Intervention de Patrick Chaize

Réunion du 6 mars 2018 à 14h30
Investissements dans les réseaux à très haut débit — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Patrick ChaizePatrick Chaize :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en tant qu’auteur de la présente proposition de loi, je souhaiterais tout d’abord rappeler le contexte dans lequel le texte que nous allons examiner a été élaboré : à l’été 2017, un opérateur de télécommunications a annoncé son intention de couvrir l’ensemble du territoire en fibre optique par son propre réseau, menaçant ainsi l’équilibre fragile issu du partage des territoires entre la zone d’initiative privée et les réseaux d’initiative publique, pourtant indispensable afin d’assurer rapidement la couverture intégrale de notre pays, en conformité avec le plan gouvernemental.

Si l’opérateur en question est revenu sur son intention déclarée de « fibrer la France », cette accalmie, donc passagère, dissimule la réalité des rapports de force locaux entre opérateurs et collectivités. Nul besoin de chercher bien loin pour s’en convaincre : le cas des Yvelines, département dont sont issus notre rapporteur, Marta de Cidrac, et notre président, Gérard Larcher, nous rappelle qu’un opérateur privé peut chercher à dupliquer un réseau d’initiative publique et que les pouvoirs publics sont bien en peine, en l’état actuel du droit, de l’en empêcher. Je pourrais également citer l’île de La Réunion et, malheureusement, bien d’autres cas encore.

Il y a donc encore aujourd’hui un besoin de sécurisation. Alors, monsieur le secrétaire d’État, j’ai fait un rêve : le rêve que cette proposition de loi apporte aux collectivités territoriales et à leurs groupements, qui contribuent directement à l’aménagement numérique de leurs territoires, cette sécurisation. Les élus sont très impliqués dans les déploiements de réseaux à très haut débit en fibre optique et ont fait des efforts considérables qui ne sauraient ni être oubliés ni laissés sans protection de notre part.

Les dispositions contenues dans la proposition de loi visent ainsi à fournir un cadre sécurisant pour les investissements favorables à l’aménagement numérique du territoire, mais aussi contraignant s’agissant des engagements de déploiement des opérateurs. Pour atteindre ces objectifs et m’assurer que le texte qui vous est soumis aujourd’hui réponde effectivement à des problématiques concrètes, j’ai été en relation constante avec l’ensemble des acteurs concernés, publics et privés, y compris avec le Gouvernement. J’ai également échangé avec des représentants de la Commission européenne, qui m’ont indiqué être en phase avec le texte, dans le contexte de l’élaboration du code européen des communications électroniques.

L’objectif actuel de l’Union européenne est de donner les moyens législatifs et réglementaires aux autorités compétentes - l’État, l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, les collectivités et leurs groupements - pour écarter tout risque de superposition d’un réseau en fibre optique déployé ou en voie de déploiement avec un autre réseau du même type. J’insiste sur ce point, car il a pu nous être opposé que le calendrier de la proposition de loi n’était pas optimal. Dès lors que le texte présenté aujourd’hui s’inscrit en cohérence avec ce que nous devrons transposer dans les prochaines années, cet argument semble peu opportun. Au contraire, je considère qu’en matière de transposition il vaut mieux anticiper que subir. C’est aussi une condition pour que la France pèse à sa juste mesure dans le concert européen.

Le texte qui vous est présenté aujourd’hui est donc bien nécessaire et pertinent, ce qui ne signifie pas qu’il ne pourra pas évoluer au cours de la navette parlementaire en fonction de la stabilisation du cadre européen et du contexte national concernant les réseaux fixes à très haut débit. Sa philosophie générale peut se résumer ainsi : il s’agit d’accélérer le déploiement des réseaux à très haut débit en fibre optique sur l’ensemble du territoire français. Le déploiement de cette technologie me paraît essentiel à au moins deux égards.

D’abord, pour une raison d’équité territoriale et sociale : nous avons la responsabilité de permettre à chaque citoyen français l’accès aux réseaux de communications, où qu’il se trouve sur le territoire. C’est une condition de la cohésion nationale et de la mobilité sociale. On ne peut imaginer la fibre pour les villes et des technologies dégradées pour les champs.

Ensuite, pour une raison d’attractivité : la France est régulièrement mise en avant dans les classements internationaux pour la qualité et la densité de ses infrastructures, et celles concernant le numérique sont particulièrement stratégiques au XXIe siècle. Nous ne pouvons donc pas faire l’économie du déploiement d’une technologie qui a fait ses preuves et qui permettra de renforcer la performance de nos entreprises et l’attractivité de notre pays.

Les treize articles constituant la proposition de loi initiale répondent donc à deux enjeux principaux.

Le premier est la sécurisation des investissements dans les réseaux en fibre optique. Les engagements de déploiement des opérateurs doivent être juridiquement contraignants et les acteurs publics, que ce soient les collectivités ou l’ARCEP, doivent disposer de davantage de possibilités pour assurer la cohérence des déploiements. C’est l’objet du titre Ier de la proposition de loi, regroupant les articles 1er à 7, qui prévoient notamment de formaliser la répartition et les calendriers de déploiement, de renforcer les pouvoirs de contrôle de l’ARCEP pour en assurer le suivi, le cas échéant, de sanctionner, et de s’appuyer sur les permissions de voirie pour prévenir la duplication des réseaux et les éventuelles stratégies de préemption des opérateurs.

Le deuxième enjeu auquel répond le texte est le besoin d’incitation aux investissements dans les réseaux en fibre optique. En prévoyant l’extinction progressive du cuivre et des mesures d’exonération fiscale visant à la transition vers la fibre optique, le titre II du texte et les articles 8 à 10 visent à accélérer le rythme des déploiements.

Quant à l’article 11, il tire les conséquences de l’approche qualitative désormais retenue par l’ARCEP pour l’évaluation de la couverture mobile sur l’ensemble du territoire. Il s’agit de renforcer les obligations pesant sur les opérateurs, pour que, dans chaque commune, les habitants puissent utiliser les services « de base » du mobile, à savoir la messagerie, le téléphone et l’accès à l’internet mobile. Cela me semble être une exigence minimale.

Je souhaite saluer la qualité de l’écoute et du travail de la rapporteur, Marta de Cidrac, qui s’est rapidement approprié ce sujet particulièrement technique et a conduit un grand nombre d’auditions dans un délai très restreint. Le texte sort renforcé de son examen par la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, et je m’en félicite. Les ajouts et précisions apportés par la rapporteur consolident les dispositifs prévus, et j’ai moi-même proposé d’apporter des compléments au texte sur le statut de « zone fibrée » et sur l’IFER fixe.

Il me semblait important, s’agissant de la zone fibrée, que l’attribution de ce statut se fasse dans une logique plus transparente et liée à la réalité des déploiements des réseaux, sans sollicitation des opérateurs. L’ARCEP voit ainsi sa compétence consolidée et devra suivre avec précision et attention l’état d’avancement des déploiements.

S’agissant de l’IFER fixe, conditionner son application à la délivrance du statut de « zone fibrée » permettra par ailleurs une application plus progressive de cette imposition aux nouveaux réseaux.

Avant de conclure, je voudrais vous faire part de la suite de mon rêve : le rêve que le Gouvernement, porté par son ADN ni de droite ni de gauche, soutienne clairement cette initiative ou, du moins, adopte une position non équivoque sur son contenu. Il y a, je l’ai rappelé, de vrais problèmes à résoudre et, jusqu’à présent, en dépit de nos nombreux échanges avec le Gouvernement, nous n’avons obtenu de réponses suffisamment claires, ni sur le texte en lui-même, ni sur les inquiétudes des élus, ni même sur de vraies alternatives pour y répondre. Notre impatience est donc en passe de se transformer en déception, alors même que le Sénat est prêt à des concessions ou à des évolutions. Je forme donc le vœu, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, que les débats d’aujourd’hui permettent enfin d’avancer ensemble sur ces sujets.

Le constat fait récemment sur le mobile – vous avez largement évoqué un accord historique, monsieur le secrétaire d’État – doit nous inciter à anticiper pour le fixe. Il y a aujourd’hui urgence. J’espère que vous allez pouvoir me dire que ce rêve est en fait une réalité et que nous allons collectivement construire un texte répondant aux objectifs d’aménagement des territoires en étant plus qu’attentifs à leur cohésion.

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