Intervention de Éric Heyer

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 13 février 2018 à 9h35
Audition de M. éric Heyer préalable à sa nomination au haut conseil des finances publiques par le président de la commission des finances du sénat

Éric Heyer :

Plusieurs de vos questions ont porté sur l'austérité. Si elle a fonctionné dans d'autres pays, pourquoi ne pas faire de même en France ? Encore une fois, il faut considérer cette politique au sens large. Voter un budget d'austérité, c'est voter un budget qui ampute le pouvoir d'achat des citoyens, des entreprises. En France, on a fait le choix d'une austérité par l'impôt plutôt que par la réduction de la dépense publique, mais on a tout de même mené une politique d'austérité. Je ne crois pas que l'on puisse considérer la France comme le mauvais élève de l'Europe. Il faut rappeler que l'Europe est malade, qu'elle est la seule région du monde à avoir connu, après la récession de 2008, une deuxième récession, en 2011, qui n'a touché, dans le monde, que la zone euro. La France, cependant, a fait exception ; elle a certes connu une croissance molle, inférieure à sa croissance potentielle, et qui n'a donc pas réduit le chômage, mais une croissance économique tout de même. Les chiffres définitifs l'attestent : la croissance a été d'un peu plus d'un point au cours de cette période. Ceci pour dire que les concours de beauté sur clichés statiques n'ont pas de sens. Il est vrai qu'en 2015-2016, la performance économique de la France est inférieure à la moyenne de la zone euro, mais il faut regarder les choses sur le temps un peu plus long. Si l'on rapporte le niveau du PIB à son niveau d'avant crise, la France est trois points au-dessus de la moyenne de la zone euro. Se considérer comme le mauvais élève alors que nos performances, sur le cycle économique, sont meilleures, n'est pas adéquat.

Il n'en reste pas moins qu'en termes de dépenses publiques, nous sommes, sans conteste, un mauvais élève. Cela signifie-t-il qu'il faille aller plus loin dans l'austérité ? Si l'on regarde ce qu'ont fait les autres pays, que constate-t-on ? La croissance de l'Allemagne est venue d'une compétition à l'extérieur, dans les années 2000. Elle a été copiée par l'Espagne, et par le Portugal, au cours de la crise économique. Cela a amené des excédents de balance courante gigantesques au sein de la zone euro. Or, toutes les balances ne sauraient être excédentaires en même temps : s'il y a un excédent quelque part, c'est qu'il y a un déficit ailleurs. Ce déficit se trouve, pour l'instant, au Royaume-Uni et aux États-Unis, ce qui a provoqué, d'une certaine façon, le Brexit et la montée du protectionnisme aux États-Unis. Peut-on se lancer tous en même temps dans cette stratégie ? Et une telle stratégie est-elle soutenable à terme ? Je ne le pense pas. Je pense qu'il nous faut aller vers une croissance économique plus équilibrée en zone euro, et que si la France doit sans doute faire un effort de maîtrise de ses finances publiques accru, cela suppose aussi un rééquilibrage entre les pays dont la balance courante est excédentaire et les autres.

Ceci m'amène à la question qui m'a été posée sur la dépense publique : faut-il aller plus loin dans sa réduction ? Il n'y a pas, à mon sens, de réponse univoque. Nos dépenses publiques dépassent celles de nos voisins européens d'environ 9 points de PIB, dont 5 points viennent du modèle social, essentiellement les retraites, le reste étant lié, pour un point, au logement, et pour un autre point aux dépenses militaires. Ce qui veut dire que si l'on veut revenir dans la moyenne - à supposer que cela se justifie - il va falloir réviser notre modèle social. Car pour ce qui concerne les dépenses de l'État, nous sommes dans la moyenne, et les dépenses, sur ce versant, tendent plutôt, depuis dix ans, à se réduire. En revanche, nos dépenses sociales sont plus hautes qu'ailleurs, si l'on met à part le modèle scandinave, et elles sont en progression.

Est-il souhaitable de revenir sur notre modèle social ? Il faut considérer les choses dans le temps long. C'est d'ailleurs ce que fait la Commission européenne dans son Annual Ageing Report, où elle considère les évolutions à soixante ans. Tout risqué que soit l'exercice, il reste que la Commission y indique que les réformes des retraites en France ont été menées mais mettent du temps à porter leurs fruits. Sa dernière projection indique ainsi qu'à l'horizon 2060, le poids des retraites passera en France de 15 points de PIB à 12 points, tandis que l'Allemagne passera, sur la même période, de 10 points de PIB à plus de 12 points.

Ceci pour dire qu'une réforme des retraites ne modifie pas la donne en un an ou deux, et que s'il faudra sans doute ajuster, en fonction de la conjoncture, on ne saurait considérer que rien n'a été fait.

J'en viens au chômage structurel, dont j'observe que les grandes organisations internationales, et la Banque de France, l'évaluent systématiquement au même niveau que le chômage observé. Comme si nous étions toujours en chômage structurel. C'est un problème, car un tel verdict emporte avec lui une préconisation toujours identique : pour lutter contre le chômage structurel, il faut mener des réformes structurelles, et rien d'autre. Le chômage structurel évalué par la Banque de France en 1998 se situait à 10,5 %. En 2003, il se situait à 8,5 %. Comment expliquer une révision de deux points, alors qu'il n'y a pas eu de réforme structurelle, hormis les 35 heures ? Sauf à penser que les 35 heures auraient réduit le chômage structurel de deux points ? Dans un article publié avec Xavier Timbeau, nous estimons qu'il y a là un biais, et qu'une évaluation du chômage structurel aux alentours de 7 % n'est pas farfelue. Nous étions d'ailleurs à 6,8 % avant la crise économique, sans tension inflationniste. Je crois donc que nous ne sommes pas, aujourd'hui, en chômage structurel, ce qui ne veut pas dire, pour autant, qu'il ne faille pas engager de réformes structurelles. Si l'on veut arriver un jour à 5 %, c'est à dire au plein emploi, cela suppose bel et bien une baisse de deux points.

Quelle est la meilleure réforme structurelle ? Parmi les options, on trouve bien sûr la réduction du coût du travail, mais la meilleure réponse passe, à mon sens, par la formation. Ce n'est pas moi qui le dis, ce sont les chefs d'entreprise. Interrogés par l'Insee sur ce que sont, pour eux, les freins à l'embauche, ils ne mentionnent ni le code du travail, ni le coût du travail, mais l'incertitude sur l'activité, au premier chef, et les compétences, au second. Des politiques mieux coordonnées en zone euro seraient de nature à lever une bonne part de l'incertitude. Quant à la question des compétences, même s'il ne faut pas confondre difficulté de recrutement et impossibilité de recrutement - la création d'emploi, comme l'attestent les chiffres qui viennent d'être publiés, est plus dynamique que jamais, et l'on sait que plus on crée d'emploi, plus il est difficile de trouver les compétences -, il n'en demeure pas moins vrai qu'elle reste un problème, qui tient à mon sens, pour bonne part, au fait que 150 000 jeunes sortent chaque année sans diplôme du système scolaire. Pour eux, quelle que soit la croissance, la probabilité d'être au chômage est extrêmement élevée. La meilleure politique, pour réduire le chômage structurel, est de prendre le mal à sa racine. Certaines études du Collège de France font froid dans le dos : on y lit que l'on sait déceler, à 80 %, à la fin du cours préparatoire, qui seront les futurs « décrocheurs ». Cela appelle une politique de la petite enfance beaucoup plus dynamique, qu'elle passe par un effort accru sur la dépense ou par une meilleure répartition. Il faudra du temps pour voir sortir les fruits d'une telle politique, mais elle est, à mon sens, indispensable.

Pour réduire le chômage structurel, il est une deuxième politique indispensable à mener, c'est celle du logement. Des études de l'OFCE ont mesuré l'impact du mal-logement sur la réussite scolaire, l'intégration sur le marché du travail, les maladies chroniques. Ne pas parvenir à éradiquer ce phénomène du mal-logement, dans un pays comme le nôtre, est un échec. Une politique du logement plus efficace aiderait à résoudre le problème d'appariement sur le marché du travail, qui tient au manque de mobilité de la main d'oeuvre, étroitement liée à la politique du logement.

Tels sont les éléments de réponse que je voulais vous apporter.

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