Intervention de Olivier Dussopt

Réunion du 22 février 2018 à 14h30
Conflits d'intérêts liés à la mobilité des hauts fonctionnaires — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Olivier Dussopt :

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi que nous examinons touche à une exigence, la déontologie, qui est consubstantielle à l’action publique.

La déontologie, entendue comme la connaissance de ce qui est juste ou convenable, rapporté à l’activité professionnelle, participe en effet directement à la légitimité de l’action publique auprès de nos concitoyens. Cette exigence s’impose aux responsables politiques, mais elle doit également être au cœur de l’action des agents publics, plus particulièrement de ceux d’entre eux qui exercent les responsabilités les plus importantes et mettent en œuvre les orientations arrêtées par le pouvoir politique.

Il ne peut y avoir de confiance publique que si les citoyens ont la conviction que ceux à qui la souveraineté est déléguée agissent au service de l’intérêt général.

Cette exigence de probité, d’intégrité et d’impartialité n’est pas nouvelle pour notre pays. C’est en effet Louis IX qui, le premier, exigea des officiers placés sous son autorité qu’ils réforment tout abus moral et politique, dans son ordonnance de 1254. Tout au long de notre histoire, nous nous sommes collectivement interrogés sur les obligations des fonctionnaires, sur ce « sentiment des hauts devoirs que la fonction publique entraîne », pour reprendre les termes de l’ordonnance du 9 octobre 1945, qui a conduit, en particulier, à la création de l’École nationale d’administration.

Cette exigence s’est toutefois considérablement renforcée ces dernières années, alors que les attentes en matière de transparence et d’exemplarité se sont accrues. La plus grande porosité et la plus grande mobilité professionnelle entre le secteur public et le secteur privé l’expliquent en partie.

Ne nous y trompons pas : cette mobilité est une source d’enrichissement pour les agents publics, pour le service public et pour la société dans son ensemble. Les allers et retours professionnels entre le service public et le secteur privé favorisent en effet pleinement la respiration et la créativité dont notre société a besoin. C’est tout le sens de la démarche engagée par le Gouvernement dans le cadre du programme « Action publique 2022 », afin de décloisonner le déroulement des carrières entre l’emploi public et l’emploi privé.

Par conséquent, s’il faut sanctionner efficacement les manquements aux règles déontologiques, il faut éviter de créer des règles qui procéderaient d’une suspicion généralisée à l’égard des agents publics et paralyseraient, de façon disproportionnée, l’efficacité de l’action publique.

Cet équilibre a précisément été consacré par l’adoption de la loi du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires, qui a emporté la plus importante réforme du statut général de la fonction publique en matière de déontologie depuis 1983. Comme vous le savez, cette loi rappelle les valeurs essentielles du service public qui sont portées par les agents publics. Elle définit et organise les mécanismes relatifs aux conflits d’intérêts. Elle assure, enfin, une large diffusion d’une culture déontologique auprès des agents publics, car la déontologie est moins affaire d’interdits que de valeurs et de principes positifs qui doivent être mis en œuvre à titre préventif.

Je ne reviendrai pas sur les dispositifs de prévention des conflits d’intérêts mis en place par cette loi de 2016, que vous connaissez parfaitement, et dont le récent rapport de la mission d’information de l’Assemblée nationale relatif à la déontologie des fonctionnaires et l’encadrement des conflits d’intérêts dresse l’inventaire.

Je me permettrai simplement de rappeler les plus emblématiques d’entre eux : l’extension des compétences de la commission de déontologie de la fonction publique, qui contrôle désormais systématiquement les départs vers le secteur privé de tous les agents publics ; un encadrement plus strict des cumuls d’activités entre l’emploi public et une activité privée accessoire ; la mise en place de référents déontologues dans les trois versants de la fonction publique afin que tout agent public dispose d’un interlocuteur clairement identifié sur ces questions ; enfin, la mise en place d’un statut protecteur pour les lanceurs d’alerte.

Ces dispositions, qui concernent l’ensemble des agents publics, ont été complétées par des mécanismes de prévention des conflits d’intérêts spécifiques pour les emplois les plus sensibles des trois versants de la fonction publique.

Certains emplois sont ainsi soumis, compte tenu de leur niveau hiérarchique ou de la nature des fonctions exercées, à des obligations déclaratives nouvelles. Les agents qui occupent ces emplois sont ainsi tenus de déclarer leurs intérêts, leur situation patrimoniale ou de confier à des tiers des mandats pour la gestion de leurs instruments financiers.

Pour la seule fonction publique d’État, ce sont désormais près de 4 500 emplois qui sont soumis à l’obligation de transmission d’une déclaration d’intérêts et de 500 emplois pour la déclaration de situation patrimoniale.

S’agissant des postes les plus importants de l’administration, c’est-à-dire ceux qui sont laissés à la décision du Gouvernement, comme les directeurs d’administration centrale et les secrétaires généraux de ministères, la nomination sur ces emplois est également subordonnée à la transmission d’une déclaration d’intérêts et d’une déclaration de situation patrimoniale auprès de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.

L’articulation de tous ces dispositifs permet de prévenir de façon équilibrée la survenance de conflits d’intérêts à la sortie de l’emploi public vers le secteur privé, mais aussi lors du retour des agents concernés dans l’emploi public. Qu’il me soit permis à nouveau de souligner que ce contrôle sur les emplois les plus exposés, à la sortie comme à l’entrée, concerne tous les agents publics, fonctionnaires ou non.

Est-il aujourd’hui nécessaire d’aller plus loin et de modifier, comme vous le proposez avec cette proposition de loi, les dispositifs existants ?

Ce n’est pas la position du Gouvernement.

Non pas parce que le Gouvernement ne partage pas le même souci que le Sénat quant aux exigences d’exemplarité et de probité attachées à l’emploi public, mais parce que les règles déontologiques existantes ont procédé de la volonté de construire un dispositif équilibré et qu’elles commencent tout juste à être déployées.

Certains des décrets d’application de la loi du 20 avril 2016, et non des moindres, sont entrés en vigueur depuis moins d’une année. Nous pouvons très difficilement juger aujourd’hui, avec tout le recul nécessaire, de la nécessité de compléter notre corpus législatif en matière de déontologie des agents publics. Il nous faut, avant tout, faire appliquer et faire vivre ces règles nouvelles.

La réforme du cadre législatif envisagée par le Sénat à travers cette proposition de loi nous semble donc aujourd’hui prématurée.

Des adaptations seront sans doute ultérieurement nécessaires, notamment celles qui seront de nature à assurer, tout en les encadrant, la fluidité et le décloisonnement des carrières entre l’emploi public et l’emploi privé.

À cet égard, le Gouvernement partage pleinement les conclusions du récent rapport de la mission d’information de l’Assemblée nationale relatif à la déontologie des fonctionnaires et l’encadrement des conflits d’intérêts. Il s’agit moins de réviser le dispositif législatif que d’envisager son ajustement. Le Gouvernement restera particulièrement vigilant.

Mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le président, madame la rapporteur, promouvoir et veiller au respect de la déontologie au sein de l’administration est une condition essentielle à la pérennité du pacte républicain et à la légitimité de l’action des pouvoirs publics. Le Gouvernement considère que le cadre législatif tel qu’il existe est de nature à répondre à ces exigences. D’éventuels ajustements pourront intervenir, mais sous réserve que les obligations déontologiques récemment mises en place aient été pleinement déployées et évaluées.

C’est la raison pour laquelle nous ne pouvons souscrire à la proposition de loi que vous nous avez présentée.

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