Intervention de Alain Milon

Réunion du 14 février 2018 à 14h30
Renforcement du dialogue social — Adoption définitive des conclusions d'une commission mixte paritaire

Photo de Alain MilonAlain Milon :

Monsieur le président, madame la ministre du travail, mes chers collègues, nous sommes appelés aujourd’hui à donner valeur législative aux ordonnances prises sur le fondement de la loi d’habilitation du 15 septembre 2017, à travers le vote définitif du présent projet de loi de ratification.

Ce texte constitue une réforme du droit du travail sans précédent depuis trente ans, car il donne une place centrale à la négociation d’entreprise, il modernise la représentation du personnel dans l’entreprise, il sécurise les procédures de licenciement et il adapte les règles de prévention des risques professionnels.

Dès l’examen du projet de loi d’habilitation, cet été, nous avions exprimé notre satisfaction de constater que le Gouvernement reprenait à son compte la plupart des thèmes sur lesquels la majorité sénatoriale s’était mobilisée depuis 2014, comme l’assouplissement des règles du mandatement syndical, la simplification des accords de flexisécurité, la rationalisation des institutions représentatives du personnel, ou encore la remise à plat du compte pénibilité. La persévérance du Sénat porte aujourd’hui ses fruits, et confirme la pertinence de notre diagnostic et des propositions que nous formulions alors pour moderniser notre droit du travail.

À l’issue de nombreuses rencontres bilatérales avec les partenaires sociaux représentatifs entre juin et septembre dernier, le Gouvernement a élaboré cinq ordonnances qui respectent globalement le cadre fixé par le Parlement dans la loi d’habilitation.

En dépit de ce satisfecit général, près de 80 amendements ont été adoptés au Sénat pour enrichir le présent projet de loi, avec quatre objectifs principaux : la simplification des normes, le renforcement de la compétitivité de l’économie, la prise en compte des spécificités des petites entreprises et la protection des droits fondamentaux des salariés.

Plusieurs apports décisifs du Sénat ont été conservés par la commission mixte paritaire qui s’est réunie le 31 janvier dernier, et je voudrais à cette occasion saluer le rapporteur de l’Assemblée nationale, Laurent Pietraszewski, pour son écoute et son implication, ainsi que Mme la ministre et ses services pour leur disponibilité et leur engagement.

Tout d’abord, la commission mixte paritaire a confirmé l’obligation de créer une commission des marchés chargée de fixer des critères objectifs pour choisir les prestataires des comités sociaux et économiques de grande taille. Les règles applicables à la nouvelle instance unique de représentation du personnel en matière de transparence financière ne pouvaient pas être moins rigoureuses que celles en vigueur depuis quatre ans dans les comités d’entreprise. Comme le souhaitait le Sénat, tous les CSE dépassant certains seuils devront être dotés d’une telle commission, sans pouvoir s’en dispenser par accord collectif.

Ensuite, la commission mixte paritaire a accepté de rendre obligatoire la formation de tous les membres du CSE aux problématiques de santé et de sécurité au travail, alors que la deuxième ordonnance la réservait aux seuls membres de la commission dédiée. Cette mesure devrait être de nature à rassurer les personnes inquiétées par le transfert, pourtant à droit constant, des missions du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, le CHSCT, au CSE.

Par ailleurs, la commission mixte paritaire n’a pas remis en cause la règle introduite au Sénat selon laquelle toute fraude rendait caduque l’utilisation d’un périmètre national pour apprécier, au sein d’un groupe, la cause économique d’un licenciement.

En outre, la commission mixte paritaire a approuvé la suppression des instances de dialogue social dans les réseaux de franchise, introduite au Sénat sur l’initiative du groupe du RDSE et de plusieurs membres de la délégation aux entreprises.

Enfin, la commission mixte paritaire a maintenu les dispositions introduites au Sénat qui répondaient à des situations d’urgence. Je pense notamment aux règles relatives au développement de la mobilité européenne des apprentis, qui devaient être clarifiées rapidement pour que les apprentis puissent bénéficier dès cette année des fonds européens du programme Erasmus Pro. Je pense surtout à l’assouplissement, à titre exceptionnel et temporaire, de plusieurs règles relatives à la rupture du contrat de travail dans les collectivités ultramarines de Saint-Martin et Saint-Barthélemy, qui ont été touchées par l’ouragan Irma, le 6 septembre dernier.

Mes échanges avec le rapporteur de l’Assemblée nationale ont également permis d’élaborer des rédactions de compromis entre nos deux assemblées sur plusieurs sujets.

Nous avons tout d’abord trouvé un terrain d’entente concernant la dénomination du nouvel accord de flexisécurité unique. Nous avions opté au Sénat pour le nom d’« accord de performance sociale et économique », mais nous avons finalement retenu en commission mixte paritaire celui d’« accord de performance collective », afin de mettre l’accent sur la place éminente qu’il a vocation à occuper dans l’entreprise, comme c’est déjà le cas en Allemagne.

S’agissant de l’interdiction d’exercer plus de trois mandats successifs de représentant du personnel, le Sénat s’était opposé à la possibilité de contourner cette règle par accord collectif dans les entreprises employant plus de 50 salariés. La commission mixte paritaire a rétabli cette dérogation, mais l’a circonscrite aux entreprises employant entre 50 et 300 salariés, compte tenu de la difficulté pour certaines d’entre elles de trouver de nouveaux candidats pour occuper des fonctions de représentant du personnel.

Soucieux de ne pas laisser les salariés et les employeurs dans une longue période d’insécurité juridique en cas de recours en nullité à l’encontre d’un accord d’entreprise, le Sénat avait fixé au juge un délai de trois mois pour se prononcer. Nous l’avons cependant porté en commission mixte paritaire à six mois pour tenir compte de la charge de travail des tribunaux de grande instance.

Enfin, la commission mixte paritaire a rétabli deux dispositions supprimées au Sénat, mais qui étaient cruciales pour l’Assemblée nationale.

Tout d’abord, la commission a rétabli la généralisation des accords majoritaires dès le 1er mai 2018, au lieu du 1er septembre 2019, comme le prévoyait la loi Travail. Le Sénat n’a de cesse de mettre en garde le Gouvernement sur le fait que cette mesure pourrait entraîner une forte diminution des accords d’entreprise, car les employeurs pourraient avoir de grandes difficultés à négocier avec des syndicats signataires réunissant au moins la moitié des suffrages exprimés en faveur des syndicats représentatifs lors des dernières élections professionnelles.

Le Sénat ne s’oppose pas au principe des accords majoritaires, mais il est dubitatif quant au calendrier de leur mise en œuvre. Je forme donc le vœu que cette mesure ne freine pas la conclusion d’accords d’entreprise, car nous partageons tous le même objectif, celui de renforcer la vitalité du dialogue social.

La commission mixte paritaire a ensuite rétabli les observatoires départementaux d’analyse et d’appui au dialogue social et à la négociation. Ces structures avaient été supprimées au Sénat, car aucune disposition de la loi d’habilitation n’autorisait leur création par ordonnance.

Toutefois, la commission mixte paritaire a souhaité les maintenir pour faciliter le suivi des dispositions des ordonnances en faisant remonter au niveau national les éventuelles difficultés rencontrées par les employeurs et les salariés. Je rappelle à cette occasion que, si le Gouvernement doit respecter scrupuleusement le cadre fixé par la loi d’habilitation lorsqu’il rédige une ordonnance, la Constitution n’interdit pas, lors de l’examen du projet de loi de ratification, l’adoption d’amendements portant sur des dispositions non prévues par la loi d’habilitation, mais qui ont un lien, même indirect, avec son objet.

Avant de conclure, je souhaiterais souligner que notre vote aujourd’hui ne mettra pas un point final à cette réforme par ordonnances du code du travail. Compte tenu de la rapidité de leur rédaction et de leur portée, il sera en effet nécessaire de leur apporter quelques corrections dans les mois et années à venir, à l’aune des observations du comité d’évaluation mis en place en novembre 2017.

Le Parlement a joué pleinement son rôle dans cette réforme, en précisant le champ de l’habilitation et en modifiant les dispositions issues des ordonnances, y compris celles de la sixième, en date du 20 décembre dernier.

Le succès de la réforme se mesure d’ores et déjà à l’enthousiasme que manifestent les investisseurs étrangers pour notre pays depuis son annonce. Il ne sera toutefois durable que si les partenaires sociaux s’emparent résolument des nouvelles responsabilités que leur confie la loi et si les services déconcentrés du ministère du travail accompagnent les entreprises et les salariés.

À la lumière de ces observations, je vous invite, mes chers collègues, à adopter les conclusions de la commission mixte paritaire.

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