Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation

Réunion du 13 février 2018 à 9h35

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • prévision
  • structurel

La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Eblé

Nous sommes réunis pour entendre M. Éric Heyer, que j'envisage de nommer au Haut Conseil des finances publiques. En effet, cette nomination ne peut avoir lieu qu'après une « audition publique conjointe » par la commission des affaires sociales et la commission des finances.

Comme vous le savez, le Haut Conseil des finances publiques est un organisme indépendant chargé d'apprécier le réalisme des prévisions macroéconomiques du Gouvernement et de se prononcer sur la cohérence de la trajectoire budgétaire gouvernementale avec les objectifs pluriannuels de finances publiques et les engagements européens de la France.

Composé de onze membres, dont deux sont nommés respectivement par le président du Sénat et le président de la commission des finances du Sénat, il est placé auprès de la Cour des comptes et présidé par le Premier président de cette dernière.

S'agissant des conditions à remplir pour être nommé au Haut Conseil des finances publiques, l'article 11 de la loi organique du 17 décembre 2012 fixe trois principales exigences : l'absence d'exercice de fonctions publiques électives ; la compétence « dans le domaine des prévisions macroéconomiques et des finances publiques » ; l'indépendance, puisqu'il est interdit aux membres du Haut Conseil des finances publiques de « solliciter ou recevoir aucune instruction du Gouvernement ou de toute autre personne publique ou privée ».

Je vous propose, monsieur Heyer, de nous indiquer, dans un exposé liminaire, dans quelle mesure votre candidature répond à ces trois exigences et de nous exposer votre conception du rôle du Haut Conseil des finances publiques.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Dériot

Lors de l'examen du projet de loi organique relatif à la programmation des finances publiques, dont la commission des affaires sociales s'était saisie pour avis, sur le rapport de notre collègue Yves Daudigny, alors rapporteur général, nous avions insisté sur la bonne prise en considération des finances sociales dans les outils mis en place pour l'ensemble des finances publiques.

Nous persistons à penser que le mode de financement de la protection sociale, largement assis sur des cotisations, et ses problématiques de déficit, ont leur spécificité et nous souhaitons que le Haut Conseil des finances publiques reste attentif à l'évolution des comptes sociaux.

Le choix d'un économiste travaillant à la fois sur les questions de prévision et sur le marché du travail nous semble à cet égard tout à fait intéressant.

Vous avez travaillé sur les dispositifs d'allègements de cotisations et sur le crédit d'impôt compétitivité emploi, le CICE.

Pouvez-vous nous indiquer votre appréciation sur le retour d'un dispositif d'exonérations de cotisations sociales sur les heures supplémentaires, tel qu'il semble s'annoncer ?

D'une manière plus générale, quel est l'état de vos réflexions sur le financement de la protection sociale, en particulier de la santé et des retraites, qui font notre particularité en termes de volume des dépenses publiques ?

Debut de section - Permalien
Éric Heyer

Permettez-moi tout d'abord de rappeler quelques points de mon parcours, qui apporteront déjà un élément de réponse. Je suis avant tout un universitaire. De mon expérience d'enseignant chercheur à l'Université d'Aix-Marseille, est née la conviction que la théorie économique, aussi intéressante qu'elle soit à manier dans l'examen des problématiques contemporaines, doit avant tout s'appuyer sur l'épreuve des faits. Ce souci rythme ma réflexion et ma méthodologie. Mon deuxième souci, qui me vient de mon expérience d'enseignant, est celui de la pédagogie, avec l'idée que l'expert a la mission d'éclairer tout l'éventail du débat, sans empiéter pour autant sur les prérogatives du législateur, auquel il revient de trancher.

À l'issue de mon parcours universitaire, mon souhait de participer au débat économique avec la plus grande rigueur scientifique m'a tout naturellement dirigé vers l'OFCE, l'observatoire français des conjonctures économiques, où je travaille depuis vingt-et-un ans, et dont j'ai adopté la philosophie. C'est une institution que l'on doit à Raymond Barre, parti de l'idée, dans les années 1980, que l'économie, bien qu'elle ait besoin de s'appuyer sur des outils aussi scientifiques que possible, n'est pas une science exacte mais reste une science sociale, et que les « esprits animaux » dont parlait Keynes n'autorisent aucune certitude sur le comportement des acteurs. C'est ainsi que sont nés trois centres de recherche, dont les analyses pouvaient différer de celles de Bercy : l'un, proche du patronat, l'institut de prévisions économiques et financières pour le développement des entreprises (Ipecode), devenu le centre d'observation économique et de recherche pour l'expansion de l'économie et le développement des entreprises (Coe-Rexecode), l'autre proche des syndicats, l'institut de recherches économiques et sociales (Ires) et un troisième, totalement indépendant, inscrit dans le cadre universitaire de Sciences Po, avec pour mission de concurrencer les analyses de Bercy. Il s'agissait, tout en utilisant les mêmes outils économétriques, de montrer qu'en modifiant une ou deux hypothèses, les résultats pouvaient varier, que les politiques économiques et leur incidence dépendaient de la conjoncture, de l'attitude des acteurs, de la dynamique des politiques passées. L'idée étant que dans un monde non linéaire, il faut une multiplicité d'acteurs pour explorer l'étendue des possibles. Je suis donc entré à l'OFCE, en 1997, comme économiste à la prévision, avant de devenir, en 2002, directeur-adjoint, responsable de la prévision pour la France puis, à partir de 2015, directeur du département analyse et prévision. La discussion qui peut être menée avec Bercy m'intéresse tout particulièrement, pour montrer, en usant d'outils similaires, qu'au fondement de la prévision, on trouve des hypothèses, et que c'est d'elles qu'il faut discuter, armé d'une expertise. Réaliser une prévision suppose d'expertiser l'ensemble des mesures de politique publique qui sont prises : c'est ce que fait l'OFCE, dont l'indépendance est totale et l'expertise à la pointe. Dans ce cadre, j'ai procédé à l'évaluation de la politique de défiscalisation des heures supplémentaires, en 2007, réévaluée en 2017 avec la proposition du candidat Emmanuel Macron. Je pars de l'hypothèse qu'il n'y a pas de bonne ou de mauvaise politique économique en soi, mais qu'il s'agit de mesurer si une politique économique est adaptée au contexte conjoncturel.

En l'espèce, s'il est certain qu'il faut augmenter le temps de travail global, la défiscalisation n'a de sens que si l'on considère que le chômage observé est proche du chômage structurel, et que c'est principalement de capacités de production que l'on manque. Dans un tel cas, la défiscalisation peut être positive en termes de création d'emplois et d'activité. Reste la question de son mode de financement, comme je l'ai écrit dans la Oxford Economic Review, étant entendu qu'évaluer l'impact macroéconomique final d'une telle mesure suppose de connaître clairement les modalités de son financement. Si l'on pense, à l'inverse, qu'une partie du chômage observé reste encore conjoncturel, et lié au fait que l'on n'est pas totalement sortis de la crise économique, alors que le PIB par tête est tout juste revenu à son niveau de 2007, alors, on peut penser que la mesure sera beaucoup moins efficace, qu'elle ne créera pas d'emploi et peut même en détruire, avec le coût que cela induit pour les finances publiques. En 2007, le taux de chômage, en France, était de 6,8 % et se rapprochait donc du taux de chômage structurel. Réfléchir à une défiscalisation des heures supplémentaires pouvait par conséquent être intéressant. Malheureusement, la mesure a été mise en application au moment de la plus grande crise économique que l'on ait connue depuis celle des années 1930. Le chômage, qui diminuait, est reparti à la hausse, si bien que la mesure n'était plus appropriée au contexte économique. Les évaluations de l'OFCE en la matière sont très proches de celles de Pierre Cahuc, autre grand spécialiste du marché du travail, qui considère que la mesure a détruit de l'emploi.

Voilà qui illustre assez que l'économie n'est pas une science exacte, et que la validité d'une mesure dépend largement du contexte. Il s'agit donc de faire en sorte que les mesures que l'on décide de mettre en oeuvre soient adaptées au mieux à la conjoncture. Les avis du Haut Conseil sont, à mon sens, faits pour éclairer sur cette conjoncture : où en est-on du chômage structurel ? Quid de l'écart de production ? Face aux grandes décisions à prendre en matière de finances publiques, ces avis, collégiaux, doivent refléter toute l'étendue des courants de pensée.

Vous m'interrogez sur le CICE. Ma réponse sera analogue. On a trop tendance à rester la tête dans le guidon et à mesurer l'impact des mesures votées dans un budget donné, en oubliant que la conjoncture est infléchie non seulement par les décisions que l'on prend aujourd'hui mais aussi par la dynamique de celles qui ont été prises les années antérieures. Le CICE en est un bon exemple. C'est une décision qui, dans un premier temps, a pu avoir des effets récessifs - du fait de son mode de financement qui, comme je le rappelais, doit aussi être pris en compte dans l'analyse. Le problème ne réside pas dans le transfert que le CICE organise vers les entreprises, lequel peut être de nature à restaurer leurs marges, à améliorer leur compétitivité et à créer de l'emploi, mais dans le fait que l'on a demandé aux ménages de supporter ce transfert, les finances publiques n'étant pas à même de le faire. En dernière instance, les baisses des charges pour les entreprises ont été financées par de l'impôt sur les ménages. Or, l'incidence sur l'économie d'une augmentation de l'impôt sur les ménages est immédiate, tandis que celle d'une aide au profit des entreprises, qui met du temps à se diffuser, est différée. Si bien que dans un premier temps, le financement du CICE a pesé sur l'activité. Aujourd'hui, nous en sommes arrivés à ce moment où la conjoncture s'améliore en partie grâce aux effets différés du CICE, tandis que le retard qu'a connu auparavant la France dans ses performances économiques s'explique, en partie, par les effets immédiats issus de son mode de financement.

Pour récapituler, je dirai que le Haut Conseil doit, en restant indépendant, faire oeuvre de pédagogie au service du législateur et de l'opinion publique. L'économie n'étant pas une science exacte, l'intérêt de ses prévisions n'est pas tant de déterminer un taux de croissance prévisionnel que de tenter de comprendre les hypothèses du Gouvernement, pour mesurer leur cohérence macroéconomique et indiquer si elles entrent dans le domaine des possibles.

Debut de section - PermalienPhoto de Albéric de Montgolfier

Le rattachement du Haut Conseil des finances publiques à la Cour des comptes vous paraît-il légitime, ou pensez-vous qu'une autre forme d'indépendance serait souhaitable ? Les magistrats de la Cour des comptes ont une vision par définition comptable des choses ; comment envisagez-vous l'articulation avec celle des économistes ?

Le Haut Conseil est gardien du respect d'un certain nombre de règles européennes. Or, vous vous êtes montré assez critique, dans certains de vos articles, sur les règles budgétaires et les plans de consolidation mis en place pour les respecter. Le Haut Conseil et son président nous rappellent régulièrement la nécessité de respecter les règles de réduction du déficit, alors que la France est à peu près le seul pays qui ne se désendette pas et dont les déficits restent à des niveaux élevés. N'y voyez-vous pas un risque, au-delà de l'exigence de respect des règles européennes, en cas de remontée des taux d'intérêt ?

Le Haut Conseil doit-il, pour vous, mener des analyses très ouvertes, ou lui appartient-il de rappeler des règles dont vous-même semblez parfois douter de la pertinence ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Vanlerenberghe

Nous connaissons vos avis, assez équilibrés, rendus au nom de l'OFCE. Mais vous allez vous trouver membre d'une autorité dont l'avis est essentiel pour aider l'exécutif et les parlementaires à décider et à porter un jugement, mesuré, sur les finances publiques. Vous avez dit, de ce point de vue, ce que nous souhaitions entendre. Je n'en ai pas moins trois questions.

La loi de programmation des finances publiques comprend des hypothèses de solde structurel par sous-secteurs qui, au fil des projets de loi de finances et projets de loi de financement de la sécurité sociale annuels, ne sont pas suivies, ce qui réduit considérablement leur intérêt. Sachant combien est ténue, ainsi que vous l'avez rappelé, la frontière entre structurel et conjoncturel, pensez-vous que cette notion de solde structurel soit significative pour les comptes sociaux ?

Pour la loi de financement de la sécurité sociale, nous suivons particulièrement l'évolution de la masse salariale du secteur privé, dans ses deux composantes, emploi et salaire. Comment vous situez-vous dans le débat actuel sur l'évolution de la productivité ?

Nous avons constaté une évolution dans les avis du Haut Conseil, notamment le dernier, dont les termes nous semblent un peu plus tranchés. Comment concevez-vous la place du Haut Conseil et le rôle de ces avis ?

Debut de section - Permalien
Éric Heyer

Il est vrai que je me suis montré, à l'OFCE, assez critique sur les règles budgétaires. J'estime qu'il est important de respecter les règles, mais que cela n'interdit pas de s'interroger sur leur pertinence, et sur la meilleure façon de les respecter. S'il existe une vraie complémentarité entre comptabilité et économie, cela signifie aussi qu'il ne faut pas tout miser sur la première. Se lancer tous ensemble dans l'austérité, comme on l'a fait en Europe à partir de 2010, aurait dû nous permettre de réduire les déficits, qui devraient avoir disparu de la zone euro. Or, il reste encore des déficits partout, preuve que la seule approche comptable ne suffit pas, et qu'il faut prendre en compte l'impact des mesures d'austérité sur la croissance. Les recettes publiques sont assises sur la croissance économique : on a sous-estimé l'effet multiplicateur des mesures budgétaires et fiscales. On a cru que cet effet multiplicateur serait faible, et là a résidé l'erreur : ces multiplicateurs évoluent dans le temps en fonction de la conjoncture, des décisions des acteurs et des choix de politique macroéconomique. D'où l'intérêt du Haut Conseil, qui réunit à la fois des comptables de très haut niveau et des experts éonomiques. Car au-delà de l'input que l'on intègre dans un modèle, il est nécessaire de savoir sur quel type de dépense, sur quel type d'impôt on va jouer, sachant que les effets multiplicateurs varient du tout au tout selon l'instrument que l'on retient. Je pense même qu'associer cinq experts de haut niveau ne suffit pas, et qu'il serait bon d'entendre parfois des spécialistes dans le domaine de la santé, des retraites, etc.

Je pense également qu'il faut mener une réflexion sur les règles, et que le Haut Conseil peut être ce lieu de réflexion où, sans trancher, on ouvre le débat public. Je sais que des experts franco-allemands réfléchissent à de nouvelles règles : il serait important que le Haut Conseil les entende, voire réalise un audit des règles envisagées, pour voir si elles auraient permis une consolidation budgétaire moins chahutée. Cela fait aussi partie, à mon sens, du rôle du Haut Conseil, étant entendu que tant que les règles ne sont pas modifiées, il faut s'employer à les respecter. Encore une fois, ma critique portait davantage sur la façon d'opérer, dont j'estime qu'elle ne permettait pas, précisément, de respecter les règles et, sans réduire le déficit public dans les proportions prévues, creusait un autre déficit, d'emploi. Si bien que la stratégie retenue n'a rien réglé.

Les règles européennes ne vont pas sans une certaine flexibilité, dans les moments exceptionnels, comme cela est le cas d'une crise conjoncturelle. On sépare le conjoncturel du structurel en essayant d'évaluer le solde structurel. L'économie n'est pas une science exacte, et il y aura autant d'évaluations que d'économistes, mais ce qui compte, c'est d'explorer le domaine des possibles et de se pencher sur la cohérence des hypothèses.

Faut-il vraiment aller vers le « zéro déficit » ? Un peu de déficit n'est-il pas souhaitable si celui-ci améliore la situation intergénérationnelle ? Autrement dit, si ce déficit permet de financer des investissements qui permettront aux générations futures de mieux vivre, il est normal que les générations futures participent au financement de ces investissements. Au-delà du débat entre structurel et conjoncturel, ne faut-il pas se poser la question : dès lors que le déficit sert à créer un patrimoine, n'est-il pas normal que les générations futures participent, via un transfert intergénérationnel de l'impôt ? Tout investissement étant financé par l'impôt, celui-ci doit-il tout entier reposer sur la génération présente ou peut-on faire participer les générations futures, qui bénéficieront de ces investissements ? Telle est la question. Cela suppose une autre approche, plus patrimoniale, de la comptabilité, alors que l'on raisonne aujourd'hui essentiellement en flux. Cette notion de patrimoine peut être très large, et c'est là la difficulté : on peut y mettre l'éducation, la santé, l'écologie. Il reste qu'il faut s'interroger sur la nature du déficit : s'il n'est pas seulement de fonctionnement, mais pour une part d'investissement, le « zéro déficit » n'a pas de sens, voire pourrait mettre en péril le bien-être des générations futures.

Vous m'interrogez sur la productivité. La question est trop complexe pour que l'on puisse s'y étendre dans le temps imparti, mais il est clair que la croissance potentielle dépend pour une grande part, au-delà de la démographie, de l'accroissement de la productivité. Quand on se demande si l'on a encore les moyens de financer notre modèle de protection sociale, la réponse dépend de la vision que l'on a de la croissance de demain. Si l'on pense que demain, on ne gagnera plus en productivité, donc en croissance économique, cela signifie que notre modèle social est en feu, à tous les étages - retraites, santé, chômage - et qu'il est essentiel de le réformer. Si l'on pense, en revanche, que l'on ne va pas vers la stagnation séculaire, et que des politiques économiques peuvent relancer une croissance écologiquement soutenable, la vision sera moins alarmiste. Je me situe plus du côté des techno-optimistes que des techno-pessimistes, pour dire les choses très vite. Mais je pense qu'il faut aussi écouter les techno-pessimistes et essayer de comprendre leurs arguments, en les confrontant, d'année en année, à l'épreuve des faits.

Pour moi, le Haut Conseil ne doit pas rendre des avis tranchés. L'économie n'est pas une science exacte, et la prévision est un art complexe. On nous demande aujourd'hui de faire des prévisions rapportées au PIB, mais il faut savoir que le PIB pour 2017, qui a été rendu public il y a un mois, n'est qu'une version provisoire, qui ne sera définitive que sous deux ans et demi, après affinage par l'Insee, dont les révisions peuvent aller jusqu'à un point de PIB. Cela appelle à une certaine prudence dans la prévision, et au premier chef sur les déficits publics, qui sont rapportés au PIB. La bonne méthode est donc, à mon sens, plutôt que de rendre des avis tranchés, de couvrir le domaine des possibles en allant vers une analyse probabiliste, tendant à exclure les scénarios qui paraissent le plus improbables, et présenter des fourchettes plutôt que des prévisions.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

Votre discours d'humilité fait plaisir à entendre, et tranche avec celui de ceux qui affirment. Vous parlez de concurrencer les analyses de Bercy, d'un monde qui n'est pas linéaire, d'une économie qui n'est pas une science exacte : je souscris.

Quelle est votre vision du rôle de la dépense publique dans l'économie globale ? Faut-il réduire la dépense publique quel que soit le contexte économique ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jérôme Bascher

Les finances sociales doivent-elles être à l'équilibre ? Telle est ma première question.

La seconde touche à l'une de vos spécialités, le marché du travail. Notre commission des finances a reçu, il y a quelques semaines, M. Villeroy de Galhau, qui nous disait que le chômage structurel était sans doute le frein majeur à notre croissance de demain. Comment estimez-vous que l'on puisse le réduire ? Est-ce par la formation, par la réduction du coût du travail, par une meilleure répartition géographique de l'emploi - sujet que l'on oublie trop souvent ?

Debut de section - PermalienPhoto de Sébastien Meurant

Peut-on parler, comme vous l'avez fait, d'austérité, quand depuis plus de onze ans la France ne respecte pas les règles européennes en matière de déficit et que l'on voit, année après année, se creuser une dette publique qu'il faudra bien rembourser un jour, sauf à aller vers une des trois voies de sortie que sont l'inflation, la guerre ou la faillite ? Il est certes difficile de prévoir l'avenir, mais on peut du moins s'interroger sur les politiques menées par le passé au sein de la zone euro. Or, tous les indicateurs, en France, se dégradent - dette, croissance, pouvoir d'achat - tandis que d'autres pays, qui ont mieux géré leurs finances, de manière peut-être plus austère, se portent mieux. Nous sommes dix-neuvième sur dix-neuf en matière de déficit public, nous battons des records en matière de dette et nous dégringolons dans tous les classements. Le passé récent ne pourrait-il pas nous inciter à prendre des mesures, nous donner un éclairage pour demain, et nous inviter à reprendre les recommandations de certains analystes financiers, puisque les économistes, ainsi que vous le rappelez avec raison, sont largement sujets à l'erreur et n'ont, de fait, cessé de se tromper, d'année en année ? Telle est ma question, animée par la préoccupation de voir la croissance flancher, la dette et le déficit exploser, et le pouvoir d'achat des Français se dégrader.

Debut de section - PermalienPhoto de Fabienne Keller

Les règles européennes semblent avoir permis aux autres États membres de rentrer dans un cercle vertueux de sobriété budgétaire assortie d'un niveau d'emploi plus élevé. Comment sortir du cercle infernal où notre besoin de recettes alourdit une fiscalité qui devient paralysante ? Pouvez-vous, à cet égard, préciser encore votre opinion sur le CICE et sa transformation en baisses de charges programmée pour l'année prochaine ?

Le Haut Conseil a en charge le suivi des administrations publiques. Comment les collectivités locales, mises sous pression sur leurs frais de fonctionnement, vont-elles influer sur l'évolution de la dette ? Ne peut-on craindre que leur contribution à l'amélioration du solde budgétaire ne se traduise par un ralentissement de leurs investissements ?

Le rapport Spinetta sur la SNCF devrait être rendu en fin de semaine. Le Président a annoncé une reprise, totale ou partielle, de la dette de la SNCF, avec un effet significatif, tant son montant est élevé, sur le stock de la dette française. Le monde du ferroviaire se bat depuis vingt ans pour la faire passer pour une dette remboursable, alors que les prévisions à 10 ans s'élèvent à plus de 60 milliards d'euros. Quelle est votre analyse sur cet instant de vérité ?

Debut de section - Permalien
Éric Heyer

Plusieurs de vos questions ont porté sur l'austérité. Si elle a fonctionné dans d'autres pays, pourquoi ne pas faire de même en France ? Encore une fois, il faut considérer cette politique au sens large. Voter un budget d'austérité, c'est voter un budget qui ampute le pouvoir d'achat des citoyens, des entreprises. En France, on a fait le choix d'une austérité par l'impôt plutôt que par la réduction de la dépense publique, mais on a tout de même mené une politique d'austérité. Je ne crois pas que l'on puisse considérer la France comme le mauvais élève de l'Europe. Il faut rappeler que l'Europe est malade, qu'elle est la seule région du monde à avoir connu, après la récession de 2008, une deuxième récession, en 2011, qui n'a touché, dans le monde, que la zone euro. La France, cependant, a fait exception ; elle a certes connu une croissance molle, inférieure à sa croissance potentielle, et qui n'a donc pas réduit le chômage, mais une croissance économique tout de même. Les chiffres définitifs l'attestent : la croissance a été d'un peu plus d'un point au cours de cette période. Ceci pour dire que les concours de beauté sur clichés statiques n'ont pas de sens. Il est vrai qu'en 2015-2016, la performance économique de la France est inférieure à la moyenne de la zone euro, mais il faut regarder les choses sur le temps un peu plus long. Si l'on rapporte le niveau du PIB à son niveau d'avant crise, la France est trois points au-dessus de la moyenne de la zone euro. Se considérer comme le mauvais élève alors que nos performances, sur le cycle économique, sont meilleures, n'est pas adéquat.

Il n'en reste pas moins qu'en termes de dépenses publiques, nous sommes, sans conteste, un mauvais élève. Cela signifie-t-il qu'il faille aller plus loin dans l'austérité ? Si l'on regarde ce qu'ont fait les autres pays, que constate-t-on ? La croissance de l'Allemagne est venue d'une compétition à l'extérieur, dans les années 2000. Elle a été copiée par l'Espagne, et par le Portugal, au cours de la crise économique. Cela a amené des excédents de balance courante gigantesques au sein de la zone euro. Or, toutes les balances ne sauraient être excédentaires en même temps : s'il y a un excédent quelque part, c'est qu'il y a un déficit ailleurs. Ce déficit se trouve, pour l'instant, au Royaume-Uni et aux États-Unis, ce qui a provoqué, d'une certaine façon, le Brexit et la montée du protectionnisme aux États-Unis. Peut-on se lancer tous en même temps dans cette stratégie ? Et une telle stratégie est-elle soutenable à terme ? Je ne le pense pas. Je pense qu'il nous faut aller vers une croissance économique plus équilibrée en zone euro, et que si la France doit sans doute faire un effort de maîtrise de ses finances publiques accru, cela suppose aussi un rééquilibrage entre les pays dont la balance courante est excédentaire et les autres.

Ceci m'amène à la question qui m'a été posée sur la dépense publique : faut-il aller plus loin dans sa réduction ? Il n'y a pas, à mon sens, de réponse univoque. Nos dépenses publiques dépassent celles de nos voisins européens d'environ 9 points de PIB, dont 5 points viennent du modèle social, essentiellement les retraites, le reste étant lié, pour un point, au logement, et pour un autre point aux dépenses militaires. Ce qui veut dire que si l'on veut revenir dans la moyenne - à supposer que cela se justifie - il va falloir réviser notre modèle social. Car pour ce qui concerne les dépenses de l'État, nous sommes dans la moyenne, et les dépenses, sur ce versant, tendent plutôt, depuis dix ans, à se réduire. En revanche, nos dépenses sociales sont plus hautes qu'ailleurs, si l'on met à part le modèle scandinave, et elles sont en progression.

Est-il souhaitable de revenir sur notre modèle social ? Il faut considérer les choses dans le temps long. C'est d'ailleurs ce que fait la Commission européenne dans son Annual Ageing Report, où elle considère les évolutions à soixante ans. Tout risqué que soit l'exercice, il reste que la Commission y indique que les réformes des retraites en France ont été menées mais mettent du temps à porter leurs fruits. Sa dernière projection indique ainsi qu'à l'horizon 2060, le poids des retraites passera en France de 15 points de PIB à 12 points, tandis que l'Allemagne passera, sur la même période, de 10 points de PIB à plus de 12 points.

Ceci pour dire qu'une réforme des retraites ne modifie pas la donne en un an ou deux, et que s'il faudra sans doute ajuster, en fonction de la conjoncture, on ne saurait considérer que rien n'a été fait.

J'en viens au chômage structurel, dont j'observe que les grandes organisations internationales, et la Banque de France, l'évaluent systématiquement au même niveau que le chômage observé. Comme si nous étions toujours en chômage structurel. C'est un problème, car un tel verdict emporte avec lui une préconisation toujours identique : pour lutter contre le chômage structurel, il faut mener des réformes structurelles, et rien d'autre. Le chômage structurel évalué par la Banque de France en 1998 se situait à 10,5 %. En 2003, il se situait à 8,5 %. Comment expliquer une révision de deux points, alors qu'il n'y a pas eu de réforme structurelle, hormis les 35 heures ? Sauf à penser que les 35 heures auraient réduit le chômage structurel de deux points ? Dans un article publié avec Xavier Timbeau, nous estimons qu'il y a là un biais, et qu'une évaluation du chômage structurel aux alentours de 7 % n'est pas farfelue. Nous étions d'ailleurs à 6,8 % avant la crise économique, sans tension inflationniste. Je crois donc que nous ne sommes pas, aujourd'hui, en chômage structurel, ce qui ne veut pas dire, pour autant, qu'il ne faille pas engager de réformes structurelles. Si l'on veut arriver un jour à 5 %, c'est à dire au plein emploi, cela suppose bel et bien une baisse de deux points.

Quelle est la meilleure réforme structurelle ? Parmi les options, on trouve bien sûr la réduction du coût du travail, mais la meilleure réponse passe, à mon sens, par la formation. Ce n'est pas moi qui le dis, ce sont les chefs d'entreprise. Interrogés par l'Insee sur ce que sont, pour eux, les freins à l'embauche, ils ne mentionnent ni le code du travail, ni le coût du travail, mais l'incertitude sur l'activité, au premier chef, et les compétences, au second. Des politiques mieux coordonnées en zone euro seraient de nature à lever une bonne part de l'incertitude. Quant à la question des compétences, même s'il ne faut pas confondre difficulté de recrutement et impossibilité de recrutement - la création d'emploi, comme l'attestent les chiffres qui viennent d'être publiés, est plus dynamique que jamais, et l'on sait que plus on crée d'emploi, plus il est difficile de trouver les compétences -, il n'en demeure pas moins vrai qu'elle reste un problème, qui tient à mon sens, pour bonne part, au fait que 150 000 jeunes sortent chaque année sans diplôme du système scolaire. Pour eux, quelle que soit la croissance, la probabilité d'être au chômage est extrêmement élevée. La meilleure politique, pour réduire le chômage structurel, est de prendre le mal à sa racine. Certaines études du Collège de France font froid dans le dos : on y lit que l'on sait déceler, à 80 %, à la fin du cours préparatoire, qui seront les futurs « décrocheurs ». Cela appelle une politique de la petite enfance beaucoup plus dynamique, qu'elle passe par un effort accru sur la dépense ou par une meilleure répartition. Il faudra du temps pour voir sortir les fruits d'une telle politique, mais elle est, à mon sens, indispensable.

Pour réduire le chômage structurel, il est une deuxième politique indispensable à mener, c'est celle du logement. Des études de l'OFCE ont mesuré l'impact du mal-logement sur la réussite scolaire, l'intégration sur le marché du travail, les maladies chroniques. Ne pas parvenir à éradiquer ce phénomène du mal-logement, dans un pays comme le nôtre, est un échec. Une politique du logement plus efficace aiderait à résoudre le problème d'appariement sur le marché du travail, qui tient au manque de mobilité de la main d'oeuvre, étroitement liée à la politique du logement.

Tels sont les éléments de réponse que je voulais vous apporter.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Eblé

Merci de la précision de ces réponses et de la clarté de votre propos. Votre audition me conforte dans mon choix de vous nommer au Haut Conseil des finances publiques.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 10 h 30.