Intervention de Brigitte Lherbier

Réunion du 22 février 2018 à 14h30
Exécution des peines des auteurs de violences conjugales — Discussion et retrait d'une proposition de loi

Photo de Brigitte LherbierBrigitte Lherbier :

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, la proposition de loi présentée par Mme Françoise Laborde prévoit la création d’un régime dérogatoire en matière d’exécution des peines applicable – et c’est ce qui nous gêne – aux seuls auteurs de violences conjugales.

Ces derniers seraient exclus de l’attribution des crédits de réduction de peine. Les personnes incarcérées pour ces violences ne pourraient également plus solliciter une suspension ou un fractionnement de leur peine pour un motif grave d’ordre médical, familial, professionnel ou social. Enfin, ces personnes ne pourraient plus bénéficier de mesures de semi-liberté ou de placement à l’extérieur.

Cette proposition de loi vise ainsi à appliquer le régime dérogatoire créé par la loi du 3 juin 2016, applicable aux personnes condamnées pour terrorisme, aux auteurs de violences conjugales. Nous partageons tous ici, chère collègue, l’objectif d’améliorer la lutte contre les violences conjugales. – en tant qu’adjointe à la sécurité de Tourcoing, j’ai été régulièrement confrontée à ces horreurs –, mais il nous faut avant tout être efficace.

La commission des lois n’a pas adopté cette proposition de loi en raison des nombreuses difficultés juridiques et pratiques qu’elle présente. Nous ne voulons pas céder à la démagogie ; vous non plus, je suppose. Nous essayons d’être rigoureux, car c’est l’essence même du travail du Sénat.

Tout d’abord, le champ des infractions retenues pour l’application du régime dérogatoire suscitait des questions. En premier lieu, il recouvre des violences d’inégale gravité. Par exemple, l’homicide par conjoint n’est pas visé alors qu’est inclus le délit d’appels malveillants. En second lieu, il concerne des infractions qui ne peuvent, par définition, être commises par un conjoint à l’encontre de sa victime. Par exemple sont visées certaines infractions pénales uniquement constituées lorsque les violences s’exercent en groupe : je pense au délit d’embuscade, ou encore en bande organisée.

En outre, il serait incohérent et contraire au principe constitutionnel d’égalité devant la loi d’exclure les seuls auteurs de violences conjugales du bénéfice des crédits de réduction de peine et de la possibilité de voir leur peine aménagée dans un centre de semi-liberté, par exemple.

Comme je l’ai indiqué, cette proposition de loi s’inspire du régime dérogatoire applicable en matière de terrorisme. Or les dispositions dont il s’agit semblent difficilement pouvoir être étendues au champ des infractions retenues dans la proposition de loi qui recouvrent des comportements d’une inégale gravité. Certaines infractions visées ne sont réprimées que d’une peine d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. À l’inverse, les infractions terroristes sont au minimum punies d’une peine de sept ans d’emprisonnement et au maximum de la réclusion criminelle à perpétuité. Ces infractions ne sont pas comparables.

Surtout, la commission des lois a estimé que cette proposition de loi serait contre-productive au regard de l’objectif poursuivi.

Par exemple, l’article 1er prévoit de réduire les mesures d’aménagement pouvant être proposées aux condamnés déjà incarcérés : or, a fortiori dans un cas de violences conjugales, il est nécessaire d’éviter les sorties sèches et d’accompagner les libérations des condamnés incarcérés par des mesures probatoires. Les suivis probatoires permettent d’obliger les condamnés à suivre des traitements, à se soigner, à ne pas rencontrer la victime, à participer à des groupes de parole. Nous avons eu l’occasion d’échanger sur ces sujets avec des magistrats en commission.

Enfin, la proposition de loi ne semble pas répondre au problème soulevé.

Aucune disposition n’est proposée pour modifier la possibilité, pour le tribunal correctionnel, d’aménager ab initio, au stade du jugement, les peines d’emprisonnement prononcées. Dès le stade du jugement, le tribunal correctionnel peut en effet aménager une peine d’emprisonnement en optant pour un placement sous surveillance électronique ou pour une mesure de semi-liberté. Aucune disposition n’est proposée pour modifier la procédure d’examen systématique par le juge de l’application des peines, en vue d’un aménagement, des peines d’emprisonnement d’une durée inférieure ou égale à deux ans des condamnés non incarcérés. C’est cette procédure qui est en réalité très critiquée. Cette proposition de loi ne changerait donc rien au constat de non-exécution des petites peines d’emprisonnement.

Aucune disposition n’est proposée pour modifier la possibilité, pour le juge de l’application des peines ou le tribunal de l’application des peines, de prononcer une mesure de placement sous surveillance électronique, en application de l’article 723-7 du code de procédure pénale.

Or je rappelle que le Sénat a déjà adopté plusieurs réformes d’envergure du régime d’exécution des peines. Madame la ministre, peut-être pourrez-vous vous en inspirer. Nous reprendrons avec vous ce chantier quand vous le souhaiterez.

En janvier 2017, le Sénat a adopté la proposition de loi tendant à renforcer l’efficacité de la justice pénale, présentée par MM. François-Noël Buffet et Bruno Retailleau. Son article 20 vise à supprimer le principe de l’attribution automatique de crédits de réduction de peine pour tous les condamnés détenus et à adapter en conséquence le régime actuellement prévu pour les réductions supplémentaires de peine – c’est l’article 721-1 du code de procédure pénale –, lequel deviendrait le seul régime de réduction de peine.

Surtout, en octobre dernier, le Sénat a adopté la proposition de loi d’orientation et de programmation pour le redressement de la justice, présentée par le président de la commission des lois, Philippe Bas. Son article 27 prévoit la suppression de l’obligation d’examen, par le juge de l’application des peines, avant mise à exécution, de toutes les peines d’une durée inférieure ou égale à deux ans d’emprisonnement, ou un an en état de récidive légale.

Cette mesure permettrait de répondre à la légitime incompréhension des victimes, dont vous parliez tout à l’heure, chère collègue, ou de leurs proches de ne pas voir incarcérer une personne condamnée à une peine d’emprisonnement de dix-huit mois, par exemple.

Beaucoup de choses doivent encore être faites pour améliorer la protection des victimes de violences conjugales. Je suis tout à fait d’accord avec vous, madame Laborde. Il faut notamment généraliser le dispositif téléphone grave danger ou encadrer les dépôts de plainte. Néanmoins, ce texte ne paraît pas répondre aux problèmes soulevés. Il serait au contraire contre-productif pour lutter contre la récidive en matière de violences conjugales.

En tant que parlementaires, nous devons être sincères. Écrire des textes pour le seul plaisir de les écrire, ce n’est pas la devise du Sénat. Ensemble, soyons efficaces, objectifs, pour protéger les personnes les plus vulnérables, les victimes, qu’il s’agisse de femmes ou d’enfants. Nous avons encore beaucoup de choses à faire, madame Laborde.

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