Intervention de Jacques Bigot

Réunion du 13 février 2018 à 14h30
Accession à la pleine souveraineté de la nouvelle-calédonie — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi organique dans le texte de la commission

Photo de Jacques BigotJacques Bigot :

Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, rapporteur de ce projet de loi organique, mes chers collègues, il est difficile de prendre la parole après Gérard Poadja, qui a parlé avec son cœur de son histoire, de ce qu’il vit en Nouvelle-Calédonie.

En ce qui me concerne, je dois au hasard de la décision du président de la commission des lois de se rendre en Nouvelle-Calédonie pour procéder à des auditions afin de s’assurer que le texte qui nous est proposé est bien conforme à ce que souhaite le peuple de Nouvelle-Calédonie d’avoir découvert ce territoire. Je le reconnais, j’y ai fait des rencontres tout à fait riches et intéressantes.

Mon cher collègue, je pense que ce que vous venez de dire doit nous inspirer dans l’approche de ce projet de loi organique.

Je ne peux pas m’empêcher, fidèle à mes valeurs et à mes origines politiques, de penser en cet instant à Michel Rocard, Premier ministre, qui, confronté à ces moments de tension dont vous venez de parler, a réussi dans la concertation et le consensus à bâtir les accords de Matignon sur la Nouvelle-Calédonie. Grâce à lui, trente ans plus tard, les choses sont peut-être apaisées et un destin commun est possible, même si rien n’est facile.

De ce point de vue, les accords sont très clairs : un scrutin d’autodétermination doit avoir lieu, parce que c’est l’engagement que la République a pris. Dix ans après, et notre collègue Pierre Frogier pourra en parler naturellement mieux que moi, les signataires ont décidé qu’il était trop tôt pour organiser le référendum et qu’il fallait de nouveau vingt années, d’où l’accord de Nouméa. Ce dernier a également mis en place le transfert de toute une série de compétences de l’État vers le congrès de la Nouvelle-Calédonie ou les provinces pour faire en sorte que cette terre si lointaine de la métropole – 17 000 kilomètres – puisse s’organiser de manière plus libre et plus conforme aux besoins du territoire.

Dans le cadre de la recherche d’un consensus, il était même prévu que le référendum devait d’abord être en quelque sorte dessiné par le congrès de la Nouvelle-Calédonie, à partir de 2014, c’est-à-dire au cours du dernier mandat de ce congrès. Une majorité des trois cinquièmes du congrès ne s’étant pas dégagée pour organiser le référendum, il incombe à l’État, conformément aux termes très clairs de la loi organique votée en 1999, d’organiser à présent cette consultation, madame la ministre, dans des délais contraints et compliqués, pour s’assurer que nul ne vienne dire que l’accord de Nouméa n’a pas été respecté.

La question à poser reste compliquée, et nous attendrons avec impatience le décret du Gouvernement. Nous avons parfois été interrogés sur ce point lors de nos entretiens, mais il appartient au Gouvernement de prendre la décision. Fort heureusement, vous avez accepté l’idée de la consultation préalable du congrès, ce qui est de bonne démocratie.

L’organisation de ce référendum doit être totalement incontestable. Il est fondamental que nul ne puisse, au lendemain du scrutin, dire que les dés étaient pipés, que le scrutin n’a pas été bien organisé. C’est le sens de la présence très forte de l’ONU ; c’est le sens également de la présence de magistrats, qui vont être chargés de contrôler les opérations ; c’est le sens aussi de la demande initiale des indépendantistes qu’il y ait des inscriptions d’office, ce qui est une exception dans notre organisation républicaine.

Ce dernier point, notamment, a fait l’objet d’un débat au sein du comité des signataires, qui a abouti à un accord le 2 novembre dernier, et d’un avis du congrès, qui s’est prononcé en faveur de l’inscription d’office des natifs de Nouvelle-Calédonie qui ont le statut coutumier, bien évidemment, mais aussi de ceux qui, n’ayant pas le statut coutumier, peuvent néanmoins justifier d’une présomption, qui n’est pas irréfragable, comme l’a rappelé le président Bas, que leur centre d’intérêts matériels et moraux se trouve bien en Nouvelle-Calédonie.

Tout cela, comme il nous l’a été rappelé, doit être tout à fait conforme à l’accord de Nouméa, lequel stipulait que le corps électoral pour les élections aux assemblées locales propres à la Nouvelle-Calédonie serait restreint aux personnes établies depuis une certaine durée, c’est-à-dire à celles qui, effectivement, ont leur centre d’intérêts matériels et moraux en Nouvelle-Calédonie, de par leur histoire, de par leur naissance, de par leur implantation. Elles seules pourront dire si elles souhaitent que la Nouvelle-Calédonie accède à la souveraineté, à un statut international, et qu’une nationalité néo-calédonienne remplace la citoyenneté calédonienne, etc.

Il faut aussi que chacun ait la possibilité de voter. C’est pourquoi il importe que les personnes inscrites dans les îles ne soient pas obligées d’y retourner ou de donner procuration et qu’elles puissent voter à Nouméa. C’est aussi une exception néo-calédonienne.

Il a également été introduit une limite pour les procurations. Certains le demandaient fortement lorsque nous les avons rencontrés ; d’autres étaient plus sceptiques. Pour ma part, je pense que vous avez bien fait, madame la ministre, de proposer un amendement sur ce point. Nous en avions discuté avec le président de la commission des lois dans l’avion qui nous ramenait de Nouvelle-Calédonie – on a le temps de discuter, lors de ce long voyage –, et nous nous étions demandé comment nous pouvions répondre à cette demande, malgré l’avis négatif du Conseil d’État. Selon moi, il est bon que nous allions au-delà de cet avis.

Enfin, et c’est le sens de votre dernier amendement, il faut que la campagne électorale puisse s’organiser du mieux possible, ces débats, qui ont lieu depuis des années, devant pouvoir continuer sereinement.

Après, que se passera-t-il ?

Si le référendum aboutit à l’autodétermination, la France devra sans doute accompagner l’assemblée constituante, permettre de constituer cet État de Nouvelle-Calédonie, et voir quels sont les partenariats que nous pourrons nouer avec ce territoire.

Dans le cas contraire, et nul ne peut aujourd’hui anticiper sur un tel scrutin, car cela serait la pire des choses, surtout dans cet hémicycle, si la Nouvelle-Calédonie choisit de rester dans la République, elle demeurera néanmoins naturellement un territoire au statut particulier. Comme vous l’avez rappelé, deux autres référendums sont possibles, à condition qu’un tiers du congrès le demande, mais, dans l’intervalle, si le référendum n’aboutit pas à l’autodétermination, il nous faudra bien travailler, sans doute aussi dans cet hémicycle et dans nos commissions, sur la pérennisation du statut particulier pour réussir cette phase.

Ce sera une expérience tout à fait intéressante pour la République.

Je veux vous dire, madame la ministre, en espérant que vous en fassiez part à vos collègues du Gouvernement, que nous avons là une démonstration très claire de l’importance qui doit être donnée aux élus en démocratie. Je me plais à le rappeler au moment où, au sommet de l’État, il me semble que l’on réfléchit à la manière, en quelque sorte, de vider le Parlement de sa substance, alors que l’on voit bien que, en démocratie, les élus ont un rôle fondamental. Sans les élus qui se rencontrent au congrès, sans les élus qui œuvrent au consensus, sans cette capacité de travailler ensemble, malgré des désaccords, on ne réussira pas. Si l’on veut travailler ensemble, il faut un Parlement.

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