Intervention de Françoise Laborde

Réunion du 22 février 2018 à 14h30
Exécution des peines des auteurs de violences conjugales — Discussion et retrait d'une proposition de loi

Photo de Françoise LabordeFrançoise Laborde :

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, la proposition de loi que j’ai souhaité déposer, avec le soutien de la grande majorité des membres du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, a pour objet d’aborder les problèmes rencontrés dans l’application et l’aménagement des peines prononcées à l’encontre des auteurs de violences conjugales et de tenter d’y apporter une solution.

Les circonstances qui m’ont conduite à prendre cette initiative sont non seulement le résultat d’une réflexion personnelle engagée sur le fond dans le cadre des travaux de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, dont je suis membre depuis mon élection au Sénat en 2008, mais aussi le fruit de rencontres avec les acteurs associatifs dans mon département, la Haute-Garonne.

J’ai été alertée par un collectif associatif sur l’incompréhension des victimes de violences conjugales et de leur famille face aux conséquences de certaines décisions judiciaires en matière d’aménagement des peines. Les faits relatés posent le problème dans son ensemble et nous conduisent à nous interroger.

Un homme peut-il être placé derrière les barreaux pour de menus trafics de stupéfiants alors qu’un autre est laissé en liberté surveillée quand une décision de justice atteste que, à plusieurs reprises, il a violemment frappé sa compagne ?

Si l’on peut comprendre la démarche des juges de l’application des peines qui autorisent ces aménagements, on ne peut rester sourd à la détresse des familles, et souvent des enfants : le bourreau de leur mère est laissé libre à la suite d’une décision de justice qui l’a pourtant reconnu coupable. Le poids symbolique de cette pratique est extrêmement lourd de conséquences. C’est un contre-signal adressé en matière de lutte contre les violences conjugales.

On objectera peut-être que ma proposition de loi risque d’aggraver le phénomène de surpopulation carcérale. Les lieux de privation de liberté sont surchargés et la restriction des aménagements de peine aurait pour conséquence directe une augmentation des effectifs de ces établissements, mais les violences conjugales sont très spécifiques.

Ces violences se caractérisent par un dénominateur commun à l’auteur des faits et à la victime : je veux parler du déni, nourri par le phénomène de l’emprise. C’est une caractéristique constante de ce type de délit.

Le législateur ne doit perdre de vue ni cette particularité ni la question de l’avenir des enfants, lesquels sont souvent pris au piège dans des situations délétères pour leur construction. Il nous faut les protéger. Trop souvent, ils sont les premiers témoins, otages et malheureusement victimes collatérales prises dans les mailles des violences conjugales.

La réponse judiciaire à ces violences particulières est-elle appropriée ? Telle est la question que j’ai voulu soulever aujourd’hui.

Les institutions doivent réagir à la mesure du problème, car laisser les violences s’installer dans l’intimité des couples, c’est laisser le phénomène s’aggraver en fréquence et en intensité. Certains experts ont même proposé de supprimer les mains courantes en cas de violences conjugales, car elles donnent le signal aux victimes que leur plainte ne sera ni prise au sérieux ni suivie d’effet. Je ne suis pas allée jusqu’à cette extrémité dans ma proposition de loi, mais j’ai entendu les conseils de juges expérimentés.

L’arsenal juridique dont nous disposons prévoit insuffisamment une prise en charge des auteurs de violences, laquelle devrait se faire en amont, dès les premiers signalements.

J’ai choisi de déposer cette proposition de loi pour relever l’inadaptation des mesures alternatives à la privation de liberté aux cas de violences conjugales, a fortiori aux cas d’emprise, et pour nous conduire à nous interroger collectivement sur les situations concrètes et insupportables auxquelles sont confrontées les victimes et leurs familles.

Comment s’assurer que des aménagements de peine ne soient pas prononcés lorsque la liberté surveillée expose les victimes ou leurs familles à de nouvelles violences ? Nos magistrats sont-ils suffisamment formés pour déceler les phénomènes d’emprise poussant certaines victimes à demander elles-mêmes la remise en liberté de leurs agresseurs ? Autant de questions sans réponses…

Si je comprends la démarche des juges de l’application des peines qui prononcent ces aménagements, dont je n’ignore pas les raisons, je considère que le législateur ne peut rester sourd à la détresse des familles des victimes. C’est la raison pour laquelle mon texte prévoit d’exclure des dispositifs d’aménagement des peines, notamment ab initio, les auteurs de violences conjugales, afin de les maintenir à distance de leurs victimes.

Pour autant, j’ai bien entendu les réserves juridiques exprimées par nos collègues de la commission des lois, et je suis sensible à leurs arguments. Selon eux, l’article 1er aurait pour conséquence d’empêcher le prononcé de certaines mesures probatoires encadrant les sorties de détention alors que celles-ci pourraient réduire le risque de récidive. Ils ont par ailleurs estimé que l’article 2 porterait atteinte au principe d’égalité devant la loi. Je peux le comprendre.

Mais c’est aussi à la loi de mettre en place les moyens de protéger les victimes en leur permettant de sortir du cercle infernal des violences. Actuellement, ce n’est pas le cas.

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