La proposition de loi tendant à sécuriser et à encourager les investissements dans les réseaux de communications électroniques à très haut débit a été déposée le 10 novembre 2017 par Patrick Chaize et plusieurs de ses collègues du groupe Les Républicains, dans un contexte marqué par d'importantes turbulences pour le déploiement des réseaux à très haut débit en fibre optique. L'annonce par l'opérateur SFR d'un projet de couvrir unilatéralement l'intégralité du territoire national par son propre réseau a, en effet, menacé les principes structurants du déploiement du très haut débit en France et en a souligné les fragilités.
Depuis 2013, dans les zones très denses et moyennement denses identifiées par l'appel à manifestation d'intentions d'investissement de 2011 (dit « AMII »), les déploiements sont menés par les opérateurs privés, sur fonds propres. Le reste du territoire national constitue la zone d'initiative publique, dans laquelle la maîtrise d'ouvrage est confiée aux collectivités territoriales et à leurs groupements. Les déploiements sont alors assurés via des financements publics apportés par l'État, les collectivités territoriales, l'Union européenne et des partenaires publics comme la Caisse des dépôts et consignations. Des cofinancements privés y contribuent également.
Compte tenu des investissements nécessaires à la réalisation d'un réseau local en fibre optique sur l'ensemble du territoire national, une logique de mutualisation des infrastructures est privilégiée hors des zones très denses. Dans la zone d'initiative publique, le respect de ce principe est indispensable pour assurer la viabilité économique des réseaux publics. Même si l'opérateur SFR a depuis fait marche arrière, rien n'empêche un autre opérateur de mener demain des déploiements en doublon d'un autre réseau et de fragiliser ainsi les équilibres existants.
Par ailleurs, dans la zone d'initiative privée, la concrétisation pleine et entière des intentions exprimées par les opérateurs dans l'AMII de 2011 reste incertaine. Comme l'avaient souligné nos collègues Hervé Maurey et Patrick Chaize dans un rapport d'information adopté par notre commission en 2015, le manque de précision sur ces engagements et l'absence d'instruments de contrôle n'apportent aucune garantie sur la concrétisation de leurs intentions. Encore récemment, dans son avis rendu à la demande du Sénat en octobre 2017, l'ARCEP a souligné la nécessité de renforcer l'encadrement de l'initiative privée et de protéger les réseaux d'initiative publique.
La proposition de loi répond à ce besoin de clarification et de sécurisation du partage des tâches, pour un chantier dont le coût total était estimé à 20 milliards d'euros en 2013 et qui dépassera peut-être in fine 30 milliards d'euros. Un projet d'une telle importance pour nos concitoyens ne saurait, en effet, reposer exclusivement sur un consensus précaire entre acteurs publics et privés. La proposition de loi comporte, par ailleurs, une série de mesures visant à faciliter le déploiement des réseaux en fibre optique, ainsi que quelques dispositions relatives à la couverture mobile.
En vue d'appréhender efficacement ces sujets aussi techniques qu'essentiels pour l'aménagement de nos territoires, j'ai souhaité mener dans un temps resserré une vingtaine d'auditions et de consultations. J'ai pu ainsi entendre des représentants des administrations centrales, de l'ARCEP, des grands opérateurs privés et des opérateurs alternatifs, ainsi que des associations de collectivités territoriales. Il en ressort un besoin de clarification pour conforter les déploiements en cours, auquel le présent texte vise à répondre.
Une première série d'articles contribue à l'objectif de sécurisation des réseaux, en prévenant les risques de duplication. L'article 1er complète les règles générales encadrant l'établissement des réseaux de communications électroniques en y ajoutant la prise en compte des lignes en fibre optique existantes ou projetées. L'article 2, particulièrement important, modifie l'article L. 33-13 du code des postes et des communications électroniques (CPCE) en prévoyant l'établissement par arrêté d'une liste identifiant les opérateurs et les collectivités territoriales chargés, sur le territoire de chaque établissement public de coopération intercommunale (EPCI), d'établir un réseau en fibre optique. Cette liste précisera également le calendrier prévisionnel de déploiement des lignes encore à réaliser, sur la base d'engagements pris auprès du ministre s'agissant des opérateurs privés et des schémas directeurs territoriaux d'aménagement numérique (SDTAN) pour les collectivités territoriales. L'ARCEP sera chargée de contrôler le respect de la répartition des responsabilités et du calendrier de déploiement fixés et pourra, le cas échéant, adopter des sanctions.
En lien direct avec ce dispositif, l'article 5 complète les pouvoirs de l'ARCEP en définissant les sanctions encourues par les opérateurs en cas de manquement aux engagements pris dans le cadre de la liste précitée, qui pourront atteindre 1 500 euros par local non raccordable. Quant à l'article 3, il permet à l'autorité d'intégrer à sa réglementation un objectif d'optimisation de l'utilisation des infrastructures, en vue de définir de nouvelles règles techniques renforçant le partage des infrastructures et prévenant les risques de duplication.
Sur un plan opérationnel, l'article 6 modifie les règles relatives à l'occupation du domaine public pour le déploiement des réseaux de communications électroniques. Il vise à contrer deux stratégies, régulièrement dénoncées, que constituent la duplication des réseaux - source d'inefficiences économiques - et la préemption des infrastructures d'accueil - source de retards dans les déploiements. Il renforce les pouvoirs à disposition des autorités gestionnaires du domaine public pour favoriser le partage des infrastructures dites « d'accueil » des réseaux de communications électroniques. En outre, il permet aux collectivités territoriales de délivrer, après information de l'ARCEP, une permission de voirie à un autre opérateur lorsque l'opérateur en place ne remplit pas ses obligations de déploiement. Le titre d'occupation domaniale de l'opérateur ayant failli à ses obligations deviendra alors caduque.
Ces différents articles constituent un ensemble de mesures favorables à la mutualisation des réseaux. Par ailleurs, d'autres articles traitent de sujets connexes, mais plus ciblés. L'article 4 interdit toute aide ou subvention publique à un opérateur de réseau en fibre optique ou à un utilisateur final, sauf dans le cadre de la compensation d'obligations de service public ou de l'établissement d'un réseau d'initiative publique. Cette disposition vise à prévenir les pressions exercées par les opérateurs privés pour obtenir des aides destinées au raccordement final des logements.
L'article 7 modifie un intitulé au sein du code général des collectivités territoriales en vue de consacrer la qualification de service public pour les activités d'établissement et d'exploitation par les collectivités de réseaux de communications électroniques. Cette précision répond à un impératif de clarification, certaines juridictions administratives ayant adopté des positions différentes sur ce sujet.
L'article 8 modifie l'article L. 33-11 du CPCE, relatif au statut de « zone fibrée », en permettant à l'opérateur gestionnaire d'un réseau de cuivre sur une zone ayant obtenu ce statut de demander à la collectivité territoriale concernée de racheter les infrastructures d'accueil susceptibles de donner lieu à des travaux de génie civil pour le nouveau réseau en fibre optique. Un refus ne pourra être fondé sur le prix demandé dès lors qu'il apparaît raisonnable au regard notamment de l'état des infrastructures concernées et de leur utilité. Un décret fixera les critères retenus en vue d'apprécier ce caractère raisonnable. Pour mémoire, le statut de « zone fibrée », créé en 2015, permet de constater un déploiement de la fibre suffisamment avancé pour déclencher des mesures facilitant la bascule intégrale et définitive du réseau cuivre vers la fibre. Cet article vise à apporter une réponse équilibrée au problème de propriété de certaines infrastructures d'accueil, afin d'éviter aux collectivités territoriales de dépendre d'une location des infrastructures d'Orange et de faciliter le déploiement de la fibre optique.
Trois articles visent ensuite à soutenir les déploiements mobiles. L'article 9 plafonne ainsi le montant de l'imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux (IFER) applicable aux stations des réseaux mobiles, à hauteur de 20 000 fois le montant forfaitaire par station. L'objectif est d'inciter les opérateurs à déployer de nouvelles stations pour améliorer la couverture du territoire. Afin de faciliter concrètement ces déploiements, l'article 10 définit une clause de dispense ou d'allègement de certaines formalités prévues par le code de l'urbanisme au bénéfice des opérations effectuées sur des constructions existantes, ayant pour objet d'améliorer la couverture du territoire, y compris par un changement de technologie. Un décret en Conseil d'État en précisera la procédure. Quant à l'article 11, il modifie les critères retenus pour constater la couverture des « zones blanches » en centre-bourg, en prévoyant qu'elle devra désormais correspondre à une très bonne ou une bonne couverture en réseau 2G, au sens de la nouvelle méthodologie définie par l'ARCEP depuis septembre 2017.
Enfin, l'article 12 gage la proposition de loi et l'article 13 en précise les modalités d'entrée en vigueur en indiquant que les modifications apportées à l'article L. 33-13 du CPCE par l'article 2 ne s'appliquent pas aux engagements qui auraient été souscrits et acceptés via cet article dans sa rédaction antérieure à la proposition de loi.
À ces dispositions, je vous proposerai d'apporter des ajustements, en vue d'en préciser le sens et de tenir compte de certaines observations qui nous ont été faites lors des travaux préparatoires, sans toutefois bouleverser les grands équilibres du texte. Je vous proposerai une nouvelle rédaction de l'article 2, afin de ne pas modifier l'article L. 33-13 précité, qui sert de base à des négociations en cours entre l'État et les opérateurs, et de privilégier la création d'un nouvel article au sein du même code. À cette occasion pourront être apportées plusieurs précisions au dispositif, notamment en excluant les zones très denses, en prévoyant un avis public de l'ARCEP sur le projet de liste et en précisant le traitement des cas de duplication.
À l'article 4, sans remettre en cause l'interdiction d'aides publiques aux opérateurs, un amendement visera à permettre aux collectivités territoriales d'accorder des aides aux habitants dans le cadre d'une politique d'action sociale. Il me semble, en effet, important de maintenir une telle faculté pour les élus de nos territoires.
À l'article 6, je vous proposerai des amendements visant à inciter les acteurs publics à l'anticipation en matière de gestion du domaine public dans le cadre du déploiement des réseaux à très haut débit et à sécuriser le dispositif prévu par les auteurs de la proposition de loi. La réduction des nuisances et la bonne gestion du domaine public justifient de porter davantage d'attention au contrôle de ces déploiements et d'assurer une plus grande cohérence dans la délivrance des autorisations d'occupation domaniale.
À l'article 8, je vous proposerai une nouvelle rédaction pour le rachat des infrastructures d'accueil des réseaux en cuivre, afin de laisser davantage de marges de manoeuvre aux collectivités.
À l'article 11, je vous proposerai de renforcer les exigences de couverture dans les zones blanches en matière de téléphonie mobile. La situation que vivent certains territoires est insupportable et le relèvement des exigences de couverture me semble indispensable pour souligner l'importance de sujet et, qu'en 2020, le concept de zones blanches disparaisse. Enfin, je vous proposerai de supprimer l'article 13 de la proposition de loi, par cohérence avec les modifications apportées à l'article 2, qui le privent d'objet.
Nous aurons par ailleurs à examiner deux amendements déposés par notre collègue Patrick Chaize, portant sur l'attribution du statut de « zone fibrée » et sur l'IFER applicable aux réseaux en fibre optique, qui permettront de renforcer le texte.
En conclusion, l'ensemble de ces dispositions forment un ensemble cohérent en faveur d'un déploiement plus sécurisé des réseaux à très haut débit pour apporter à nos concitoyens, quel que soit leur lieu de vie, un accès de qualité aux réseaux de communications électroniques. A l'heure où internet constitue un bien commun, il est indispensable que chacun puisse en bénéficier dans de bonnes conditions ; cette proposition de loi y contribuera.