C'est un honneur pour nous, monsieur le Premier ministre, de vous accueillir au Sénat pour évoquer la question des mémoires et de leurs vertus salvatrices contre la fragmentation de notre société.
Comme chez d'autres puissances occidentales ayant fait de l'esclavage un levier d'expansion et d'enrichissement matériel au cours des siècles passés, ce système d'exploitation de l'homme a marqué notre histoire de profondes cicatrices. Longtemps occulté au profit d'une imagerie plus glorieuse, dans le discours officiel comme dans l'enseignement, ce profil tragique a pu devenir étranger aux jeunes générations. Son souvenir est cependant régulièrement ravivé par une actualité internationale qui montre que l'esclavage reste malheureusement une réalité contemporaine.
Remontant à quelques générations seulement, puisque nous allons célébrer le 170e anniversaire du décret du 27 avril 1848 relatif à son abolition, l'esclavage imprègne encore nombre d'histoires familiales et continue à nourrir des ressentiments. Parfois, notamment dans nos territoires les plus exposés, ces réminiscences empêchent d'avancer. J'ai souvent pu l'observer. Comme a pu le préconiser Édouard Glissant, l'heure est venue de passer du « ressassement » au « dépassement ».
La période des quinze dernières années, à cet égard, marque un tournant. La loi Taubira en 2001, avec l'intégration de cette problématique dans les programmes scolaires et la création d'une journée de commémoration nationale, le 10 mai, mais aussi des initiatives telles que la création du Mémorial de l'abolition de l'esclavage inauguré à Nantes en 2012, alors que vous étiez maire, monsieur le Premier ministre, ou encore le Mémorial ACTe ou Centre caribéen d'expressions et de mémoire de la Traite et de l'Esclavage, initié par notre collègue Victorin Lurel alors président du conseil régional, et inauguré le 10 mai 2015.
Cette date du 10 mai permet au Sénat, chaque année, d'accueillir dans le jardin du Luxembourg la cérémonie commémorative de l'abolition de l'esclavage, d'honorer les mémoires des personnes tombées sous le joug, mais aussi de remettre inlassablement dans la lumière les hommes qui ont su faire triompher les valeurs d'humanité et de partage.
L'initiative que vous portez aujourd'hui, monsieur le Premier ministre, tendant à la création d'une Fondation pour la mémoire de l'esclavage, des traites et de leurs abolitions, participe de ces valeurs et d'une démarche de réconciliation tournée vers l'avenir. Je forme le voeu qu'elle ait une fonction d'apaisement et contribue activement à forger une conscience collective permettant de vaincre les ferments de fragmentation.
En vous remerciant encore de votre présence parmi nous aujourd'hui, monsieur le Premier ministre, je vous cède la parole.