Intervention de Françoise Nyssen

Réunion du 20 février 2018 à 21h30
Avenir de l'audiovisuel public — Débat organisé à la demande de la commission de la culture et du groupe les républicains

Françoise Nyssen  :

Monsieur le président, madame la présidente de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, mesdames, messieurs les sénateurs, je remercie la commission de la culture et le groupe Les Républicains d’avoir sollicité ce débat de contrôle, qui me permet de rappeler le sens de la transformation que nous engageons dans l’audiovisuel public, de présenter la méthode que nous avons choisie pour avancer, et de vous faire un point d’étape sur nos réflexions.

Revenons d’abord au sens de cette réforme : pourquoi engager cette transformation de l’audiovisuel public ? C’est parce que le paysage audiovisuel, dans son ensemble, se transforme. En quinze ans, il a subi plusieurs métamorphoses. De nouveaux usages sont apparus : le public de l’audiovisuel se transforme. De nouveaux acteurs existent aujourd’hui ; nous sommes désormais dans un monde d’hyperoffre : on compte 27 chaînes sur la TNT et plusieurs centaines de chaînes sur nos box. De nouveaux contenus sont disponibles, avec l’explosion des séries et des formats web, et l’apparition de nouveaux espaces de diffusion ; de par les GAFAN – Google, Apple Facebook, Amazon et Netflix –, l’audiovisuel est présent sur les réseaux sociaux et sur les sites de recommandation. En somme, le marché audiovisuel n’est plus national : il est de plus en plus mondial.

La transformation de l’audiovisuel public est aujourd’hui incontournable. Plusieurs de nos voisins européens l’ont engagée, comme vous l’avez évoqué dans votre intervention, madame la présidente de la commission. C’est pourquoi je me suis rendue à Londres afin de rencontrer les dirigeants de la BBC ; je suis également allée en Belgique, pour visiter la RTBF, qui a accéléré sa mue en réfléchissant aux contenus et aux publics. L’idée est, non pas d’importer ces modèles étrangers, mais de s’inspirer de ce qui fonctionne.

Or pour permettre à notre audiovisuel public non seulement de s’adapter aujourd’hui aux mutations, mais de les provoquer demain, nous devons dessiner une vision à dix ou quinze ans, comme vous l’avez bien rappelé. Nous sommes en train d’y travailler.

Cet impératif de transformation s’applique aussi à la réglementation et à la régulation de l’audiovisuel.

J’ai déjà annoncé qu’il y aurait une grande loi audiovisuelle. Un projet de loi sera présenté avant la fin de l’année. Il permettra la transposition de la directive Services de médias audiovisuels, dite SMA, et une révision de la loi du 30 septembre 1986. Nous sommes en train de travailler sur ces différents sujets.

Quelle méthode est la nôtre ? La transformation va se nourrir de plusieurs réflexions et, en premier lieu, de celle que j’ai engagée avec les sociétés de l’audiovisuel public. Je réunis tous les mois les dirigeants des six sociétés dans un comité stratégique, qui se focalise sur le renforcement des coopérations entre ces sociétés. Cinq chantiers ont d’ores et déjà été identifiés : la reconquête des jeunes publics, l’international, l’offre de proximité, l’offre en ligne et les synergies sur les ressources transverses. Plus d’une centaine de collaborateurs participent à ces travaux, depuis maintenant plusieurs mois. C’est inédit !

La transformation profitera également des réflexions qui ont lieu dans le cadre du programme Action publique 2022, démarche de modernisation qui engage tous les ministères.

Elle doit aussi pouvoir se nourrir des travaux parlementaires, qui sont particulièrement riches sur ce sujet. Je pense singulièrement aux travaux de votre commission, madame la présidente, travaux dont je salue la qualité. Je connais par ailleurs votre investissement personnel sur ces questions.

Enfin, je souhaite que nous puissions organiser un débat avec les professionnels et nos concitoyens, une fois que nous aurons défini les orientations de cette transformation. En effet, c’est pour eux que nous la menons. En outre, comme vous l’avez bien dit, madame la présidente, ce choix de société doit concerner tous les Français.

Pour ce qui est du calendrier, comme nous l’avons déjà indiqué, nous ferons nos annonces d’ici à la fin du mois de mars. À ce stade, je ne peux donc faire qu’un point d’étape sur nos réflexions, qui ne sont pas finalisées.

La transformation tourne autour de quatre enjeux.

Le premier d’entre eux, ce sont les contenus et les programmes. Nous touchons ici à la raison d’être de l’audiovisuel public : sa singularité et ses missions.

Vous l’avez bien souligné dans vos différentes interventions, madame la présidente de la commission, messieurs les sénateurs : l’enjeu est que l’audiovisuel public réponde aux attentes de tous les publics et propose une offre qui se distingue de celle du secteur privé.

La question centrale est la suivante : comment continuer à faire la différence ? C’est véritablement la boussole de la transformation. Nous avons identifié plusieurs missions prioritaires : j’en évoquerai trois.

La première d’entre elles est l’offre pour la jeunesse. La reconquête des jeunes est une urgence, pour la télévision publique en particulier. En effet, l’âge moyen des téléspectateurs augmente. Pour France 3, il est de 63 ans contre 58 ans en 2012 ; pour France 2, il est de 60 ans, contre 57 ans en 2012. Pour les chaînes privées, l’âge moyen du téléspectateur augmente aussi, mais il reste bien en deçà. Pour M6, il est de 47 ans aujourd’hui ; pour TF1, de 53 ans, soit 10 ans de moins que pour France 3.

L’audiovisuel public offre une différence pour les programmes destinés aux moins de 12 ans de par l’absence de coupures de publicité, grâce à l’adoption de la proposition de loi du sénateur André Gattolin. Il faut maintenant reconquérir les adolescents et les jeunes adultes, qui délaissent la télévision linéaire, mais consomment beaucoup de contenus en ligne et, notamment, de vidéo à la demande. Les deux tiers des 15-24 ans regardent des vidéos en ligne quotidiennement ; un jeune sur cinq est abonné à une offre de vidéo à la demande, contre une personne sur douze pour la moyenne de la population.

L’audiovisuel public doit leur proposer, sur le canal numérique, une offre de contenus culturels, éducatifs et informatifs de référence que les jeunes ne trouveraient pas ailleurs.

Une autre mission prioritaire de l’audiovisuel public est la proximité. L’offre d’informations et de programmes locaux est une spécificité de l’audiovisuel public. Elle est fondamentale pour la vie de nos territoires ; ce n’est pas à vous, mesdames, messieurs les sénateurs, que je l’apprendrai.

Pour renforcer cette mission, je crois à une coopération accrue entre les antennes de France Bleu et France 3, afin de produire davantage d’émissions et de programmes locaux. Les équipes travaillent à des expérimentations, notamment autour d’une matinale.

Enfin, parmi les missions prioritaires, il faut évoquer la culture. Le service public propose déjà une offre à part, avec des émissions comme La Grande Librairie, des œuvres de création, ou encore des retranscriptions de spectacles, notamment sur Arte. Il faut renforcer cette offre ; c’est une demande des Français. De fait, selon un récent sondage JDD-IFOP, une majorité d’entre eux regrette que, sur France Télévisions, il n’y ait pas assez de films, de programmes culturels et de documentaires.

Le deuxième enjeu de la transformation de l’audiovisuel public, après les contenus, est la mutation numérique.

L’investissement dans ce domaine a été jusqu’à présent largement insuffisant : il est de 3 % environ dans le budget de France Télévisions, contre 7 % chez certains de nos voisins européens et 12 % au Canada.

Il convient donc de repenser la stratégie numérique de l’audiovisuel public, à court et moyen terme. Les efforts des sociétés sont aujourd’hui éparpillés ; il faut plus d’investissements et d’offres numériques communes. Les sociétés font à l’heure actuelle des propositions en ce sens.

Il faudra aussi répondre, à terme, à l’enjeu du média global, qui mêle image, son et voix, et qui est présent en linéaire comme en non-linéaire.

Le troisième enjeu de la transformation est la gouvernance de l’audiovisuel public.

Nous avons une volonté claire : renforcer la coordination entre les différentes sociétés. Nous avons ouvert pour cela plusieurs pistes de réflexion. La distinction entre une présidence non exécutive et des directions générales, idée récemment relayée par un article de presse, n’est qu’une option de travail parmi d’autres. Elle est tout simplement issue du parangonnage – pour ne pas dire du benchmark – que nous avons effectué auprès des modèles européens, notamment de la BBC.

À ce stade, nous ne privilégions pas le meccano institutionnel consistant à créer une nouvelle entreprise unique. Nous préférons des méthodes souples d’organisation, qui favoriseraient la mise en œuvre rapide des réformes.

La question d’une nomination des dirigeants par les conseils d’administration se pose. Cette piste a été évoquée par le Président de la République pendant la campagne présidentielle. Elle donnerait aux dirigeants une plus grande assise managériale et impliquerait de revoir la composition des conseils d’administration. Les suggestions émises par le sénateur André Gattolin dans sa proposition de loi nous offrent une base de travail, qui sera complétée par d’autres propositions.

Le financement de l’audiovisuel public constitue le quatrième enjeu de sa transformation.

Ce n’est pas le point de départ de cette transformation, mais son point final, en quelque sorte, une fois repensées les missions et l’organisation du secteur.

Comme je l’ai réaffirmé lors de l’examen du budget pour 2018, il n’y aura pas de retour de la publicité après 20 heures sur France Télévisions. C’est un élément fort de distinction du service public.

S’agissant de la redevance, comme je l’ai déjà dit, je souhaite qu’un débat soit ouvert. À moyen terme, l’évolution des usages pose la question du rendement de cette contribution et de l’équité entre contribuables. Nous aborderons la question sans tabou.

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