cette institution sur le décret, décisif, qui convoquera l’élection. Ce décret contiendra des dispositions essentielles sur l’organisation de la campagne. Il fixera également les termes de la question posée. Le Gouvernement juge donc normal que le congrès, par dérogation aux principes habituels organisant les consultations, émette un avis.
Le texte est mieux écrit, par conséquent moins susceptible d’être remis en cause. C’est essentiel. Le plus important, c’est que ce travail a été conduit dans le strict respect des équilibres fixés lors du comité des signataires.
Les échanges informels entre nous ont également permis d’améliorer sensiblement la rédaction de l’amendement présenté par le Gouvernement concernant la répartition du temps de parole pour la campagne officielle, ainsi que les modalités d’intervention du CSA, le Conseil supérieur de l’audiovisuel. Le sujet est important pour les partis politiques locaux. Je me permets de croire que les interrogations légitimes que vous avez soulevées ont été prises en considération et que des réponses auront pu y être apportées.
Par ailleurs, le Gouvernement vous présentera un amendement visant à introduire le principe d’un remboursement plafonné des frais de campagne. C’est l’usage en matière de référendum. Un dispositif identique avait d’ailleurs été mis en place pour le référendum sur l’accord de Nouméa en 1998. C’est aussi un vecteur pour assurer une forme d’égalité entre les partis, qui ne disposent pas tous des mêmes moyens.
Permettez-moi, mesdames, messieurs les sénateurs, de dire encore quelques mots sur la Nouvelle-Calédonie en guise de conclusion, au-delà du projet de loi dont nous allons entamer la discussion. Ce texte ne résume pas, tant s’en faut, l’ensemble des actions conduites par le Gouvernement.
La tâche importante que constitue la préparation de l’échéance référendaire suscite une mobilisation de l’ensemble des services de l’État.
Ainsi, comme vous l’aviez souhaité, le ministère de la justice vient-il de désigner une dizaine de magistrats pour permettre aux commissions électorales de fonctionner.
Nous travaillons également avec le ministère des affaires étrangères sur toutes les actions qui engagent les Nations unies. Ces dernières sont nombreuses : organisation d’une mission sur la constitution des listes électorales, préparation de la visite du Comité spécial de la décolonisation, ou C24, qui aura lieu en mars prochain, anticipation de la mission d’observation sollicitée par les signataires pendant le scrutin.
Surtout, la consultation n’est pas le seul horizon de notre action.
L’État a réaffirmé son soutien à la Nouvelle-Calédonie dans le financement et la mise en œuvre de politiques publiques essentielles. Une attention particulière a été portée aux crédits du budget opérationnel de programme, ou BOP 123, qui financent les contrats de développement et donc, concrètement, des investissements et des projets qui changent la vie quotidienne des Calédoniennes et des Calédoniens.
Nous conduisons également, dans le cadre des assises des outre-mer, une réflexion collective, regroupant l’État, les institutions locales, les associations et tous les citoyens qui souhaitent y prendre part, sur la question spécifique de la jeunesse calédonienne. J’attends beaucoup de ces travaux, qui manqueraient une partie de leur finalité s’ils ne devaient se résumer qu’à un agglomérat de mesures disparates. Ils pourraient – et devraient – être le premier temps d’une mobilisation politique et sociétale en faveur de ceux qui sont la Nouvelle-Calédonie de demain et qui parfois, isolés, désocialisés, partent à la dérive.
L’État a également souhaité que la Nouvelle-Calédonie, qui souffre de difficultés spécifiques pour ce qui concerne la sécurité, bénéficie d’un accompagnement dédié. Des efforts importants ont été consentis en matière de prévention de la délinquance, en lien avec le plan engagé par le gouvernement local, mais aussi en termes d’effectifs des forces de l’ordre et de matériels mis à leur disposition. Le ministre de l’intérieur a confirmé, la semaine dernière, que Nouméa bénéficierait de l’expérimentation de la police de sécurité du quotidien dans l’un de ses quartiers, avant – je le souhaite – un élargissement à l’ensemble de l’agglomération.
À travers toutes ces actions s’exprime la conviction que le référendum est une étape dans l’histoire de la Nouvelle-Calédonie. Mais comme le Premier ministre l’avait dit au Sénat, en août dernier, la question qui sera posée ne porte pas sur le destin commun, qui doit continuer de se construire. La Nouvelle-Calédonie doit continuer d’avancer et de porter des projets et des ambitions.
C’est pourquoi j’ai récemment rappelé la nécessité que, en parallèle de ces travaux préparatoires, se poursuive un dialogue politique, dont le Premier ministre a dessiné les contours lors de son déplacement à Nouméa. Il me semblait indispensable, avant de nous plonger dans la technicité de ce projet de loi organique, de le réaffirmer devant vous au nom du Gouvernement.