Intervention de Pierre-Yves Collombat

Réunion du 22 février 2018 à 14h30
Conflits d'intérêts liés à la mobilité des hauts fonctionnaires — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Pierre-Yves CollombatPierre-Yves Collombat :

Le problème n’est pas le nombre de fonctionnaires quittant le service public ou y revenant, mais le fait que de hauts fonctionnaires ayant directement participé à l’élaboration des lois et règlements se retrouvent en position de faire bénéficier leur nouvel employeur de leur connaissance intime des secrets de fabrication et de leur carnet d’adresses, moyennant, évidemment, la multiplication plus que substantielle de leur salaire.

Dans certains ministères et dans certains corps – particulièrement dans celui des inspecteurs des finances –, le pantouflage n’est pas une pratique marginale. Ainsi, parmi les 333 inspecteurs et inspecteurs généraux des finances recensés par une enquête de 2017, plus de 55 % travaillent ou ont travaillé à un moment de leur parcours dans le secteur privé, dont 34 % dans le secteur bancaire. Près de la moitié reviennent dans le secteur public après avoir travaillé dans le privé, les allers et retours multiples étant nombreux. Près de 40 % ont fait un .passage dans un cabinet ministériel ou ont exercé un mandat politique. Enfin, plus de la moitié des grands patrons français du CAC 40 sont polytechniciens ou énarques.

Deuxième ligne de défense : réduire le problème du pantouflage extensif des grands corps à celui du conflit d’intérêts, à une simple question de déontologie. Pas question de se préoccuper des effets corrosifs d’une telle pratique sur les fondements de notre démocratie ; on se concentre donc sur les dispositifs techniques – commission et entretiens de déontologie, déclarations en tout genre, chartes éthiques – censés prévenir les conflits d’intérêts. Tel est l’esprit tant de cette proposition de loi que du rapport de l’Assemblée nationale évoqué voilà quelques instants, dans lequel il est écrit « Vos rapporteurs considèrent le dispositif légal actuel abouti, notamment grâce aux dernières évolutions. » Bref, « Circulez, il n’y a rien à voir ! »…

Troisième ligne de défense : un usage spécieux du conflit d’intérêts, réduit au seul risque de favoritisme. Ainsi, la seule contrainte qui s’impose à un fonctionnaire passé dans le privé est de ne pas faire bénéficier son nouvel employeur d’informations dont ses concurrents ne disposeraient pas. Un ancien directeur de BNP Paribas devenu gouverneur de la Banque de France devra, lui, se déporter, si l’institution doit traiter une question intéressant cette banque, afin d’éviter tout traitement de faveur par rapport à ses concurrents.

Il ne vient pas à l’esprit que le risque de conflit d’intérêts pourrait se situer ailleurs : entre les intérêts du système bancaire, opposé à tout ce qui pourrait ralentir son business, et ceux des citoyens préoccupés avant tout de la résilience du système bancaire par rapport aux crises spéculatives. Le rôle évident joué par la Banque de France dans l’échec des projets de séparation des banques de dépôt et des banques d’affaires montre qu’il ne s’agit pas d’une question théorique.

Non seulement la proposition de loi ignorait ces questions essentielles, non seulement elle s’en tenait, dès le départ, à quelques mesures déontologiques, que l’on aurait pu soutenir, visant à renforcer les dispositifs de contrôle existants, mais, à l’arrivée, malgré l’adoption de quelques amendements, il n’en reste plus grand-chose ; elle s’est autodétruite en vol. Difficile de s’y résoudre et de ne pas réaffirmer qu’il faut en finir avec ces pratiques délétères.

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