Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, à l’heure où internet est considéré comme un bien commun, l’ensemble de nos concitoyens doit pouvoir y accéder dans de bonnes conditions et dans des délais raisonnables. Dans ce but, il est indispensable que des réseaux de communications électroniques de dernière génération puissent irriguer rapidement l’ensemble de notre pays. Ce déploiement doit bénéficier à tous, sans privilégier certaines zones au détriment de territoires moins denses, mais susceptibles de tirer profit autant sinon davantage du numérique.
Au regard de cet objectif prioritaire d’aménagement du territoire, la France s’est dotée depuis 2010 d’une programmation nationale en vue de déployer le très haut débit, permettant d’offrir des perspectives d’accès aux habitants de tous les territoires. Ce plan est fondé sur la complémentarité entre l’offre privée et l’initiative publique, cette dernière ayant été sollicitée pour compenser le manque d’intérêt économique des opérateurs sur une grande partie du territoire national. Or, au cours de l’année 2017, plusieurs annonces et tentatives d’opérateurs privés ont laissé paraître un risque de duplication des réseaux sur certaines zones prises en charge par les pouvoirs publics. Par ailleurs, la concrétisation pleine et entière des intentions des opérateurs dans la zone réservée à l’initiative privée reste depuis plusieurs années une source de vives inquiétudes pour les collectivités et les habitants concernés.
Remettant en cause les principes structurants du déploiement du très haut débit, ces différents éléments ont révélé la fragilité d’un programme fondé sur un simple consensus entre acteurs publics et privés. Afin de répondre à ces difficultés, la présente proposition de loi a été déposée au Sénat le 10 novembre 2017 par notre collègue Patrick Chaize, que je remercie, et de nombreux membres du groupe Les Républicains.
Je ne reviendrai pas en détail sur le contenu de la proposition de loi que mon collègue vient de vous présenter synthétiquement, et dont l’analyse détaillée figure dans le rapport de la commission. Le principal objectif de ce texte est de mettre en place des outils législatifs et réglementaires permettant d’éviter les superpositions entre réseaux en fibre optique afin de conforter la complémentarité public-privé retenue par le plan France très haut débit. Le texte comprend également des dispositions relatives à la couverture du territoire par les réseaux mobiles, visant à actualiser les critères de couverture des zones blanches et à accélérer les déploiements de stations de radio.
Lors de l’examen du texte, la commission a très largement confirmé plusieurs inquiétudes relatives à la poursuite du déploiement. Celles-ci concernent en particulier les risques de concurrence des réseaux d’initiative publique par des projets privés, ainsi que le manque de garanties sur la réalisation des intentions exprimées par les opérateurs privés dans la zone de déploiement qui leur est réservée depuis 2011.
Jugeant qu’un projet d’une telle ampleur financière ne saurait se poursuivre dans de bonnes conditions sans être sécurisé juridiquement, notre commission a approuvé les objectifs de la proposition de loi, en apportant certains ajustements aux solutions proposées.
Notre commission a ainsi procédé à une réécriture de l’article 2, prévoyant l’établissement d’une liste fixant les responsabilités et les calendriers du déploiement des réseaux en fibre optique. Notre objectif était de ne pas modifier le fondement juridique sur lequel des négociations sont en cours entre l’État et les opérateurs privés. Tout en tenant compte de ce contexte spécifique, nous avons jugé nécessaire de maintenir un dispositif visant à formaliser la répartition des responsabilités. Par cette réécriture, la commission a apporté plusieurs compléments, en excluant les zones très denses du dispositif, en prévoyant un avis public de l’ARCEP sur le projet de liste et en précisant le traitement des cas de duplication.
Notre commission a par ailleurs souhaité apporter des précisions à l’article 6, permettant aux autorités chargées de délivrer les permissions de voirie de mieux tenir compte des objectifs de mutualisation afin de prévenir les stratégies de duplication des réseaux ou de préemption du domaine public.
À l’article 8, une nouvelle rédaction a été adoptée pour organiser le rachat des infrastructures d’accueil des réseaux en cuivre afin de laisser davantage de marges de manœuvre aux collectivités. Cet article a également fait l’objet d’un complément, sur l’initiative de notre collègue Patrick Chaize, en vue de conforter le rôle de l’ARCEP pour l’attribution du statut de « zone fibrée ».
Notre commission a par ailleurs adopté un article additionnel conditionnant l’extension aux réseaux en fibre optique de l’imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux à la délivrance du statut de « zone fibrée », afin d’assurer une application plus progressive de cette imposition.
Enfin, une modification a été apportée à l’article 11, en vue de relever les exigences de couverture des zones blanches de la téléphonie mobile, pour assurer la disparition rapide de ces situations, devenues insupportables pour les habitants concernés.
Permettez-moi à présent de mentionner trois éléments de contexte, qu’il nous faut avoir à l’esprit dans nos travaux.
Le premier concerne les risques de duplication, qui sont à l’origine du présent texte. Bien que l’opérateur à la source des perturbations du plan en 2017 ait affirmé avoir renoncé à ses intentions initiales, rien n’empêche un autre opérateur de mener demain des déploiements concurrents à un réseau public. Dans mon département des Yvelines, je pourrais vous citer, monsieur le secrétaire d’État, le cas de la commune de Beynes, dans laquelle un grand opérateur privé déploie en ce moment même son réseau en doublon du RIP.
Le principal risque identifié par les collectivités est une duplication partielle des réseaux par des opérateurs privés décidant de se déployer sur les parties les plus rentables. Une telle stratégie fragiliserait significativement l’équilibre économique des RIP, déployés sur l’intégralité de la zone, dans une logique d’aménagement du territoire.
Le deuxième élément concerne le nouveau paquet Télécom en cours de négociation au niveau européen. L’article 22 du projet de code européen vise précisément à mieux identifier les intentions des opérateurs et à lutter contre les projets de réseaux non déclarés.
Si les discussions entre institutions européennes ne sont pas achevées, il est légitime de la part du législateur national de proposer une voie, le cas échéant par anticipation. Nous réaffirmons ainsi les préoccupations des pouvoirs publics français, en tenant compte des choix spécifiques qu’a faits notre pays en faveur du très haut débit.
Le troisième élément, monsieur le secrétaire d’État, concerne les négociations actuellement menées par le Gouvernement avec les opérateurs privés en vue d’obtenir de leur part des engagements précis et opposables sur les déploiements de réseaux en fibre optique.
Comme je l’ai déjà indiqué, nous avons souhaité en tenir compte en ne modifiant pas le fondement juridique sur lequel sont menées ces discussions pour ne pas les perturber. Toutefois, nous n’avons de certitude ni sur le résultat de ces négociations ni sur leur adéquation à nos préoccupations. C’est la raison pour laquelle le dispositif prévu à l’article 2 a été maintenu et nous semble toujours pertinent.
En conclusion, je tiens à dire que la présente proposition de loi apporte de vraies solutions aux problèmes rencontrés par les collectivités territoriales, qui n’ont pas encore obtenu à ce jour de réponses à la hauteur de leurs préoccupations.
Comme nous vous l’avons indiqué depuis le début, monsieur le secrétaire d’État, nous sommes prêts à construire des solutions communes avec vous. Toutefois, nous avons dû faire face à une faible implication du Gouvernement sur ce texte, qui ne nous a pas permis à ce stade d’élaborer ensemble un compromis. Devant notre commission, vous vous étiez déclaré favorable aux intentions du texte, sans souscrire véritablement aux dispositions proposées. Si vous nous le confirmez, quelles sont alors les solutions concrètes que vous proposez aux collectivités territoriales pour répondre à leurs difficultés ?
Notre travail sur ce sujet est guidé par un seul objectif : apporter à tous nos concitoyens, quel que soit leur lieu de vie, un accès de même qualité aux réseaux de communications électroniques de dernière génération. J’espère que les discussions d’aujourd’hui nous permettront d’y contribuer collectivement.