Pour ceux qui en douteraient encore, toute la logique du texte, ou au moins son postulat de départ, c’est la nécessité de favoriser « le déploiement d’une seule boucle locale optique mutualisée, ou BLOM, dans les zones moins denses ». Dit plus simplement, il s’agit de protéger les réseaux publics installés en zone rurale d’une concurrence privée à laquelle ils ne survivraient pas. Je ne m’attarderai pas sur la nécessité de cette protection, mais je crois utile de rappeler quelques principes, la répétition étant la meilleure pédagogie.
Les réseaux d’initiative publique ne se sont pas faits en un jour. Nous devons leur existence à la loi du 21 mai 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, qui donna enfin aux collectivités territoriales une compétence en matière d’aménagement numérique.
Toutefois, pour créer un réseau, il ne faut pas simplement en avoir le droit. Il faut constater une insuffisance d’initiatives privées par l’intermédiaire d’un appel d’offres déclaré infructueux, il faut garantir l’utilisation partagée des infrastructures, il faut respecter le principe d’égalité et de libre concurrence, tout cela dans des conditions objectives, transparentes, non discriminatoires et proportionnées. Il faut bien sûr respecter l’ensemble des droits et obligations régissant l’activité d’opérateur de télécommunications, notamment la séparation avec l’entité chargée de l’octroi des droits de passage. Enfin, il faut remplir toutes les obligations relatives au régime de subvention.
Parmi toutes ces règles, il faut rappeler que la création d’un réseau public est subordonnée à l’article L. 1425-1 du code général des collectivités territoriales : « L’insuffisance d’initiatives privées est constatée par un appel public à manifestation d’intentions déclaré infructueux ayant visé à satisfaire les besoins […] des utilisateurs… » Autrement dit, les réseaux d’initiative publique doivent leur existence à l’inexistence de l’offre privée. Pour cette raison, et je pourrais dire pour cette unique raison, il est essentiel que nous protégions les collectivités et toutes les formes juridiques sui generis qui ont souhaité investir. Ce sont ces investissements qui assurent l’égalité entre nos concitoyens.
Pour être complet, j’ajoute que cette proposition de loi ne protège pas uniquement les investissements des collectivités territoriales, elle protège également les investissements de l’État, puisque celui-ci a aussi mis la main à la poche. Il faut rappeler que, sur les 6, 5 milliards d’euros de subventions publiques destinées aux réseaux d’initiative publique, 3, 3 milliards d’euros proviennent de subventions de l’État, selon les chiffres de 2017. Il serait donc étonnant que l’État donne d’une main des financements et que, de l’autre, il ne crée pas les conditions législatives pour les sécuriser.
Il est donc impératif que le législateur se saisisse de la question et donne enfin à l’ARCEP les moyens de réguler l’offre en infrastructures dans les zones les plus fragiles. Nous ne pouvons pas abandonner des territoires, des collectivités et des élus qui se battent depuis des années pour résorber la fracture numérique au moment critique où nous apprenons que certains opérateurs veulent concurrencer les RIP là où il y a le plus de prises raccordables.
Je profite de cette intervention pour faire amende honorable auprès de l’auteur de la proposition de loi, Patrick Chaize, et de la rapporteur, Marta de Cidrac : le temps dont je dispose ne me permet pas d’évoquer l’ensemble des dispositions de cette riche proposition de loi ni même les nombreux ajouts de notre rapporteur en commission – beaucoup, d’ailleurs, a déjà été dit –, mais je sais que notre assemblée aujourd’hui réunie ne doute ni de leur compétence ni de leur volontarisme. Devant le retard désolant de notre pays, au seizième rang en Europe pour l’accès au numérique, cette initiative contribuera assurément à redorer le blason de la France, pour le développement de tous les territoires au service de l’ensemble de nos concitoyens.