Certes, tout citoyen peut saisir la justice administrative et demander la condamnation de l’État pour non-application de la loi, mais il s’agit d’une procédure lourde, complexe et assez rarement mise en œuvre.
J’ai vécu, à cet égard, une expérience dont je me souviendrai toujours. En 2004, lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, le Sénat a adopté, contre l’avis du Gouvernement, une disposition s’appliquant aux femmes exposées in utero au distilbène, médicament produisant des effets sur les filles, voire les petites-filles, des femmes auxquelles il a été prescrit. Le Sénat a considéré que ces femmes devaient bénéficier d’un congé maternité adapté. J’avais à l’époque travaillé avec l’association Réseau DES France.
Cette disposition a également été votée par l’Assemblée nationale. La loi a été promulguée le 20 décembre 2004 ; deux décrets d’application étaient prévus, concernant l’un les personnels de la fonction publique, l’autre les salariées du secteur privé. Toutes les femmes concernées ont salué l’adoption de cette disposition.
Or, mes chers collègues, il a fallu un certain temps pour que ces deux décrets paraissent. J’ai dû interpeller successivement trois ministres, multiplier les interventions et les questions, orales et écrites. Le second décret a été publié le 3 juillet 2009, soit exactement cinq ans, six mois et quatorze jours après la promulgation de la loi…
Les femmes qui nous avaient félicités d’avoir adopté cette disposition étaient extrêmement fâchées, contrariées de voir qu’une mesure votée ne s’appliquait pas. Certaines m’ont même demandé si le Gouvernement attendait, pour publier ces décrets, qu’elles ne puissent plus avoir d’enfants…
Une telle situation ne doit plus exister dans la République française. On pourrait citer des centaines d’autres exemples de cet ordre, monsieur le secrétaire d’État. C’est pourquoi il est nécessaire non seulement d’élaborer et de voter la loi, mais aussi de suivre scrupuleusement ses conditions d’application ou de non-application, à commencer par la publication des textes réglementaires. Il s’agit là d’une impérieuse nécessité. La Constitution confie d’ailleurs au Parlement la mission de contrôler le Gouvernement : nous sommes ici au cœur de cette mission de contrôle.
Franck Montaugé propose de créer un nouvel organe qui comprendrait trente-six parlementaires, dix-huit députés et dix-huit sénateurs. Le rapport présente l’historique des différentes instances qui ont été instaurées pour évaluer et contrôler l’application de la loi. La commission a jugé très pertinent l’objet de la proposition de loi de M. Montaugé, mais elle a considéré que l’instrument imaginé n’était pas forcément le plus adapté. Il nous a semblé préférable que le contrôle de l’application de la loi s’opère de la manière la plus concrète possible, c’est-à-dire en commission.
À titre d’exemple, un organe tel que l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques fait un travail remarquable, mais ne se réunit que trois ou quatre fois par an. Une instance créée sur ce modèle serait assez lourde et son mode de fonctionnement ne permettrait pas d’entrer dans le détail de l’écriture et de l’application des lois, ligne à ligne, alinéa après alinéa, paragraphe après paragraphe, article après article… En laissant aux commissions le soin de contrôler l’application des lois sur lesquelles elles ont travaillé, on atteindra sans doute à une plus grande efficacité.
C’est pourquoi, mes chers collègues, j’ai proposé à la commission des lois de voter le renvoi du texte à la commission. Cela ne veut pas dire que nous nous dessaisissions du sujet. Je tiens à rassurer Franck Montaugé : nous allons continuons à y travailler, d’autant qu’il sera certainement abordé dans le cadre de la réforme constitutionnelle à venir.
Je compte d’ailleurs déposer très prochainement avec Franck Montaugé une proposition de résolution relative au règlement du Sénat prévoyant que le rapporteur d’un texte le reste jusqu’à la fin de son mandat et présente chaque année devant la commission une communication sur l’état d’avancement de l’application de la loi. Ainsi, le rapporteur suivrait l’élaboration de la loi, mais aussi son application, année après année, et il pourrait, à ce titre, interpeller le ministre concerné si, par exemple, sur vingt décrets prévus, trois seulement sont parus. Le président de la commission compétente ne manquerait pas d’appuyer sa démarche. Il arrive très souvent que peu de décrets aient été publiés un an après la promulgation de la loi. Il s’agit donc d’une préoccupation tout à fait légitime.
Nous allons ensemble travailler aux différents outils qui nous permettront de progresser, de manière concrète et pragmatique, vers un suivi scrupuleux et vigilant de l’application de la loi.