C'est cela. A mesure que l'on s'éloigne du terrain, on sort de l'émotionnel. On ne juge pas dans l'émotionnel. L'institution judiciaire est faite pour que le jugement soit serein, explique ainsi cette magistrate, mais les policiers, confrontés en permanence à la violence, à la mort, ont du mal à comprendre que le jugement n'aille pas dans le sens de leur émotion. Le même phénomène se retrouve dans l'opinion publique : un procès correctionnel ou d'assises suscite souvent du mécontentement, parce que l'on sort de l'émotionnel, la justice n'étant pas là pour venger, mais pour juger. Même si jouent aussi, chez les policiers, des éléments plus idéologiques, qui induisent à porter des jugements sur telle ou telle organisation de magistrats, jugée trop laxiste, c'est ainsi qu'il faut comprendre, à la base, le sentiment général de la police. Comme l'explique cette magistrate, le poids de l'institution est ce qui permet de juger sereinement, et tel qui, au café du commerce, veut voir tout le monde fusillé, demande trois mois avec sursis quand il se retrouve juré d'assises. Il me paraît important, pour qui songe à réformer la procédure pénale ou simplement à réunir policiers et magistrats autour d'une table, d'avoir cette analyse en tête.
Le divorce avec les politiques est un peu de même nature, mais il est peut-être pire. On entend souvent dire, de manière un peu caricaturale, que les politiques sont coupés de la réalité. Je pense que si ce n'est pas vrai pour tous, il reste que la réalité de ce que vit la police est largement méconnue, y compris des journalistes, qui ont tendance à ne mettre en avant que le spectaculaire. Il faut avoir passé du temps auprès des policiers pour mesurer ce qu'est leur quotidien, et les choses inimaginables auxquelles ils sont confrontés, qui explique leur réaction épidermique aux décisions de justice. J'ai vu certaines images qui m'ont donné des cauchemars. Et ils ne peuvent pas même en parler à leurs proches. Un gars qui revient de décrocher un pendu ou qui s'est retrouvé dans une mare de sang au chevet des deux femmes tuées à la gare Saint-Charles à Marseille ne peut pas, quand il rentre chez lui le soir, qu'il embrasse sa femme, sa petite fille, raconter comme tout un chacun sa journée.