Intervention de Alain Bauer

Commission d'enquête état des forces de sécurité intérieure — Réunion du 13 février 2018 à 14h20
Audition de M. Alain Bauer professeur de criminologie appliquée au conservatoire national des arts et métiers cnam à new-york et à shanghai

Alain Bauer :

Oui, ce n'est pas très difficile à trouver. Le collège de justice criminelle de New-York par exemple a fait plusieurs études sur l'organisation de la police américaine. Cela permet de comparer les polices de New-York et Chicago. Je rappelle que New-York a atteint le plus bas taux de criminalité de son histoire. Ce n'est certes pas le cas sur tous les facteurs étudiés, mais le nombre d'homicides ou d'usages d'armes à feu par exemple est historiquement bas. Cela montre bien qu'aucune situation n'est systématiquement vouée à la catastrophe. Ces évolutions sont le résultat de politiques locales volontaristes dont on ferait bien de s'inspirer.

Mme Ghali, j'arrive à votre question. Le problème n'est pas la police de proximité, c'est la proximité de la police. Pour simplement ouvrir un commissariat, il faut trente emplois, et encore, ce nombre ne permet pas de mettre un seul policier sur le terrain, c'est juste ce qu'il faut pour qu'il y ait de la lumière. Ce sont des moyens considérables, il faut donc revoir la territorialisation. Si l'on regarde dans votre ville, à Marseille, la « mère de toutes les cités » : la busserine. C'est là qu'on a inventé la criminalité moderne, on y a fait bien mieux encore qu'Al Capone. C'est un « modèle » d'économie libérale avancée : intégration verticale, intégration horizontale, investissements dans la « recherche et développement », etc. Seule la gestion de la concurrence est plus définitive que dans le petit commerce traditionnel. Et pourtant on a résolu ces problèmes à un moment. Il y avait par exemple bien plus d'homicides en lien avec la criminalité et le trafic de drogue il y a quarante ans à Marseille qu'on en compte aujourd'hui. La criminalité y a considérablement chuté. Certes, la situation est très particulière : il y a eu une crise de succession et une crise de sécession. La disparition de Jean-Jérôme Colonna a été un drame dans l'organisation du crime marseillais. Ce n'est pas une situation liée à la police, mais ce sont des questions internes au crime organisé. L'arrivée de Farid Berrahma a tout changé : on est passé à la décentralisation et à l'ubérisation du crime. Le rapport du producteur au consommateur de Haschich a beaucoup évolué. Cette situation est purement locale, la police ne peut donc fonctionner efficacement que si elle connait ces sujets locaux. C'est pour cela qu'elle doit être « à » proximité, mais pas « de » proximité. L'important n'est pas de faire la ronde, mais de connaitre le fonctionnement de ce supermarché de la drogue...La question du Haschich doit être envisagée sous l'angle économique. Le procès de la tour K a montré la grande diversité des acteurs impliqués : la mule, le guetteur, le livreur, ils sont tous impliqués dans ce trafic pour des raisons d'argent. Parfois, c'est pour simplement payer son permis. Il faut bien avoir conscience que ce sont des motivations économiques du quotidien qui entrainent une bonne partie des acteurs dans ce trafic. Maintenant, c'est même inclus pour partie dans le PIB. Le traitement de tout cela passe par une approche transversale : je crois beaucoup en la complémentarité de la criminologie, de l'expertise, de l'action sociale, de la police, de l'action éducative, etc. Il faut donc du « sur mesure » dans la définition du territoire pour identifier quels sont les risques et les moyens à mettre en oeuvre.

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