Intervention de Julien Denormandie

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 14 février 2018 à 11h00
Audition de M. Julien deNormandie secrétaire d'état auprès du ministre de la cohésion des territoires

Julien Denormandie, secrétaire d'État auprès du ministre de la cohésion des territoires :

Je vous remercie pour votre invitation, qui me permet de répondre plus précisément à vos interrogations que lors des séances de questions d'actualité au Gouvernement.

L'accord que nous avons conclu place les collectivités territoriales au coeur de la décision d'identification des futures infrastructures. Le financement des pylônes, comme leur conception et leur réalisation, est, en outre, transféré aux opérateurs, dans un souci d'économie et de rapidité.

Nous partageons le même constat d'insatisfaction. Alors que le Parlement a adopté le droit opposable au télétravail et que le nombre de démarches administratives réalisées sur internet a plus que doublé en dix ans, seul un Français sur deux a accès au très haut débit. Dans certains territoires, ces démarches ne peuvent même pas techniquement être réalisées !

Par le passé, en tant qu'ingénieur agronome, j'ai eu l'occasion d'accompagner des agriculteurs dans le cadre de leurs démarches liées à la politique agricole commune (PAC) : alors qu'il leur est demandé d'effectuer des déclarations sur internet, il faut parfois une demi-heure pour télécharger le document nécessaire et espérer l'envoyer. Cette situation est inacceptable !

Pour ce qui concerne la téléphonie mobile, si, selon les chiffres officiels, 98 % de la population serait convenablement connectée, tel n'est pas, loin s'en faut, le sentiment de nos concitoyens. Nous avons tous en tête des scènes ubuesques : dans certains territoires, les habitants doivent aller au fond de leur jardin pour capter un réseau mobile. Nous aurons l'occasion de reparler de ces sujets, déjà abordés lors de la conférence de consensus, à l'occasion des débats sur le projet de loi « évolution du logement et aménagement numérique » (ELAN) et sur la proposition de loi de M. Chaize portant sur la nécessaire accélération du déploiement des infrastructures, qui représente un enjeu essentiel pour les territoires.

Je me suis rendu en Isère pour inaugurer un pylône de téléphonie mobile. Il avait fallu dix ans pour le construire, parce que le maire avait dû tester chaque montagne des environs pour savoir d'où le pylône serait le moins visible. Lassés de ne pas avoir accès au téléphone mobile, les jeunes avaient quitté le village.

Face à de telles situations, le Président de la République et le Premier ministre ont fixé des objectifs fermes et ambitieux en termes d'accès au numérique avec un bon débit pour tous en 2020, soit plus de huit mégabits par seconde, et un très bon débit pour tous en 2022, soit plus de trente mégabits. Il s'agit également de revoir en profondeur le système, en précisant les aspects contraignants et en définissant plus justement la notion de zone blanche.

Selon les critères actuels, les zones blanches sont au nombre de 500, ce qui semble très largement sous-estimé. En effet, cette définition ne prend pas en compte les territoires où l'opérateur présent ne délivre pas un service de qualité. Vous avez évoqué à plusieurs reprises cette contradiction dans vos rapports précités en 2011, en 2015 et, plus récemment, en septembre 2017. Dans vos derniers travaux, réalisés conjointement avec M. Chaize, vous insistiez d'ailleurs sur la nécessité de solidifier les réseaux actuels et d'accélérer la mise en oeuvre du très haut débit.

Ces objectifs ont été pris en considération dans la dernière loi de finances et dans le grand plan d'investissement présenté par le Premier ministre il y a quelques mois. Par ailleurs, vous appeliez de vos voeux un changement de paradigme s'agissant de la téléphonie mobile : le même état d'esprit a présidé aux négociations que nous avons menées, à compter du mois de juin, avec les quatre grands opérateurs et avec les opérateurs neutres et indépendants, qui oeuvrent dans la zone d'initiative publique.

L'accord auquel nous avons abouti comporte deux volets relatifs respectivement au numérique et à la téléphonie mobile.

S'agissant du numérique, notre objectif est d'offrir à tous un accès au haut débit en 2020 et au très haut débit en 2022. À cet effet, dans un réflexe très français, nous aurions pu mettre en place un nouveau système. Je considère, pour ma part, que beaucoup de RIP fonctionnent convenablement. Les réseaux en difficulté sont en réalité ceux qui furent précurseurs et subissent aujourd'hui les conséquences des changements de technologie. Nous avons préféré accélérer le déploiement numérique sur la base des réseaux existants. Il convient d'abord de sécuriser ce déploiement en s'assurant de sa conformité aux engagements pris par les opérateurs, conformément à l'article L. 33-13 du code des postes et des communications électroniques instauré par la loi pour une République numérique. Il faut ensuite consolider le plan très haut débit, piloté par l'Agence du numérique. Nous en avons sécurisé le financement dans le cadre de la loi de finances à hauteur de 3,3 milliards d'euros.

Par ailleurs, pour établir une « société du gigabit », selon la terminologie utilisée par la Commission européenne, nous devons accélérer le déploiement de la fibre sans renoncer brutalement à toute autre solution technologique (4G fixe, boucle hertzienne, etc.). Le Premier ministre a annoncé l'installation, en 2019, d'un guichet unique doté de 100 millions d'euros destinés, notamment, au financement des box et des antennes relevant de ces technologies.

Enfin, doit être mobilisé l'ensemble des investisseurs privés et des opérateurs, notamment pour l'accompagnement des collectivités territoriales dans la mise en oeuvre des phases deux et trois des réseaux, sans déstabiliser les premières phases des RIP déjà installés. Les collectivités territoriales restent, en effet, donneurs d'ordre.

Le second volet de l'accord conclu avec les opérateurs porte sur la couverture mobile, annoncée finalisée à maintes reprises sans, pour autant, que les résultats aient jamais été à la hauteur des annonces. Nous avons cherché à changer de paradigme, en imposant enfin aux opérateurs des objectifs contraignants et en réfléchissant à une nouvelle définition de la qualité de réception et de celle, afférente, des zones blanches.

Pour imposer une contrainte forte, nous avons décidé d'utiliser les fréquences contrôlées par l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) : elles seront attribuées aux opérateurs en fonction de leurs engagements en matière de déploiement des infrastructures de téléphonie mobile. À rebours du mode d'enchères purement budgétaires d'autrefois, le cahier des charges pour la réattribution des fréquences prendra ces engagements comme critères de sélection. En conséquence, l'ARCEP disposera des moyens de pénaliser les opérateurs, qui ne tiendraient pas les engagements pris dans ce cadre.

Avec l'ARCEP et les opérateurs, nous avons reprécisé la notion de qualité de service, qui devient le coeur de la définition des zones blanches. Dès lors, il est évident que le nombre de zones qualifiées de « blanches » va sensiblement croître, en intégrant les actuelles zones grises où la réception existe, mais avec une qualité dégradée. Ce constat partagé, qui correspond à la perception de nos concitoyens, est essentiel.

Dans le cadre de cet accord, les opérateurs se sont engagés à investir, parfois de façon mutualisée, dans plus de 5 000 nouveaux sites, notamment dans les zones blanches et, plus largement, en milieu rural. Ils réaliseront en trois ans une avancée supérieure à celle qui a été enregistrée au cours de ces quinze dernières années. Ils s'engagent également à installer la 4G dans plus de 10 000 communes, actuellement en 2G ou en 3G, d'ici à 2020. Dans les zones blanches néanmoins, ce basculement ne se fera dans ce délai que pour 75 % des communes. Si la 4G n'améliore pas la réception téléphonique, elle permet un accès mobile à internet, ce qui représente une attente majeure des habitants.

Le troisième et dernier élément de cet accord concerne le déploiement de la téléphonie mobile le long des principaux axes de transports routiers et ferroviaires.

Ces objectifs sont contraignants, mais les collectivités territoriales, je le répète, restent les donneurs d'ordre.

À titre d'illustration, le choix des 5 000 sites pour les nouveaux pylônes ne revient pas unilatéralement aux opérateurs, mais dépendra des demandes des collectivités territoriales, qui relaient le ressenti et les besoins de leurs administrés. Il y a, enfin, la nécessité d'un véritable choc de transparence concernant la mise en oeuvre effective de cet accord. À cet effet, l'ARCEP publiera au cours du premier semestre de 2018 des cartographies de déploiement de la téléphonie mobile et des infrastructures numériques et les actualisera régulièrement.

Vous avez évoqué, monsieur le président, la question des délais, notamment l'année 2025 s'agissant de la téléphonie mobile.

Pour le numérique, l'objectif est clair : le haut débit pour tous en 2020, le très haut débit pour 2022. Concernant la téléphonie, dans la mesure où nous avons redéfini, dans un souci de pragmatisme et d'efficacité, les critères de priorité sur la base de la qualité de service, le déploiement sera plus progressif, bien que rapide, puisque entre 600 et 800 nouveaux pylônes seront installés par opérateur chaque année. L'identification des sites par les collectivités territoriales débutera en 2018 ; nous travaillons d'ailleurs à la rédaction d'un mode d'emploi qui leur sera destiné pour les accompagner dans cette mission. Les associations d'élus seront prochainement consultées sur sa teneur.

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