Intervention de Loïc Hervé

Réunion du 22 février 2018 à 14h30
Conflits d'intérêts liés à la mobilité des hauts fonctionnaires — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Loïc HervéLoïc Hervé :

Ce texte est également nécessaire, car il constitue une forme de préambule. En effet, les annonces du Gouvernement sur le programme « Action publique 2022 » ont fait couler beaucoup d’encre et il est désormais certain que nous aurons à débattre, dans les mois à venir, d’une réforme globale du statut de fonctionnaire. Nous aurons donc l’occasion de parler à nouveau de ces questions.

Lors de l’annonce de ce programme, le Premier ministre, Édouard Philippe, accompagné de Gérald Darmanin, ministre de l’action et des comptes publics, et de vous-même, monsieur le secrétaire d’État, a dévoilé les quatre piliers sur lesquels la réforme de la fonction publique devrait reposer. Je ne reviendrai aujourd’hui que sur un seul de ces points, celui qui est lié directement à l’objet de la présente proposition de loi.

Le Gouvernement prévoit, selon ses mots, de banaliser le recours aux contractuels dans la fonction publique. Si l’objectif principal est de contourner le statut de fonctionnaire, jugé trop rigide, le Gouvernement invoque aussi, pour justifier ce recours aux contractuels, le besoin d’assurer la mobilité de l’ensemble des fonctionnaires, qui ne sont chaque année que 4 % à changer de poste.

Plus encore, il y a des disparités flagrantes entre les corps de l’État et, surtout, entre les catégories de fonctionnaires. De fait, les hauts fonctionnaires, la fameuse catégorie A+, jouissent de possibilités que n’ont pas les autres catégories. Alors que les allers et retours avec le privé sont possibles de manière large et facile pour les uns, il n’y a que contrôle strict et encadrement lourd pour les autres.

Au regard de la fonction publique dans son ensemble, les hauts fonctionnaires ont une mobilité sans égale. C’est du reste ce qui justifie que cette proposition de loi s’intéresse particulièrement à eux.

Aussi essentielle que soit cette mobilité, il ne faut pas avoir peur de dire qu’il existe des abus : ils sont honteux, en particulier dans ces situations, puisqu’il s’agit du service de l’État, et constituent autant d’affronts pour les corps auxquels ces fonctionnaires appartiennent. Oui, nous devons lutter contre les abus, car ils desservent la fonction publique, ternissent l’image du service public et poussent nos concitoyens à la défiance.

Ne vous méprenez pas sur mon propos ! Il ne s’agit pas ici de couvrir d’opprobre ceux qui, au service de l’État et de nos concitoyens, remplissent chaque jour des fonctions éminemment importantes. Sans ces hauts fonctionnaires, notre service public ne serait pas. Il s’agit donc de dénoncer les situations singulièrement anormales, que nous ne devrions plus tolérer.

J’évoquais à l’instant une mobilité sans égale pour les hauts fonctionnaires par rapport aux autres catégories. Ne nous trompons pas, là non plus, sur les conséquences de ce que l’on appelle familièrement le « pantouflage » ! La mobilité est un élément essentiel du fonctionnement des grands corps de l’État. En renouvelant des effectifs peu mobiles, elle permet de placer les personnes les plus compétentes aux postes les plus adéquats. En cela, elle est saine et mérite d’être encouragée sans tabou.

L’objet n’est donc pas ici, je le répète, de supprimer ou de porter atteinte à cette possibilité d’aller et venir entre le public et le privé, mais uniquement d’en éviter les dérives.

Plus encore, cette mobilité permet de répondre aux besoins de l’administration. De fait, il y a aujourd’hui un besoin croissant d’expertise technique, l’efficacité d’une administration ou d’une autorité publique dépendant aussi, et surtout, du degré de connaissance des secteurs sur lesquels elle travaille.

Prenons pour exemple l’Autorité des marchés financiers. L’État dispose de peu d’expertise particulière en la matière, ses fonctionnaires n’étant pas ou peu formés à ces problématiques. L’essentiel du secteur n’étant pas public, l’expérience de certains fonctionnaires dans les entreprises privées, puis leur retour dans l’administration entraînent de fait un gain en expertise comme en expérience. Un gain précieux, puisque, dans les secteurs qu’elle influence, voire qu’elle réglemente, notre administration ne peut être au niveau qu’en connaissant leurs rouages. Force est de constater que le pantouflage participe à cette connaissance, bien au-delà de cet exemple particulier.

En plus de participer à l’expertise nécessaire dans les hautes sphères de l’administration, il convient aussi de rappeler que la mobilité est une pratique encadrée. Contrairement à ce que certains laissent entendre, tout n’est pas permis. L’article 432–13 du code pénal prévoit en effet un délit de prise illégale d’intérêts. De plus, la commission de déontologie, visée par la présente proposition de loi, est d’ores et déjà chargée de vérifier qu’un agent de la fonction publique est légitime pour occuper les emplois privés auxquels il postule.

Malgré ces garde-fous, il y a – je l’ai déjà dit – des abus. Ils sont de deux types.

Le premier abus concerne une minorité de hauts fonctionnaires, qui ne respectent pas l’engagement décennal incombant aux élèves de l’École nationale d’administration, de l’École polytechnique ou de l’École normale supérieure. Le fonctionnaire qui, élève, a vu ses frais de scolarité pris en charge par l’État se doit au minimum de les rembourser s’il quitte l’administration prématurément.

Ces écoles, dont les concours d’entrée figurent parmi les plus difficiles de notre pays, n’ont pas vocation, à nos yeux, à former des cadres d’entreprises privées. Elles ont été créées pour démocratiser l’accès à la haute fonction publique ; il ne faut pas que cet objectif initial se perde.

Le second abus, bien plus grave, concerne les conflits d’intérêts, auxquels peuvent être confrontés les hauts fonctionnaires. Vous n’êtes pas, mes chers collègues, sans connaître la théorie de la capture, qui décrit schématiquement comment les moyens de réglementation et le pouvoir coercitif de l’État peuvent être utilisés et orientés afin de servir des intérêts privés. Avec la notion de « pantouflage », nous nous rapprochons de cette théorie de George Stigler. Effectivement, un fonctionnaire peut être tenté de favoriser une entreprise en vue d’un poste futur ou, une fois de retour dans l’administration, au nom de relations professionnelles passées. Ces situations ne devraient pas se produire, ne devraient plus se produire !

C’est pourquoi nous ne sommes pas opposés, sur le principe, à la présente proposition de loi et aux objectifs qu’elle cherche à atteindre.

Ce texte n’aborde que le seul aspect de la prévention des conflits d’intérêts. Il est vrai que la commission de déontologie de la fonction publique doit avoir les moyens de jouer pleinement le rôle qui lui était destiné lors de sa création en 1993. Mais ce n’est pas le seul moyen disponible pour contrôler le pantouflage et prévenir les conflits d’intérêts.

Peut-être aurait-il été plus constructif de réfléchir à un statut de la haute fonction publique – avant que le Gouvernement ne nous impose sa vision –, plutôt que de nous concentrer uniquement sur les modalités de contrôle. Des amendements vont en ce sens, nous en reparlerons dans la suite du débat.

La confiance dans l’État et dans la fonction publique passe nécessairement par la prévention des conflits d’intérêts. Mais trop souvent, et à tort, les fonctionnaires sont désignés comme responsables des problèmes de notre pays. Les parlementaires sont aussi, parfois, victimes de ce phénomène… Nous appelons donc de nos vœux une réforme globale du statut de la fonction publique, qui inclurait la reconnaissance de la catégorie A+, tout en renforçant la déontologie de l’administration. C’est par là que passeront l’amélioration des services publics et le retour de la confiance des citoyens dans leurs administrations.

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