Nous partageons le constat qui a été fait. Je suis en poste depuis huit mois, et ma priorité a été de réfléchir à un plan d'accès aux soins. J'ai travaillé d'arrache-pied avec mes services pour identifier les mesures favorisant un changement de paradigme et une libération des énergies afin que le terrain s'organise.
Monsieur le président, j'ai l'habitude de rendre des comptes, je l'ai fait dans mes fonctions précédentes, en particulier au sujet du plan Cancer. Le plan que j'ai présenté comporte des indicateurs chiffrés qui sont encore en cours de conception par la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques, la DREES. Ceux-ci s'attachent, par exemple, au temps d'accès, à la proportion de médecins, au nombre de transferts aux urgences, etc. Ils seront publiés dès que ce travail aura abouti.
J'ai mis en place un comité de pilotage stratégique de ce plan qui réunit les syndicats médicaux, les fédérations hospitalières, car certains hôpitaux ont la capacité de projeter un médecin dans un territoire pour donner du temps médical, l'ensemble des ordres des professions de santé, y compris ceux des kinésithérapeutes, des infirmières ou des sages-femmes. En effet, on ne peut pas se contenter de mettre l'accent sur les seuls médecins, tous les pays modernes se sont organisés de façon pluriprofessionnelle. Une infirmière peut ainsi assurer le suivi d'une hypertension artérielle en rencontrant le médecin dans une maison de santé sans que celui-ci ne prenne la tension. Les élus y sont également représentés par l'Association des maires de France, l'Association des maires ruraux de France et l'association France urbaine, l'association Régions de France et l'Assemblée des départements de France.
En outre, nous avons lancé trois délégués territoriaux - une sénatrice, Élisabeth Doisneau, un député, Thomas Mesnier, et une jeune médecin généraliste, Sophie Augros, ancienne présidente de syndicat - dont le rôle est de suivre les initiatives de terrain permettant de répondre aux besoins. Partout, des initiatives diverses sont mises en oeuvre, comme à Pontarlier, par exemple, où la mairie a monté un cabinet éphémère qui a débouché sur l'installation pérenne d'une maison de santé pluriprofessionnelle. Ailleurs, une maison de santé attachée à un hôpital permet aux médecins de partager leur temps entre exercices libéral et salarié. Le plan doit faciliter tous les modes d'exercice, comme l'ouverture de plusieurs cabinets, afin que les médecins puissent exercer en différents endroits en fonction des jours.
J'ai dit aux professionnels que j'allais libérer la réglementation qui freine les organisations innovantes. L'article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale prévoit d'ailleurs des expérimentations financées par la sécurité sociale.
Je rendrai des comptes publiquement sur toutes ces mesures.
Réguler l'installation alors que la profession est aujourd'hui sous-dotée ne fonctionnera pas. Nous devons faire avec une démographie faiblissante jusqu'en 2025, conséquence de décisions prises en 1995. Nous n'allons pas inventer 25 000 médecins supplémentaires, nous devons donc chercher des organisations innovantes.
Beaucoup d'entre vous ont évoqué la question de la formation, et, par extension, du numerus clausus. L'effet d'une éventuelle ouverture serait en tout état de cause différé. Or je ne sais pas ce que seront les besoins en 2030, avec les progrès de l'intelligence artificielle et de la lecture informatisée d'images, qui vont entraîner une modification considérable des pratiques. Avant de toucher au numerus clausus, nous avons besoin d'un bilan prospectif. Toutes les lectures d'images vont être informatisées. Je ne veux pas prendre, à mon tour, de mauvaises décisions qui pèseront sur la France de 2035.
Sur ce point, le sujet touche aussi aux modes de sélection et donc à la définition des médecins que nous souhaitons former. Faut-il sélectionner sur les mathématiques et la physique ? Faut-il introduire plus de sciences humaines ? Les études de médecine ne sont pas adaptées aux pathologies chroniques, à l'exercice coordonné pluriprofessionnel. De même, nous avons prévu de multiplier les stages, en particulier en zones rurales.
J'ai présenté hier, avec le Premier ministre, un plan global de transformation de notre système de santé. Il comprendra une loi, en 2019, relative à l'ensemble des études médicales. Aujourd'hui, par exemple, un étudiant qui obtient zéro à l'examen national classant de fin d'études obtiendra un poste d'interne. Reconnaissons que ce n'est pas très sécurisant... Je n'ai pas encore annoncé que j'allais ouvrir le numerus clausus, la concertation commence à ce sujet, et nous devons nous projeter vers 2030 ou 2035.
Beaucoup ont évoqué les maisons de santé pluriprofessionnelle, qui sont l'avenir de la médecine, ainsi que les centres de santé accueillant des médecins salariés. Demain, les médecins n'exerceront plus seuls et devront se coordonner, face aux pathologies chroniques et au vieillissement des patients.
L'expérience montre toutefois que ce type d'organisation ne fonctionne que s'il est porté par un leader médical. Il faut donc parvenir à inciter un médecin à jouer ce rôle. Pour permettre cela, nous comptons augmenter considérablement le nombre de stages des internes, mais aussi de jeunes médecins généralistes et des externes, en zone rurale, dans les maisons de santé pluriprofessionnelle, afin de susciter leur intérêt. Nous allons également travailler avec les jeunes médecins pour les inciter à porter des projets coopératifs. Un budget de près de 400 millions d'euros est prévu dans le grand plan d'investissement à ce titre, mais rien ne pourra se faire sans un projet médical.
Nous avons demandé aux ARS d'identifier, avec les élus, les territoires en tension et de travailler avec les doyens pour pousser les jeunes médecins à s'y installer. Aujourd'hui, en effet, l'âge d'installation recule, les jeunes étant rebutés par l'ampleur des tâches administratives. Nous avons donc lancé une mission de simplification.
S'agissant de l'hôpital, il subit le rabot depuis des années. Il pâtit de la tarification à l'acte, qui n'est pas valorisante pour les équipes, pour lesquelles elle apparaît comme une perte de sens de leur mission. Nous allons diminuer de 50 % sa part dans le financement des hôpitaux, ce qui signifie qu'il faudra trouver ailleurs 50 % du budget.
Il faut ainsi passer à une tarification au forfait, en particulier en matière de soins ambulatoires. Aujourd'hui, ceux-ci font perdre de l'argent aux hôpitaux, alors que tout le monde devrait y gagner. L'hôpital doit s'insérer dans les bassins de vie, ce que ne favorisent pas les modes de financement actuels en silo.
Nous allons donc favoriser les tarifications au parcours, qui intéresseront l'ensemble de professionnels de santé et concerneront la médecine de ville comme l'hôpital ou, éventuellement, le secteur médico-social. Ces réformes seront menées en lien avec l'assurance maladie, puisqu'elles toucheront à la rémunération des médecins libéraux. Il s'agit de favoriser la coopération et les interactions.
Monsieur Mandelli, vous avez évoqué le coût des intérimaires à l'hôpital, qui concerne en particulier les anesthésistes et des urgentistes. J'ai signé un décret pour plafonner les rémunérations afin de mettre un terme à la pratique de ces médecins mercenaires, qui est coûteuse et délétère pour les équipes.
Vous me soupçonnez de manquer de courage face aux syndicats, mais je ne cherche pourtant pas à les défendre. Je n'ai qu'un devoir : répondre aux enjeux et aux besoins des citoyens. J'ai à l'esprit le risque de crise sanitaire et je souhaite lui apporter des réponses du vingt et unième siècle en modifiant l'exercice médical pour que, demain, on fasse plus de prévention et que les professionnels de santé choisissent la coopération plutôt que la compétition. Je ne manque pas de courage, je crois l'avoir prouvé, et ce plan global de transformation de notre système de santé ne vise en aucune manière à protéger une profession.
Mme Nadia Sollogoub suggérait la création de PACES (premières années communes aux études de santé) de proximité. Cela a déjà été fait, par exemple au Havre ou à Corte, pour la Corse. L'objectif est de faciliter l'accès aux études médicales pour les habitants des zones rurales. De même, le numerus clausus pourrait être adapté en fonction des facultés et des territoires. Sur ces sujets, sur la réforme à venir des études de médecine, nous commençons les négociations avec, entre autres, les syndicats de jeunes médecins et d'étudiants.
Pour récapituler, dans le cadre du plan global de transformation de notre système de santé nous lançons une concertation sur cinq grands chantiers.
Le premier concerne la qualité et la pertinence des soins, le second, la tarification de l'hôpital et de la médecine de ville.
Le troisième chantier est le numérique. La « e-santé » requiert, en effet, un bon équipement du territoire. Mon collègue Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État chargé du numérique, est particulièrement sensibilisé à cette question. Chaque Ehpad peut déjà bénéficier de 30 000 euros pour s'équiper en télémédecine, mais l'efficacité de cet investissement repose sur la qualité du réseau dans les territoires.
Les ressources humaines constituent le quatrième chantier. Il s'agit, d'une part, de modifier les études médicales par une loi en 2019, et, d'autre part, d'améliorer la gestion des ressources humaines à l'hôpital. La concertation dans ce domaine se terminera fin mai.
Enfin, le cinquième chantier consiste à organiser les territoires en filières de soins, plutôt que d'assister à la compétition des établissements entre eux. Il s'agit également de proposer une gradation des soins : nous ne ferons pas tout partout, il faut l'assumer. La médecine de premier recours se fera là où elle est nécessaire, mais les soins d'excellence et les plateaux techniques de haute technicité se trouveront ailleurs. Ce qui compte, c'est la coopération entre les établissements, que la tarification à l'acte ne permet pas. Le plan sera donc proposé cet été, probablement par le Président de la République.
Je crois avoir maintenant répondu à toutes vos questions.