Intervention de Gérard Poadja

Réunion du 13 février 2018 à 14h30
Accession à la pleine souveraineté de la nouvelle-calédonie — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi organique dans le texte de la commission

Photo de Gérard PoadjaGérard Poadja :

Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je suis très ému de m’adresser à vous aujourd’hui, parce que le projet de loi organique que nous examinons me donne l’occasion de vous parler de mon histoire et, au travers d’elle, de l’histoire du pays.

Vous me connaissez sous le nom de Gérard Poadja. Mon nom en païci – l’une des vingt-huit langues kanakes de la Nouvelle-Calédonie – est Pounou ; c’était le nom du frère de mon père. Mon père est Auguste Poadja, grand chef du district de Poindah.

Tous deux ont été engagés volontaires §au sein du Bataillon du Pacifique pendant la Seconde Guerre mondiale, au cours de laquelle pas moins de 2 000 Calédoniens, dont un millier de Kanaks, ont participé à la défense du monde libre.

Mon père était stockman, ces cow-boys calédoniens qui, à l’époque, dans les années 1930 à 1950, conduisaient sur plusieurs centaines de kilomètres les troupeaux de bovins de la province Nord jusqu’à Nouméa, afin d’alimenter la capitale en viande.

Il a ensuite été éleveur sur sa propriété. C’était la concrétisation d’un rêve, mais ce rêve s’est fracassé à partir de 1983-1984 sur ce que l’on appelle pudiquement chez nous « les événements ». Nuit après nuit, notre cheptel a été abattu à coup de sabre et de tamioc ; nos champs ont été saccagés, nos barrières coupées, notre famille menacée.

Nous avons dû abandonner notre propriété, comme beaucoup d’autres Calédoniens de toutes origines de la Grande-Terre et des îles. Nous avons dû le faire, parce que, à ce moment-là de l’histoire, nous n’étions pas, politiquement, du bon côté ; nous étions du côté de la France, de la République.

Aujourd’hui, presque quarante ans après, je continue de défendre les convictions de mes vieux au sein de Calédonie Ensemble, principale formation politique non indépendantiste de Nouvelle-Calédonie.

Madame la ministre, mes chers collègues, si je délivre devant vous aujourd’hui cette part d’intimité qui n’a pas souvent sa place dans les palais de la République, c’est parce que mon engagement pour que la Nouvelle-Calédonie demeure au sein de la République française est un engagement de longue date, dont ma famille a payé le prix dans sa chair et dans son sang.

Peut-être comprenez-vous mieux maintenant mon attachement viscéral à la paix ! Celle qui a été tissée depuis que deux hommes d’exception, Jean-Marie Tjibaou et Jacques Lafleur, ont su se serrer la main au lendemain du terrible drame d’Ouvéa.

Cette paix qui, trente années durant, au travers des accords de Matignon et de Nouméa, nous a permis de bâtir un vivre ensemble calédonien, dans lequel chacun, quelle que soit son origine ethnique, a appris, au fil du temps, à comprendre l’autre et à le respecter.

Nous arrivons aujourd’hui au terme de cet accord. Une consultation sur l’accession de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté doit être organisée au plus tard en novembre 2018.

Cette consultation majeure pour l’avenir de notre pays aboutira à un résultat, dont ni la légitimité ni la sincérité ne doivent pouvoir être remises en cause.

C’est pourquoi, lors du XVIe comité des signataires de l’accord de Nouméa, les partenaires politiques se sont unanimement mis d’accord sur trois points majeurs : inscrire d’office sur les listes électorales générale et référendaire tous les natifs du pays, qu’ils soient kanaks ou non kanaks ; favoriser le vote personnel des électeurs, en créant des bureaux de vote décentralisés pour les inscrits des îles qui résident sur la Grande-Terre ; encadrer de manière plus rigoureuse le recours au vote par procuration.

Chacun de ces engagements a été respecté et, autant que nécessaire, repris dans les amendements que j’ai moi-même présentés lors de la réunion de la commission des lois.

Pour autant, cette consultation sur l’accession du pays à la pleine souveraineté porte en elle un vice originel : elle réduit de manière frontale les Calédoniens à ce qui les oppose, avec les risques de tensions ethniques, politiques et sociales qui en découlent.

Comment, dès lors, poursuivre l’œuvre de réconciliation et de paix de ceux qui nous ont précédés, tout en respectant cette échéance prévue par l’accord de Nouméa ?

En conscience, nous, indépendantistes et non-indépendantistes, avons proposé d’adopter, avant le référendum, une déclaration solennelle sur le patrimoine commun de tous les Calédoniens.

Une déclaration qui nous permettrait de sceller nos convergences sur le destin commun, afin d’assumer plus sereinement nos divergences sur l’avenir du pays lors de la consultation.

Une déclaration sur ce qui fait notre ciment, nos acquis de ces trente dernières années, parmi lesquels le processus de décolonisation et d’émancipation, les valeurs calédoniennes qui nous lient, des institutions singulières à l’échelle de la République, des mémoires heurtées devenues au fil du temps une mémoire commune, et tout ce qui fait que l’on se sent calédonien.

Cette déclaration permettra ainsi d’affirmer ce qui nous rassemble avant de nous prononcer sur ce qui nous divise.

C’est ainsi que nous pourrons maintenir ce que nous avons de plus cher dans notre pays : la paix !

Chers amis, chers collègues, celui qui s’exprime à la tribune est un Kanak, qui appartient à une civilisation millénaire. Il est calédonien, aussi, parce qu’il a décidé de partager son pays avec celles et ceux qui, depuis 165 ans, ont contribué à sa mise en valeur. Il est français, enfin, parce que la grande histoire du monde a voulu que ce soit la France qui, en 1853, prenne possession de cette petite île du Pacifique.

Ce Kanak, ce Calédonien, ce Français aujourd’hui devant vous revendique toutes ces appartenances qu’une grande partie des Calédoniens a appris à conjuguer.

Je souhaite plus que jamais que, au lendemain du référendum, nous soyons capables de continuer à les conjuguer, ensemble, dans la France et dans la paix. Comme l’a dit mon grand frère coutumier Élie Poigoune, leader indépendantiste historique, « la Nouvelle-Calédonie a besoin d’un grand frère, et ce grand frère, c’est la France ».

Vive la Nouvelle-Calédonie ! Vive la République ! Vive la France !

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