ancien Premier ministre, président de la mission de la mémoire de l'esclavage, des traites et de leurs abolitions. - Monsieur le président, je vous remercie de me donner l'occasion de faire le point sur ce projet qui s'inscrit dans une continuité. Il y eut le tournant de la loi Taubira du 21 mai 2001 tendant à la reconnaissance de la traite et de l'esclavage en tant que crime contre l'humanité, que vous avez cité. En 1948, le centième anniversaire de l'abolition de l'esclavage en France est commémoré à la Sorbonne où de grands discours furent prononcés par des personnalités éminentes telles qu'Aimé Césaire, Gaston Monnerville, Léopold Sédar Senghor. En 1949, Victor Schoelcher et Félix Eboué entrent conjointement au Panthéon. Ensuite, il faut attendre 1983 et l'instauration de jours fériés dans les départements et territoires d'outre-mer pour commémorer l'abolition de l'esclavage. En 1992, le travail réalisé au niveau des collectivités locales, en particulier à Nantes, aboutit à la création du Mémorial de l'abolition de l'esclavage. Soulignons également les initiatives des intellectuels, dont les écrivains Patrick Chamoiseau, Édouard Glissant, et les mouvements militants comme CM 98. Le Mémorial ACTe, sur l'initiative de la région Guadeloupe que présidait Victorin Lurel, fut inauguré par le Président Hollande en 2015. D'autres lieux plus modestes s'inscrivent dans cette continuité, je pense au musée du Nouveau Monde à La Rochelle ou au musée d'Aquitaine à Bordeaux. La loi du 28 février 2017 relative à l'égalité réelle outre-mer, enfin, instaure une journée nationale en hommage aux victimes de l'esclavage colonial, fixée au 23 mai, qui s'ajoute à celle du 10 mai, décidée par le Président Chirac, commémorative de la traite, de l'esclavage et de leur abolition. Il faut également citer le Comité national pour la mémoire et l'histoire de l'esclavage (CNMHE).
Les propositions du rapport d'Édouard Glissant, reprises sous la présidence de François Hollande, se sont traduites par l'instauration du groupement d'intérêt public (GIP) que je préside, en vue de créer une Fondation pour la mémoire de l'esclavage, des traites et de leurs abolitions d'ici à la fin de l'année. Un conseil d'administration et un conseil d'orientation dessinent les contours de cette future fondation. Cette mémoire est toujours sensible, comme en témoigne par exemple le documentaire diffusé sur La Chaîne parlementaire sur l'origine des noms. Nous voulons construire une mémoire partagée, afin de passer du ressentiment au dépassement, pour reprendre les mots d'Édouard Glissant. La fondation a aussi pour objet de soutenir les travaux de recherche. Elle revendique les différents héritages de cette histoire : l'histoire tragique, bien sûr, le code noir, mais aussi les révoltes des esclaves marrons, les combats pour la liberté, notamment pendant la Révolution française, avec la première abolition de l'esclavage, rétabli par Bonaparte dans les colonies, puis lors de la seconde abolition. De nombreux lieux de mémoire de ce combat pour la liberté sont l'occasion d'une transmission du savoir, notamment dans les écoles. Je pense aux initiatives de l'association « La Route des abolitions de l'esclavage et des droits de l'Homme » et au village de Champagney dont les habitants, en 1789, dans leur cahier de doléances, alors qu'ils n'avaient sans doute jamais vu d'esclave, demandaient l'abolition de l'esclavage. Lors du 150e anniversaire de l'abolition de l'esclavage, le Premier ministre de l'époque, Lionel Jospin, leur avait rendu hommage.
Je rappelle que la Déclaration universelle des droits de l'Homme, dont nous célébrons le 70e anniversaire, mentionne le refus de l'esclavage. Or les Nations unies estiment que 30 millions de personnes sont en situation d'esclavage aujourd'hui. Le combat que nous menons n'est pas seulement tourné vers le passé, la réconciliation, la mémoire partagée, il doit mobiliser les consciences contre toutes les formes d'esclavage, de discrimination et de racisme, en particulier dans la société française.
Le travail de la mission contribuera au rassemblement et permettra de lutter contre les communautarismes. Cet héritage d'ombres et de lumières, c'est aussi un héritage culturel commun qui nous a enrichis, malgré les souffrances et la douleur, au travers de la créolisation si bien décrite par Édouard Glissant.
Cette fondation aura donc pour mission d'engager un travail de mémoire, de recherches historiques, de transmission par l'école, d'animation et de mise en réseau des initiatives existantes, mais aussi une autre approche des relations internationales. Nous avons besoin, pour ce faire, de votre soutien. Nous sommes là pour en parler et je reste bien sûr, monsieur le président, à votre disposition.