Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui vise à répondre aux préoccupations de nos concitoyens confrontés quotidiennement à la fracture numérique dans bon nombre de nos territoires ruraux ou peu denses.
La question de l’aménagement numérique de notre territoire et de l’égal accès aux services pour tous est primordiale au regard des évolutions de la société : démarches administratives en ligne, accès à l’information, aux savoirs et à la culture, ouverture sur le monde, ou encore télétravail, auquel notre groupe est particulièrement attaché.
Grâce à des initiatives locales, les besoins en termes de médiation et d’inclusion numériques sont pris en compte pour former les personnes les plus éloignées du numérique. Pourtant, une partie de notre territoire demeure pénalisée par un déploiement des réseaux trop lent ou trop inégal. En effet, selon l’Agence du numérique, 6, 4 millions de Français disposent encore d’une connexion d’un débit inférieur à 8 mégabits par seconde, et même à 3 mégabits par seconde pour 3, 5 millions d’entre eux, situés en zone rurale ou de montagne.
Nous connaissons tous des exemples de communes où les activités économiques et l’accès aux services publics sont fortement mis à mal par un réseau défaillant. Ainsi, j’ai été interpellé, comme beaucoup d’entre vous, par des élus de communes ayant des connexions tellement limitées que l’agent de La Poste ne peut plus effectuer ni versements ni prélèvements bancaires pour ses clients, qu’aucun mail ne peut partir de la mairie ou de l’EHPAD, des communes où les réservations en ligne pour les professionnels du tourisme sont impossibles et où les habitants n’ont pas accès aux services en ligne. De telles inégalités doivent cesser.
Le plan France très haut débit, lancé en 2013, a répondu à un certain nombre de nos interrogations, voire de nos inquiétudes : il organise les déploiements du réseau et la répartition entre l’initiative publique et privée jusqu’en 2022, pour couvrir l’ensemble du territoire français en très haut débit, tandis que 50 % des résidents en zones peu denses bénéficieront de la fibre.
S’il est certes pertinent d’équiper en priorité les zones denses, l’ambition doit être la même pour les territoires ruraux ou peu peuplés, l’accès aux services de toutes sortes étant déjà source de difficultés pour nombre de nos concitoyens. L’objectif intermédiaire d’un « bon débit pour tous », fixé en juillet dernier par le Président de la République, ne doit pas nous détourner des objectifs du plan France très haut débit.
Dans les zones peu denses, où les acteurs privés se montraient jusqu’ici réticents à s’engager, les collectivités territoriales ont investi massivement pour permettre l’installation rapide du très haut débit. Or, cela a été rappelé, l’annonce faite par un opérateur l’été dernier, en vue de couvrir l’intégralité du territoire national par son propre réseau, a menacé les principes structurants du déploiement et en a souligné les fragilités. Bien que l’opérateur semble aujourd’hui avoir revu ses ambitions à la baisse, on ne peut exclure des tentatives ultérieures des réseaux d’initiative privée qui viendraient ébranler l’équilibre financier.
Loin de nous l’idée de vouloir freiner l’accès au très haut débit par le recours à une initiative privée accrue. Mais nous partageons les arguments des auteurs de la présente proposition de loi : d’une part, les investissements déjà réalisés ou projetés par les collectivités doivent être sécurisés ; d’autre part, la cohérence de la couverture numérique du territoire doit être assurée. Nous le savons, les intentions du secteur privé ne coïncident pas toujours avec l’intérêt général, et c’est finalement l’utilisateur qui en subit les conséquences en termes de qualité de service et de coût.
Dans son avis en date du 25 octobre 2017, l’ARCEP souligne que les initiatives privées doivent tenir compte des réseaux publics et ne pas freiner l’expansion du très haut débit par une rupture de l’équilibre voulu par le plan France très haut débit. Ainsi, préserver l’existence d’une seule boucle locale optique mutualisée sur chaque territoire en zone peu dense apparaît comme une solution nécessaire.
L’adoption de l’article 2 de la proposition de loi, en rendant les engagements des opérateurs juridiquement contraignants par l’établissement d’une liste des lignes existantes ou en projet et d’un calendrier prévisionnel des déploiements, assortis de sanctions éventuelles, permettra d’accélérer les projets et de garantir leur visibilité. Cela fait partie des recommandations de l’ARCEP, qui constate que le Gouvernement aurait pu avoir recours à l’article L. 33-13 du code des postes et des communications électroniques. Créé par la loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique, cet article L. 33-13 permet en effet au ministre compétent d’accepter des engagements souscrits par les opérateurs pour contribuer à l’aménagement et à la couverture des zones peu denses et à l’ARCEP de contrôler leur respect et de sanctionner les manquements.
En ce qui concerne les autres mesures proposées, le renforcement de la mutualisation des infrastructures, ainsi que la possibilité de confier le déploiement à un autre opérateur lorsque l’opérateur sur place ne s’est pas conformé à ses obligations constituent un progrès.
Nous restons toutefois vigilants quant aux incitations financières prévues dans l’accord qualifié d’« historique », passé en janvier dernier entre l’État et les opérateurs, lequel instaure un certain nombre de contreparties au déploiement accéléré de la 4G et à la résorption des zones blanches. Ces contreparties mériteraient de faire l’objet d’une étude d’impact, et il reste prématuré d’accorder de nouveaux avantages lorsque l’on constate que les engagements ne sont pas respectés par la suite.
Enfin, il nous semble que l’article 10, relatif à l’allégement des formalités pour encourager l’amélioration des constructions existantes, est en l’état imprécis quant aux simplifications qui seront apportées aux règles d’urbanisme. Plutôt que le renvoi à un décret en Conseil d’État prévu par l’article L. 426-1 du code de l’urbanisme, il eût été plus judicieux d’affiner la rédaction de l’article en question.
Nous savons que cette ambition et ces inquiétudes sont partagées par le Gouvernement, qui entend légiférer sur ces questions dans le cadre du projet de loi Évolution du logement et aménagement numérique. C’est à notre sens le bon véhicule, ne serait-ce que pour permettre d’évaluer l’impact des contreparties de l’accord « historique » sur nos finances publiques. Elles sont partagées également au sein de l’Union européenne, où est encore en discussion le projet de code européen des communications électroniques.
Ainsi, le groupe du RDSE, s’il est favorable à toute réforme visant à désenclaver nos territoires et à l’amélioration de la sécurité juridique des investissements publics, reste néanmoins réservé sur cette proposition de loi, pour les raisons que je viens d’évoquer.