Nous nous rejoignons sur l'enjeu, mais pas sur les solutions. La situation de la médecine n'est pas une question d'aménagement du territoire comme une autre. La profession médicale est sous tension démographique, situation qui perdurera jusqu'en 2025 parce que les décisions sur le numerus clausus n'ont pas été prises à temps : il faut entre dix et quinze ans pour former un médecin. Or, dans les années 1990, le numerus clausus était très restreint, à 3 000 ou 4 000 médecins par an, en vertu d'une politique qui visait à réduire le déficit de la sécurité sociale avec l'idée que moins de médecins produiraient moins d'actes... Personne n'a anticipé le vieillissement de la population, l'accroissement des pathologies chroniques, l'évolution du mode d'exercice des médecins qui veulent une meilleure articulation entre temps professionnel et temps personnel - et pas seulement du fait de la féminisation de la profession -, si bien que l'on a réagi trop tard. Aujourd'hui, le numerus clausus a plus que doublé et nous sommes, depuis 2005, à 8 000 médecins par an. La démographie médicale restera donc faible jusqu'en 2025, avant de repartir à la hausse dans des proportions importantes. Nous devons par conséquent faire face à un creux d'une dizaine d'années, et trouver des moyens intelligents pour répondre, durant cette période, aux besoins de santé de la population.
La profession médicale n'est pas une profession comme les autres. Elle tient certes au principe de liberté d'installation, mais là n'est pas l'unique difficulté. Il a existé des tentatives de régulation des professions médicales au Canada, en Allemagne, pays qui a mené, il y a une dizaine d'années, une politique d'installation coercitive telle que vous la proposez. Cela a abouti à réduire l'installation en zones bien dotées, mais sans jouer sur les zones désertifiées, les installations n'ayant augmenté qu'en zones périurbaines : les médecins ont contourné l'obligation, et se sont installés à la périphérie des zones surdotées.
Quel élu considère, aujourd'hui, que son territoire est surdoté et juge qu'il ne faut plus d'installations sur son territoire pour accroître la quantité de médecins dans d'autres territoires ? Lorsque l'on pose la question, peu d'élus lèvent la main, même parmi les élus parisiens, car y compris à Paris, l'accès à certains spécialistes devient difficile. Seules deux ou trois villes en France peuvent ainsi réellement être considérées comme surdotées. Pour le dire autrement, ce n'est pas en déshabillant Nice que l'on va habiller le reste du pays.
Le troisième problème tient au fait que les médecins terminent leurs études à l'âge de trente ans au plus tôt. Un âge où beaucoup ont fait leur vie, ont des enfants, un époux, si bien qu'il est difficile de leur demander de s'arracher au lieu où ils sont installés. Quand un territoire n'est pas attractif pour un médecin, il l'est encore moins pour un époux qui doit chercher du travail... Comment ces médecins réagiraient-ils à un système coercitif ? Il y a fort à parier qu'ils prendraient des postes salariés, qui sont pléthore puisque nous manquons de milliers de médecins du travail, de médecins scolaires mais aussi de médecins dans l'industrie. Sans compter qu'un quart des diplômés, faut-il le rappeler, n'exercent pas la médecine au sortir de leurs études et trouvent d'autres orientations.
La profession a donc des spécificités qui ne sont pas celles de la profession d'infirmière, pour laquelle des mesures coercitives ont pu être prises parce que c'était une profession surdotée. On forme énormément d'infirmières et elles terminent leurs études à 21 ou 22 ans, un âge où l'on peut encore orienter le lieu d'installation.
Nous avons, avec le Premier ministre, présenté un plan le 13 octobre, qui vise à changer de paradigme. Pas plus qu'à la coercition je ne crois à l'incitation, qui provoque des effets d'aubaine, comme on l'a vu pour beaucoup de professionnels formés à l'étranger, et n'a pas montré grande efficacité. Nous considérons que la solution passe plutôt par l'organisation des soins. Un médecin peut donner du temps médical sur un territoire sans pour autant y vivre. C'est ainsi que nous envisageons d'exporter du temps médical sur certains territoires. Nous entendons mettre en place de fortes incitations pour que les médecins installés autour d'un bassin de vie sous-doté aillent y donner de leur temps.
Notre deuxième orientation consiste à favoriser les coopérations interprofessionnelles pour couvrir un territoire sous-doté. Beaucoup de pathologies, notamment chroniques, pourraient bénéficier d'un suivi partagé avec d'autres professionnels de santé. Des infirmières pourraient ainsi se voir déléguer certaines tâches, comme cela se pratique dans les maisons pluriprofessionnelles, pour le suivi de diabètes, par exemple, ou de traitements anticoagulants qui ne nécessitent pas forcément une consultation médicale.
Troisième orientation : libérer la télémédecine pour raccourcir les délais de consultation, en dermatologie, par exemple. La téléconsultation et la télé-expertise entreraient ainsi dans le droit commun. Une négociation conventionnelle avec les médecins libéraux est en cours pour fixer un tarif, qui permettra une mise en oeuvre dès la rentrée 2018.
Ne pas penser en termes d'installation mais de temps médical donné aux territoires ; voir dans le temps médical un temps donné par les professionnels de santé, selon une organisation pluriprofessionnelle - ce qui passe par le développement des maisons de santé - ; permettre à des médecins un cumul emploi-retraite, dont le projet de loi de financement de la sécurité sociale a quadruplé les possibilités : tel est le changement de paradigme que nous proposons. Le plan d'accès aux soins comprend 25 mesures incitatives à cette fin, qui permettront de mettre en place ces organisations innovantes.
Enfin, nous pensons que tous les territoires doivent se mobiliser. Nous avons demandé aux agences régionales de santé (ARS) d'organiser avec leurs délégués territoriaux, les élus de chaque territoire, les unions régionales des professionnels de santé (URPS) et les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), qui rassemblent les professionnels, de travailler à des réponses opérationnelles appropriées à chaque territoire. Car chaque territoire a ses spécificités. Les besoins d'un territoire rural très isolé ne sont pas les mêmes qu'en zone périurbaine, où le frein à l'installation peut tenir à l'insécurité. Les mêmes différences se retrouvent dans l'offre de soins, certains territoires comptant beaucoup de médecins libéraux et peu d'offre hospitalière quand la situation est inverse dans d'autres. C'est pourquoi nous proposons, dans le plan d'égal accès au soin, de mettre en place des postes d'assistant partagé, pour que les médecins hospitaliers aillent donner du temps médical dans les territoires sous-dotés, et de promouvoir les stages en médecine libérale, assortis d'une aide, afin que les externes et les internes s'approprient l'intérêt de la médecine libérale de premier recours.