Intervention de Josiane Costes

Réunion du 22 février 2018 à 14h30
Conflits d'intérêts liés à la mobilité des hauts fonctionnaires — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Josiane CostesJosiane Costes :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, en 1945, l’ordonnance relative à la formation, au recrutement et au statut de certaines catégories de fonctionnaires portant création de l’École nationale d’administration soulignait le « sentiment des hauts devoirs que la fonction publique entraîne », un sentiment encore largement partagé chez les agents publics qui concourent quotidiennement au fonctionnement de nos services publics et de nos institutions.

Lors des auditions que j’ai conduites, plusieurs témoignages ont illustré le dévouement de grands serviteurs de la Nation, pour des traitements inférieurs aux rémunérations des hauts cadres des entreprises.

Aujourd’hui encore, ceux qui font le choix de rejoindre le secteur privé demeurent minoritaires, y compris au sein des catégories supérieures de la fonction publique, où la part des départs vers le privé est tout de même beaucoup plus élevée. Il en ressort que la question de la rémunération des hauts fonctionnaires demeure le nœud du problème, problème que l’on peut d’ailleurs étendre à d’autres catégories de la fonction publique.

Beaucoup de mes interlocuteurs ont présenté la mobilité comme un levier d’attractivité vers la haute fonction publique : il nous a été dit que le recrutement traversait une crise. Pour autant, à défaut de données étayées en ce sens, on ne peut déplorer qu’un sentiment de baisse d’attractivité des carrières publiques : à charge pour vous, monsieur le secrétaire d’État, d’objectiver ce sentiment.

En outre, et c’est un deuxième aspect des conclusions que je tire de mes auditions, la perception du pantouflage est très variable selon la fonction exercée : les administrations les plus favorables au passage vers le secteur privé sont souvent celles dont les activités sont le plus en lien avec l’écosystème. Il s’agit, pour eux, d’accroître leur efficacité administrative en s’imprégnant des problématiques que rencontrent les acteurs économiques. La difficulté dans ces cas-là est de s’assurer que l’agent, une fois retourné dans l’administration, retrouve son impartialité vis-à-vis de l’entreprise qui l’avait recruté.

La dernière conclusion que je tire de mes auditions est la grande opacité qui entoure la notion de haute fonction publique, et en premier lieu son périmètre réel, dès lors qu’il n’est nullement défini. Il existe bien le terme de « catégorie A+ », mais, selon les personnes interrogées, le nombre de personnes concernées varierait du simple au double, entre 12 000 et 34 000 personnes, excepté les maîtres de conférences.

Il en va de même des données relatives à leur mobilité, chaque corps, chaque administration recueillant ou non des données sur la mobilité de ses membres. L’étude Que sont les énarques devenus ? ne permet pas de retracer les mobilités vers le secteur privé des Polytechniciens, des diplômés des Ponts, des Mines ou d’autres encore. Si elle a pu longtemps les protéger, je crains que cette opacité ne desserve aujourd’hui les hauts fonctionnaires, à une époque où la transparence est requise partout. Il me semble indispensable, monsieur le secrétaire d’État, que la direction générale de l’administration et de la fonction publique, la DGAFP, se dote des moyens et des outils nécessaires pour disposer de données chiffrées sur la mobilité de ces hauts fonctionnaires.

Si la mobilité des fonctionnaires et des hauts fonctionnaires, y compris vers le secteur privé, me paraît indispensable, elle doit impérativement s’articuler avec le respect des principes déontologiques destinés à prévenir et à sanctionner tout conflit d’intérêts dans le cadre de leurs missions de service public. Certaines situations peuvent produire des faits constitutifs d’infractions pénales, et se manifester tant dans l’exercice par un agent de ses fonctions au sein du secteur public qu’en cas de « pantouflage », c’est-à-dire lorsqu’un fonctionnaire souhaite quitter ses fonctions publiques pour occuper un poste dans le secteur privé.

Cet équilibre entre la volonté, d’une part, de favoriser la mobilité des fonctionnaires et, d’autre part, d’éviter les situations de conflits d’intérêts est difficile à établir.

C’est, jusqu’à présent le rôle de la commission de déontologie de la fonction publique, qui constitue le pivot de la prévention des conflits d’intérêts des agents publics. Alors que ses prérogatives ont été renforcées par la loi du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires, force est de constater qu’elle fait toujours l’objet de nombreuses critiques, ce qui a motivé le dépôt de la proposition de loi du groupe du RDSE aujourd’hui examinée.

La plupart des personnes auditionnées ont reconnu que les dispositions actuelles présentent plusieurs défauts, également constatés par nos collègues députés Fabien Matras et Olivier Marleix. Les dispositifs relatifs au recouvrement de la pantoufle ne sont guère opérationnels, selon qu’ils interviennent après l’interruption de la scolarité ou après quelques années de service.

Les règles de déontologie, imposées depuis 2016, sont inégalement appliquées selon les ministères ou les administrations concernés. Bien que la loi rende la saisine de la commission de déontologie obligatoire, celle-ci ne dispose pas des moyens de contrôler que tous les cas de mobilités entrant dans le champ de l’article 25 octies lui ont été soumis. L’activité de la commission de déontologie a également été critiquée en raison de la non-publication de ses avis, et sa partialité a parfois été remise en cause.

Enfin, le principe même de cohabitation de la commission de déontologie et de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique n’est pas satisfaisant. Je rappelle à ce titre que la HATVP est déjà chargée de collecter les déclarations de patrimoine de certains hauts fonctionnaires.

Dans ces conditions, et soucieuse de remplir mon devoir de « bijectivité » qu’évoquait Philippe Bas, j’ai été amenée à proposer, en tant que rapporteur pour la commission des lois, des amendements tendant à supprimer plusieurs articles du texte du groupe du RDSE. Je l’ai fait dans le souci de respecter au mieux la sensibilité des membres de la commission des lois sur cette question. Il ne s’agit pas de schizophrénie, mais de « pensée complexe » !

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