Intervention de Muriel Pénicaud

Réunion du 14 février 2018 à 14h30
Renforcement du dialogue social — Adoption définitive des conclusions d'une commission mixte paritaire

Muriel Pénicaud :

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires sociales et rapporteur, cher Alain Milon, mesdames, messieurs les sénateurs, « c’est là un des grands et merveilleux caractères des beaux livres que pour l’auteur ils pourraient s’appeler “Conclusions” et pour le lecteur “Incitations” » : je crois que cette phrase de Marcel Proust synthétise d’une certaine manière l’esprit de cette lecture des conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi de ratification des ordonnances pour le renforcement du dialogue social.

En effet, cette séance constitue l’aboutissement du travail législatif intense que nous avons entrepris ensemble depuis juillet dernier, en faveur de plus de liberté et de plus de protections grâce à un dialogue social renforcé et décentralisé au plus près du terrain. Aussi, je tiens à remercier dès à présent toutes celles et tous ceux qui y ont participé. Car, au-delà de l’issue positive de la commission mixte paritaire, ce dont nous pouvons collectivement nous réjouir, nos débats ont été d’une grande qualité.

L’accord en commission mixte paritaire témoigne d’une ambition commune et partagée pour une réforme du code du travail d’une ampleur inégalée depuis une trentaine d’années. Cela tient à votre connaissance à la fois politique et technique de ce sujet passionnant, mais quelquefois complexe, sur lequel nombre d’entre vous ont travaillé lors du précédent quinquennat, que ce soit dans cet hémicycle ou dans vos circonscriptions, d’autres s’y étant plongés pleinement au cours des derniers mois. Je pense en particulier au président et rapporteur Alain Milon, dont je salue l’esprit constructif et la qualité de l’écoute et du dialogue tout au long de nos travaux.

Je tiens aussi à remercier les présidents et présidentes de séance, car ils ont veillé à ce que nos débats se déroulent dans un climat serein, propice au travail de fond.

Je remercie également les services de la séance et les huissiers, qui ont organisé la discussion des amendements avec une efficience remarquable, notamment lors des scrutins publics, qui requièrent une technique particulière.

Enfin, je tiens enfin à saluer les administrateurs de la commission des affaires sociales pour leur disponibilité sans faille et leur vigilance précieuse quant à la qualité légistique des textes que nous façonnons ensemble.

Grâce à vous tous, la discussion parlementaire, menée en parallèle d’une intense concertation avec les partenaires sociaux, a abouti au large accord trouvé en commission mixte paritaire le 31 janvier dernier.

À quelques exceptions près – je pense notamment aux observatoires départementaux et au calendrier de généralisation des accords majoritaires –, cet accord reprend, comme vous l’avez relevé, monsieur le rapporteur, les évolutions introduites au Sénat en première lecture.

J’en citerai quelques-unes : l’obligation d’une commission des marchés au sein du comité social et économique ; la formation obligatoire de l’ensemble des membres du CSE aux problématiques de santé et de sécurité au travail, qui me paraît être une avancée importante ; ou encore les dispositions visant à sécuriser juridiquement la mobilité internationale des apprentis, que nous avons élaborées un peu dans l’urgence, mais avec une vision de long terme partagée.

Cet accord en commission mixte paritaire a, en outre, permis de trouver une position commune sur la limitation dans le temps de la succession des mandats des élus syndicaux.

Ainsi, cet accord témoigne de la convergence renouvelée du Sénat et de l’Assemblée nationale quant à l’urgence, si j’ose dire, d’agir sur le long terme, après la succession d’échecs ou de semi-échecs collectifs à changer le regard sur l’entreprise, le but étant d’instaurer un climat de confiance indispensable au dialogue social et à la création d’emploi.

C’est pourquoi l’accord en commission mixte paritaire entérine, tout en le précisant, le cadre que nous avions élaboré en ce sens, via les ordonnances, comme nous nous y étions engagés devant la représentation nationale et nos concitoyens.

Ce cadre juridique, vous le savez, c’est celui qui instaure depuis la parution des ordonnances les conditions d’un dialogue social structuré, lisible et décentralisé, au plus près du terrain, c’est-à-dire au plus près des entreprises et des salariés, offrant plus d’agilité et de sécurité tant aux employeurs qu’aux salariés et à leurs représentants. Tous seront des acteurs responsabilisés, davantage formés et mieux armés pour négocier, dialoguer et envisager l’avenir avec confiance.

J’ai un seul regret – vous ne serez pas surpris de mes propos, puisque je l’avais déjà clairement exprimé en première lecture –, je déplore que le dispositif mis en place en 2016 pour favoriser le dialogue social dans le secteur de la franchise n’ait pu être rétabli en commission mixte paritaire. S’il est nécessaire de prévoir des conditions spécifiques, dans la mesure où il ne s’agit pas d’un domaine salarial classique, cela s’inscrit à contre-courant de la philosophie de la réforme, laquelle tend à renforcer le dialogue social sous toutes ses formes en l’adaptant aux différents contextes. Nous devrons donc travailler avec la profession à trouver une solution satisfaisante, alors que des négociations avaient été engagées par les partenaires sociaux du secteur.

Enfin, cet accord en commission mixte paritaire est fondamental, car il entérine un autre engagement, important, du Gouvernement : celui d’autoriser l’assouplissement, à titre exceptionnel et temporaire, de plusieurs règles relatives à la rupture du contrat de travail dans les collectivités de Saint-Martin et Saint-Barthélemy, dévastées par l’ouragan Irma.

Cet engagement, que j’avais annoncé lors de mon déplacement dans les Antilles en décembre dernier, ne pouvait évidemment pas figurer dans la loi d’habilitation. Nous avons alors saisi le premier véhicule législatif pour y introduire cet amendement. Le Sénat nous a soutenus et je l’en remercie, car cette mesure, bien que constitutionnelle, était hors du champ de l’habilitation. Votre soutien complet sur ce sujet a été relevé par nos concitoyens sinistrés, qui attendaient la décision de la commission mixte paritaire pour avoir cette garantie.

Pour en revenir à la phrase de Proust, cet accord en commission mixte paritaire est aussi une incitation pour le lecteur, et en l’espèce les acteurs, c’est-à-dire les chefs d’entreprise, les salariés, les délégués syndicaux, les élus du personnel, notamment dans les TPE-PME, cible prioritaire des ordonnances. Une première, dois-je le rappeler, pour une réforme du code du travail !

Les acteurs ont donc, grâce à la méthode retenue, d’ores et déjà la possibilité de saisir les opportunités offertes par cette réforme d’une ampleur inédite. En effet, les ordonnances, les décrets et, dans quelques heures, la loi de ratification formeront un ensemble législatif et réglementaire complet.

Il y a aussi des innovations. Je pense notamment au choix audacieux que nous avons fait ensemble de créer un droit au télétravail, particulièrement apprécié en zone rurale par les personnes aidantes, par tous ceux qui ont des difficultés de transport, et qui est utile dans les situations d’urgence comme lors de l’épisode neigeux de ces derniers jours.

Enfin, il me semble que le sens profond du vote auquel vous allez procéder dans quelques instants est celui d’un encouragement appuyé aux acteurs.

C’est un signal fort envoyé à nos concitoyens, car vous leur témoignez solennellement votre confiance en leur capacité à trouver, par un dialogue social de qualité, la façon de faire converger performance économique et progrès social.

Quelle est la plus belle preuve de confiance, si ce n’est la responsabilisation ? Il s’agit de donner à ceux en qui nous croyons les moyens de parvenir aux solutions adaptées à leurs attentes pour qu’ils tirent le meilleur des mutations économiques, sociales et technologiques que nous traversons en termes de création d’emplois, d’amélioration du dialogue social et du progrès social.

En somme, puisque les acteurs ont les cartes en main, cette ratification est une prescription – là encore, nous retrouvons l’idée formulée par Marcel Proust. Vous leur demandez de rendre pleinement effectif le premier volet de la transformation profonde de notre modèle social. En leur faisant confiance, vous les rendez responsables.

C’est ce que nous observerons attentivement via la mission que nous avons d’ores et déjà confiée à Sandrine Cazes, de l’OCDE, Jean-François Pilliard, qui est issu du monde patronal, et Marcel Grignard, qui vient du monde syndical, pour qu’ils évaluent avec les partenaires sociaux, de façon transparente et efficace, les effets de cette loi. Car vous l’avez dit, monsieur le rapporteur, l’essentiel sera désormais l’exécution dans les entreprises. Leurs conclusions, qui ne se limiteront pas à une évaluation ex post dans deux ans, pourront ainsi alimenter vos précieux travaux de contrôle et d’évaluation.

Enfin, j’irai plus loin que Marcel Proust – c’est un peu présomptueux, mais je pense pouvoir me le permettre pour ce qui concerne le code du travail –, en disant que l’incitation vient aussi du lecteur. C’est alors pour l’auteur une incitation à poursuivre son œuvre.

Les lecteurs, ce sont nos concitoyens, qui nous incitent à aller plus loin. Ils nous disent que notre pays ne peut tolérer que 1, 3 million de ses enfants ne soient ni en emploi, ni en formation, ni en apprentissage !

Ils nous disent qu’il est incompréhensible, alors que la reprise est robuste, que la croissance est là et que des emplois sont créés, que tant d’entreprises ne trouvent pas les compétences lorsqu’elles veulent embaucher, quand nous avons 2, 7 millions de chômeurs !

Ils nous disent qu’ils en ont assez d’être condamnés à subir, et non pas à choisir, les mutations économiques, sociales, environnementales, technologiques, alors qu’ils veulent exprimer l’ampleur de leur potentiel d’innovation, et promouvoir l’excellence du savoir-faire français.

Ils nous disent que les discriminations dans le monde du travail ne sont plus supportables.

En somme, ils nous disent que la promesse républicaine d’émancipation individuelle et collective est grippée ou insuffisante.

D’où l’impérieuse nécessité de poursuivre la transformation en profondeur de notre modèle social, celle que nous avons justement engagée ensemble avec les ordonnances.

Aussi, pour que la croissance soit pleinement inclusive et que le travail puisse être facteur de réalisation pour le plus grand nombre, il nous faut doter nos compatriotes, à travers les compétences, non seulement d’une protection plus efficace contre le chômage et la précarité, mais aussi d’un véritable levier pour leur permettre choisir leur avenir professionnel. Tel est le sens du plan d’investissement dans les compétences, doté de 15 milliards d’euros. Cet investissement massif et sans précédent sera accompagné des transformations tout aussi ambitieuses de l’apprentissage, de la formation professionnelle et de l’assurance chômage, que nous avons soumises à la concertation. Elles constitueront, vous le savez, le prochain chapitre de nos travaux législatifs au printemps prochain, et compléteront ainsi le changement des mentalités que vous avez encouragé par l’accord en commission mixte paritaire et que vous amplifierez en le ratifiant !

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