Délégation sénatoriale aux outre-mer

Réunion du 1er février 2018 : 1ère réunion

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • abolition
  • discrimination
  • esclavage
  • fondation
  • histoire

La réunion

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Photo de Michel Magras

C'est un honneur pour nous, monsieur le Premier ministre, de vous accueillir au Sénat pour évoquer la question des mémoires et de leurs vertus salvatrices contre la fragmentation de notre société.

Comme chez d'autres puissances occidentales ayant fait de l'esclavage un levier d'expansion et d'enrichissement matériel au cours des siècles passés, ce système d'exploitation de l'homme a marqué notre histoire de profondes cicatrices. Longtemps occulté au profit d'une imagerie plus glorieuse, dans le discours officiel comme dans l'enseignement, ce profil tragique a pu devenir étranger aux jeunes générations. Son souvenir est cependant régulièrement ravivé par une actualité internationale qui montre que l'esclavage reste malheureusement une réalité contemporaine.

Remontant à quelques générations seulement, puisque nous allons célébrer le 170e anniversaire du décret du 27 avril 1848 relatif à son abolition, l'esclavage imprègne encore nombre d'histoires familiales et continue à nourrir des ressentiments. Parfois, notamment dans nos territoires les plus exposés, ces réminiscences empêchent d'avancer. J'ai souvent pu l'observer. Comme a pu le préconiser Édouard Glissant, l'heure est venue de passer du « ressassement » au « dépassement ».

La période des quinze dernières années, à cet égard, marque un tournant. La loi Taubira en 2001, avec l'intégration de cette problématique dans les programmes scolaires et la création d'une journée de commémoration nationale, le 10 mai, mais aussi des initiatives telles que la création du Mémorial de l'abolition de l'esclavage inauguré à Nantes en 2012, alors que vous étiez maire, monsieur le Premier ministre, ou encore le Mémorial ACTe ou Centre caribéen d'expressions et de mémoire de la Traite et de l'Esclavage, initié par notre collègue Victorin Lurel alors président du conseil régional, et inauguré le 10 mai 2015.

Cette date du 10 mai permet au Sénat, chaque année, d'accueillir dans le jardin du Luxembourg la cérémonie commémorative de l'abolition de l'esclavage, d'honorer les mémoires des personnes tombées sous le joug, mais aussi de remettre inlassablement dans la lumière les hommes qui ont su faire triompher les valeurs d'humanité et de partage.

L'initiative que vous portez aujourd'hui, monsieur le Premier ministre, tendant à la création d'une Fondation pour la mémoire de l'esclavage, des traites et de leurs abolitions, participe de ces valeurs et d'une démarche de réconciliation tournée vers l'avenir. Je forme le voeu qu'elle ait une fonction d'apaisement et contribue activement à forger une conscience collective permettant de vaincre les ferments de fragmentation.

En vous remerciant encore de votre présence parmi nous aujourd'hui, monsieur le Premier ministre, je vous cède la parole.

Photo de Michel Magras

Mes chers collègues, dans le cadre de notre étude relative à la jeunesse des outre-mer et le sport, nous partons ce matin à La Réunion. Je tiens avant toute chose à exprimer notre sympathie à nos compatriotes réunionnais qui viennent de subir des pluies diluviennes au passage de Berguitta, avec de lourdes dégradations de leur île splendide, en particulier dans le sud et sur la commune de Saint-Pierre.

Nous sommes en liaison avec les élus en charge de la politique du sport pour la région, le département ainsi que la commune de Saint-Pierre et pour la commune de Saint-Paul. Monsieur Thierry Martineau nous a rejoints en retardant son départ pour Toulouse où il doit y recevoir, en fin de journée, le label « Ville active et sportive ».Dans une semaine, nous retournerons à La Réunion pour échanger avec les acteurs institutionnels et associatifs du sport (CREPS, CROS et ligues sportives).

Je rappelle que nos 4 rapporteures, représentant les 3 bassins océaniques et l'hexagone sont : Catherine Conconne, sénatrice de la Martinique, Gisèle Jourda, sénatrice de l'Aude, Viviane Malet, sénatrice de La Réunion et Lana Tetuanui, sénatrice de la Polynésie française.

Nous avons ouvert les travaux relatifs à cette étude la semaine dernière avec l'audition de Mme Laura Flessel, ministre des sports. Je remercie dès à présent nos rapporteures pour les différents contacts qu'elles organiseront avec les territoires, grâce à la visioconférence : ces échanges, même s'ils ne valent pas un déplacement sur le terrain, sont néanmoins très précieux pour prendre en compte les réalités territoriales.

Une trame servant de fil conducteur a été communiquée à chacun. Sur cette base, je cède la parole à nos interlocuteurs ; je vous propose de procéder en deux temps avec, tout d'abord, les présentations liminaires de Mme Costes, vice-présidente du conseil régional, et de M. Potin, vice-président du conseil départemental, tous deux en charge du sport ; elles seront suivies des questions des rapporteures et de nos collègues. Nous entendrons ensuite les élus municipaux en charge du sport et les autres responsables qui collaborent avec eux.

Jean-Marc Ayrault, président de la mission de la mémoire de l'esclavage, des traites et de leurs abolitions

ancien Premier ministre, président de la mission de la mémoire de l'esclavage, des traites et de leurs abolitions. - Monsieur le président, je vous remercie de me donner l'occasion de faire le point sur ce projet qui s'inscrit dans une continuité. Il y eut le tournant de la loi Taubira du 21 mai 2001 tendant à la reconnaissance de la traite et de l'esclavage en tant que crime contre l'humanité, que vous avez cité. En 1948, le centième anniversaire de l'abolition de l'esclavage en France est commémoré à la Sorbonne où de grands discours furent prononcés par des personnalités éminentes telles qu'Aimé Césaire, Gaston Monnerville, Léopold Sédar Senghor. En 1949, Victor Schoelcher et Félix Eboué entrent conjointement au Panthéon. Ensuite, il faut attendre 1983 et l'instauration de jours fériés dans les départements et territoires d'outre-mer pour commémorer l'abolition de l'esclavage. En 1992, le travail réalisé au niveau des collectivités locales, en particulier à Nantes, aboutit à la création du Mémorial de l'abolition de l'esclavage. Soulignons également les initiatives des intellectuels, dont les écrivains Patrick Chamoiseau, Édouard Glissant, et les mouvements militants comme CM 98. Le Mémorial ACTe, sur l'initiative de la région Guadeloupe que présidait Victorin Lurel, fut inauguré par le Président Hollande en 2015. D'autres lieux plus modestes s'inscrivent dans cette continuité, je pense au musée du Nouveau Monde à La Rochelle ou au musée d'Aquitaine à Bordeaux. La loi du 28 février 2017 relative à l'égalité réelle outre-mer, enfin, instaure une journée nationale en hommage aux victimes de l'esclavage colonial, fixée au 23 mai, qui s'ajoute à celle du 10 mai, décidée par le Président Chirac, commémorative de la traite, de l'esclavage et de leur abolition. Il faut également citer le Comité national pour la mémoire et l'histoire de l'esclavage (CNMHE).

Les propositions du rapport d'Édouard Glissant, reprises sous la présidence de François Hollande, se sont traduites par l'instauration du groupement d'intérêt public (GIP) que je préside, en vue de créer une Fondation pour la mémoire de l'esclavage, des traites et de leurs abolitions d'ici à la fin de l'année. Un conseil d'administration et un conseil d'orientation dessinent les contours de cette future fondation. Cette mémoire est toujours sensible, comme en témoigne par exemple le documentaire diffusé sur La Chaîne parlementaire sur l'origine des noms. Nous voulons construire une mémoire partagée, afin de passer du ressentiment au dépassement, pour reprendre les mots d'Édouard Glissant. La fondation a aussi pour objet de soutenir les travaux de recherche. Elle revendique les différents héritages de cette histoire : l'histoire tragique, bien sûr, le code noir, mais aussi les révoltes des esclaves marrons, les combats pour la liberté, notamment pendant la Révolution française, avec la première abolition de l'esclavage, rétabli par Bonaparte dans les colonies, puis lors de la seconde abolition. De nombreux lieux de mémoire de ce combat pour la liberté sont l'occasion d'une transmission du savoir, notamment dans les écoles. Je pense aux initiatives de l'association « La Route des abolitions de l'esclavage et des droits de l'Homme » et au village de Champagney dont les habitants, en 1789, dans leur cahier de doléances, alors qu'ils n'avaient sans doute jamais vu d'esclave, demandaient l'abolition de l'esclavage. Lors du 150e anniversaire de l'abolition de l'esclavage, le Premier ministre de l'époque, Lionel Jospin, leur avait rendu hommage.

Je rappelle que la Déclaration universelle des droits de l'Homme, dont nous célébrons le 70e anniversaire, mentionne le refus de l'esclavage. Or les Nations unies estiment que 30 millions de personnes sont en situation d'esclavage aujourd'hui. Le combat que nous menons n'est pas seulement tourné vers le passé, la réconciliation, la mémoire partagée, il doit mobiliser les consciences contre toutes les formes d'esclavage, de discrimination et de racisme, en particulier dans la société française.

Le travail de la mission contribuera au rassemblement et permettra de lutter contre les communautarismes. Cet héritage d'ombres et de lumières, c'est aussi un héritage culturel commun qui nous a enrichis, malgré les souffrances et la douleur, au travers de la créolisation si bien décrite par Édouard Glissant.

Cette fondation aura donc pour mission d'engager un travail de mémoire, de recherches historiques, de transmission par l'école, d'animation et de mise en réseau des initiatives existantes, mais aussi une autre approche des relations internationales. Nous avons besoin, pour ce faire, de votre soutien. Nous sommes là pour en parler et je reste bien sûr, monsieur le président, à votre disposition.

Béatrice Sigismeau, adjointe au maire de Saint-Pierre, déléguée à la politique sportive

Je souhaite rappeler qu'il était convenu que M. Philippe Potin et moi-même intervenions en binôme pour le département puisque M. Philippe Potin vient de reprendre mes fonctions.

Photo de Michel Magras

Deux questions me viennent à l'esprit : la première porte sur les sources de financement de la fondation, la seconde concerne les liens avec le projet de Cité des outre-mer.

Yolaine Costes, vice-présidente du conseil régional en charge des sports

Chers sénateurs, c'est un plaisir d'être avec vous ce matin. Je commencerai par quelques mots de contexte. La Réunion est une île située à 11 000 kilomètres de la métropole et qui compte 850 000 habitants, 240 000 enfants scolarisés et 133 000 licenciés sportifs. Ces sportifs s'entraînent dans l'un des 1 400 clubs gérés par les 68 ligues et comités. Il s'agit donc d'une île sportive qui fournit de grands champions, notamment en football et handball.

Afin de répondre au mieux à vos attentes, j'aborderai les grands axes de la politique sportive régionale puis nos liens avec les institutions. Mon propos s'appuie sur des études diligentées à La Réunion, qui ont été réalisées l'an dernier sur les équipements sportifs et sur l'Institut régional du sport de haut niveau de l'océan Indien.

La politique sportive régionale doit répondre à trois grands objectifs : faire de La Réunion un pôle sportif d'excellence, encourager les échanges sportifs dans la zone océan Indien et avec le reste du monde et, enfin, soutenir la rénovation et l'entretien des équipements sportifs structurants. J'ajouterai un quatrième objectif, plus transversal, qui est la valorisation de la dimension touristique et économique des projets sportifs.

La région accompagne les 68 ligues et comités qui permettent de hisser le territoire à ce niveau sportif. Nous investissons environ 2 millions d'euros afin de les aider dans la démocratisation de la pratique sportive, le perfectionnement des athlètes, la formation des cadres et des dirigeants et la participation aux compétitions sportives locales, nationales et internationales. Le mouvement sportif réunionnais porte le projet d'offrir une réelle visibilité au territoire et à la région océan Indien à l'occasion des Jeux olympiques de 2024. Pour y parvenir, le département, la région et l'État ont décidé de créer l'Institut régional du sport de haut niveau de l'océan Indien. Cette structure devrait permettre d'augmenter le niveau de pratique des sportifs réunionnais mais aussi de l'ensemble des athlètes de la zone. La diplomatie sportive est un enjeu majeur de la géopolitique de notre environnement immédiat.

Cet institut, en ordre de marche dès 2018, sera l'occasion de diversifier les rencontres sportives et d'améliorer le niveau général des compétitions. Certains pays tels Madagascar, les Comores, et les Seychelles produisent de jeunes sportifs d'un très bon niveau sans avoir la capacité de leur offrir des conditions d'entraînement satisfaisantes. Ces sportifs pourront donc être rassemblés dans une même structure pour une émulation bénéfique. L'enjeu consiste à ce que des Français originaires de La Réunion, mais aussi des Malgaches ou des Mauriciens, puissent obtenir des médailles aux Jeux olympiques de 2024 et améliorer ainsi la visibilité de l'océan Indien. Pour atteindre cet objectif, il est impératif que nos structures sportives soient mises à niveau. À terme, l'aura induite par la multiplication des sportifs de haut niveau dans notre zone devrait permettre de développer le tourisme sportif sur notre territoire. Il s'agit d'un projet ambitieux qui devrait se concrétiser après 5 années d'efforts.

Nous encourageons également les échanges sportifs qui sont un moyen de lutter contre l'isolement. Pour cela, les sportifs bénéficient de conditions particulières au titre de la continuité territoriale, une aide au déplacement ouverte aux Réunionnais sous conditions de ressources. Ce dispositif est essentiel, en particulier pour les sportifs en devenir qui ne perçoivent pas d'aides financières suffisantes de la part des fédérations. Les jeunes pouvant bénéficier de ce dispositif se verront attribuer des aides plusieurs fois dans l'année, pour pouvoir se confronter à la concurrence en dehors du territoire.

D'autre part, nous avons développé grâce aux crédits du Fonds européen de développement économique et régional (FEDER) le projet « Erasmus océan Indien ». Ce dispositif est destiné à améliorer la mobilité des jeunes sportifs, mais aussi des futurs entraîneurs et dirigeants de clubs sportifs car nous considérons que la montée en compétence ne peut se faire qu'en travaillant pour l'ensemble du mouvement sportif. Cette mesure a un coût important, que nous sommes prêts à assumer au regard des enjeux.

Le troisième axe de ma présentation concerne la rénovation et la création d'équipements sportifs, condition sine qua non pour que les autres mesures puissent porter leurs fruits. En 2015, une mission interministérielle avait déjà diagnostiqué un retard dans l'ensemble des territoires d'outre-mer et en Corse et préconisé la création d'un plan de rattrapage. Dans ce cadre, la mission suggérait également d'investir 60 millions d'euros sur une durée de trois ans. Or, si des investissements ont été engagés la première année suivant ce rapport, seule une fraction des sommes prévues a été versée. J'invite donc la délégation à se renseigner sur cette question afin de comprendre ce qui bloque le financement de ces actions.

Par ailleurs, les acteurs des Assises des outre-mer ont unanimement souligné la nécessité de construire de nouveaux équipements sportifs. Le conseil régional administre 48 lycées, le conseil départemental gère également de nombreux collèges et les communes sont propriétaires de certains équipements sportifs. Or, ces structures sont surexploitées car La Réunion compte une population jeune avec un nombre de licenciés important. Entre le temps scolaire et le temps d'usage des clubs sportifs, il reste peu de temps pour la rénovation et l'entretien de ces bâtiments.

En outre, le centre de ressources, d'expertise et de la performance sportive (CREPS), qui a été transféré à la région en 2016, se trouve dans un état de délabrement tel qu'il faudra 5 ans pour le rénover. Nous n'avons pas d'autre choix que de lancer ce chantier, car le CREPS de La Réunion détient la médaille de bronze Grand INSEP et abrite en son sein des structures et du personnel de qualité. Le CREPS est l'outil qui nous permettra de construire l'Institut régional du sport de haut niveau. Nous sollicitons donc toutes les aides disponibles pour réussir à en faire une structure adaptée à nos ambitions.

Par ailleurs, la couverture des plateaux noirs est une mesure promue depuis longtemps et qu'il devient urgent de mettre en oeuvre avec la multiplication des canicules et les pluies diluviennes. Sur les terrains de basket, par exemple, il n'est pas rare d'enregistrer des températures de l'ordre de 70°C autour de l'anneau. Cela nous permettrait de réaliser des économies en optimisant le temps d'utilisation de ces infrastructures à l'année plutôt que de construire des gymnases. Depuis 2010, la région soutient le développement des équipements communaux car les communes n'ont pas toujours les moyens d'entretenir les équipements et de les mettre aux normes. Nous avons, entre 2010 et 2017, réhabilité ou construit 150 équipements pour un montant total de 105 millions d'euros. Sur la commune de Saint-Pierre, par exemple, la région a investi dans 9 équipements pour 3 millions d'euros dans le cadre du plan de relance des communes.

J'aimerais maintenant aborder la question des rapports entre la région et les 68 ligues et comités. Nous finançons ces organismes à hauteur de 2 millions d'euros dans le cadre d'un dossier commun auquel participent également l'État et le département et qui sera dématérialisé à partir de 2018. Cette aide est destinée à la formation des encadrants, l'organisation de manifestations sportives, l'acquisition de matériel ainsi que les déplacements, qui constituent un élément majeur de la pratique sportive.

Pour en revenir au CREPS, il s'agit d'un outil indispensable mais que nous devons faire évoluer pour répondre à nos besoins. Il est géré par la région qui a récupéré le personnel et le foncier depuis 2016, mais l'État a gardé la maîtrise en matière de formation. 45 millions d'euros de travaux sont nécessaires pour le mettre en conformité avec les objectifs des fédérations pour Paris 2024 et pour le développement de l'Institut régional du sport de haut niveau. Il s'agit d'un chantier prioritaire et il est impératif que les responsables nationaux prennent conscience du rattrapage nécessaire en la matière et de la surexploitation de nos équipements. Nous ne pouvons pas espérer faire de La Réunion un pôle de haut niveau sans libérer des créneaux sportifs et garantir des conditions d'entraînement satisfaisantes. Dans le même temps, cette évolution doit accompagner le mouvement de démocratisation de la pratique sportive. Il est essentiel de trouver un équilibre entre le sport de haut niveau et la pratique du sport pour tous.

J'ajouterai que nous tenons à votre disposition les études réalisées par la région sur ces questions. Nous sommes convaincus qu'il existe un réel savoir-faire de La Réunion en matière sportive dans l'océan Indien. Le sport est un moyen de faire rayonner La Réunion comme France de l'océan Indien et comme région ultrapériphérique européenne dans notre environnement immédiat, au bénéfice de tous les sportifs de la zone.

Jean-Marc Ayrault, président de la mission de la mémoire de l'esclavage, des traites et de leurs abolitions

Le GIP dispose d'un budget tout à fait modeste. M. Pierre-Yves Bocquet, ancien conseiller de François Hollande, inspecteur général des affaires sociales, m'accompagne dans ce travail. Nous sommes pour l'instant hébergés au ministère des outre-mer. Évidemment, la fondation, pour pouvoir fonctionner, doit être dotée d'un capital et nous devons rechercher des mécènes. Une mutualisation est-elle possible avec la Cité des outre-mer pour les ressources documentaires, l'organisation d'événements ? Faut-il que la capitale se dote d'un mémorial ? Ces questions devront être tranchées par les autorités compétentes et il nous appartient de formuler des propositions. Nous en sommes donc à l'étape où le projet s'affine et la recherche de financements va démarrer.

Photo de Michel Magras

Je constate que la région est particulièrement impliquée sur ces questions. J'ai noté la manière dont la continuité territoriale a pu être optimisée pour bénéficier aux sportifs et souhaiterais connaître le coût d'une telle mesure.

J'ajouterai que le rattrapage en termes d'infrastructures sportives est une problématique transversale auxquels tous les territoires d'outre-mer sont confrontés.

Photo de Vivette Lopez

Monsieur le Premier ministre, nous ne pouvons occulter cette triste période de notre histoire. Dernièrement, dans les Yvelines, nous avons appris qu'une jeune femme était tenue en esclavage par un couple. OEuvrez-vous également à faire cesser les formes d'esclavage moderne ?

Philippe Potin, vice-président du conseil départemental en charge du sport

Comme vice-président, je viens de recevoir la délégation au sport car je m'intéresse depuis longtemps à ce secteur d'activité.

Pour la jeunesse des outre-mer, et pour tous les jeunes de France, le sport peut être appréhendé sous plusieurs angles, de la simple sensibilisation des plus jeunes via l'éducation physique et sportive à l'accès de l'élite à la pratique de haut niveau, aux podiums mondiaux, à la professionnalisation.

La politique sportive de La Réunion se veut, depuis longtemps, présente pour épauler les acteurs du sport. Nous accompagnons les clubs (plusieurs centaines chaque année, dans toutes les disciplines) et les ligues (environ 80) ; nous finançons les pôles de haut niveau, nous mettons en oeuvre un dispositif volontariste d'aides aux sportifs de haut niveau, nous sommes particulièrement attentifs à l'insertion via le sport des personnes porteuses de handicap et, bientôt, nous nous engagerons dans la définition d'un schéma pour les sports de pleine nature.

Sous ma responsabilité, les grandes lignes de cette politique vont être reconduites mais, comme l'a rappelé ma collègue, avec ce souci de mieux harmoniser les interventions publiques et celui de croiser la politique sportive avec d'autres actions publiques.

Car nous sommes convaincus que l'enjeu d'une politique sportive en direction des jeunes dépasse les notions de loisir, de compétition et de performance. Il s'agit d'un véritable enjeu identitaire car chacun sait combien une population est fière et se reconnaît dans ses champions.

Jean-Marc Ayrault, président de la mission de la mémoire de l'esclavage, des traites et de leurs abolitions

Madame la sénatrice, vous avez raison de mentionner ces terribles réalités, heureusement marginales en France. Les discriminations liées aux différences, à la couleur de peau, sont en revanche des réalités qu'il nous faut combattre pour être en cohérence avec les valeurs de la République, fondée sur l'égalité entre les citoyens.

La fondation a aussi pour vocation de mobiliser les consciences pour lutter contre l'esclavage aujourd'hui. La France n'a pas la prétention de régler cette question, mais peut apporter sa contribution. C'est pourquoi j'ai mentionné les Nations unies, qui ont une connaissance précise de cette réalité à l'échelle mondiale.

Béatrice Sigismeau, adjointe au maire de Saint-Pierre, déléguée à la politique sportive

En liminaire de cet entretien, je voudrais insister sur quelques points concernant La Réunion. D'abord, les jeunes Réunionnais sont passionnés de sport et les institutions, à tous les niveaux, se sont engagées depuis la départementalisation à offrir à la population de bonnes conditions pour la pratique sportive. Ces efforts ont concerné les équipements, la formation et l'encadrement, l'accompagnement de la pratique de base, la promotion du sport de haut niveau, le soutien à des manifestations d'envergure nationale.

Cependant, ma connaissance personnelle du monde associatif et sportif, ainsi que mon expérience d'élue chargée de la politique sportive au niveau communal dans la deuxième plus grande commune de l'île puis au niveau supra-communal m'amènent aujourd'hui à partager avec vous deux observations.

D'une part, il est important que l'effort des pouvoirs publics soit maintenu, voire amplifié, tout en tenant compte des singularités de notre territoire que sont la jeunesse de la population (plus de 30 % des habitants ont moins de 25 ans), les contraintes liées à l'insularité (besoins de mobilité et coût des transports) et la diversification des pratiques du sport (explosion du sport au féminin, des sports de pleine nature, du sport loisir). Ces contraintes ne peuvent pas être supportées pas un seul acteur, chacun doit assumer une part de responsabilité.

D'autre part, si la politique sportive a ses propres objectifs et principes directeurs, elle ne doit pas pour autant se développer en « vase clos », dans l'ignorance des autres politiques publiques. Le projet de mandature du conseil départemental a pour ambition de décloisonner l'action publique en faisant dialoguer la politique du sport avec les politiques de l'éducation, de la santé, de l'insertion, de l'aménagement ou encore de l'environnement.

Photo de Gisèle Jourda

Je voudrais aborder la question de la traite humaine, des réseaux qui se mettent en place en Libye. On a pu voir des images évoquant la période sombre de l'esclavage. La mémoire doit servir à éviter les drames présents, à lutter contre ces filières sans foi ni loi. Nous assistons à une montée de la xénophobie. La lutte contre certaines menaces internationales nous fait oublier notre part d'humanité. Nous ne voulons plus voir ces résurgences aujourd'hui : le passé, mais comme force de devenir !

Photo de Michel Magras

Je vous remercie. Vous avez su saisir les enjeux de la politique sportive en insistant sur le sport comme facteur d'intégration sociale qui est, à mon sens, une dimension essentielle.

Jean-Marc Ayrault, président de la mission de la mémoire de l'esclavage, des traites et de leurs abolitions

Vous avez raison, notre travail n'aurait pas de sens s'il était uniquement tourné vers le passé. Ce passé nous mobilise, mais le défi est de continuer à lutter contre toutes formes d'esclavage. Les images que vous évoquez, d'une violence incroyable, ont provoqué énormément de réactions à travers le monde. Elles posent aussi la question des flux migratoires, du développement, de l'existence de zones qui sont de véritables chaos, en Libye notamment, en attente de solutions pacifiques à des problèmes politiques.

La fondation n'a pas la prétention de prendre en charge la totalité des questions. Par contre, nous pouvons être une force d'interpellation et n'occulter aucune interrogation.

Photo de Viviane Malet

Bonjour à tous, je suis heureuse de vous retrouver ce matin et vous remercie de vous prêter à cette audition.

Je partage votre constat concernant le retard en termes d'équipements sportifs et les problèmes d'entretien. Nous avons d'ailleurs interpellé la ministre des sports sur cette question la semaine dernière, qui nous a confirmé que des crédits avaient été supprimés.

Lors de son déplacement aux Antilles le 1er novembre dernier, le Premier ministre avait annoncé qu'une enveloppe de 7 à 12 millions d'euros serait allouée dans le cadre d'un appel à projets relatif aux équipements sportifs de proximité innovants. Ce dispositif, particulièrement utile en outre-mer, s'adressait aux collectivités, et notamment aux conseils départementaux et régionaux. La Réunion a-t-elle participé à cet appel à projets ?

Photo de Victorin Lurel

Monsieur le président, j'aimerais commencer par rendre hommage au Premier ministre Jean-Marc Ayrault, pour avoir eu le courage, voilà plus de dix-huit ans, de consacrer de l'argent, du temps et beaucoup d'énergie à créer le Mémorial de l'abolition de l'esclavage à Nantes, qui nous a inspirés.

Je vous félicite d'avoir accepté de porter cette mission en vue de la création d'une Fondation pour la mémoire de l'esclavage, des traites et de leurs abolitions. Ce n'est pas une tâche facile, face à l'impensé racial, historique, en terre hexagonale, d'où la difficulté de faire émerger des idées et des actions.

Après les missions confiées par Jacques Chirac à Maryse Condé et à Édouard Glissant, le nouveau président de la République, Nicolas Sarkozy, ne voulait pas sombrer dans la repentance et nous avons eu du mal à le faire venir à la cérémonie organisée le 10 mai dans le jardin du Luxembourg. Je ne dis pas cela pour ouvrir une polémique, mais pour montrer la difficulté, pour ceux qui incarnent les institutions, de donner des instructions.

Nous avons repris l'idée, portée partout dans les outre-mer, en rassemblant toutes les obédiences et le Mémorial ACTe a été inauguré le 10 mai 2015.

Je voudrais par ailleurs évoquer la loi du 27 janvier 2017 relative à l'égalité et à la citoyenneté, dans laquelle ont été abrogées des dispositions qui restaient vivantes dans le corpus juridique français : l'ordonnance du 17 avril 1825 demandant 150 millions de francs-or à Haïti, et les lois d'avril et de novembre 1849 visant à indemniser les colons !

Lorsque je parle à la tribune du Sénat, moi, descendant d'esclave, je suis sous l'ombre tutélaire de Colbert, qui a commis l'ignominieux Code noir. La réconciliation - la réparation, c'est une autre chose - est au fondement du Mémorial ACTe, mais malgré de belles histoires communes, vos héros sont nos bourreaux. C'est pourquoi votre action est courageuse et vous serez confronté à des résistances comme peut l'être la Cité des outre-mer. Il faudra en outre tenir compte de la concurrence entre plusieurs projets qui, je l'espère, ne sera pas frontale et en viendra à une synergie. Des intellectuels s'inquiètent en effet d'un moindre rayonnement du Mémorial ACTe.

Vous êtes donc très courageux de porter cette question essentielle pour pacifier les esprits, pour se réconcilier avec l'histoire partagée qui est la nôtre.

Béatrice Sigismeau, adjointe au maire de Saint-Pierre, déléguée à la politique sportive

La région et le département ont été associés à une réunion sur le rattrapage à partir d'une étude menée et orientée par la préfecture sur les différentes collectivités pour identifier les besoins en termes d'infrastructures. Cette étude a mis en lumière un retard important sur le territoire de l'EPCI CIVIS (établissement public de coopération, communauté intercommunale des villes solidaires) dans ce domaine. Plusieurs projets ont été retenus au moment où les premiers crédits ont été débloqués, mais aucun ne concernait l'EPCI CIVIS. J'ai donc cherché à savoir pourquoi les projets présentés ne répondaient pas aux besoins prioritaires sur le terrain. On m'a expliqué que le rattrapage se ferait à l'horizon de 5 ans, mais à l'heure actuelle, les discussions sur les projets sportifs portés par nos collectivités sont au point mort. Le département souhaite que cette étude ne reste pas lettre morte et que des actions puissent être mises en place dès à présent pour répondre aux situations les plus urgentes.

J'ajouterai que le département travaille à l'équipement des Hauts de l'île, où le manque d'infrastructures est particulièrement criant. Le transport est extrêmement problématique dans cette zone isolée. Or, si nous voulons donner à toute la population l'opportunité d'accéder à la pratique sportive, voire au haut niveau, nous devons développer les infrastructures dans cette zone.

Pour conclure, je profite de cette occasion pour vous signaler que les crédits alloués au rattrapage n'ont toujours pas été versés. À titre d'exemple, La Réunion accueille tous les ans l'une des étapes du championnat de France d'escalade. Or, le manque de moyens pénalise des jeunes pratiquant l'escalade à un haut niveau et qui pourraient participer aux Jeux olympiques.

Photo de Michel Magras

Nous apprécions tous la rigueur de l'intervention du ministre Lurel. La clarté et la pertinence de son propos traduisent la passion...

Photo de Gisèle Jourda

Je vous remercie pour cet exposé qui m'a permis d'appréhender les problématiques de La Réunion de manière plus précise.

Ma question porte sur les équipements sportifs internes aux collèges et aux lycées. Combien de collèges y a-t-il à La Réunion, et quel type d'installations sportives y trouve-t-on ?

J'ai compris les deux grands axes de votre politique sportive qui consistent à créer un pôle d'excellence et à développer la mobilité des sportifs dans l'océan Indien, mais je souhaiterais en savoir davantage sur votre projet sportif à destination des établissements scolaires.

Photo de Victorin Lurel

Passion maîtrisée : il y a la raison derrière.

Yolaine Costes, vice-présidente du conseil régional en charge des sports

En ce qui concerne nos 48 lycées, les plus anciens abritent en leur sein des installations sportives. Dans ce cas, la gestion de ces ressources incombe aux proviseurs. Il ne s'agit que de 8 lycées, car la démographie galopante a accéléré la construction de nouveaux établissements au cours des dernières années. La majorité des infrastructures est donc accessible sans passer par l'établissement. Celles-ci sont mises à disposition des communes qui gèrent le planning d'utilisation de leurs clubs. Nous avons ouvert certains équipements enclavés dans les lycées afin de les rentabiliser au maximum sans perturber la vie du lycée ou faire porter cette responsabilité au proviseur. La région passe des conventions avec les mairies pour que les clubs puissent utiliser ces infrastructures tout en respectant les temps d'usage des lycées. Notre activité consiste donc à réguler ces différentes activités, et la surexploitation des gymnases et des plateaux sportifs complique notre tâche.

Photo de Michel Magras

et l'engagement qui ont toujours été les siens sur le sujet.

Béatrice Sigismeau, adjointe au maire de Saint-Pierre, déléguée à la politique sportive

Le département gère 80 collèges, dont la majorité est dotée de gymnases ou de structures sportives. Comme la région, nous avons recours au conventionnement avec les communes. Ainsi, en dehors des horaires scolaires, les associations et la population peuvent s'approprier ces structures.

Toutefois, le niveau d'infrastructures actuel empêche de répondre à nos besoins dans certaines zones. Les piscines dont nous disposons actuellement, par exemple, ne permettent pas de satisfaire les demandes dans le cadre scolaire, du primaire à l'université. Au-delà de l'investissement, dont nous manquons cruellement, les coûts de fonctionnement des équipements posent également problème. Aujourd'hui, cet effort financier est totalement porté par les communes alors que ces piscines sont utilisées à la fois par les écoles primaires, les collèges, les lycées et l'université. Il est donc urgent que l'État prenne conscience des difficultés causées par la diminution de la dotation globale de fonctionnement.

Jean-Marc Ayrault, président de la mission de la mémoire de l'esclavage, des traites et de leurs abolitions

Nous avons beaucoup travaillé avec Victorin Lurel au gouvernement. Le projet qu'il a mené est considérable. Il a suscité énormément de débats, y compris en Guadeloupe. C'est un acte fort. Dans la perspective de mise en mouvement des initiatives existantes, nous avons déjà eu une discussion fort intéressante avec Jacques Martial, qui dirige le Mémorial ACTe, au conseil d'orientation du GIP. Nous voulons amplifier son rôle par notre action.

Comme Victorin Lurel l'a souligné, rien n'est simple. Il n'y aura pas spontanément de consensus, mais il ne faut pas avoir peur des dissensions. Les problèmes enfouis finissent par ressurgir, et souvent par la mauvaise porte du règlement de comptes, du communautarisme... Je ne veux surtout pas agir dans une sorte de concurrence des mémoires ; c'est le danger qui guette nos sociétés fragmentées. Notre objectif est justement de rassembler sur une base de vérité et de justice, tout en se projetant dans l'avenir : que veut-on construire ensemble à partir de cet héritage à la fois tragique et libérateur ? Dans cet héritage, il y a notre bien commun que sont la culture, la musique, les arts plastiques, le spectacle vivant, le paysage, l'architecture, le mode de vie, la créolisation. Il faut donc revendiquer cet héritage, en faire une force, un facteur de dépassement, pour reprendre le mot d'Édouard Glissant.

Photo de Lana Tetuanui

Merci pour cette belle présentation. Les problèmes que vous venez de décrire sont exactement les mêmes que ceux qui se posent en Polynésie française. Nous sommes loin de tout, et j'ai le sentiment que les crédits de rattrapage se perdent au cours des vingt heures de vol qui nous séparent de l'hexagone. Les élus locaux sont contraints de réclamer à Paris ce que le Gouvernement est venu promettre dans leurs collectivités.

Les sportifs réunionnais souhaitant accéder au haut niveau bénéficient-ils des bourses d'État ? Par ailleurs, quelles relations vos ligues, fédérations et comités entretiennent-ils avec les fédérations nationales ?

Jacques Martial, président du Mémorial ACTe

Je voudrais tout d'abord convier les sénateurs de la délégation à venir découvrir le Mémorial ACTe pour en comprendre l'importance, la portée et l'ambition pour la Guadeloupe, la Caraïbe, les outre-mer et sans doute pour la France. Ce lieu renouvelle la position de notre pays dans le discours international lié aux libertés et aux conséquences de l'esclavage, et sans doute une manière de repenser les mondes noirs dans le monde et dans la Nation.

À ce titre, je remercie Monsieur le Premier ministre du travail qui est réalisé et auquel j'essaie de participer au sein du conseil d'orientation du GIP. Le Mémorial ACTe se tient à la disposition de la République française pour mener un travail national et international sur ces questions. L'outil existe aujourd'hui et il est de notre devoir de nous en servir pour interpeller au plus haut niveau sur les graves questions soulevées par les esclavages modernes.

Béatrice Sigismeau, adjointe au maire de Saint-Pierre, déléguée à la politique sportive

Je me permets de répondre à cette question car le parcours de haut niveau est largement porté par le département. En effet, nous intervenons via des aides aux structures à destination des 9 pôles espoirs mais aussi via des aides individuelles à la mobilité et un système de récompense des performances. Sur l'année 2017, 200 sportifs ont bénéficié de bourses pour un montant compris entre 150 000 et 180 000 euros. Le département subventionne également le CROS placé sous l'autorité de la région ainsi que 48 ligues qui portent des projets avec les clubs. L'Office réunionnais des échanges sportifs et socio-éducatifs (ORESSE) bénéficie également de notre soutien dans sa mission d'accompagnement des ligues et des clubs lors de leurs déplacements pour des compétitions nationales.

Le département est donc particulièrement impliqué dans l'accompagnement des sportifs de haut niveau. Nous souhaiterions en retour que l'État identifie une ligne de crédits dans le budget des fédérations permettant la prise en charge, depuis La Réunion, d'un billet d'avion pour les sportifs de haut niveau appelés à jouer en équipe nationale.

Photo de Michel Magras

Notre délégation se déplace dans les outre-mer par petits groupes et nous essayerons de programmer une visite au Mémorial ACTe.

Monsieur le Premier ministre, je souhaite vous poser une question pratique sur le calendrier de mise en place de la fondation.

Jean-Marc Ayrault, président de la mission de la mémoire de l'esclavage, des traites et de leurs abolitions

Le GIP cessera d'exister à la fin de l'année et la fondation, qui intégrera également le Comité national pour la mémoire et l'histoire de l'esclavage (CNMHE), prendra le relais le 1er janvier 2019.

Photo de Michel Magras

Un point de clarification : disposez-vous d'une enveloppe FEBESC (Fonds d'échange à but éducatif, culturel ou sportif) ? Ce fonds, aujourd'hui remis en question, a longtemps servi à financer ce genre de déplacements, même si les montants alloués étaient faibles.

Angèle Louviers, directrice du Comité national pour la mémoire et l'histoire de l'esclavage

En tant que directrice du Comité national pour la mémoire et l'histoire de l'esclavage, le CNMHE, je suis évidemment très intéressée par ce débat.

Monsieur le Premier ministre, je tiens tout d'abord à vous féliciter d'avoir accepté de vous occuper de cette question et de la prendre à bras-le-corps. À l'époque, nous avions tous suivi avec intérêt et ardeur l'initiative que vous aviez prise d'engager une action similaire depuis votre mairie de Nantes.

Je suis d'autant plus intéressée par le sujet que le CNMHE s'était exprimé, dans son rapport de 2016, en faveur de la mise en place d'une fondation pour la mémoire de l'esclavage, de la traite et de leurs abolitions. Nous sommes aujourd'hui très heureux que celle-ci voie le jour.

J'ai néanmoins quelques inquiétudes. Le rapport de préfiguration de la fondation, remis en mars 2017 par M. Lionel Zinsou au Premier ministre, comportait une recommandation préconisant l'intégration des personnels et des moyens du CNMHE dans la future fondation. Notre comité ne dispose pourtant que d'un budget de 45 000 euros pour l'exercice de l'ensemble de ses missions : l'attribution d'un prix de thèse, l'organisation des commémorations nationales du 10 et du 23 mai, de rencontres citoyennes et de rencontres avec les associations.

Comment le comité pourrait-il continuer avec de tels moyens et avec un secrétariat uniquement composé de deux personnes, moi-même, qui suis directrice de la programmation et de l'animation du comité, et une chargée de mission qui est absente depuis plusieurs mois ? En réalité, le CNMHE fonctionne sans secrétariat, sans petites mains et sans argent depuis quatre ans !

Si j'évoque la situation du comité devant vous, monsieur Ayrault, c'est parce que j'ai reçu, le 21 décembre dernier, un courrier du ministère de l'intérieur m'annonçant que mon contrat de travail, qui devait prendre fin le 18 février prochain, ne serait pas reconduit. J'ai appris à cette occasion que le GIP avait refusé de m'engager, alors même qu'on lui avait suggéré de le faire.

N'y voyez-vous pas une contradiction avec les recommandations du rapport Zinsou auxquelles je m'étais fiée ? Ne pourriez-vous pas lever cette contradiction et reconsidérer rapidement la décision prise par le GIP ? En effet, alors que le CNMHE est en souffrance, sans direction ni moyens, trois échéances importantes se dessinent : la commémoration du 170e anniversaire de l'adoption du décret d'abolition de l'esclavage le 27 avril prochain, l'organisation des commémorations du 10 et du 23 mai.

Béatrice Sigismeau, adjointe au maire de Saint-Pierre, déléguée à la politique sportive

L'enveloppe FEBESC est de 60 000 euros, ce qui est loin de permettre de répondre à nos besoins. Compte tenu de notre insularité, l'État devrait être plus présent au côté des collectivités pour favoriser les mobilités car les rencontres sportives nationales et internationales permettent aux jeunes de se préparer aux grandes échéances.

Jean-Marc Ayrault, président de la mission de la mémoire de l'esclavage, des traites et de leurs abolitions

Aujourd'hui, le GIP dispose de peu de ressources. J'ai peut-être un peu exagéré tout à l'heure : vous semblez dire que le budget du CNMHE ne s'élève pas à 30 000 euros, comme je l'ai dit un peu vite, mais plutôt à 45 000 euros. En tout cas, ce budget est très faible.

Pour répondre à votre question, le GIP ne recrute pas aujourd'hui. Il bénéficie seulement de personnels mis à disposition par différents ministères. En revanche, la fondation une fois créée devra disposer d'une équipe un peu plus étoffée. Je ne sais pas quelle sera la taille de cette équipe, cela dépendra évidemment des moyens que l'on sera en mesure de mobiliser. La fondation se lancera prochainement dans la recherche de financements, publics et surtout privés via le mécénat. La fondation devra ensuite se doter d'un budget de fonctionnement. C'est seulement à ce moment-là que la question de l'organigramme se posera. Aujourd'hui, madame Louviers, je ne dispose pas des moyens de recruter.

Thierry Martineau, conseiller municipal de Saint-Paul, délégué aux sports

La ville de Saint-Paul se trouve sur le bassin ouest de La Réunion et compte environ 110 000 habitants. Il s'agit d'une commune très éclatée.

J'aimerais commencer par vous donner quelques chiffres. La municipalité gère 249 équipements sportifs répartis sur 47 sites sportifs. 55 de ces équipements sont ouverts de 7 heures à 22 heures du lundi au dimanche. 124 personnes y travaillent pour un budget total de 1,844 million d'euros, dont 1,222 million d'euros en investissement et 621 000 euros en frais de fonctionnement. Ces montants n'incluent toutefois pas la réhabilitation ni la construction d'équipements sportifs inscrits sur le budget du pôle technique. Ces sites enregistrent 1,7 million de passages à l'année dont 350 000 entrées de scolaires, 920 000 pour les usagers venant s'entraîner et 130 000 pour les participants aux compétitions. Les piscines sont fréquentées près de 289 000 fois par an.

Nous accompagnons à l'année 280 manifestations sportives avec 450 planifications en moyenne par mois pour les compétitions et les stages. 50 créneaux horaires de deux heures par jour sont attribués aux scolaires et 180 créneaux horaires d'une heure et demie aux associations sportives.

En termes d'animation, les enfants sont concernés par des dispositifs comme le savoir nager, la voile et le kayak scolaire. Deux écoles municipales sont multi-activités les mercredis. En outre, 3 dispositifs « bougé O» sont mis en place sur la commune : « bougé O féminin », « bougé O seniors », « bougé O employés » et deux championnats loisirs, en football et en handball, sont organisés.

La ville soutient par des subventions à hauteur de 1 million d'euros 253 associations sportives pour 30 000 licenciés dans 60 disciplines sportives. Ces chiffres sont en progression constante alors que le budget alloué aux associations est en baisse du fait de la diminution de la dotation de l'État. Malheureusement, les maires n'ont pas d'autre choix que d'amputer les fonds de soutien aux manifestations sportives et culturelles. Je dénonce cette situation qui fragilise progressivement notre tissu associatif.

J'en viens aux grands axes de la politique sportive de Saint-Paul. En sport et éducation, des éducateurs de la ville interviennent dans le temps scolaire et en centres de loisirs dans le cadre d'un projet éducatif et social à destination des enfants Saint-Paulois, soit 14 000 élèves répartis dans 68 écoles.

En matière de sport et santé, un bus « Santé mouv », piloté par la direction de la proximité et de la cohésion sociale (DPCS), ainsi que le dispositif « Sport santé sur ordonnance », dont 1 000 personnes bénéficient, ont été déployés sur la ville.

En ce qui concerne la communication, enfin, la commune de Saint-Paul met l'accent sur l'utilisation des nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC). En effet, au vu du taux de chômage élevé, le sport et ses métiers peuvent offrir des perspectives d'emploi. D'autre part, il est essentiel d'intégrer les NTIC dans les stratégies touristiques sportives.

Cela me permet d'aborder la question du tourisme sportif que nous développons en partenariat avec notre tissu associatif local. Ainsi, la création d'une « commission communale des espaces sites et itinéraires » (C.C.E.S.I) a été votée en conseil municipal. Nous souhaitons identifier et développer ces sentiers pour les rendre accessibles au plus grand nombre.

Or, il est nécessaire de développer une stratégie financière solide pour mener à bien tous ces projets et consolider la mise en oeuvre des projets associatifs locaux en lien avec les orientations de la ville et des fédérations. Pour cela, la commune doit trouver de nouveaux leviers de ressources en adéquation avec les enjeux locaux. À Saint-Paul, nous sommes particulièrement démunis en ce qui concerne l'aide aux déplacements pour les sportifs de haut niveau. La ville a mandaté l'office municipal des sports (OMS) pour gérer les sollicitations de ces sportifs, mais les montants alloués ne permettent de couvrir qu'une infime partie des dépenses engagées. Je ne trouve pas normal que la ville prenne en charge les déplacements de sportifs invités par les fédérations. Si les fédérations prennent effectivement en charge l'hébergement en métropole, le poste principal de dépense demeure les billets d'avion La Réunion-Paris qui coûtent entre 800 et 1 000 euros, sans compter les frais annexes.

Concernant la mémoire du sport, la ville collecte et archive des documents relatant l'histoire de la pratique sportive à Saint-Paul au moyen, encore une fois, des NTIC.

En outre, la commune est en mesure de proposer aux personnes en situation de handicap, à des fins d'intégration, des activités physiques et sportives adaptées au sein d'équipements aux normes. L'accent est également mis sur la formation des éducateurs aux handisports et aux sports adaptés.

Enfin, le sport loisir constitue le dernier axe de notre politique sportive. Dans cette optique, la ville met des infrastructures à disposition du public désireux de pratiquer une activité physique non encadrée. Cette initiative, en dehors du monde associatif sportif, est portée en partenariat avec l'aménagement du territoire et nos conseils locaux de développement des quartiers.

Pour conclure, Mme Costes a évoqué plus tôt les problématiques liées aux plateaux noirs. À Saint-Paul, nous disposons de deux préaux et encourageons la construction de nouvelles infrastructures de ce type. J'en profite donc pour remercier la région qui, dans le cadre du plan de relance régional (PRR), a versé à la ville des subventions permettant de financer 70 % du projet. Sans le soutien de la région, les communes n'ont pas les moyens de mener ce genre d'investissements.

Photo de Michel Magras

Le statut de fondation ouvre toutes les portes en matière de financements et d'aura. Cette démarche ne peut être que positive.

Monsieur le Premier ministre, notre Délégation sénatoriale aux outre-mer accueille sans réserve la démarche qui est la vôtre, démarche que l'on sait loin d'être facile, mais ô combien fondamentale.

En tant que délégation, notre mission est d'informer - pas seulement le Sénat - sur les réalités qui sont les nôtres en outre-mer et de formuler des préconisations et des propositions pour faire avancer la situation de nos territoires. Notre mode de fonctionnement nous conduit à établir des rapports d'information, mais aussi à organiser des événements, y compris des événements mémoriels.

Monsieur le Premier ministre, sachez que nous resterons à votre écoute et à votre disposition si une manifestation destinée à évoquer et à faire avancer les missions qui vous ont été confiées devait être organisée ici-même. Ce que je vous propose en tant que président de la délégation est conforme à une pratique déjà ancienne, puisque le président du Mémorial ACTe avait participé en son temps à un événement que nous avions organisé.

Photo de Gisèle Jourda

Quel est le coût de construction d'un plateau noir ?

Jean-Marc Ayrault, président de la mission de la mémoire de l'esclavage, des traites et de leurs abolitions

Je vous remercie, monsieur le président.

Thierry Martineau, conseiller municipal de Saint-Paul, délégué aux sports

L'installation d'un plateau noir coûte 1,2 million d'euros. Madame la sénatrice, votre question est particulièrement pertinente car les coûts de cette opération sont deux fois plus élevés à La Réunion qu'en métropole.

Pour en revenir aux propos de Mme Costes, le climat de La Réunion nous impose effectivement de mettre des voiles d'ombrage sur nos sites. Si les préaux scolaires sont conformes aux normes de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), ce n'est pas le cas des sites sportifs qui ne sont pas couverts et sur lesquels les enfants passent plusieurs heures par semaine. Cette situation soulève de vrais enjeux sanitaires, notamment en ce qui concerne le développement des mélanomes.

Aujourd'hui, compte tenu de la géographie particulière de Saint-Paul, les habitants n'ont plus les moyens d'aller vers le sport. Il faut donc que le sport vienne à eux. Dans cette optique, la ville a créé le plan animation occupationnel des sports (PAOS). Une cellule d'animation est prévue pour apporter le sport dans les zones les plus reculés. De même, les activités de pleine nature comme le street workout sont en plein développement pour élargir l'offre sportive au-delà des salles de musculation.

Enfin, dans la continuité des labels « Pavillon bleu d'Europe », « Ville santé OMS » et « Ville d'art et d'histoire », la commune de Saint-Paul s'est récemment vu attribuer le label « Ville active et sportive ». Saint-Paul fait partie des communes labellisées de niveau 3, qui représente le niveau d'excellence. Il s'agit de la première commune d'outre-mer à décrocher cette distinction. Celle-ci récompense les efforts portés par le maire et ses équipes, et nous en sommes très fiers.

Je vais maintenant vous laisser car je me rends aujourd'hui même à Toulouse pour la remise de cette distinction.

Photo de Victorin Lurel

Même si le point que je soulève n'entre pas dans les missions de la future fondation, monsieur le Premier ministre, je voudrais attirer votre attention sur le lien qui existe entre l'esclavage et les discriminations subies aujourd'hui par certaines catégories de Français.

L'esclavage moderne existe toujours et concernerait plus de 30 millions de personnes dans le monde aujourd'hui. En revanche, on ne parle pas suffisamment des discriminations observées ici même, en France !

Hier, la Commission nationale consultative des droits de l'homme, la CNCDH, a livré ses statistiques annuelles sur les actes racistes en France. Or ces statistiques recensent bien les actes antisémites, les actes anti-musulmans, les actes anti-roms, mais pas les actes anti-noirs ou les actes subis par les afro-descendants. C'est un peu curieux !

Dans le cadre des débats sur la loi « Égalité et Citoyenneté », nous avions pourtant demandé que ces discriminations aient leur place dans les statistiques de la CNCDH. À cette même occasion, j'avais déposé un amendement pour que le Gouvernement remette un rapport relatif à l'abrogation de l'article 5 du décret Schoelcher - lequel précise que l'Assemblée nationale octroie une quotité de l'indemnité accordée aux colons par suite de l'abolition de l'esclavage - puisque, par sa nature, ce texte n'était pas abrogeable par voie parlementaire.

J'avais également défendu un amendement tendant à donner les moyens aux associations d'ester en justice en cas d'actes de discrimination ou d'actes racistes. En revanche, nous avions échoué à donner force normative à la loi Taubira, notamment en ce qui concerne l'apologie de l'esclavage. Aujourd'hui encore, les juridictions estiment que la loi Taubira n'est qu'une loi mémorielle et déboutent systématiquement les associations qui l'invoquent, s'appuyant en cela sur la jurisprudence de la Cour de cassation. En France, on punit les actes antisémites, mais on ne sanctionne pas les autres actes revêtant une portée discriminatoire. On peut donc dire ce que l'on veut à propos de l'esclavage sans craindre d'être sanctionné !

Même si ce n'est pas le rôle de la future fondation, je le répète, il existe un lien entre esclavage et discriminations, qui légitime notre combat. Il ne devrait plus y avoir de citoyens de seconde zone. C'est pourquoi certaines avancées sont encore nécessaires sur le plan législatif.

Photo de Michel Magras

Le Sénat, à travers sa délégation aux outre-mer, vous adresse ses sincères félicitations.

Je constate que les élus de La Réunion partagent cette volonté de se prendre en main sans attendre nécessairement que les responsables politiques nationaux viennent à eux. Je salue cet état d'esprit. Je comprends par ailleurs vos réclamations vis-à-vis de la baisse de dotation de l'État, mais je pense, malheureusement, que la situation financière nationale ne laisse présager aucune amélioration.

S'agissant des fédérations, je crois que leurs dotations, surtout en outre-mer, demeurent largement insuffisantes pour répondre aux besoins.

Photo de Maurice Antiste

Monsieur le Premier ministre, j'admire votre travail pour la reconnaissance et l'abolition des esclavages. Vous n'étiez pas obligé de vous impliquer sur ce dossier, ce qui montre qu'il existe en vous une force et de solides convictions.

Selon vous, quelles sont les actions concrètes à engager pour inciter la France à reconnaître des pages de son histoire qui restent jusqu'ici discrètement évoquées ? Je pense aux livres d'histoire ou aux anecdotes racontées aux enfants. J'ai le sentiment que ces pages d'histoire sont passées sous silence par pudeur. Les abolitions ne seront véritablement achevées que lorsque ces pages d'histoire seront vraiment assumées par notre pays. Qu'en pensez-vous ? Estimez-vous qu'il revient à une fondation comme celle que allez présider de pousser à cette reconnaissance ?

Yolaine Costes, vice-présidente du conseil régional en charge des sports

J'entends ce que vous dites, Monsieur le président, mais je considère qu'il ne faut pas se focaliser uniquement sur le montant de l'enveloppe. Il convient de réfléchir à la meilleure manière d'utiliser ces fonds ; à mon sens, c'est la clef pour répondre aux vrais besoins sur le terrain. À titre d'exemple, si, dans le cadre des subventions du Centre national pour le développement du sport (CNDS), le préfinancement de l'État s'élève à 5 % et que le montant global de l'aide ne peut pas excéder 30% du coût d'un projet, il devient impossible pour les communes, compte tenu de la baisse de dotation, d'utiliser ces aides. Un dispositif qui ne propose pas des conditions d'attribution réalistes est inutile. C'est la raison pour laquelle la région participe au cofinancement de ces projets via le plan de relance des communes.

Jean-Marc Ayrault, président de la mission de la mémoire de l'esclavage, des traites et de leurs abolitions

Cela fait en effet partie des missions que la fondation s'efforcera d'exercer.

La Fondation pour la mémoire de l'esclavage, des traites et de leurs abolitions devra conduire de nouvelles actions de communication et offrir le meilleur accès possible aux informations sur les esclavages, étant entendu que cela nécessitera l'utilisation des nouveaux médias.

Elle aura également pour objectif de concevoir des actions pédagogiques innovantes. Je vais prochainement rencontrer le ministre de l'Éducation nationale pour parler des programmes scolaires. Quelques initiatives existent aujourd'hui dans les écoles, comme l'organisation chaque année d'un concours lors des cérémonies du 10 mai, mais nous souhaiterions amplifier le mouvement. Nous voudrions organiser et financer un certain nombre de voyages éducatifs, animer le réseau des institutions culturelles et patrimoniales consacrées à cette mémoire, coproduire des expositions et des événements culturels et, enfin, travailler en réseau avec les outils existants, dont le Mémorial ACTe déjà évoqué.

La fondation veut changer de dimension : nous souhaitons développer une action davantage pérenne, moins cyclique, qui ne nous mobilise plus seulement sur le passé, mais aussi sur les questions contemporaines, y compris les discriminations et le racisme.

Certains intervenants ont rappelé les initiatives que j'ai prises en tant que maire. En 1985, à l'occasion du 300e anniversaire du Code noir, un collectif d'universitaires et d'associations avait émis le souhait d'organiser un événement à Nantes, lequel n'a finalement pas eu lieu, parce que la municipalité de l'époque avait refusé d'y apporter son concours par crainte de diviser la population nantaise. Élu maire, je m'étais engagé auprès d'un certain nombre d'acteurs locaux à prendre en considération la question de la mémoire de l'esclavage : ce fut un long processus, qui n'a pas divisé la ville, mais qui en a au contraire renforcé l'unité. Nous sommes assez fiers d'être parvenus à mener de telles actions à Nantes.

Ces initiatives perdurent, car l'histoire n'est pas finie : le 12 février prochain, dans le cadre des événements organisés autour de la première guerre mondiale, un concert se déroulera au théâtre de Nantes pour commémorer l'anniversaire du premier concert de jazz d'artistes noirs américains en France. Parmi les Américains entrés en France en 1917, certains ont fait découvrir aux Français une musique qu'ils ne connaissaient pas : le jazz, une musique jouée par des noirs américains qui n'avaient eux-mêmes pas le droit de se produire chez eux. À l'occasion de ce concert seront présents des descendants de ces premiers musiciens de jazz, ainsi que des représentants du musée national de l'histoire et de la culture afro-américaine de Washington. Il faut revendiquer l'importance d'un tel événement, car ce type de manifestation va bien au-delà des questions de mémoire et de culpabilisation, elle est plutôt le symbole de la construction d'un nouveau monde.

Photo de Michel Magras

J'entends votre remarque, mais les besoins en équipement et en formation sont tels que les dispositifs actuels comme le CNDS, fonction du nombre de licenciés, sont insuffisants. Je félicite donc la région et le département pour leur dynamisme et leur implication et constate que cette collaboration produit de bons résultats.

M. Thierry Martineau. - Je souhaite préciser que Saint-Paul enregistre 1,7 million de passages à l'année sur ses sites sportifs, alors que la politique sportive ne représente que 0,85 % du budget communal. Au regard de ce que peut apporter le sport dans tant d'autres domaines, je considère qu'il s'agit d'un investissement essentiel.

Je vous adresse à nouveau toutes mes félicitations. La récompense que vous vous apprêtez à recevoir est grandement méritée.

Max Pierre-Fanfan, journaliste

Je suis journaliste, réalisateur et écrivain. Il faut en effet faire parler l'histoire, parce que témoigner, c'est dérouler des fils. C'est important notamment pour nos enfants de pouvoir comprendre l'histoire qui les a formés.

Pour ce faire, il faut des moyens. Il importe également de transformer tout ce travail en nouvelles formes : il faut aider tous nos jeunes talents, nos créateurs, nos artistes, nos écrivains. Je signale à cet égard la sortie d'un ouvrage collectif intitulé Aimé Césaire, OEuvre et héritage.

Le passé n'est pas passé, il est simplement antérieur. Preuve en est l'esclavage en Libye, dont on a parlé tout à l'heure, ou les discriminations qui touchent encore nombre d'entre nous aujourd'hui.

Béatrice Sigismeau, adjointe au maire de Saint-Pierre, déléguée à la politique sportive

Avant de prendre la parole en tant qu'élue de la commune de Saint-Pierre, je souhaite répondre à la question de Mme la sénatrice Lana Tetuanui sur les relations entre les collectivités et les fédérations. Notre politique locale est corrélée à la stratégie sportive nationale, comme en témoignent les nombreuses visites de cadres techniques et de présidents de fédération (athlétisme, tennis, volley-ball, golf) à La Réunion en 2017. De même, La Réunion accueillera en 2018 l'assemblée générale de la fédération de handball. Nous serons à leurs côtés pour les accompagner. Les échanges sont donc permanents entre les élus de proximité et les acteurs du monde sportif pour construire un projet cohérent, malgré le manque de moyens.

Le sport est un instrument de cohésion sociale. Dans cette perspective, de nombreuses mesures en faveur des jeunes sportifs et de la pratique du sport ont été prises. De même, nous sommes conscients de l'impact en termes d'image du sport de haut niveau pour notre territoire. Nous développons donc des partenariats avec les collèges pour donner envie aux jeunes d'aller le plus loin possible dans cette voie. En matière d'insertion professionnelle également, le département soutient la politique volontariste des communes.

La cohésion entre les acteurs politiques locaux et les associations est essentielle. Mais nous avons également besoin que les autorités politiques au niveau national, par l'intermédiaire des sénateurs peut-être, prennent conscience que cette politique ne pourra pas être menée sans l'aide du gouvernement. Cette dimension est particulièrement importante en ce qui concerne l'insertion professionnelle de nos jeunes sportifs de haut niveau.

Pour en revenir aux communes, Saint-Pierre investit dans des structures sportives telles que des pistes de bicross ou un centre aqua-loisir afin de combler le manque de piscines. L'établissement devrait ouvrir ses portes en 2019. La ville encourage également la pratique de disciplines nouvelles comme le street workout. De même, Saint-Pierre a construit des terrains de beach-volley pour mettre en valeur ses atouts de station balnéaire en s'ouvrant à de nouvelles disciplines.

La politique sportive de la ville passe non seulement par la construction d'infrastructures mais aussi par l'accompagnement de la dynamique associative. Ainsi, les clubs de volley-ball, de handball et de football possèdent des labels de formation. Ces efforts portent leurs fruits puisque cette année, M. Yann Ménard, âgé de 17 ans, a été repéré dans le cadre des France jeunes. Il ira retrouver en métropole deux jeunes jouant au club de Paris Saint-Germain.

La ville et les autres collectivités doivent poursuivre leur travail pour impulser cette dynamique. À Saint-Pierre, la mairie travaille en collaboration avec l'Office du sport et du temps libre (OSTL) pour développer l'impact positif du sport en matière de cohésion sociale et de formation professionnelle. Mais je le répète : nous n'y arriverons pas seuls, nous avons besoin du soutien de l'État. En effet, le tissu associatif est fragilisé par la diminution des subventions aux associations qui fonctionnent grâce aux bénévoles. Ainsi, la suppression des contrats aidés impacte sérieusement ce milieu. Pour avoir écouté des présidents de ligues et de comités à ce sujet, ces structures ne savent pas comment survivre à cette réorganisation. La déstabilisation du monde associatif causée par le manque de contrats aidés laisse craindre un effet domino qui pourrait mettre à mal l'ensemble de la politique sportive.

Jean-Marc Ayrault, président de la mission de la mémoire de l'esclavage, des traites et de leurs abolitions

Je suis parfaitement d'accord avec vous !

Bertrand Lorion, directeur de l'Office des sports et du temps libre de Saint-Pierre

Mesdames, messieurs les sénateurs et les élus, je souhaite vous présenter le rôle et l'organisation de la structure que je dirige. Créé le 22 août 1977, l'Office des sports et du temps libre de Saint-Pierre est une association de concertation à l'échelle de la commune. Sa vocation est de conduire la réflexion, aux côtés de la municipalité, sur le développement de la pratique des activités physiques et sportives.

Il s'agit d'une organisation transversale, indépendante, pluraliste et ouverte composée de 130 clubs et associations dont 10 associations multidisciplinaires et 12 associations de sport scolaire. Sur l'exercice clos de 2016, le total des ressources s'élève à 2 204 508 euros et le total du bilan à 309 723 euros. Le budget prévisionnel 2018 est fixé à 2,3 millions d'euros.

L'ensemble du personnel, au 31 décembre 2017, se répartit comme suit : 77 salariés dont 27 personnes en contrat à durée indéterminée, 49 en contrat à durée déterminée dont 30 contrats uniques d'insertion et contrats d'accompagnement dans l'emploi (CUI-CAE) et un apprenti. Malheureusement, les effectifs seront appelés à diminuer en 2018.

L'OSTL favorise le développement du sport sous toutes ses formes, en fonction de la demande et dans l'intérêt du plus grand nombre. Son but est de renforcer le lien social et favoriser le bien-être physique et mental des habitants de la commune, à travers plusieurs objectifs définis en 2016 : promouvoir le sport santé et l'accessibilité des activités physiques, développer l'offre d'accueil collectif de mineurs sur les temps péri et extra-scolaires, accompagner et soutenir le milieu sportif associatif et animer le territoire en dynamisant l'action sportive locale.

Des missions supplémentaires ont été définies en lien avec la municipalité : gérer l'interface associations-municipalité, maintenir la bonne entente entre les différentes disciplines et favoriser les interactions, informer, orienter et soutenir les dirigeants des associations, développer la pratique du sport sur le territoire et promouvoir la santé par le sport. Pour cela, l'OSTL doit concevoir et mettre en oeuvre des dispositifs en partenariat avec le milieu institutionnel, associatif et de l'entreprenariat afin de répondre de manière adaptée aux besoins de la population de Saint-Pierre. Dans cette optique, cette offre est évaluée, ajustée et renouvelée régulièrement. L'enjeu est d'agir en collaboration avec les organisations concernées par ces actions pour maintenir la cohérence et la pertinence de l'offre.

Je souhaite à présent aborder plus en détails les 4 axes majeurs de développement de l'office cités plus tôt. La promotion de la santé, en premier lieu, passe par le dispositif « Saint-Pierre sport santé » qui se décline en plusieurs actions organisées chaque semaine. Le programme « vita vie », par exemple, s'adresse aux enfants et aux adolescents en surpoids. De même, le programme « santé par le sport » propose des ateliers de renforcement musculaire à destination des adultes à la santé fragile. La marche urbaine, également, est une marche collective organisée toutes les semaines pour les femmes sédentaires âgées de 40 ans et plus. L'action « sport santé sénior », propose une pratique sportive adaptée aux seniors. En termes d'animation, des ateliers de sensibilisation à la thématique sport santé sont organisés sur le temps péri et extra-scolaire. Enfin, le programme « sport santé plus obésité » est un dispositif innovant qui propose un accompagnement d'adultes en situation d'obésité en partenariat avec les clubs de la ville.

Le deuxième axe de notre action concerne le développement de l'offre d'accueil collectif de mineurs sur les temps péri et extra-scolaires dans le cadre du contrat enfance de la caisse d'allocations familiales. Nous intégrons également dans cet axe les voyages sportifs et culturels à l'étranger.

En ce qui concerne l'accompagnement aux associations partenaires de l'OSTL, l'office fournit un soutien administratif, logistique et opérationnel à la construction de projets. L'OSTL dispose de ressources informationnelles et structurelles pour le milieu associatif local. Cela se concrétise, lors de manifestations sportives, par une aide à la communication et aux secours, la mise à disposition de personnels et la sonorisation de l'événement. L'office prévoit également une aide au déplacement pour les sportifs qualifiés pour les championnats de France et les stages nationaux. Une bourse de voyage de 200 euros peut être versée aux sportifs de haut niveau, pour un budget annuel de 28 000 euros. Nous avons également mis en place un service de transports dédié aux compétitions et stages de clubs à La Réunion. De même, nous avons créé une aide à la formation pour les diplômes sportifs ou d'animation.

Enfin, la communication est au coeur de notre objectif d'animation territoriale, notamment lors des événements sportifs majeurs. Le sport est en effet envisagé comme levier de communication à l'échelle territoriale. La municipalité nous a confié la mission de couvrir des événements tels que le Grand Raid. Cette manifestation de dimension nationale, voire internationale, apparaît comme une vitrine pertinente pour notre commune. Nous déclinons cette politique en deux objectifs stratégiques : associer l'image de la ville à cette prestigieuse manifestation et promouvoir le territoire pour développer l'activité économique et touristique. Il s'agit pour l'office d'un véritable challenge. C'est également l'occasion de montrer notre capacité à gérer une couverture médiatique en même temps que l'arrivée 3 000 coureurs et 30 000 spectateurs. L'office a organisé autour de cet événement des concerts, des animations de rue et conclu des partenariats avec les restaurateurs, qui ont généré des retombées économiques pour la ville.

Si l'OSTL n'est pas compétente en matière d'équipements sportifs, il s'est cependant imposé comme un lieu de concertation, de réflexion et d'élaboration de propositions. C'est un véritable laboratoire d'observation des pratiques physiques et sportives, ce qui en fait un interlocuteur pertinent dans l'aide à la conception d'une politique sportive territoriale. Nous encourageons une utilisation rationnelle des structures existantes. Cela passe par la valorisation des poumons verts de la commune qui peuvent servir de terrain de pratique pour plusieurs disciplines.

Photo de Michel Magras

Il me reste à vous remercier pour cet échange.

Ibrahim Cadjee, directeur général adjoint du centre communal d'action sociale (CCAS) de Saint-Pierre

Comment un CCAS peut-il contribuer à la politique sportive d'un territoire ? Pour répondre à cette question, quelques éléments de contexte sont nécessaires. La ville de Saint-Pierre compte plus de 80 000 habitants. Il s'agit d'une commune dynamique qui fait toutefois face à des problématiques sociales lourdes comme un taux de chômage de 35 %, trois fois supérieur à la moyenne nationale. Chez les jeunes de moins de 25 ans, ce taux atteint 40 %. Le CCAS dispose d'un budget de 14 millions d'euros et compte 500 agents. Le coeur de notre action consiste à accompagner les personnes les plus fragiles (les personnes âgées, les handicapés...) et les familles.

Néanmoins, le CCAS souhaite apporter sa contribution à la politique sportive qui contribue à la mixité sociale des quartiers et à la promotion du vivre ensemble réunionnais. C'est un facteur important de cohésion sociale du territoire.

La contribution du CCAS à la politique sportive de la ville se décline en différentes actions qui peuvent se regrouper en deux grandes catégories. Les aides individuelles, d'abord, via des bourses à la mobilité à destination des sportifs de haut niveau ou qui présentent un potentiel intéressant. Le CCAS accorde également des missions de service civique à des jeunes sportifs qui peuvent percevoir une indemnité mensuelle leur permettant de s'équiper, de se déplacer et de préparer les compétitions. Par ailleurs, des places sont réservées aux sportifs de la ville dans les centres aérés. C'est une occasion pour eux d'être rémunérés tout en initiant les jeunes à la pratique de leur sport. En ce qui concerne le handisport, enfin, le CCAS a développé un service de transport adapté que les sportifs en situation de handicap peuvent mobiliser.

L'accompagnement collectif constitue le second levier d'action du CCAS en matière sportive. Dans cette optique, nous signons des conventions d'objectifs et de moyens avec les associations et les clubs pour permettre à leurs sportifs et à leur personnel de se déplacer. En retour, ces clubs et associations initient les 3 000 jeunes en centre aéré à un large panel de disciplines pour repérer les potentiels de demain.

Par ailleurs, le CCAS travaille sur des projets ponctuels comme le programme « Tous prêts », avec l'aide de l'État, grâce auquel quinze jeunes sportifs de condition modeste ont pu assister au Championnat d'Europe des nations de football (2016).

Debut de section - PermalienPhoto de Victorin Lurel

Mes cinq questions s'adressent au département et à la région. Au-delà de ce que met en place chaque collectivité, existe-t-il une vision globale de la politique sportive ? Y a-t-il, par exemple, un schéma directeur des équipements sportifs et un plan pluriannuel d'investissement définis pour la mandature ?

Ma deuxième question porte sur le sport populaire : développez-vous, à l'instar d'autres collectivités, des parcours santé-sport sécurisés labellisés par le plan national nutrition santé ? Cette mesure est particulièrement importante à mettre en oeuvre en outre-mer où sévit le surpoids.

En ce qui concerne la dévolution du CREPS : comment la transition s'est-elle passée ? Avec quels moyens et selon quelle programmation avec l'État ?

En outre, un rapport fait par l'inspection générale de la jeunesse et des sports, celle des finances et celle des affaires sociales a mis en lumière l'état de délabrement des équipements sportifs en outre-mer. Avez-vous tenu compte de ce rapport dans votre schéma directeur ou dans le plan pluriannuel d'investissement ? De même, comment gérez-vous la suppression, dans le budget général, des crédits du plan Kanner ainsi que ceux du CNDS ?

Enfin, certaines fédérations et ligues sportives aux Antilles demandent à obtenir un statut particulier pour permettre aux joueurs ressortissants des territoires français d'outre-mer de ne pas être pénalisés lors de la finale de la CONCACAF et de la Gold Cup, qui constituent des phases éliminatoires de la Coupe de monde. Faites-vous également face à ce genre de problèmes lors de vos échanges sportifs dans l'océan Indien ?

Debut de section - PermalienPhoto de Nassimah Dindar

Je remercie la région, le département et les communes présentes. Je vais rejoindre les lignes qui ont été énoncées en résumant les cinq problématiques de la politique sportive à La Réunion.

En premier lieu, il n'existe pas de plan régional d'équipement, même si la région participe, à la demande des communes, au financement de certains projets. Les moyens déployés par l'État, la région, le département, les communes et les intercommunalités ne sont donc pas mutualisés. La création d'un partenariat associant ces acteurs ainsi que les établissements scolaires permettrait de rationaliser la politique sportive à La Réunion. La commune de la Plaine des Palmistes, par exemple, porte un projet de construction de piscine mais la question de l'entretien de cet équipement pose problème et force le département à intervenir. La commune de Sainte-Rose ne dispose pas de ce type d'infrastructures non plus.

Outre la question des relations avec les ligues, clubs et comités se pose le problème de l'aide à la mobilité, et plus précisément des bourses aux sportifs de haut niveau et de leur accompagnement.

Le cinquième volet concerne les sports de pleine nature qui se développent à La Réunion. La commune de Saint-Paul porte un projet ambitieux en ce sens. Les fonds du plan Kanner nous seraient particulièrement utiles dans ce cadre.

Enfin, les collectivités doivent porter une attention particulière aux aides de proximité car le sport est un vecteur d'insertion important pour La Réunion.

Ma préconisation, donc, va dans le sens d'une meilleure cohérence globale au niveau régional et départemental. Je souhaite, par ailleurs, que l'État crée une ligne spécifique dédiée aux fédérations nationales ou aux outre-mer pour financer les déplacements des sportifs ultramarins sur la métropole. Je forme le voeu que la région et le département puissent aider l'ensemble des communes et des ligues à faire en sorte que les déplacements se fassent au sein du territoire et sur la zone océan Indien.

La sénatrice Viviane Malet et moi entendons formuler de manière écrite plusieurs de ces préconisations.

Debut de section - Permalien
Yolaine Costes, vice-présidente du conseil régional en charge des sports

Pour répondre aux questions du sénateur Victorin Lurel, nous faisons effectivement face aux mêmes difficultés en ce qui concerne les compétitions. Les déplacements nous posent des problèmes financiers. Pour participer à la coupe d'Afrique, par exemple, nos sportifs sont contraints de passer par la métropole pour se rendre dans les pays africains. Plusieurs fédérations comme celle de football s'y sont essayé, mais le coût financier de la participation à ces événements est trop important. Ce n'est donc plus un sujet d'actualité.

En ce qui concerne le CREPS, le transfert du personnel s'est très bien passé. Les négociations avec la trentaine de personnels ont débuté en amont et les agents ont pu choisir de conserver leur statut ou d'en changer. Sur le bâti, en revanche, la situation est catastrophique. Il pleut dans les chambres, les gymnases sont infiltrés. La région a demandé pendant plusieurs années la rénovation des structures vétustes, sans succès ; l'État s'est borné à attendre le transfert de compétence. La situation est telle que nous avons mis en place un plan sur cinq ans de réhabilitation des 3 sites dont nous sommes aujourd'hui les propriétaires. Nous sommes parvenus à obtenir du CNDS des fonds pour financer les rénovations en urgence, mais les montants ne couvrent qu'une infime partie des travaux nécessaires. Le transfert du bâti ne s'est donc pas fait dans de bonnes conditions et je considère que l'État ne s'est pas comporté correctement vis-à-vis de la région dans ce dossier.

Enfin, le sport santé fait également partie de ma délégation. Des expériences intéressantes ont été menées puisque l'une des grandes causes régionales de cette mandature est la lutte contre le diabète, très présent à La Réunion. Ainsi, le sport sur ordonnance est un dispositif pilote en France qui a été mis en place à Saint-Paul. Au-delà de la prévention, ce système présente des bénéfices thérapeutiques, y compris dans le suivi post-chirurgical. Il existe donc un accompagnement régional en la matière, qui relève des services de la santé et non des sports.

Pour conclure, la région a identifié deux aspects essentiels de la politique sportive. Je prends note des propositions de la sénatrice Nassimah Dindar en ce qui concerne la continuité territoriale qui est un sujet phare puisque, sans confrontation avec l'extérieur, nous ne pouvons pas améliorer le niveau de nos sportifs. En outre, la région considère que la création et l'entretien des installations sportives est primordiale, compte tenu de la jeunesse de la population, de l'explosion de la demande sportive et de la cohabitation nécessaire entre le sport d'excellence et le sport pour tous.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Magras

Je souhaite remercier tous les intervenants pour la qualité de leur présentation.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Magras

C'est un honneur pour nous, monsieur le Premier ministre, de vous accueillir au Sénat pour évoquer la question des mémoires et de leurs vertus salvatrices contre la fragmentation de notre société.

Comme chez d'autres puissances occidentales ayant fait de l'esclavage un levier d'expansion et d'enrichissement matériel au cours des siècles passés, ce système d'exploitation de l'homme a marqué notre histoire de profondes cicatrices. Longtemps occulté au profit d'une imagerie plus glorieuse, dans le discours officiel comme dans l'enseignement, ce profil tragique a pu devenir étranger aux jeunes générations. Son souvenir est cependant régulièrement ravivé par une actualité internationale qui montre que l'esclavage reste malheureusement une réalité contemporaine.

Remontant à quelques générations seulement, puisque nous allons célébrer le 170e anniversaire du décret du 27 avril 1848 relatif à son abolition, l'esclavage imprègne encore nombre d'histoires familiales et continue à nourrir des ressentiments. Parfois, notamment dans nos territoires les plus exposés, ces réminiscences empêchent d'avancer. J'ai souvent pu l'observer. Comme a pu le préconiser Édouard Glissant, l'heure est venue de passer du « ressassement » au « dépassement ».

La période des quinze dernières années, à cet égard, marque un tournant. La loi Taubira en 2001, avec l'intégration de cette problématique dans les programmes scolaires et la création d'une journée de commémoration nationale, le 10 mai, mais aussi des initiatives telles que la création du Mémorial de l'abolition de l'esclavage inauguré à Nantes en 2012, alors que vous étiez maire, monsieur le Premier ministre, ou encore le Mémorial ACTe ou Centre caribéen d'expressions et de mémoire de la Traite et de l'Esclavage, initié par notre collègue Victorin Lurel alors président du conseil régional, et inauguré le 10 mai 2015.

Cette date du 10 mai permet au Sénat, chaque année, d'accueillir dans le jardin du Luxembourg la cérémonie commémorative de l'abolition de l'esclavage, d'honorer les mémoires des personnes tombées sous le joug, mais aussi de remettre inlassablement dans la lumière les hommes qui ont su faire triompher les valeurs d'humanité et de partage.

L'initiative que vous portez aujourd'hui, monsieur le Premier ministre, tendant à la création d'une Fondation pour la mémoire de l'esclavage, des traites et de leurs abolitions, participe de ces valeurs et d'une démarche de réconciliation tournée vers l'avenir. Je forme le voeu qu'elle ait une fonction d'apaisement et contribue activement à forger une conscience collective permettant de vaincre les ferments de fragmentation.

En vous remerciant encore de votre présence parmi nous aujourd'hui, monsieur le Premier ministre, je vous cède la parole.

Debut de section - Permalien
Jean-Marc Ayrault, président de la mission de la mémoire de l'esclavage, des traites et de leurs abolitions

ancien Premier ministre, président de la mission de la mémoire de l'esclavage, des traites et de leurs abolitions. - Monsieur le président, je vous remercie de me donner l'occasion de faire le point sur ce projet qui s'inscrit dans une continuité. Il y eut le tournant de la loi Taubira du 21 mai 2001 tendant à la reconnaissance de la traite et de l'esclavage en tant que crime contre l'humanité, que vous avez cité. En 1948, le centième anniversaire de l'abolition de l'esclavage en France est commémoré à la Sorbonne où de grands discours furent prononcés par des personnalités éminentes telles qu'Aimé Césaire, Gaston Monnerville, Léopold Sédar Senghor. En 1949, Victor Schoelcher et Félix Eboué entrent conjointement au Panthéon. Ensuite, il faut attendre 1983 et l'instauration de jours fériés dans les départements et territoires d'outre-mer pour commémorer l'abolition de l'esclavage. En 1992, le travail réalisé au niveau des collectivités locales, en particulier à Nantes, aboutit à la création du Mémorial de l'abolition de l'esclavage. Soulignons également les initiatives des intellectuels, dont les écrivains Patrick Chamoiseau, Édouard Glissant, et les mouvements militants comme CM 98. Le Mémorial ACTe, sur l'initiative de la région Guadeloupe que présidait Victorin Lurel, fut inauguré par le Président Hollande en 2015. D'autres lieux plus modestes s'inscrivent dans cette continuité, je pense au musée du Nouveau Monde à La Rochelle ou au musée d'Aquitaine à Bordeaux. La loi du 28 février 2017 relative à l'égalité réelle outre-mer, enfin, instaure une journée nationale en hommage aux victimes de l'esclavage colonial, fixée au 23 mai, qui s'ajoute à celle du 10 mai, décidée par le Président Chirac, commémorative de la traite, de l'esclavage et de leur abolition. Il faut également citer le Comité national pour la mémoire et l'histoire de l'esclavage (CNMHE).

Les propositions du rapport d'Édouard Glissant, reprises sous la présidence de François Hollande, se sont traduites par l'instauration du groupement d'intérêt public (GIP) que je préside, en vue de créer une Fondation pour la mémoire de l'esclavage, des traites et de leurs abolitions d'ici à la fin de l'année. Un conseil d'administration et un conseil d'orientation dessinent les contours de cette future fondation. Cette mémoire est toujours sensible, comme en témoigne par exemple le documentaire diffusé sur La Chaîne parlementaire sur l'origine des noms. Nous voulons construire une mémoire partagée, afin de passer du ressentiment au dépassement, pour reprendre les mots d'Édouard Glissant. La fondation a aussi pour objet de soutenir les travaux de recherche. Elle revendique les différents héritages de cette histoire : l'histoire tragique, bien sûr, le code noir, mais aussi les révoltes des esclaves marrons, les combats pour la liberté, notamment pendant la Révolution française, avec la première abolition de l'esclavage, rétabli par Bonaparte dans les colonies, puis lors de la seconde abolition. De nombreux lieux de mémoire de ce combat pour la liberté sont l'occasion d'une transmission du savoir, notamment dans les écoles. Je pense aux initiatives de l'association « La Route des abolitions de l'esclavage et des droits de l'Homme » et au village de Champagney dont les habitants, en 1789, dans leur cahier de doléances, alors qu'ils n'avaient sans doute jamais vu d'esclave, demandaient l'abolition de l'esclavage. Lors du 150e anniversaire de l'abolition de l'esclavage, le Premier ministre de l'époque, Lionel Jospin, leur avait rendu hommage.

Je rappelle que la Déclaration universelle des droits de l'Homme, dont nous célébrons le 70e anniversaire, mentionne le refus de l'esclavage. Or les Nations unies estiment que 30 millions de personnes sont en situation d'esclavage aujourd'hui. Le combat que nous menons n'est pas seulement tourné vers le passé, la réconciliation, la mémoire partagée, il doit mobiliser les consciences contre toutes les formes d'esclavage, de discrimination et de racisme, en particulier dans la société française.

Le travail de la mission contribuera au rassemblement et permettra de lutter contre les communautarismes. Cet héritage d'ombres et de lumières, c'est aussi un héritage culturel commun qui nous a enrichis, malgré les souffrances et la douleur, au travers de la créolisation si bien décrite par Édouard Glissant.

Cette fondation aura donc pour mission d'engager un travail de mémoire, de recherches historiques, de transmission par l'école, d'animation et de mise en réseau des initiatives existantes, mais aussi une autre approche des relations internationales. Nous avons besoin, pour ce faire, de votre soutien. Nous sommes là pour en parler et je reste bien sûr, monsieur le président, à votre disposition.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Magras

Deux questions me viennent à l'esprit : la première porte sur les sources de financement de la fondation, la seconde concerne les liens avec le projet de Cité des outre-mer.

Debut de section - Permalien
Jean-Marc Ayrault, président de la mission de la mémoire de l'esclavage, des traites et de leurs abolitions

Le GIP dispose d'un budget tout à fait modeste. M. Pierre-Yves Bocquet, ancien conseiller de François Hollande, inspecteur général des affaires sociales, m'accompagne dans ce travail. Nous sommes pour l'instant hébergés au ministère des outre-mer. Évidemment, la fondation, pour pouvoir fonctionner, doit être dotée d'un capital et nous devons rechercher des mécènes. Une mutualisation est-elle possible avec la Cité des outre-mer pour les ressources documentaires, l'organisation d'événements ? Faut-il que la capitale se dote d'un mémorial ? Ces questions devront être tranchées par les autorités compétentes et il nous appartient de formuler des propositions. Nous en sommes donc à l'étape où le projet s'affine et la recherche de financements va démarrer.

Debut de section - PermalienPhoto de Vivette Lopez

Monsieur le Premier ministre, nous ne pouvons occulter cette triste période de notre histoire. Dernièrement, dans les Yvelines, nous avons appris qu'une jeune femme était tenue en esclavage par un couple. OEuvrez-vous également à faire cesser les formes d'esclavage moderne ?

Debut de section - Permalien
Jean-Marc Ayrault, président de la mission de la mémoire de l'esclavage, des traites et de leurs abolitions

Madame la sénatrice, vous avez raison de mentionner ces terribles réalités, heureusement marginales en France. Les discriminations liées aux différences, à la couleur de peau, sont en revanche des réalités qu'il nous faut combattre pour être en cohérence avec les valeurs de la République, fondée sur l'égalité entre les citoyens.

La fondation a aussi pour vocation de mobiliser les consciences pour lutter contre l'esclavage aujourd'hui. La France n'a pas la prétention de régler cette question, mais peut apporter sa contribution. C'est pourquoi j'ai mentionné les Nations unies, qui ont une connaissance précise de cette réalité à l'échelle mondiale.

Debut de section - PermalienPhoto de Gisèle Jourda

Je voudrais aborder la question de la traite humaine, des réseaux qui se mettent en place en Libye. On a pu voir des images évoquant la période sombre de l'esclavage. La mémoire doit servir à éviter les drames présents, à lutter contre ces filières sans foi ni loi. Nous assistons à une montée de la xénophobie. La lutte contre certaines menaces internationales nous fait oublier notre part d'humanité. Nous ne voulons plus voir ces résurgences aujourd'hui : le passé, mais comme force de devenir !

Debut de section - Permalien
Jean-Marc Ayrault, président de la mission de la mémoire de l'esclavage, des traites et de leurs abolitions

Vous avez raison, notre travail n'aurait pas de sens s'il était uniquement tourné vers le passé. Ce passé nous mobilise, mais le défi est de continuer à lutter contre toutes formes d'esclavage. Les images que vous évoquez, d'une violence incroyable, ont provoqué énormément de réactions à travers le monde. Elles posent aussi la question des flux migratoires, du développement, de l'existence de zones qui sont de véritables chaos, en Libye notamment, en attente de solutions pacifiques à des problèmes politiques.

La fondation n'a pas la prétention de prendre en charge la totalité des questions. Par contre, nous pouvons être une force d'interpellation et n'occulter aucune interrogation.

Debut de section - PermalienPhoto de Victorin Lurel

Monsieur le président, j'aimerais commencer par rendre hommage au Premier ministre Jean-Marc Ayrault, pour avoir eu le courage, voilà plus de dix-huit ans, de consacrer de l'argent, du temps et beaucoup d'énergie à créer le Mémorial de l'abolition de l'esclavage à Nantes, qui nous a inspirés.

Je vous félicite d'avoir accepté de porter cette mission en vue de la création d'une Fondation pour la mémoire de l'esclavage, des traites et de leurs abolitions. Ce n'est pas une tâche facile, face à l'impensé racial, historique, en terre hexagonale, d'où la difficulté de faire émerger des idées et des actions.

Après les missions confiées par Jacques Chirac à Maryse Condé et à Édouard Glissant, le nouveau président de la République, Nicolas Sarkozy, ne voulait pas sombrer dans la repentance et nous avons eu du mal à le faire venir à la cérémonie organisée le 10 mai dans le jardin du Luxembourg. Je ne dis pas cela pour ouvrir une polémique, mais pour montrer la difficulté, pour ceux qui incarnent les institutions, de donner des instructions.

Nous avons repris l'idée, portée partout dans les outre-mer, en rassemblant toutes les obédiences et le Mémorial ACTe a été inauguré le 10 mai 2015.

Je voudrais par ailleurs évoquer la loi du 27 janvier 2017 relative à l'égalité et à la citoyenneté, dans laquelle ont été abrogées des dispositions qui restaient vivantes dans le corpus juridique français : l'ordonnance du 17 avril 1825 demandant 150 millions de francs-or à Haïti, et les lois d'avril et de novembre 1849 visant à indemniser les colons !

Lorsque je parle à la tribune du Sénat, moi, descendant d'esclave, je suis sous l'ombre tutélaire de Colbert, qui a commis l'ignominieux Code noir. La réconciliation - la réparation, c'est une autre chose - est au fondement du Mémorial ACTe, mais malgré de belles histoires communes, vos héros sont nos bourreaux. C'est pourquoi votre action est courageuse et vous serez confronté à des résistances comme peut l'être la Cité des outre-mer. Il faudra en outre tenir compte de la concurrence entre plusieurs projets qui, je l'espère, ne sera pas frontale et en viendra à une synergie. Des intellectuels s'inquiètent en effet d'un moindre rayonnement du Mémorial ACTe.

Vous êtes donc très courageux de porter cette question essentielle pour pacifier les esprits, pour se réconcilier avec l'histoire partagée qui est la nôtre.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Magras

Nous apprécions tous la rigueur de l'intervention du ministre Lurel. La clarté et la pertinence de son propos traduisent la passion...

Debut de section - PermalienPhoto de Victorin Lurel

Passion maîtrisée : il y a la raison derrière.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Magras

et l'engagement qui ont toujours été les siens sur le sujet.

Debut de section - Permalien
Jean-Marc Ayrault, président de la mission de la mémoire de l'esclavage, des traites et de leurs abolitions

Nous avons beaucoup travaillé avec Victorin Lurel au gouvernement. Le projet qu'il a mené est considérable. Il a suscité énormément de débats, y compris en Guadeloupe. C'est un acte fort. Dans la perspective de mise en mouvement des initiatives existantes, nous avons déjà eu une discussion fort intéressante avec Jacques Martial, qui dirige le Mémorial ACTe, au conseil d'orientation du GIP. Nous voulons amplifier son rôle par notre action.

Comme Victorin Lurel l'a souligné, rien n'est simple. Il n'y aura pas spontanément de consensus, mais il ne faut pas avoir peur des dissensions. Les problèmes enfouis finissent par ressurgir, et souvent par la mauvaise porte du règlement de comptes, du communautarisme... Je ne veux surtout pas agir dans une sorte de concurrence des mémoires ; c'est le danger qui guette nos sociétés fragmentées. Notre objectif est justement de rassembler sur une base de vérité et de justice, tout en se projetant dans l'avenir : que veut-on construire ensemble à partir de cet héritage à la fois tragique et libérateur ? Dans cet héritage, il y a notre bien commun que sont la culture, la musique, les arts plastiques, le spectacle vivant, le paysage, l'architecture, le mode de vie, la créolisation. Il faut donc revendiquer cet héritage, en faire une force, un facteur de dépassement, pour reprendre le mot d'Édouard Glissant.

Debut de section - Permalien
Jacques Martial, président du Mémorial ACTe

Je voudrais tout d'abord convier les sénateurs de la délégation à venir découvrir le Mémorial ACTe pour en comprendre l'importance, la portée et l'ambition pour la Guadeloupe, la Caraïbe, les outre-mer et sans doute pour la France. Ce lieu renouvelle la position de notre pays dans le discours international lié aux libertés et aux conséquences de l'esclavage, et sans doute une manière de repenser les mondes noirs dans le monde et dans la Nation.

À ce titre, je remercie Monsieur le Premier ministre du travail qui est réalisé et auquel j'essaie de participer au sein du conseil d'orientation du GIP. Le Mémorial ACTe se tient à la disposition de la République française pour mener un travail national et international sur ces questions. L'outil existe aujourd'hui et il est de notre devoir de nous en servir pour interpeller au plus haut niveau sur les graves questions soulevées par les esclavages modernes.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Magras

Notre délégation se déplace dans les outre-mer par petits groupes et nous essayerons de programmer une visite au Mémorial ACTe.

Monsieur le Premier ministre, je souhaite vous poser une question pratique sur le calendrier de mise en place de la fondation.

Debut de section - Permalien
Jean-Marc Ayrault, président de la mission de la mémoire de l'esclavage, des traites et de leurs abolitions

Le GIP cessera d'exister à la fin de l'année et la fondation, qui intégrera également le Comité national pour la mémoire et l'histoire de l'esclavage (CNMHE), prendra le relais le 1er janvier 2019.

Debut de section - Permalien
Angèle Louviers, directrice du Comité national pour la mémoire et l'histoire de l'esclavage

En tant que directrice du Comité national pour la mémoire et l'histoire de l'esclavage, le CNMHE, je suis évidemment très intéressée par ce débat.

Monsieur le Premier ministre, je tiens tout d'abord à vous féliciter d'avoir accepté de vous occuper de cette question et de la prendre à bras-le-corps. À l'époque, nous avions tous suivi avec intérêt et ardeur l'initiative que vous aviez prise d'engager une action similaire depuis votre mairie de Nantes.

Je suis d'autant plus intéressée par le sujet que le CNMHE s'était exprimé, dans son rapport de 2016, en faveur de la mise en place d'une fondation pour la mémoire de l'esclavage, de la traite et de leurs abolitions. Nous sommes aujourd'hui très heureux que celle-ci voie le jour.

J'ai néanmoins quelques inquiétudes. Le rapport de préfiguration de la fondation, remis en mars 2017 par M. Lionel Zinsou au Premier ministre, comportait une recommandation préconisant l'intégration des personnels et des moyens du CNMHE dans la future fondation. Notre comité ne dispose pourtant que d'un budget de 45 000 euros pour l'exercice de l'ensemble de ses missions : l'attribution d'un prix de thèse, l'organisation des commémorations nationales du 10 et du 23 mai, de rencontres citoyennes et de rencontres avec les associations.

Comment le comité pourrait-il continuer avec de tels moyens et avec un secrétariat uniquement composé de deux personnes, moi-même, qui suis directrice de la programmation et de l'animation du comité, et une chargée de mission qui est absente depuis plusieurs mois ? En réalité, le CNMHE fonctionne sans secrétariat, sans petites mains et sans argent depuis quatre ans !

Si j'évoque la situation du comité devant vous, monsieur Ayrault, c'est parce que j'ai reçu, le 21 décembre dernier, un courrier du ministère de l'intérieur m'annonçant que mon contrat de travail, qui devait prendre fin le 18 février prochain, ne serait pas reconduit. J'ai appris à cette occasion que le GIP avait refusé de m'engager, alors même qu'on lui avait suggéré de le faire.

N'y voyez-vous pas une contradiction avec les recommandations du rapport Zinsou auxquelles je m'étais fiée ? Ne pourriez-vous pas lever cette contradiction et reconsidérer rapidement la décision prise par le GIP ? En effet, alors que le CNMHE est en souffrance, sans direction ni moyens, trois échéances importantes se dessinent : la commémoration du 170e anniversaire de l'adoption du décret d'abolition de l'esclavage le 27 avril prochain, l'organisation des commémorations du 10 et du 23 mai.

Debut de section - Permalien
Jean-Marc Ayrault, président de la mission de la mémoire de l'esclavage, des traites et de leurs abolitions

Aujourd'hui, le GIP dispose de peu de ressources. J'ai peut-être un peu exagéré tout à l'heure : vous semblez dire que le budget du CNMHE ne s'élève pas à 30 000 euros, comme je l'ai dit un peu vite, mais plutôt à 45 000 euros. En tout cas, ce budget est très faible.

Pour répondre à votre question, le GIP ne recrute pas aujourd'hui. Il bénéficie seulement de personnels mis à disposition par différents ministères. En revanche, la fondation une fois créée devra disposer d'une équipe un peu plus étoffée. Je ne sais pas quelle sera la taille de cette équipe, cela dépendra évidemment des moyens que l'on sera en mesure de mobiliser. La fondation se lancera prochainement dans la recherche de financements, publics et surtout privés via le mécénat. La fondation devra ensuite se doter d'un budget de fonctionnement. C'est seulement à ce moment-là que la question de l'organigramme se posera. Aujourd'hui, madame Louviers, je ne dispose pas des moyens de recruter.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Magras

Le statut de fondation ouvre toutes les portes en matière de financements et d'aura. Cette démarche ne peut être que positive.

Monsieur le Premier ministre, notre Délégation sénatoriale aux outre-mer accueille sans réserve la démarche qui est la vôtre, démarche que l'on sait loin d'être facile, mais ô combien fondamentale.

En tant que délégation, notre mission est d'informer - pas seulement le Sénat - sur les réalités qui sont les nôtres en outre-mer et de formuler des préconisations et des propositions pour faire avancer la situation de nos territoires. Notre mode de fonctionnement nous conduit à établir des rapports d'information, mais aussi à organiser des événements, y compris des événements mémoriels.

Monsieur le Premier ministre, sachez que nous resterons à votre écoute et à votre disposition si une manifestation destinée à évoquer et à faire avancer les missions qui vous ont été confiées devait être organisée ici-même. Ce que je vous propose en tant que président de la délégation est conforme à une pratique déjà ancienne, puisque le président du Mémorial ACTe avait participé en son temps à un événement que nous avions organisé.

Debut de section - Permalien
Jean-Marc Ayrault, président de la mission de la mémoire de l'esclavage, des traites et de leurs abolitions

Je vous remercie, monsieur le président.

Debut de section - PermalienPhoto de Victorin Lurel

Même si le point que je soulève n'entre pas dans les missions de la future fondation, monsieur le Premier ministre, je voudrais attirer votre attention sur le lien qui existe entre l'esclavage et les discriminations subies aujourd'hui par certaines catégories de Français.

L'esclavage moderne existe toujours et concernerait plus de 30 millions de personnes dans le monde aujourd'hui. En revanche, on ne parle pas suffisamment des discriminations observées ici même, en France !

Hier, la Commission nationale consultative des droits de l'homme, la CNCDH, a livré ses statistiques annuelles sur les actes racistes en France. Or ces statistiques recensent bien les actes antisémites, les actes anti-musulmans, les actes anti-roms, mais pas les actes anti-noirs ou les actes subis par les afro-descendants. C'est un peu curieux !

Dans le cadre des débats sur la loi « Égalité et Citoyenneté », nous avions pourtant demandé que ces discriminations aient leur place dans les statistiques de la CNCDH. À cette même occasion, j'avais déposé un amendement pour que le Gouvernement remette un rapport relatif à l'abrogation de l'article 5 du décret Schoelcher - lequel précise que l'Assemblée nationale octroie une quotité de l'indemnité accordée aux colons par suite de l'abolition de l'esclavage - puisque, par sa nature, ce texte n'était pas abrogeable par voie parlementaire.

J'avais également défendu un amendement tendant à donner les moyens aux associations d'ester en justice en cas d'actes de discrimination ou d'actes racistes. En revanche, nous avions échoué à donner force normative à la loi Taubira, notamment en ce qui concerne l'apologie de l'esclavage. Aujourd'hui encore, les juridictions estiment que la loi Taubira n'est qu'une loi mémorielle et déboutent systématiquement les associations qui l'invoquent, s'appuyant en cela sur la jurisprudence de la Cour de cassation. En France, on punit les actes antisémites, mais on ne sanctionne pas les autres actes revêtant une portée discriminatoire. On peut donc dire ce que l'on veut à propos de l'esclavage sans craindre d'être sanctionné !

Même si ce n'est pas le rôle de la future fondation, je le répète, il existe un lien entre esclavage et discriminations, qui légitime notre combat. Il ne devrait plus y avoir de citoyens de seconde zone. C'est pourquoi certaines avancées sont encore nécessaires sur le plan législatif.

Debut de section - PermalienPhoto de Maurice Antiste

Monsieur le Premier ministre, j'admire votre travail pour la reconnaissance et l'abolition des esclavages. Vous n'étiez pas obligé de vous impliquer sur ce dossier, ce qui montre qu'il existe en vous une force et de solides convictions.

Selon vous, quelles sont les actions concrètes à engager pour inciter la France à reconnaître des pages de son histoire qui restent jusqu'ici discrètement évoquées ? Je pense aux livres d'histoire ou aux anecdotes racontées aux enfants. J'ai le sentiment que ces pages d'histoire sont passées sous silence par pudeur. Les abolitions ne seront véritablement achevées que lorsque ces pages d'histoire seront vraiment assumées par notre pays. Qu'en pensez-vous ? Estimez-vous qu'il revient à une fondation comme celle que allez présider de pousser à cette reconnaissance ?

Debut de section - Permalien
Jean-Marc Ayrault, président de la mission de la mémoire de l'esclavage, des traites et de leurs abolitions

Cela fait en effet partie des missions que la fondation s'efforcera d'exercer.

La Fondation pour la mémoire de l'esclavage, des traites et de leurs abolitions devra conduire de nouvelles actions de communication et offrir le meilleur accès possible aux informations sur les esclavages, étant entendu que cela nécessitera l'utilisation des nouveaux médias.

Elle aura également pour objectif de concevoir des actions pédagogiques innovantes. Je vais prochainement rencontrer le ministre de l'Éducation nationale pour parler des programmes scolaires. Quelques initiatives existent aujourd'hui dans les écoles, comme l'organisation chaque année d'un concours lors des cérémonies du 10 mai, mais nous souhaiterions amplifier le mouvement. Nous voudrions organiser et financer un certain nombre de voyages éducatifs, animer le réseau des institutions culturelles et patrimoniales consacrées à cette mémoire, coproduire des expositions et des événements culturels et, enfin, travailler en réseau avec les outils existants, dont le Mémorial ACTe déjà évoqué.

La fondation veut changer de dimension : nous souhaitons développer une action davantage pérenne, moins cyclique, qui ne nous mobilise plus seulement sur le passé, mais aussi sur les questions contemporaines, y compris les discriminations et le racisme.

Certains intervenants ont rappelé les initiatives que j'ai prises en tant que maire. En 1985, à l'occasion du 300e anniversaire du Code noir, un collectif d'universitaires et d'associations avait émis le souhait d'organiser un événement à Nantes, lequel n'a finalement pas eu lieu, parce que la municipalité de l'époque avait refusé d'y apporter son concours par crainte de diviser la population nantaise. Élu maire, je m'étais engagé auprès d'un certain nombre d'acteurs locaux à prendre en considération la question de la mémoire de l'esclavage : ce fut un long processus, qui n'a pas divisé la ville, mais qui en a au contraire renforcé l'unité. Nous sommes assez fiers d'être parvenus à mener de telles actions à Nantes.

Ces initiatives perdurent, car l'histoire n'est pas finie : le 12 février prochain, dans le cadre des événements organisés autour de la première guerre mondiale, un concert se déroulera au théâtre de Nantes pour commémorer l'anniversaire du premier concert de jazz d'artistes noirs américains en France. Parmi les Américains entrés en France en 1917, certains ont fait découvrir aux Français une musique qu'ils ne connaissaient pas : le jazz, une musique jouée par des noirs américains qui n'avaient eux-mêmes pas le droit de se produire chez eux. À l'occasion de ce concert seront présents des descendants de ces premiers musiciens de jazz, ainsi que des représentants du musée national de l'histoire et de la culture afro-américaine de Washington. Il faut revendiquer l'importance d'un tel événement, car ce type de manifestation va bien au-delà des questions de mémoire et de culpabilisation, elle est plutôt le symbole de la construction d'un nouveau monde.

Debut de section - Permalien
Max Pierre-Fanfan, journaliste

Je suis journaliste, réalisateur et écrivain. Il faut en effet faire parler l'histoire, parce que témoigner, c'est dérouler des fils. C'est important notamment pour nos enfants de pouvoir comprendre l'histoire qui les a formés.

Pour ce faire, il faut des moyens. Il importe également de transformer tout ce travail en nouvelles formes : il faut aider tous nos jeunes talents, nos créateurs, nos artistes, nos écrivains. Je signale à cet égard la sortie d'un ouvrage collectif intitulé Aimé Césaire, OEuvre et héritage.

Le passé n'est pas passé, il est simplement antérieur. Preuve en est l'esclavage en Libye, dont on a parlé tout à l'heure, ou les discriminations qui touchent encore nombre d'entre nous aujourd'hui.

Debut de section - Permalien
Jean-Marc Ayrault, président de la mission de la mémoire de l'esclavage, des traites et de leurs abolitions

Je suis parfaitement d'accord avec vous !