Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de réforme de la carte judiciaire soulève de vives inquiétudes dans tout le pays – de nombreux collègues partagent, je crois, cette inquiétude –, et particulièrement dans les départements de la Savoie et de la Haute-Savoie.
Si vous affirmez régulièrement, madame la ministre, que votre projet ne supprimera aucune juridiction, les élus locaux, de même que les magistrats, les fonctionnaires et les professions juridiques, s’inquiètent vivement du sort qui sera réservé à la cour d’appel de Chambéry, destinée à fusionner avec celles de Grenoble et de Lyon.
La même inquiétude existe quant au destin de trois de nos tribunaux de grande instance, ceux d’Albertville, de Bonneville et de Thonon-les-Bains. Leur dévitalisation en matière d’activité judiciaire laisse craindre leur suppression à terme, alors que la justice y est aujourd’hui rendue rapidement.
Pacta sunt servanda : ma plaidoirie ne serait pas complète si j’oubliais le droit international public et le traité de Turin, texte qui a donné un certain nombre de garanties à la Savoie au moment où elle devint française. On pourrait considérer cela comme de l’archéologie juridique ; il n’en est rien, et je vous renvoie aux excellents travaux du barreau de Chambéry sur ce point. Les départements de la Savoie et de la Haute-Savoie sont toujours restés, depuis 1860, des territoires frontaliers et des territoires de montagne.
Cela dit, nos départements sont identifiés pour leur dynamisme démographique et économique, en périphérie des métropoles de Lyon, de Grenoble, voire de Genève. Dans ces conditions, un délitement du service public de la justice serait fort préjudiciable à un territoire puissant. Ce serait nier ses besoins, désavouer la performance et l’expertise des juridictions existantes, et négliger les difficultés de déplacement au regard de transports en commun insuffisants et de conditions climatiques et géographiques si spécifiques à la montagne.
Au moment où la survie des territoires intermédiaires et ruraux, en particulier des petites villes, est en jeu, la concentration de toute l’activité dans les seules métropoles constitue la négation même du droit du justiciable à voir traiter son dossier par un magistrat localement compétent et connaisseur des réalités de la vie d’un territoire dans lequel il vit lui-même.
Madame la ministre, envisagez-vous de reconsidérer les schémas d’organisation des juridictions, en discernant les spécificités de chaque territoire, c’est-à-dire en appréciant, entre autres, les distances, les perspectives de développement et les manques de moyens ? Quelles informations rassurantes êtes-vous en mesure de nous apporter ? Comment, dans une telle réforme, comptez-vous associer les élus locaux et les parlementaires au devenir d’un service public aussi essentiel que celui de la justice dans les territoires, a fortiori quand ceux-ci se situent en dehors des principales métropoles du pays ?