Intervention de Catherine Morin-Desailly

Réunion du 20 février 2018 à 21h30
Avenir de l'audiovisuel public — Débat organisé à la demande de la commission de la culture et du groupe les républicains

Photo de Catherine Morin-DesaillyCatherine Morin-Desailly :

Monsieur le président, madame la ministre, mes très chers collègues, face à la mutation numérique, je me suis attachée de longue date à ce que la commission de la culture, de l’éducation et de la communication réfléchisse et travaille, en lien avec la commission des finances, à l’avenir de l’audiovisuel.

Ainsi, il y a bientôt trois ans, était engagé au Sénat le débat sur une profonde réforme de l’audiovisuel public à l’occasion de la publication du rapport de nos collègues, que je salue, Jean-Pierre Leleux et André Gattolin. Les recommandations de ce rapport demeurent très largement d’actualité.

Cependant, nous avions sans doute encore sous-estimé l’ampleur de la révolution technologique en cours qui menace jusqu’à la pérennité d’un secteur audiovisuel, privé comme public d’ailleurs, exposé aux coups de boutoir de la concurrence des grandes plateformes américaines, bouleversant totalement nos usages et nos modèles économiques.

Nous sommes, en fait, face à une situation que l’on pourrait résumer ainsi : l’audiovisuel public est-il encore capable de répondre aux attentes de tous ses publics, notamment des plus jeunes, qui ont accès à des milliers de programmes sur des plateformes numériques ?

Les programmes publics se distinguent-ils suffisamment des programmes privés – par leur audace, leur spécificité, leur qualité – pour justifier un financement public à hauteur de 3, 7 milliards d’euros ?

Ces entreprises publiques ont-elles bien pris la mesure des évolutions en cours et sont-elles prêtes à changer de logiciel pour relever le défi, ce qui implique nécessairement de modifier certaines habitudes ?

Autant le dire tout de suite, la réponse à ces trois questions est loin d’être évidente ! Les plus jeunes de nos concitoyens ne regardent plus la télévision publique, dont les téléspectateurs ont largement dépassé la moyenne d’âge de soixante ans. Ses programmes sont considérés comme peu innovants et peu exportables. Quant à la situation financière de ces entreprises, il faut distinguer Arte, France Médias Monde et l’Institut national de l’audiovisuel, l’INA, qui font des efforts pour contrôler leurs dépenses, de France Télévisions et Radio France, dont les coûts de structure poursuivent, malgré les efforts, leur progression, notamment quant à la masse salariale.

Au-delà des missions à redéfinir, c’est aussi le financement de ces entreprises qui pose question. Parce que l’innovation technologique coûte cher, l’audiovisuel public doit dégager des marges de manœuvre financières en faisant des économies sur ses structures.

Pour ce qui est des ressources, c’est l’incertitude qui domine. Outre que la publicité – elle compte pour environ 400 millions d’euros s’agissant de France Télévisions et Radio France – banalise l’offre publique, elle est aujourd’hui accaparée par les plateformes numériques et ne peut donc constituer une ressource d’avenir.

Le paiement de la contribution à l’audiovisuel public, la CAP, reste fondé sur la possession d’un téléviseur. Or le taux d’équipement baisse à mesure que progressent les nouveaux usages sur les supports numériques. Une réforme de la CAP est donc devenue indispensable.

Dans ces conditions, nous devons faire un choix. Soit l’audiovisuel public – notamment France Télévisions – poursuit sur la pente de la banalisation de son offre, et c’est la légitimité même d’un financement public qui pourrait être – tôt ou tard – posée. Soit on estime que cet audiovisuel public a un rôle à jouer en termes de culture, d’éducation et de démocratie – ce que je crois profondément –, et alors il faut mettre en œuvre une réforme systémique.

Ce choix de société doit concerner tous les Français. C’est pourquoi nous sommes heureux d’ouvrir aujourd’hui, en votre présence, madame la ministre, ce grand débat d’intérêt national.

Autant le reconnaître, il n’y a pas d’unanimité pour défendre le service public ! Il y a ceux qui ne jurent que par la course à l’audience et à la publicité, pour le privé comme pour le public. Il y a ceux qui estiment que l’audiovisuel public coûtera toujours trop cher et qu’il faut réduire ses moyens. Il y a ceux, de moins en moins nombreux, qui jugent qu’il ne faut rien changer et qu’il faut continuer à augmenter les dépenses de l’audiovisuel public. Il y a enfin, et c’est nouveau, toute une partie de la population qui considère qu’elle ne doit payer que ce qu’elle consomme et refuse donc – par principe – d’acquitter une redevance.

Ce débat, nos voisins suisses sont en train de le conduire, et ils le trancheront, le 4 mars prochain, par un référendum sur le maintien ou non de la redevance. Si la suppression de celle-ci est adoptée, la Société suisse de radiodiffusion et télévision, la SSR, ses 17 radios et 7 chaînes de télévision, ainsi que ses 6 000 salariés devront cesser leur activité d’ici à un an.

Face à cette menace, la SSR a pris acte de la nécessité de se transformer avec un maître mot : rendre accessible l’ensemble des contenus télévisés et radiophoniques sur une plateforme globale multisupport et renforcer l’attractivité de ses programmes. Cette priorité donnée aux contenus est partagée par la Radio-télévision belge francophone, la RTBF et par la BBC britannique. Elle doit être le fil d’Ariane de la réforme qu’il nous revient de conduire en France.

Renforcer la spécificité de l’audiovisuel public ; donner la priorité à l’audace, à l’innovation, à la rigueur ; regrouper l’ensemble des programmes sur une même plateforme numérique ; opérer des mutualisations de services par thématique – information, culture, sport, territoires : telle doit être notre ambition.

Nous devons aller jusqu’au bout de la révolution des usages et ne pas nous apitoyer sur des structures qui nous sont, certes, familières, mais qui sont vouées à se transformer radicalement si elles veulent perdurer. D’ici peu, les téléspectateurs regarderont d’abord leurs programmes de manière complètement délinéarisée et sur internet à travers les télévisions connectées. Pour la radio, on peut penser que la 5G attendue pour 2020 constituera également une nouvelle frontière permettant de dépasser l’antique FM et ses problèmes de pénurie de fréquences.

Le changement de paradigme technologique emporte la nécessité de repenser l’organisation des sociétés de l’audiovisuel public et, donc, de leur gouvernance. La commission continue de penser que la création d’une holding permettrait d’assurer la coordination des moyens et le développement d’une offre nouvelle dans le respect des identités des entreprises et des personnels.

Nous n’avons jamais proposé de fusion, car cette forme de rapprochement aurait aussi un coût social important, dont il appartient au Gouvernement de mesurer l’ampleur. C’est l’option qui a été privilégiée par nos voisins suisses, belges et britanniques, mais elle comporte le risque d’y laisser beaucoup de temps et d’énergie, au détriment d’une mise en œuvre rapide des adaptations nécessaires.

Ce qui importe – au-delà des systèmes et des schémas de rapprochement –, c’est de permettre aux salariés de ces sociétés de retrouver confiance dans l’avenir de l’audiovisuel public. Pour cela, soyons pragmatiques !

L’audiovisuel public a besoin d’être incarné par une personnalité dont la mission consistera à garantir, devant la Nation, l’indépendance de l’institution, la déontologie de l’information, le respect du pluralisme et l’équité de la répartition des crédits issus de la CAP entre les différentes entreprises, sans préjudice notamment pour la chaîne franco-allemande Arte et l’audiovisuel extérieur, qui font un travail remarquable. À cet égard, je déplore, au regard des responsabilités de la présidente de France Médias Monde, l’absence de discernement qui a mis un terme de manière mécanique à son mandat.

Compte tenu de cette ambition, nous devons trouver un mode de nomination indiscutable, sachant que tout ou presque a été essayé dans ce domaine, sans donner satisfaction.

Un consensus semble se dessiner pour prévoir une nomination par le conseil d’administration. Il va de soi que cette modalité de nomination n’aura de sens que si l’indépendance des membres du conseil d’administration est garantie, ce qui signifie que la représentation des tutelles soit simplifiée.

Des missions réaffirmées, une ambition culturelle et éducative renforcée, des personnels remobilisés, une gouvernance commune et indépendante instaurée, ces piliers de la réforme doivent être consolidés par une profonde modernisation de la contribution à l’audiovisuel public pour garantir, dans la durée, les moyens nécessaires à l’accomplissement des missions. Là encore, la proposition formulée par nos collègues Jean-Pierre Leleux et André Gattolin, en 2015, d’une contribution forfaitaire universelle sur le modèle allemand apparaît comme le chemin le plus solide pour boucler cette réforme systémique.

Madame la ministre, mes chers collègues, nous devons penser cette réforme pour les quinze ou vingt années à venir. En toute logique, nous devons également nous interroger sur l’adaptation de la régulation au nouveau contexte marqué par le numérique. Nous avons déjà eu ces réflexions, mais nous devons de nouveau les avoir. Faut-il rapprocher le Conseil supérieur de l’audiovisuel, le CSA, et l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, l’ARCEP, qui sont tous deux confrontés à l’émergence d’opérateurs de télécommunications devenus des poids lourds des médias ? Ainsi, il nous faut conduire ce travail.

Avec le développement de la réception par la fibre, l’avenir de la télévision numérique terrestre, la TNT, est également en jeu, et donc la réglementation imposée aux grandes chaînes qui repose sur l’attribution d’une licence de diffusion hertzienne. Une simplification de cette réglementation constitue un horizon sans doute incontournable pour permettre un développement de la production française, notamment à l’export.

Il en est de même, madame la ministre, de la chronologie des médias, qui a besoin d’être modernisée. Nous avons fait des propositions en juillet dernier pour favoriser les comportements vertueux de ceux qui investissent dans le cinéma. Nous souhaitons qu’un accord soit trouvé, faute de quoi le législateur devra tirer les conséquences de cette situation.

On le voit, tous ces changements sont liés. C’est donc à une réforme globale qu’il faut penser.

Comme je vous l’ai écrit, madame la ministre, la commission de la culture, de l’éducation et de la communication est prête et compte jouer tout son rôle dans le débat qui va s’engager à partir de maintenant. Nous poursuivons d’ailleurs nos travaux et nous engagerons très prochainement un travail de fond sur France 3 et France Bleu, les chaînes des territoires, et sur bien d’autres sujets encore.

Pour l’heure, c’est un point d’étape, voire de départ, que nous souhaitons avoir tous ensemble en votre présence, madame la ministre. Mes collègues vont avoir beaucoup de questions à vous poser, et nous comptons sur vous pour y répondre de manière que vos réponses enrichissent durablement notre réflexion.

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