La séance est ouverte à quatorze heures trente.
Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, mon intervention se fonde sur l’article 36 de notre règlement.
Mon groupe a inscrit dans son espace réservé de cet après-midi une proposition de loi, adoptée le 2 février 2017 à l’Assemblée nationale, qui permet une revalorisation sensible des retraites agricoles.
Cette proposition de loi est attendue par le monde rural tant est grand le dénuement des agriculteurs après une vie passée au service de notre pays et de nos territoires – car que serait la France sans leur travail ? Cette proposition de loi a été adoptée à l’unanimité en commission des affaires sociales. Son adoption conforme et donc définitive était acquise.
C’était sans compter l’obstination antisociale du Gouvernement, qui, ce matin et ce matin seulement, a déposé un amendement en annonçant un vote bloqué sur ce texte, dans le cadre de l’article 44, alinéa 3, de la Constitution. En clair, le coup de force du Gouvernement est de n’autoriser l’adoption de ce texte qu’accompagné de l’amendement proposé. Or cet amendement, c’est l’enterrement du texte, puisqu’il reporte sine die son application, voire son existence même : le Gouvernement entend vérifier la compatibilité de la proposition avec la future réforme des retraites…
De toute façon, la poursuite de la navette n’aura pas lieu, car le texte, qui sera non conforme, ne sera pas inscrit par le Gouvernement à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale.
Monsieur le président, mes chers collègues, il s’agit d’un coup de force d’une rare violence contre le Parlement !
Marques d ’ approbation sur les travées du groupe socialiste et républicain.
C’est un coup de force inédit, car l’article 44, alinéa 3, qui est en somme le 49.3 du Sénat, est invoqué contre une proposition de loi inscrite dans un espace réservé à l’initiative parlementaire.
Mais ce n’est qu’un coup de force qui s’inscrit dans toute une série d’autres actions : recours aux ordonnances, application anticipée de la loi Parcoursup avant le vote définitif et annonce, hier, d’une liquidation du droit d’amendement par le Premier ministre.
Monsieur le président, cela fait des années que nous alertons sur le recul des pouvoirs du Parlement, sur son abaissement. Aujourd’hui, j’ai le sentiment que nous parvenons à un moment grave pour notre démocratie, face à la volonté d’Emmanuel Macron d’accaparer tous les pouvoirs.
Le Gouvernement doit aujourd’hui – aujourd’hui ! - abandonner le recours au vote bloqué, qui va provoquer l’enterrement de cette proposition de loi.
Nous vous demandons de réunir dans l’urgence une conférence des présidents pour permettre au Sénat de riposter dans la plus large unanimité possible face à ce coup de force !
Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, du groupe socialiste et républicain, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.
Madame la présidente, avant de vous répondre, je donne, à sa demande, la parole à M. le président de la commission des lois.
Monsieur le président, si je vous ai demandé la parole, ce n’est pas pour vous dire combien il est urgent de revaloriser les retraites agricoles. Je crois que nous partageons ce point de vue sur toutes les travées, tant nos retraités de l’agriculture ont aujourd’hui des revenus qui les pénalisent par rapport aux autres Français, après une vie de labeur souvent commencée, sans qu’elle puisse être prise en compte, avant l’âge de seize ans.
Si je prends la parole, c’est parce que, dans notre Haute Assemblée, la commission des lois est aussi celle du Règlement, avec un R majuscule, qui désigne le règlement du Sénat.
Je voudrais m’associer à ce rappel au règlement pour vous dire, monsieur le secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics, que je n’ai pas connaissance de précédents de l’utilisation de cet article 44, troisième alinéa, relatif au vote bloqué depuis de très nombreuses années, et jamais autrement que pour faire aboutir un projet du Gouvernement lorsque la discussion est difficile. L’opposer aujourd’hui à la discussion d’une proposition de loi d’origine parlementaire adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale constitue, de mon point de vue, un précédent extrêmement dangereux.
Il y a le droit, bien sûr, mais il y a aussi l’abus de droit…
… quand on sort de l’esprit de la Constitution, ce que vous avez fait en prenant cette décision, que je crois être largement improvisée.
C’est la raison pour laquelle je vous demande à mon tour, solennellement, de prendre dans la journée la décision nécessaire pour que le débat ait lieu et qu’il puisse aboutir. Car c’est mal augurer de l’avenir de nos discussions sur le travail législatif que de procéder par l’utilisation de moyens qui exercent sur le Parlement un rapport de force tout à fait inadmissible.
Je dois vous dire aussi ma conviction profonde que le recours à ces instruments de rationalisation du parlementarisme, alors qu’il n’y a pas, dans notre pays, de problèmes de majorité pour le gouvernement actuel, est un aveu de faiblesse !
Si le Gouvernement avait des arguments pour convaincre le Parlement, il n’aurait pas besoin de recourir à de tels artifices dans la procédure législative.
Pardonnez la véhémence et la solennité de mon propos, mais je crois que le sujet est grave. Nous ne pouvons pas laisser passer ce type de décisions unilatérales, non précédées de concertation, et dans un contexte qui n’est pas celui dans lequel on utilise habituellement – et le moins souvent possible, d’ailleurs ! – le troisième alinéa de l’article 44 de notre Constitution.
Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – M. Pierre Ouzoulias se lève et applaudit longuement.
M. le président de la commission des lois a énoncé mieux que je ne saurais le faire ce que je souhaitais dire. Je m’associe évidemment au rappel au règlement de Mme Assassi et aux propos de M. Bas.
Comme cela vient d’être souligné, le climat de tension procédurale autour de la réforme constitutionnelle et les annonces qui ont été faites hier laissent mal augurer de la suite.
Alors qu’une réforme constitutionnelle doit être une réforme apaisée, celle-là s’annonce tout de même bien mal ! On confond vitesse et précipitation ; on confond légiférer vite et légiférer bien ! Nous étions déjà très, très mal engagés avec toutes ces procédures d’urgence ; cela ne fait que continuer !
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je dois avoir l’humilité de le dire, si je répondais au rappel au règlement de Mme Assassi et à l’intervention de président de la commission des lois rappelant la rareté de l’utilisation d’une telle procédure, je sortirais de ma condition.
Toutefois, je puis à tout le moins prendre l’engagement de rapporter ces propos à M. le Premier ministre, chef du Gouvernement, afin qu’il en ait connaissance dans les plus brefs délais et que la proposition de loi inscrite à l’ordre du jour du Sénat puisse être examinée.
Je serai à vos côtés lors des débats sur les deux propositions de loi déposées par le groupe socialiste et républicain, puis l’un de mes collègues du Gouvernement me succédera pour l’examen de la proposition de loi déposée par le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Je le dis avec une certaine solennité, le groupe socialiste et républicain s’associe avec force aux propos qui viennent d’être tenus par nos différents collègues.
Il tient à exprimer son indignation face à l’utilisation de cette procédure, ainsi que son incompréhension, dans un contexte général de volonté de passer en force et de ne pas mener les débats devant le Parlement.
Le groupe socialiste et républicain tiendra compte des réponses qui seront apportées au Sénat, compte tenu de l’engagement pris par M. le secrétaire d’État de rapporter fidèlement au Premier ministre les propos qui viennent d’être tenus, pour en tirer toutes les conséquences et arrêter sa position s’agissant de la suite de nos débats de l’après-midi.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.
Le groupe du RDSE, dans sa diversité et sa liberté, s’associe entièrement au rappel au règlement de Mme Assassi.
Je ne suis sénateur que depuis un peu plus de six ans, mais je n’avais jamais vu encore la procédure du vote bloqué. Je dois dire que je la découvre. J’ai un peu de mal à concevoir que cela bloque un processus parlementaire.
Au demeurant, je ne crois pas que le Gouvernement veuille ici faire voter un projet de loi pour l’imposer. Il est donc un peu difficile de comprendre une telle démarche.
Pour notre part, nous sommes très attachés au Parlement, à la liberté des parlementaires, ainsi qu’au droit d’amendement ; nous aurons l’occasion d’y revenir.
Nous soutenons entièrement la démarche de nos collègues, et je m’associe aux propos de M. le président de la commission des lois.
Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe socialiste et républicain, du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.
Monsieur le président, je sollicite une suspension de séance d’au moins cinq minutes.
M. le secrétaire d’État nous a offert de joindre toute affaire cessante M. le Premier ministre pour l’informer de la situation qui prévaut au Sénat à la suite de ce rappel au règlement. Je souhaite qu’il puisse le faire dès maintenant, car il y a urgence, puisque le texte concerné est inscrit à notre ordre du jour de la fin de l’après-midi.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Mes chers collègues, je vous rappelle les termes de l’article 29, alinéa 2, du règlement du Sénat : « La conférence des présidents est convoquée à la diligence du Président du Sénat. La réunion de la conférence des présidents peut être également demandée par deux groupes au moins pour un ordre du jour déterminé. »
Je constate, à la suite du rappel au règlement de Mme la présidente du groupe CRCE et de l’intervention du président du groupe du RDSE, que deux groupes ont formulé cette demande. Je vais donc la transmettre à M. le président du Sénat.
Nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants. Toutefois, la suspension sera brève, dans la mesure où nous sommes dans un ordre du jour réservé du groupe socialiste et républicain, et le temps est contraint.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à quatorze heures quarante-cinq, est reprise à quatorze heures cinquante.
L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe socialiste et républicain, de la proposition de loi organique visant à améliorer la qualité des études d’impact des projets de loi, présentée par M. Franck Montaugé et les membres du groupe socialiste et républicain (proposition n° 610 rectifié [2016-2017], texte de la commission n° 318, rapport n° 317).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Franck Montaugé, auteur de la proposition de loi organique.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les deux textes que j’ai le plaisir de vous présenter cet après-midi au nom de mon groupe répondent à l’objectif, que je crois largement partagé, d’améliorer la qualité de la loi et le suivi de ses effets.
L’exécutif, le législatif, les autorités de contrôle et les citoyens sont directement concernés par ce sujet, dans un contexte national et international qui nous amène à penser l’évaluation des normes et des politiques publiques dans le rapport aux enjeux du développement durable - et a fortiori depuis l’accord de Paris et les engagements qui en résultent pour la France !
Sur l’initiative du président Nicolas Sarkozy, le rapport Stiglitz-Sen-Fitoussi a ouvert la voie en 2009. La recommandation centrale de ce rapport, qui a fait date et autorité, est que la croissance est soutenable quand on transmet aux générations futures un patrimoine national susceptible d’assurer la couverture de leurs besoins et de garantir sur le long terme leur bien-être.
Cela suppose de pouvoir évaluer le patrimoine national en recensant les divers types de capitaux ou d’actifs qui le composent, en stock et en flux, au nombre desquels figurent le capital économique, privé et public, qui est composé du capital productif ; le capital humain, qui renvoie au niveau d’éducation de la société, aux compétences, au niveau de formation et de qualification du travail ; le capital social, qui est un actif intangible mesurant la qualité des institutions et des rapports sociaux, comme la culture ou le mode d’organisation de la société – il s’agit d’ailleurs d’un indicateur permettant de mesurer le degré de cohésion de la société – et le capital naturel, qui est composé des ressources naturelles, comme les énergies fossiles, l’eau, les terres, et l’ensemble des écosystèmes.
Certains économistes ajoutent encore à ce bilan patrimonial de la Nation un actif intangible, comme la démocratie.
Au passif du bilan patrimonial de la Nation figurent la dette publique et la dette privée.
Pour Jean-Paul Fitoussi, disposer d’un tel bilan patrimonial de la Nation permet d’éclairer les choix politiques, notamment les choix budgétaires. C’est en cela que cette approche nous concerne tout particulièrement.
Dans le même esprit, la loi portée par la députée écologiste Éva Sas permet depuis 2015 de « prendre en compte des nouveaux indicateurs de richesse dans la définition des politiques publiques ». Ce texte a été une première étape importante dans la reconnaissance d’indicateurs permettant de mesurer différents aspects de notre développement : le taux d’emploi, l’effort de recherche, l’endettement, l’espérance de vie en bonne santé, la satisfaction dans la vie, les inégalités de revenus, la pauvreté en conditions de vie, les sorties précoces du système scolaire, l’empreinte carbone et l’artificialisation des sols.
Dans l’édito du troisième rapport sur les nouveaux indicateurs de richesse, que nous venons de recevoir, le Premier ministre, M. Édouard Philippe, évoque aussi les dix-sept objectifs de développement durable du Programme de développement durable de l’ONU à l’horizon 2030, auxquels ont adhéré 193 États – tout de même !
Je cite M. le Premier ministre : « Cette dynamique […] a un sens politique profond. Il s’agit de savoir ce sur quoi nous fondons collectivement notre appréciation de ce que l’on entend par croissance, développement, bien-être ou progrès. » Et il indique que les principales réformes engagées par le Gouvernement seront « évaluées à l’aune de ces indicateurs ».
Si nous suivons les propos du Premier ministre, l’utilisation des nouveaux indicateurs de richesse de la loi Sas dans les études d’impact, comme le prévoyait notre article 1er, n’était pas incongrue. Et la réintroduction de l’article 1er initial permettrait facilement de surmonter la contradiction entre les propos du Premier ministre et la position de la commission des lois.
Au mois de juillet dernier, le président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable de notre Haute Assemblée, Hervé Maurey, et notre collègue Jérôme Bignon organisaient au Sénat une table ronde pour faire le point sur la prise en compte par l’État et notre pays des objectifs de développement durable.
Je vais me permettre de citer quelques extraits de leurs propos tenus à cette occasion. Nos deux collègues pourront peut-être s’exprimer sur le sujet s’ils nous rejoignent.
Hervé Maurey posait à la fin de son propos introductif la question suivante : « Comment nous, parlementaires, pourrions-nous mieux appréhender ces objectifs dans la mise en œuvre des différentes politiques que nous examinons ? »
La nécessité de territorialiser ces indicateurs, d’y associer la société civile, de faire en sorte que le Sénat et l’Assemblée nationale puissent y travailler ensemble – c’est tout le sens de notre proposition, pour le deuxième texte, d’un Conseil parlementaire d’évaluation des politiques publiques et du bien-être – que nos commissions organiques ou spéciales ne travaillent plus en silo était rappelée à juste titre par Jérôme Bignon.
En 2011, l’OCDE se dotait d’une démarche du même ordre, intitulée L ’ initiative du vivre mieux, permettant des comparaisons internationales sur des thèmes aussi importants pour la qualité de vie de chacun de nos concitoyens que l’emploi et les salaires, le rapport vie professionnelle/vie privée, le logement, la qualité de l’environnement, l’état de santé, l’éducation et les compétences, les liens sociaux, l’engagement civique et la gouvernance, la sécurité personnelle et tout ce qui relève du bien-être subjectif.
L’Union européenne a aussi développé son propre modèle, et de nombreux pays se sont engagés dans cette voie, chacun à leur manière.
En réalité, il y a beaucoup d’indicateurs et de systèmes différents. Cette profusion nuit au sens, à la compréhension et à l’appropriation. Et tant que nous n’avançons pas dans ce sens, le PIB reste le point de repère exclusif, si ce n’est l’objectif majeur.
Dans ce contexte, confortés par de nombreuses auditions auxquelles nous avons procédé, nous avons ouvert le vaste chantier de l’amélioration de la fabrique de la loi et de l’évaluation des politiques publiques.
Et nous avons été rattrapés – si j’ose dire –, mais ce n’est pas une difficulté, par le projet de réforme constitutionnelle engagée par le Président de la République. Dans son discours du 3 juillet 2017, celui-ci appelait à réserver du temps « au contrôle et à l’évaluation », à « l’ardente obligation de bien suivre l’application des lois en s’assurant de leur pertinence dans la durée, de leurs effets dans le temps pour les corriger ou y revenir ».
De son côté, le président du Sénat indique dans la présentation du rapport de François Pillet que le contrôle et l’évaluation ont jusqu’à présent été les « parents pauvres de Ve République » et que nous devons « davantage investir notre mission de contrôle et d’évaluation ». C’est là tout le sens de nos propositions !
Venons-en maintenant au fond du texte.
Dans sa version initiale, l’article 1er de la proposition de loi dont nous allons discuter prévoyait que les études d’impact soient réalisées de manière plus qualitative, en tenant compte des indicateurs de la loi Sas.
Nous voulions, à partir de l’usage de ces indicateurs dans les études d’impact, rappeler la nécessité de penser l’action publique au regard des objectifs de développement durable que notre pays reconnaît dans le cadre des accords de Paris issus de la COP 21.
Les indicateurs de la loi Sas ne sont pas gravés dans le marbre, mais ils peuvent être mis en rapport avec les dix-sept objectifs de développement durable. Ces « ODD » nécessitent une déclinaison et une appropriation par chaque pays ; les nouveaux indicateurs de richesse de la loi Sas peuvent en être une traduction pertinente et, bien entendu, perfectible.
Ce qui importe donc, pour être cohérents avec nos engagements internationaux, c’est que nous nous engagions à les prendre en compte, à nous y référer dans nos études d’impact et nos évaluations.
Là était l’esprit de l’article 1er, c’est-à-dire, en réalité, l’essentiel de ce texte.
La discussion de l’amendement visant à le réintroduire dans le texte nous permettra, je l’espère, de mieux nous comprendre et d’arriver à un accord.
Le rapporteur de la commission des lois, notre collègue Jean-Pierre Sueur, a voulu privilégier dans ce texte l’amélioration de la procédure des études d’impact dont traite l’article 8 de la loi organique du 15 avril 2009. Ce point de vue n’est pas contradictoire avec la réintroduction de l’article 1er. L’article 2 a donc été modifié ; il prévoit désormais – c’est un point important – que « les évaluations sont réalisées par des organismes indépendants ». Nous sommes d’accord avec cette disposition, mais, par cohérence avec la nécessité de faire usage de nouveaux indicateurs, nous amenderons le point relatif aux modalités de réalisation des évaluations.
Le texte initial prévoyait également que les « évaluations so[ie]nt réalisées par des organismes publics indépendants et pluralistes ». Les amendements présentés par le rapporteur en commission en respectent l’esprit, mais le pluralisme est davantage, pour nous, un principe de droit qu’une lubie de circonstance. Nous expliciterons ce point en présentant un amendement de réintroduction de cette notion.
La commission des lois a aussi voulu confier au Conseil d’État le soin de définir la liste des organismes habilités, les modalités de leur désignation et les modalités techniques de réalisation des études d’impact et d’évaluation. Nous le proposerons nous-mêmes dans quelques instants. Nous sommes donc d’accord sur ce sujet.
Je tiens à souligner que le Gouvernement n’est en rien empêché de mener comme il l’entend et comme le prévoient les textes existants ses propres études d’impact.
Enfin, constatons ensemble que les autres modifications introduites par la commission reposent sur la prise en compte des propositions 15 et 18 du rapport du président Gérard Larcher, relatives à l’amélioration de la qualité des études d’impact.
En définitive, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, l’adoption du texte dont la commission s’est saisie ferait, je le crois, progresser sensiblement le Parlement dans la mise en œuvre des missions de contrôle et d’évaluation des politiques publiques que lui confère l’article 24 de la Constitution, cela dans le cadre d’un paradigme qui répond aux enjeux impérieux d’un développement durable et inclusif. La France a donné la meilleure image d’elle-même avec l’Accord de Paris. Il nous revient, à nous parlementaires, d’en tirer toutes les conséquences dans notre travail quotidien de législateur.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.
Mes chers collègues, je vous informe que M. le président du Sénat a décidé de réunir la conférence des présidents à dix-huit heures quarante-cinq, en salle 216.
Nous reprenons la discussion de la proposition de loi organique visant à améliorer la qualité des études d’impact des projets de loi.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je veux tout d’abord rendre hommage à Franck Montaugé, qui nous donne l’occasion, cet après-midi, de travailler de nouveau sur l’étude d’impact.
En 2008, nous avons eu de grands débats sur l’étude d’impact, certains considérant que ce serait une innovation très utile, d’autres, dont j’étais, estimant que, après tout, l’impact de la loiconstitue finalement l’objet même du débat parlementaire : ceux qui pensent que cet impact sera positif votent la loi, ceux qui sont d’avis contraire votent contre !
Je reconnais cependant que cette thèse est quelque peu simpliste, certaines expertises pouvant être tout à fait bénéfiques et utiles. Toutefois, il est assez difficile de distinguer les choses. Prenons l’exemple, déjà évoqué naguère par l’un de nos collègues, d’une étude d’impact sur les OGM : je suis prêt à parier que, dès l’amorce de la discussion du texte, des collègues, d’ailleurs d’avis différents, affirmeront que l’étude d’impact n’est pas objective, tant il est difficile d’imaginer qu’il existerait une vérité totalement objective surplombant les divergences et le débat politique.
C’est pourquoi une disposition de la proposition de loi de Franck Montaugé, qui a d’ailleurs été approuvée à l’unanimité par la commission des lois du Sénat, me paraît particulièrement importante : celle visant à prévoir, à l’article 8 de la loi organique du 15 avril 2009, que le Gouvernement fasse nécessairement appel à un organisme indépendant pour procéder à l’étude d’impact. C’est là une idée très riche, car, dans la pratique, nous le savons, le ministre qui prépare un projet de loi demande à ses services de réaliser une étude d’impact, laquelle montre naturellement que l’impact de la loi sera plutôt positif…
Je ne critique pas a priori la méthode. La bonne démarche consiste sans doute à bâtir le projet de loi en même temps que s’élabore l’étude d’impact, afin que le texte puisse prendre en compte les éléments apportés par l’expertise. Néanmoins, tout cela n’est pas évident, et le fait que la commission des lois ait choisi, en votant l’article 2, de rompre avec cette sorte de monolithisme qui veut que le Gouvernement présente à la fois le projet de loi et l’étude d’impact est de nature à crédibiliser cette dernière. En effet, des organismes indépendants, tels que le CNRS, des universités ou l’INSEE, par exemple, apporteront leur expertise.
J’aborderai maintenant un second point auquel notre collègue Franck Montaugé tient énormément, à juste titre : les évaluations doivent prendre en compte non seulement des mesures quantitatives, mais également toute une série de mesures qualitatives. Il est certain que la loi Sas représente, à cet égard, un apport non négligeable. Toutefois, il est apparu à la commission des lois que les critères pouvaient être très nombreux et qu’ils relevaient davantage des textes d’application que de la loi elle-même. La commission des lois n’est pas hostile à ce que l’on prenne en compte tous les critères relatifs à la qualité de la vie et de l’environnement ou au développement durable, mais convient-il de les énumérer dans le corpus législatif ? Sans nier le grand intérêt de la démarche, nous avons préféré renvoyer cela à des textes d’application.
Par ailleurs, nous avons retenu un amendement présenté par Mme Lamure tendant à ce que les conséquences des projets de loi sur les collectivités locales et sur les entreprises soient spécifiquement explicitées dans les études d’impact.
Nous avons également retenu trois amendements émanant du groupe de travail mis en place par le président Larcher et dont François Pillet était le rapporteur : le premier porte sur les moyens mis en œuvre par le projet de loi, le deuxième sur la simplification des normes, le troisième sur les délais dans lesquels la conférence des présidents pourra déclarer insuffisante l’étude d’impact. Il s’agit de propositions ayant recueilli un large accord au sein de ce groupe de travail. C’est une manière d’avancer dans le sens d’une réforme constitutionnelle qui accroisse les droits du Parlement. J’espère, monsieur le secrétaire d’État, que vous y êtes sensible…
Sourires.
Enfin, nous avons introduit un amendement reprenant une proposition de loi à laquelle avait travaillé naguère notre collègue Alain Richard, portant création d’une haute autorité chargée du contrôle et de la régulation des normes applicables aux collectivités locales.
Une proposition de loi que j’ai eu l’honneur de commettre avec Mme Jacqueline Gourault, aujourd’hui membre du Gouvernement, a instauré le Conseil national d’évaluation des normes applicables aux collectivités locales, présidé par M. Alain Lambert. Il s’agit d’une instance très utile, car elle permet aux représentants des élus locaux de s’exprimer en amont sur les projets de loi et de décret ayant un impact sur les finances locales. Les avis de ce conseil sont très précieux pour le Gouvernement. M. Alain Richard avait souhaité qu’ils fussent joints aux projets de loi, au même titre que les études d’impact, en faisant observer qu’une loi organique était nécessaire pour ce faire. Nous avons déposé une proposition de loi à cette fin, qui malheureusement n’a jamais été inscrite à l’ordre du jour de notre assemblée. Nous avons donc entendu sauver cette œuvre commune de Jacqueline Gourault, d’Alain Richard et de moi-même au travers d’un amendement que la commission des lois a bien voulu adopter.
Voilà, mes chers collègues, comment, à partir du travail important de Franck Montaugé et de la commission des lois, nous sommes parvenus à un accord sur le texte maintenant soumis à votre approbation.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
Monsieur le président, monsieur le rapporteur, monsieur Franck Montaugé, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très heureux d’être parmi vous aujourd’hui pour l’examen des deux textes présentés par le groupe socialiste et républicain du Sénat.
Ces propositions de loi tendent à améliorer deux phases de la procédure législative : en début de parcours, la présentation des projets de loi par le Gouvernement et la qualité de l’information qu’il produit à l’attention du Parlement au travers des études d’impact ; à l’issue du vote des assemblées, l’évaluation des politiques publiques et de la législation, à l’aune de nouveaux indicateurs de richesse prévus dans la loi dite « Sas » du 13 avril 2015.
Le Gouvernement entend saluer, comme l’a d’ailleurs fait la commission des lois, la cohérence et la qualité du travail accompli par l’auteur de ces textes, Franck Montaugé, ainsi que par le groupe socialiste et républicain, qui ont cherché à améliorer l’ensemble du processus législatif, en voulant que le Parlement soit mieux informé, ou informé différemment, à l’occasion du vote des projets de loi qui lui sont soumis, et mieux doté en outils de contrôle de l’application des textes votés et d’évaluation des politiques publiques.
C’est la proposition de loi organique visant à améliorer la qualité des études d’impact des projets de loi que nous allons d’abord examiner.
Ce texte est né d’une déception, que le Gouvernement peut entendre. Le parlementaire que j’ai été le sait : les études d’impact prévues par le législateur organique dans la loi organique du 15 avril 2009, qui sont censées éclairer le Parlement sur la pertinence du recours à une nouvelle législation, ne sont pas toujours à la hauteur des attentes qui avaient été placées en elles.
Perçues à l’origine, lors de la révision constitutionnelle de 2008, comme une clé pour mieux légiférer, elles peuvent parfois apparaître comme incomplètes, biaisées ou, pour le dire autrement, orientées.
Je sais que le Sénat est particulièrement vigilant sur ce sujet. Votre ancien collègue Jean-Jacques Hyest, désormais membre du Conseil constitutionnel, n’a jamais vraiment tenu ces études d’impact en haute estime. Hugues Portelli, éminent professeur de droit public et de sciences politiques, a en outre remis en 2015 sur ce sujet un rapport qui a fait date.
Que la Haute Assemblée se saisisse de ces questions, en ayant pour objectif d’améliorer constamment la qualité de la loi, dans sa préparation, son élaboration et son évaluation, est tout à son honneur. Pour le Gouvernement, l’examen critique de ces pratiques n’est pas toujours un moment agréable, j’en conviens, mais il s’agit d’un aiguillon, d’un stimulant indispensable pour améliorer le travail normatif et pour trouver, ensemble, des réponses à une situation perçue comme insatisfaisante.
La proposition de loi organique que nous examinons cet après-midi s’inscrit dans la lignée des travaux engagés par le Sénat pour améliorer la qualité des études d’impact. Elle vient s’ajouter à une proposition de loi organique relative aux études d’impact des projets de loi déposée le 28 septembre 2017 par Mme Élisabeth Lamure et M. Olivier Cadic. Son ambition est de permettre une évaluation plus qualitative des projets de loi, par l’intégration dans les études d’impact de nouveaux indicateurs et, pour la réalisation de ces études, par le recours à des organismes indépendants, ainsi qu’à des personnalités qualifiées désignées par le Parlement.
Bien qu’il salue l’objectif et puisse comprendre, comme je l’ai dit, les préoccupations exprimées par les parlementaires sur ces questions, le Gouvernement est réservé sur les solutions proposées au travers de ces textes pour résoudre les problèmes identifiés.
En premier lieu, le Gouvernement ne peut être favorable, par principe, à un texte qui, bien que sensiblement modifié par la commission des lois, ne correspond pas aux orientations données par le Président de la République dans le cadre de la révision constitutionnelle.
Sans nier l’intérêt qu’il y a, pour le Parlement, à disposer de la meilleure information possible avant de voter sur un projet de loi, le Gouvernement considère en effet que les dispositions déjà existantes concernant les études d’impact sont suffisantes et que la priorité doit porter sur l’évaluation ex post des textes adoptés
La qualité d’une étude d’impact ne préjuge pas la qualité de la loi : il peut y avoir de mauvaises études d’impact et de bonnes lois ; il peut aussi y avoir de très belles études d’impact et des lois insatisfaisantes. Il faut admettre qu’il s’agit là d’un exercice difficile : comment juger les effets d’une disposition encore inexistante ?
J’ajoute, à l’attention de M. le sénateur Montaugé et du groupe socialiste et républicain, en anticipant un peu sur nos débats de l’après-midi, que le défi serait encore plus difficile à relever avec une étude d’impact plus « qualitative ». Il est déjà délicat de satisfaire les parlementaires avec des critères dits « quantitatifs », ceux actuellement requis : qu’en serait-il avec des critères plus souples et qui se définissent encore moins facilement ?
Il faut, à cet égard, se rappeler que le Conseil constitutionnel se garde, avec raison, de définir ce que serait une étude d’impact satisfaisante. Saisi par le Premier ministre à l’occasion de l’examen du projet de loi NOTRe, le Sénat refusant d’inscrire le texte à l’ordre du jour au motif que son étude d’impact ne respectait pas les prescriptions de la loi organique, le Conseil constitutionnel a ainsi jugé que les dispositions organiques n’avaient pas été méconnues, alors que les critiques étaient féroces.
En réalité, lorsque nous élaborons la loi, nous ne manquons pas d’analyses ou d’études, ni même de l’avis d’organismes indépendants, qui ne se privent nullement de le donner. Nous manquons souvent de suite dans les idées. Nous devrions pouvoir prendre le temps de mieux évaluer la loi et d’en tirer les leçons quant à sa pertinence, à son efficacité ou à son utilité.
Plutôt que de nous livrer, toujours plus avant, à un exercice d’analyse a priori qui, quelles que soient les garanties qui l’entourent, sera toujours frustrant, nous devons consacrer des moyens importants à l’évaluation et au contrôle a posteriori des politiques publiques. Nous devons, pour cela, donner au Parlement un « droit de suite » : le droit de légiférer sur la base de ses propres évaluations.
Ce sont les orientations définies et annoncées par le Président de la République dans le cadre de la révision constitutionnelle qui s’annonce : il s’agit de faire marcher le Parlement sur ses deux jambes, si je puis m’exprimer ainsi, à savoir le vote de la loi, d’une part, et l’évaluation des politiques publiques, d’autre part.
Le Président de la République et le Premier ministre ont plusieurs fois évoqué un « printemps de l’évaluation », par exemple avec un examen rénové de la loi de règlement, mais aussi – cette piste a été envisagée devant la Cour des comptes – avec l’audition de chacun des ministres par les commissions parlementaires sur le bilan de l’année écoulée et sur le programme de travail de l’année à venir.
Il faudrait, en somme, que le Gouvernement passe moins de temps à convaincre, et plus à rendre compte. Cela vaut en matière budgétaire, bien sûr, comme pour les autres domaines de l’action publique. Le Gouvernement doit se rendre disponible pour présenter au Parlement les résultats ministériels, tant dans l’application des lois que dans la performance des politiques publiques. C’est une ambition forte, et le gage d’un fonctionnement sain de notre démocratie et de la séparation des pouvoirs.
Rééquilibrer le calendrier parlementaire, en somme, tel est l’enjeu pour nous. Cela passera peut-être, aussi, par l’enrichissement de la semaine de contrôle, qui n’apporte aujourd’hui pas pleinement satisfaction aujourd’hui aux parlementaires, alors qu’elle pourrait être un outil formidable de suivi et de contrôle de l’action du Gouvernement.
De tout cela, mesdames, messieurs les sénateurs, vous serez amenés à discuter à brève échéance. C’est une position de principe ambitieuse, une volonté forte du Gouvernement et du Président de la République, qui seront soumises à votre examen dans les semaines et les mois à venir.
Des consultations vont être engagées à partir de cette semaine pour recueillir les avis et les expertises de toutes les parties prenantes en vue de la révision constitutionnelle, qui devra être adoptée avant l’été. Cette proposition de loi organique vient donc heurter le calendrier de cette grande réforme constitutionnelle. Cela justifie les plus grandes réserves du Gouvernement quant à son éventuelle adoption.
En second lieu, le Gouvernement émet sur ce texte plusieurs réserves d’ordre juridique qui plaident également pour un rejet.
Sans trop anticiper le débat sur chacun des amendements, je soulignerai d’ores et déjà que ces réserves portent principalement sur l’article 2 de la proposition de loi, qui prévoit que les évaluations figurant dans les études d’impact « sont également réalisées par des organismes indépendants ».
Cette rédaction convient mieux au Gouvernement que la version initiale du texte, qui prévoyait le recours à des organismes publics indépendants et pluralistes, ainsi qu’à des personnalités qualifiées désignées par le Parlement, pour la réalisation des évaluations figurant dans les études d’impact. Elle lève ainsi la principale objection qui pouvait être formulée à l’égard du texte initial, tenant au fait qu’une étude d’impact a pour objet de compléter l’exposé des motifs des projets de loi par une analyse précise des avantages attendus et des multiples incidences du texte. Une étude d’impact ne constitue donc pas un diagnostic préalable pouvant relever de la seule compétence d’une autorité indépendante.
Néanmoins, l’obligation de contre-expertise indépendante que ces dispositions entraînent pourrait ne pas être conforme aux dispositions de l’article 39 de la Constitution. Cet article n’habilite en effet le législateur organique qu’à réglementer les conditions de « présentation » des projets de loi. Or une telle exigence pourrait être regardée comme touchant non pas à la présentation, mais à l’élaboration même des projets de loi.
Mesdames, messieurs les sénateurs, au-delà des réserves d’ordre juridique que j’ai brièvement mentionnées et sur lesquelles j’aurai l’occasion de revenir lors de l’examen des amendements, vous aurez compris que ce sont des raisons de principe, de calendrier et d’orientations de la révision constitutionnelle qui conduiront le Gouvernement à donner un avis défavorable à l’adoption de la présente proposition de loi organique par votre assemblée.
La parole est à Mme Maryse Carrère, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur de la commission des lois, monsieur l’auteur de la proposition de loi, mes chers collègues, en 2007, dans le rapport pour « une Ve République plus démocratique », le comité de réflexion présidé par Édouard Balladur recommandait « que l’existence de ces études d’impact soit une condition de la recevabilité d’un projet de loi au Parlement, à charge pour le Conseil constitutionnel de vérifier […] que ce document satisfait aux exigences qu’une loi organique pourrait prévoir ».
Cette conception, très clairement énoncée, a guidé le pouvoir constituant en 2008 lors de la modification de l’article 39 de la Constitution, puis lors de l’adoption de la loi organique du 15 avril 2009.
Cela n’a pas empêché la pratique et la jurisprudence constitutionnelle de s’éloigner de l’esprit du texte de 2009. Dès les premières manifestations de cette dérive, le groupe du RDSE avait réagi en proposant de clarifier la rédaction de l’article 8 de la loi organique, afin que les dispositions de celle-ci ne puissent plus donner lieu à une interprétation trop restrictive, aboutissant au contrôle, minimal, de la simple existence d’une étude d’impact. Si le législateur avait fixé des critères, c’était pour que le Conseil constitutionnel en sanctionne le cas échéant le non-respect !
Le caractère imparfait des études d’impact est aujourd’hui largement reconnu, y compris par le Conseil d’État. Nous saluons donc l’initiative prise par nos collègues socialistes de remettre ce sujet à l’ordre du jour, ainsi que les améliorations apportées par le rapporteur, dans le prolongement des réflexions conduites par notre collègue François Pillet.
La généralisation des études d’impact à tous les projets de loi n’a pas produit les effets escomptés, à savoir l’amélioration de la qualité de la loi et la limitation de l’inflation normative, leur qualité étant trop aléatoire. Certains d’entre nous gardent le souvenir de l’étude fournie à l’appui de la loi du 16 janvier 2015 relative à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral, qui n’expliquait ni les calculs retenus, ni le détail des options possibles, ni les raisons pour lesquelles certains découpages avaient été préférés à d’autres.
Dans de nombreux cas, les études d’impact donnent l’impression d’être destinées à noyer leurs lecteurs sous des détails encyclopédiques, sans pour autant répondre à l’objectif fixé par la loi organique.
Soumettre aux parlementaires des études d’impact de qualité est également un enjeu en termes de rééquilibrage institutionnel, dans un contexte de marginalisation du Parlement. L’avenir du parlementarisme en France dépend de la possibilité, pour les membres de nos assemblées, de disposer de données agrégées pour formuler des propositions réalistes, en adéquation avec les attentes des citoyens exprimées sur le terrain.
C’était d’ailleurs l’esprit de l’amendement déposé par le président Requier visant à soumettre à l’exigence de la fourniture d’une étude d’impact non seulement les projets de loi, mais également les amendements substantiels déposés par le Gouvernement sur ses propres textes.
Trop souvent, le dépôt d’amendements du Gouvernement en séance aboutit à contourner cette exigence et participe à l’inflation législative.
L’irrecevabilité de cet amendement déclarée par la commission des lois illustre à nos dépens l’autorégulation dont la Haute Assemblée est capable !
Bien que les modifications proposées ne permettent pas de renforcer le contrôle exercé par le Conseil constitutionnel sur le contenu des études d’impact, je me félicite du consensus trouvé sur ce texte en commission. Cela a permis d’étoffer la proposition de loi. Si quelques membres du groupe regrettent que la réflexion de notre collègue Montaugé sur les nouveaux indicateurs de richesse ne soit pas prise en compte dans la version finale, nous sommes en revanche très favorables à l’extension de la liste des informations devant figurer dans l’étude d’impact. Il s’agit, en particulier, d’y inclure les données concernant les collectivités territoriales et les entreprises, au travers de l’article 1er A, et les données relatives aux moyens humains et informatiques nécessaires à la mise en œuvre de nouvelles dispositions, au travers de l’article 1er bis.
Est également reprise l’obligation de préciser « l’apport des dispositions envisagées en matière de simplification et, en cas de création d’une nouvelle norme, les normes dont l’abrogation est proposée ». Cela permettra d’atteindre l’objectif de simplification des normes cher à l’ensemble des membres du groupe RDSE.
Le texte prévoit en outre de permettre que la production d’évaluations des conséquences économiques, financières, sociales et environnementales des dispositions envisagées, ainsi que de leurs conséquences sur l’emploi public, soit effectuée par des organismes indépendants, de manière complémentaire.
Si nous nous réjouissons de cet apport, nous serons néanmoins attentifs aux modalités de désignation de ces organismes, ainsi qu’aux les modalités de réalisation de ces évaluations, dans un souci de transparence, le texte ouvrant la voie à l’évaluation par des organismes privés.
L’alinéa 2 permettant, le cas échéant, la prise en compte des avis rendus par le Conseil national de l’évaluation des normes représente une réelle avancée, car cela permettra d’estimer par avance les coûts d’une mesure, non seulement pour nos collectivités territoriales, mais également pour nos entreprises. Cette disposition aurait pu s’avérer bien utile pour nombre de dirigeants d’exécutifs locaux lors des différentes réformes de ces dernières années.
L’allongement des délais de saisine du Conseil constitutionnel par la conférence des présidents pourrait également aller dans le bon sens si elle s’accompagnait d’une évolution effective du contrôle assuré par le Conseil constitutionnel.
Bien qu’il ne remédie pas à toutes les insuffisances que j’ai relevées, le groupe du RDSE est favorable à ce texte. Il s’agit d’un premier débat, qui a vocation à ouvrir la voie à celui, plus vaste, sur la réforme constitutionnelle.
Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et sur des travées du groupe socialiste et républicain.
M. le président. La parole est à M. Daniel Gremillet, pour le groupe Les Républicains.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, je voudrais moi aussi saluer cette proposition de loi visant à améliorer la qualité des études d’impact présentée par M. Franck Montaugé. Lorsqu’il l’a élaborée, notre collègue n’imaginait sans doute pas qu’elle serait débattue dans un tel contexte politique !
Je salue également le travail réalisé par la commission des lois et son rapporteur, qui a permis d’enrichir le texte. Il était urgent et important d’avancer sur cette question des études d’impact, d’autant que, dans un avis du 8 mars 2017, le Conseil d’État soulignait que, « livrées très tardivement au Conseil d’État, elles ne servent la plupart du temps qu’à justifier la réforme déjà décidée », en déplorant « l’absence de contrôle externe sur la qualité de l’étude d’impact, faite par l’administration qui prépare la norme », « l’absence de confrontation systématique aux destinataires de la norme, à l’exception notable des collectivités territoriales » et le fait que le champ de l’étude d’impact soit souvent insuffisant. Le jugement était sévère !
Il convient d’envisager cette réflexion sur l’étude d’impact à la lumière de l’évolution de la Constitution depuis 2008.
Les amendements approuvés par la commission des lois ont d’abord trait aux collectivités. Selon le Conseil national d’évaluation des normes, le CNEN, le seul projet de décret relatif aux obligations de travaux d’amélioration de la performance énergétique dans les bâtiments existants à usage tertiaire, en application de la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, avait entraîné, pour les collectivités territoriales, un coût estimé à 4, 41 milliards d’euros. À cet égard, l’amendement du rapporteur relatif à l’évaluation des coûts est très important pour nos collectivités, trop souvent abandonnées.
La simplification des normes a été un autre champ d’intervention pour la commission des lois. Il est nécessaire que les normes supprimées soient de la même portée que celles qui sont créées.
Enfin, pour ce qui concerne les entreprises, je veux rendre hommage au travail effectué par la délégation sénatoriale aux entreprises, présidée par Élisabeth Lamure. En vue de renforcer la performance économique de notre pays, il importe de pouvoir disposer d’une évaluation des coûts induits par l’application des textes pour les entreprises.
Dans une perspective plus large, quel travail législatif voulons-nous pour demain ? Quelle confiance notre pays place-t-il en ses parlementaires ?
Le sujet dont nous débattons cet après-midi fait naturellement écho – cela a été dit – à la réforme constitutionnelle annoncée par le Président de la République. Or, en la matière, les signaux envoyés par l’exécutif sont extrêmement préoccupants. Je pense à deux mesures visant à restreindre le droit d’amendement qui font la une des journaux d’aujourd’hui : l’interdiction du dépôt en séance publique d’un amendement ayant été rejeté par la commission chargée d’examiner le texte en amont ; la limitation, au prorata de la taille du groupe, du nombre d’amendements pouvant être déposés par un parti d’opposition. Ces mesures reviennent sur un droit constitutif du Parlement : ce n’est pas acceptable.
Je ne partage pas cette vision du travail parlementaire et du rôle du Parlement. Au contraire, je crois au courage politique et au caractère absolument stratégique de l’action des parlementaires pour ce que nous avons de plus précieux, à savoir le bon fonctionnement de notre démocratie.
À rebours des discours populaires, pour ne pas dire populistes, qui voudraient nous faire croire que le temps parlementaire est trop long, que mener des auditions et associer le plus en amont possible les parties prenantes, faire se confronter les points de vue, débattre entre représentants de sensibilités politiques différentes dans cet hémicycle, y compris à une heure avancée de la nuit, ne servirait à rien, j’estime qu’il faut avoir le courage de dire à nos concitoyens que le débat parlementaire est absolument fondamental pour prendre les bonnes décisions et permettre à notre pays de faire des choix structurants pour l’avenir.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe socialiste et républicain. – M. Pierre-Yves Collombat applaudit également.
La parole est à M. Alain Richard, pour le groupe La République En Marche.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous revenons, à l’occasion de l’examen de cette proposition de loi organique, sur l’étude d’impact préalable au dépôt d’un projet de loi prévue dans la réforme constitutionnelle de 2008. Cette disposition a constitué, aux yeux du groupe auquel j’appartiens, un excellent apport pour notre système de construction de la loi issu de cette réforme et de la loi organique qui a suivi, le 15 avril 2009.
L’expérience du recours à ces études d’impact est donc désormais menée depuis sept ans. Il n’est pas injustifié de s’y pencher et de la confronter à un certain nombre d’exigences supplémentaires de qualité ou de précision.
Le moment est opportun pour constater que cette mesure a constitué, en soi, un progrès. La masse des informations qui figurent dans les études d’impact est d’ores et déjà tout à fait considérable et offre des outils d’analyse utiles au législateur pour approfondir l’objet du texte et notre projet, pluraliste, visant à perfectionner et à compléter la loi.
Observons simplement que, comme à chaque fois qu’il est question de présentation d’informations ou de données, le caractère pléthorique du contenu de l’étude d’impact a une conséquence négative : plus la masse d’informations est lourde, plus l’information réellement pertinente risque d’être difficile à appréhender.
Oserais-je dire que le temps consacré par un parlementaire moyen à la lecture de l’étude d’impact, qui représente souvent des centaines de pages, avant qu’il ne se prononce sur le projet de loi, n’est pas toujours à la hauteur du contenu qui y figure ?
La proposition de loi organique part d’une bonne intention : il y a un outil, qui est déjà très important, mais il convient de le perfectionner. Ce texte relève d’objectifs qui peuvent être salués. Je prendrai toutefois la liberté de souligner le caractère quelque peu superfétatoire de certaines mentions, lesquelles ne sont en réalité que des commentaires de ce qui figure déjà dans la loi organique de 2009.
J’en prendrai deux exemples.
Premièrement, la proposition de loi organique demande que figurent dans l’étude d’impact « les conséquences du projet de loi pour les entreprises et les collectivités ». Or le texte en vigueur dispose qu’il faut évaluer les conséquences « sur chaque catégorie d’administration publique », ce qui englobe clairement les collectivités, et « sur chaque catégorie de personnes physiques et morales intéressées », ce qui comprend évidemment les entreprises.
Deuxièmement, la proposition de loi organique prévoit qu’il soit procédé à « l’analyse des moyens nécessaires à la mise en œuvre des dispositions envisagées ». Or le texte en vigueur dispose qu’il faut « évaluer les conséquences des dispositions envisagées sur l’emploi public ».
Il est donc possible d’objecter que cette proposition de loi est quelque peu inflationniste.
L’une des innovations du présent texte mérite débat. Il s’agit de l’obligation de faire réaliser une partie de l’étude d’impact – l’évaluation des conséquences – par des organismes extérieurs à l’État. Ce choix me paraît fort discutable et peu motivé.
Cette possibilité existe d’ores et déjà aujourd’hui : le Gouvernement, auteur et responsable politiquement du projet de loi, peut tout à fait demander à tel ou tel organisme indépendant, y compris au sein de l’État – nous avons évoqué l’Institut national de la statistique et des études économiques, l’INSEE –, de porter sa propre appréciation et d’apporter sa contribution à l’analyse des conséquences anticipées du projet de loi.
Faire de cette possibilité une obligation me paraît être un saut dans l’inconnu, et surtout une remise en cause – M. le secrétaire d’État y faisait allusion précédemment. En effet, l’étude d’impact fait partie du projet de loi en tant qu’elle est l’un des éléments du texte soumis au Parlement, lequel relève de la responsabilité entière du Gouvernement.
Il est donc contradictoire d’envisager qu’une partie du projet de loi puisse ne pas émaner du Gouvernement. En outre, cela participe d’une forme de suspicion : lorsqu’il s’agit d’analyser les conséquences d’un texte, l’honnêteté et la rigueur intellectuelles d’un organisme extérieur seraient supérieures à celles du service public…
J’ajoute qu’il existe d’ores et déjà des moyens de critiquer la qualité de l’étude d’impact.
L’un est informel et non obligatoire, c’est le contrôle du Conseil d’État. Notre collègue Daniel Gremillet a fait justement remarquer que le Conseil d’État exerçait une surveillance vigilante de la qualité des études d’impact et alertait le Gouvernement sur leur caractère parfois insuffisant.
L’autre moyen est le pouvoir souverain reconnu au Parlement, via la conférence des présidents, de refuser d’inscrire un texte à l’ordre du jour, ou de demander que l’étude d’impact soit complétée, à condition qu’une majorité se dégage au sein de la conférence des présidents pour procéder à cette demande.
Je vois dans ce texte, en revanche, des dispositions utiles.
Je citerai celle que Jean-Pierre Sueur a rappelée, et que j’avais préconisée voilà quelques années : l’avis du CNEN devrait figurer, par nature, dans l’étude d’impact.
Il y a aussi le délai supplémentaire accordé à la conférence des présidents, dans le cas où elle opposerait une objection à l’étude d’impact, pour que celle-ci soit vérifiée, contre-expertisée, afin d’être soumise ensuite au Conseil constitutionnel.
Cette proposition de loi organique comprend donc des éléments préparatoires à un débat utile sur les études d’impact, mais elle est à plusieurs égards soit exagérément complexe, soit prématurée. Il me semble qu’il serait beaucoup plus simple d’attendre les modifications qu’apportera la réforme constitutionnelle, lesquelles viseront certainement à parfaire la qualité de la législation et donneront lieu à un complément de la loi organique. Je préférerais donc que l’on reporte l’examen de ce texte à plus tard.
Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.
La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, quand on se rappelle avec quelle désinvolture le Conseil constitutionnel a validé l’étude d’impact accompagnant le projet de redécoupage régional, on a quelques doutes sur la destinée des propositions d’amélioration desdites études que pourraient faire les parlementaires… D’ailleurs, le Gouvernement vient de nous le dire, tout va très bien ! Soit dit par parenthèse, cela signifie que les prétendues « avancées » de la réforme constitutionnelle de 2008 ont plutôt fait du sur-place.
Cela étant dit, la proposition de loi initiale de notre collègue Franck Montaugé était bienvenue. Quant au sort que lui ont réservé le rapporteur et la commission des lois, c’est une autre question… Nous y reviendrons. C’est fou comme, ces derniers temps, les propositions de loi ont tendance à rétrécir au lavage de la commission des lois ! §Là encore, je m’interroge sur l’effet réel de la réforme constitutionnelle de 2008.
Deux dispositions de la proposition de loi initiale me paraissaient bienvenues.
Il s’agit, tout d’abord, de la prise en compte de l’impact qualitatif des projets de loi au regard des nouveaux indicateurs de richesse définis par la loi du 13 avril 2015, ou loi Sas. Comme on sait, il s’agit notamment d’indicateurs d’inégalités, de qualité de vie, de développement durable et, d’une manière générale, d’indicateurs qualitatifs. Ils auraient été très utiles lors de l’examen de la loi NOTRe !
Notre « mission de contrôle et de suivi », pour reprendre les termes employés dans le rapport d’évaluation du Sénat sur la loi NOTRe, a en effet constaté que « le renforcement de certaines collectivités au détriment d’autres a généré des gagnantes et des perdantes qui ont le sentiment d’être des oubliées de l’État, notamment les petites communes rurales ». Avec la multiplication des métropoles, on risque d’en avoir une cruelle confirmation.
Quand on sait, en outre, comment est fabriqué le PIB, qui laisse délibérément de côté la plupart des activités non marchandes, mais qui intégrera bientôt le trafic de drogue, on a tout lieu de soutenir cette proposition !
La seconde disposition intéressante à mes yeux tendait à ce que ces études d’impact ne soient plus « mitonnées » au sein des services de l’État – juge et partie –, mais confiées à des organismes indépendants et pluralistes comme le Conseil économique, social et environnemental, le CESE, ou l’INSEE, l’Assemblée nationale et le Sénat ayant toujours la possibilité de désigner des universitaires et des personnes qualifiées selon l’objet des projets de loi.
Dans le prolongement de cette idée, j’ai déposé un amendement visant à prévoir que ces organismes devraient consulter, préalablement au commencement de leurs travaux, les commissions saisies au fond à l’Assemblée nationale et au Sénat des points et des sujets qu’elles souhaitent voir traiter dans l’étude d’impact. Je ne suis pas le seul à avoir constaté que les études d’impact répondent rarement aux interrogations des parlementaires : on y trouve essentiellement ce que l’on ne cherche pas !
Il ne nous est pas possible, en revanche, de soutenir le second volet des propositions de loi. Si ce volet – la création d’un « Conseil parlementaire d’évaluation des politiques publiques et du bien-être » chargé d’« informer le Parlement sur la politique suivie […] au regard des nouveaux indicateurs de richesse » – fait l’objet d’un texte spécifique, il n’en est pas moins étroitement lié à celui que je viens d’évoquer. Ce conseil se composerait de dix-huit sénateurs et de dix-huit députés, et serait assisté d’un comité scientifique encore plus pléthorique, comptant trente membres.
Très franchement, on ne voit pas bien quel bénéfice pourrait apporter la création de cette nouvelle délégation parlementaire chargée d’évaluer et d’améliorer les indicateurs utilisés au titre des études d’impact, évaluations et améliorations devant elles-mêmes faire l’objet d’une contre-expertise. En bonne logique, nous soutiendrons donc la proposition de renvoi à la commission du rapporteur.
Par contre, comme l’auteur de la proposition de loi organique, si l’on en juge par les amendements qu’il a déposés avec son groupe, nous soutiendrons le rétablissement de l’article 1er, supprimé par la commission – on se demande bien pourquoi ! –, ainsi que le rétablissement du caractère public des organismes indépendants chargés de réaliser l’étude d’impact. Nous ne pensons pas, en effet, qu’être soumis aux contraintes du marché et au bon vouloir de ses clients soit la meilleure garantie d’indépendance…
Nous avons proposé, en outre, que les amendements déposés par le Gouvernement modifiant substantiellement les propositions de loi ou les projets de loi initiaux soient, eux aussi, accompagnés d’une étude d’impact. Notre amendement en ce sens a été déclaré irrecevable au titre de l’article 45 de la Constitution, interprété de manière très extensive. À part ça, comme on nous le dit régulièrement, l’urgence est au renforcement des pouvoirs du Parlement ! Peut-être faudrait-il qu’il commence par les renforcer lui-même…
Tel est donc l’esprit dans lequel nous abordons la discussion des deux textes soumis à notre examen, en regrettant que la commission ait cru bon de transformer une proposition de loi simple, claire et utile en un texte trop compliqué pour avoir une chance de survivre à la navette. Mais peut-être était-ce le but ?
M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère, pour le groupe Union Centriste.
Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi organique que nous examinons aujourd’hui nous invite à dresser un bilan du recours aux études d’impact.
Je voudrais tout d’abord insister sur la question préalable, si j’ose dire, posée par le texte tel qu’il résulte des travaux de notre commission des lois, mais aussi sur la question qu’il ne pose pas.
La question préalable est de savoir si, à travers l’examen de la proposition de loi organique visant à améliorer la qualité des études d’impact des projets de loi, nous pouvons procéder à une sorte d’anticipation du débat sur la révision constitutionnelle à venir.
Le rapporteur, M. Sueur, a fait substantiellement évoluer la proposition de loi en intégrant dans les études d’impact l’évaluation des conséquences, pour les entreprises et les collectivités territoriales, notamment en termes de coût, des dispositions envisagées. Il y ajoute l’évaluation des moyens humains, financiers et informatiques nécessaires à leur mise en œuvre, ainsi qu’une analyse du bilan des normes créées et abrogées. Par ailleurs, il propose le recours à un certain nombre d’organismes indépendants énumérés de manière non limitative, en complément du débat, que chacun de nous a en tête, sur la mise à disposition du Parlement de la Cour des comptes.
Enfin, le texte issu des travaux de la commission des lois intègre la proposition n° 18 du groupe de travail du Sénat sur la révision constitutionnelle en ce qui concerne les conditions dans lesquelles la conférence des présidents de l’assemblée pourrait constater que les obligations relatives aux études d’impact ne sont pas remplies.
En résumé, mes chers collègues, le texte de la commission des lois reprend trois propositions du groupe de travail sénatorial sur la révision constitutionnelle.
Je le dis immédiatement, ces propositions ont l’agrément du groupe Union Centriste. Cela étant, il ne nous est pas interdit de nous poser collectivement la question suivante : est-il pertinent de mener ce débat aujourd’hui ou conviendrait-il plutôt de l’intégrer à celui, plus général, qui devrait – je préfère m’exprimer au conditionnel – se tenir dans notre assemblée ? Cette question a déjà été posée par l’un des orateurs qui m’ont précédé et par M. le secrétaire d’État.
La question que ne pose pas la proposition de loi organique en l’état est celle de l’intégration de la démocratie participative, de l’expression plus directe du citoyen, au travers des études d’impact, en amont du processus législatif.
Cette question est posée par la société française. Il existe en effet une large aspiration à ce que notre démocratie soit plus participative, dans une meilleure complémentarité avec la démocratie représentative à laquelle nous sommes tous attachés, pour aboutir à ce que notre collègue Henri Cabanel et moi-même avions appelé, voilà un an, une démocratie « coopérative ».
Tout un mouvement de la société civile résumé dans la notion de civic tech tend à ce que l’expression du citoyen soit généralisée et facilitée par le biais, notamment, de modalités numériques.
De telles dispositions peuvent être mises en œuvre par une réactivation du droit de pétition devant les assemblées parlementaires, tombé en désuétude, par un mécanisme de consultation numérique ou par des conférences de consensus et autres panels citoyens. Cela pourrait concerner, en particulier, les textes à vocation sociétale ou touchant des sujets scientifiques.
Après vous avoir incités à vous demander d’abord s’il y a ou non lieu d’anticiper le débat constitutionnel à venir, je soulignerai que la question des études d’impact peut être envisagée dans une perspective plus générale et mériterait sans doute d’être encore travaillée par notre assemblée. Ces observations préalables étant formulées, j’admets bien volontiers, avec mon groupe, que les mesures proposées sont plutôt de bon aloi, pertinentes et de nature à rendre les études d’impact plus efficaces. C’est pourquoi le groupe Union Centriste apportera son soutien au texte dans son état actuel, sans demander le renvoi à un débat ultérieur. Nous sommes néanmoins attentifs aux moyens de mieux associer nos concitoyens à l’élaboration de la norme législative et à la probable réforme des institutions, dont nous sommes nombreux à souhaiter la réussite.
Applaudissements au banc de s commission s, ainsi que sur les travées du groupe Union Centriste et sur des travées du groupe La République En Marche, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe socialiste et républicain.
La parole est à M. Alain Marc, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la généralisation des études d’impact accompagnant les projets de loi – ou, s’agissant des projets de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale, des évaluations préalables qui en tiennent lieu – a constitué une réelle amélioration, puisqu’en principe elle oblige, depuis 2009, le Gouvernement à éclairer le Parlement sur les raisons de légiférer, sur les options alternatives et sur l’ensemble des conséquences des dispositions envisagées.
La proposition de loi organique que nous examinons aujourd’hui prévoit, d’une part, que les études d’impact des projets de loi doivent comporter une « évaluation qualitative de l’impact des dispositions envisagées au regard des nouveaux indicateurs de richesse », et, d’autre part, que les évaluations devant figurer dans les études d’impact doivent être réalisées par des « organismes publics indépendants et pluralistes », auxquels les assemblées parlementaires pourraient adjoindre des personnalités qualifiées.
L’examen de ce texte renvoie au débat sur l’utilité et sur la qualité des études d’impact, alors que le Gouvernement, conformément à l’annonce faite le 3 juillet 2017 par le Président de la République devant le Parlement réuni en Congrès, élabore un projet de révision constitutionnelle dont la discussion pourra précisément être l’occasion d’évoquer la question de la qualité des études d’impact.
L’obligation de joindre aux projets de loi, dès leur transmission au Conseil d’État, puis lors de leur dépôt sur le bureau de l’une ou l’autre des deux assemblées, une étude d’impact comportant une série d’informations et d’évaluations, a été instaurée par la loi organique du 15 avril 2009. Cette obligation d’information du Parlement à la charge du Gouvernement est entrée en vigueur pour les projets de loi déposés à compter du 1er septembre 2009.
Si les études d’impact constituent une indéniable avancée et une incontestable garantie de meilleure information du Parlement, leur contenu, leur qualité et leur procédure d’élaboration doivent néanmoins être améliorés. En effet, la pratique s’est révélée décevante depuis 2009 au regard des espoirs placés dans cet outil pour faire progresser la qualité du processus d’élaboration des lois.
C’est pourquoi l’examen de cette proposition de loi organique est l’occasion de reprendre les travaux antérieurs du Sénat sur les études d’impact et d’introduire dans le texte les propositions formulées en janvier 2018 par le groupe de travail du Sénat sur la révision constitutionnelle, lorsqu’elles ne nécessitaient pas de modification de la Constitution.
Je me réjouis donc que la commission des lois, sur l’initiative du rapporteur, ait décidé – à l’unanimité – de relever le niveau d’exigence pour les études d’impact des projets de loi, par le biais de l’adoption de sept amendements.
Ainsi, en complément des évaluations réalisées par le Gouvernement, les études d’impact devront comporter des évaluations réalisées par des organismes indépendants, afin de renforcer l’objectivité de l’information du Parlement sur les conséquences des projets de loi.
Les études d’impact devront aussi comporter une évaluation des moyens nécessaires à la mise en œuvre des projets de loi par l’État et les administrations publiques, d’un point de vue à la fois humain, budgétaire et informatique, ainsi que des délais nécessaires à leur mise en œuvre.
En outre, elles devront évaluer spécifiquement les coûts induits par les projets de loi pour les collectivités territoriales et pour les entreprises, ainsi que l’apport des projets de loi en matière de simplification.
Elles devront également préciser, dans l’hypothèse où la création de nouvelles normes est envisagée, les normes qu’il est proposé d’abroger en contrepartie. Les avis rendus par le CNEN devront ainsi y être joints.
Enfin, en matière de procédure, la conférence des présidents de la première assemblée saisie devra disposer d’un délai allongé de dix à trente jours pour apprécier la qualité de l’étude d’impact et s’opposer à l’inscription du projet de loi concerné à son ordre du jour si l’étude d’impact est jugée insuffisante.
Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les amendements adoptés en commission des lois modifient de façon substantielle la proposition de loi organique en y incorporant les conclusions du groupe de travail sur la révision constitutionnelle. Notre groupe votera en faveur de l’adoption de ce texte.
Applaudissements au banc des commission s .
M. le président. La parole est à M. Éric Kerrouche, pour le groupe socialiste et républicain.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il n’aura échappé à personne – à part peut-être au Gouvernement ! – que c’est dans cet hémicycle que se fait la loi. Cela requiert, de notre part, un niveau d’exigence élevé et une responsabilité permanente. Cela requiert également une objectivation de nos décisions, sans pour autant que nous abdiquions nos convictions de gauche, de droite ou d’ailleurs…
En tant que parlementaires, l’objectivation de nos décisions passe par le recours à un certain nombre d’outils en vue de confronter des points de vue divergents, pluralistes : auditions, tables rondes, conférences, rapports…
En effet, la décision publique, le choix politique ne devraient jamais céder avec trop de facilité démagogique à la tentation de l’émotion et de l’air du temps, mais plutôt se fonder, en responsabilité, sur la raison, pour que la loi soit de qualité.
Aux fins d’amélioration de la qualité de la loi et de limitation de l’inflation législative, la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 et la loi organique du 15 avril 2009 ont instauré l’obligation de joindre aux projets de loi une étude d’impact comportant une série d’informations et d’évaluations.
L’étude d’impact a un rôle : éclairer le Parlement. Toutefois, comme l’a souligné notre rapporteur, qu’il faut remercier de son travail, les études d’impact ont fait l’objet de critiques régulières et parfois sévères quant à leur utilité, à leur contenu et à leurs modalités d’élaboration. Tantôt pures formalités, tantôt justifications a posteriori d’un projet de loi, elles ne donnent pas satisfaction et ne permettent pas de fournir une information de qualité au Parlement.
Ainsi – c’est mon premier point –, la proposition de loi organique de notre collègue Franck Montaugé vise justement à améliorer la qualité de ces études et à garantir leur indépendance. Elle tend à instaurer des études d’impact répondant réellement à leur objectif. Je tiens à saluer ici l’important travail fourni, dans la durée et en intensité, par notre collègue, et à remercier celui-ci d’attirer notre attention sur une problématique qui touche à un aspect essentiel de la décision publique.
La proposition de loi organique porte, d’une part, sur le contenu des études d’impact, et, d’autre part, sur la nature des organismes qui peuvent les réaliser.
En ce qui concerne l’amélioration de la qualité des études d’impact, il n’est plus possible, c’est vrai – je rejoins en cela les conclusions de Franck Montaugé –, de se fonder uniquement sur le PIB, parce que cette grille d’interprétation conditionne notre façon d’appréhender le monde, et donc la manière dont sont conduites les politiques publiques. Si le PIB est un indicateur indispensable pour mesurer la croissance, voire pour juger de l’efficacité des politiques publiques, il n’est pas, il ne peut plus être le seul instrument de mesure.
Ce constat est étayé par une littérature importante, qu’elle provienne des Nations unies, avec l’IDH, l’indicateur de développement humain, ou de l’OCDE, de la commission Stiglitz-Sen-Fitoussi ou encore de France Stratégie. Tous ces organismes s’accordent pour affirmer, à l’instar de l’OCDE en 2007, que le PIB n’est plus suffisant et qu’il est nécessaire « de procéder à une mesure du progrès social dans chaque pays [qui aille bien] au-delà [de ces] mesures […] conventionnelles ».
Ce qui est ici en jeu, c’est une approche pluraliste, avec des critères multiples, permettant de sortir de la suprématie d’une mesure uniquement économique, alors que l’économie ne constitue qu’une dimension parmi d’autres de la réalité sociale, omettant la question environnementale et celle des inégalités sociales, de plus en plus prégnante dans l’ensemble des pays occidentaux.
Il est donc nécessaire pour nous d’embrasser l’ensemble des disciplines, de développer des indicateurs alternatifs, afin de mesurer vraiment la qualité de la décision publique. En conséquence, notre collègue propose de prendre en compte dans les études d’impact les nouveaux indicateurs de richesse issus de la loi Sas du 13 avril 2015 visant à la prise en compte des nouveaux indicateurs de richesse dans la définition des politiques publiques, afin que l’analyse ne se limite pas à des critères uniquement économiques et quantitatifs, mais englobe la mesure du bien-être ou celle des inégalités, dans un contexte de soutenabilité environnementale.
Édouard Philippe précise, dans son éditorial du rapport de 2017 sur les nouveaux indicateurs de richesse, que les dix indicateurs dont nous disposons sont « un outil unique. C’est un constat sans appel de l’évolution de notre société, c’est un rappel puissant au Parlement et au Gouvernement de leurs responsabilités. »
Nous regrettons que l’article 1er de cette proposition de loi organique n’ait pas été retenu par la commission, et nous soutiendrons son rétablissement, en profitant de la possibilité qui nous est encore offerte d’amender librement les textes…
Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain.
Par ailleurs, il faut des études d’impact indépendantes, pour en garantir l’objectivité. Il est en effet curieux, sinon incongru, que l’étude d’impact soit réalisée par l’instance qui rédige le projet de loi. Au mieux, cela biaise l’interprétation ; au pire, cela limite profondément les possibilités d’ouverture. L’indépendance des études d’impact pourrait produire des effets qualitatifs importants. En ce qui nous concerne, nous tenons au maintien du caractère public et pluraliste des organismes habilités à élaborer ces études, parce que cela serait aussi un moyen de mettre en valeur notre recherche publique. Néanmoins, concernant l’article 2, il y a lieu de reconnaître que la position consensuelle qui a émergé grâce au travail de notre rapporteur est intéressante.
D’une part, la proposition de loi organique, telle qu’elle est rédigée, permet d’assurer la réalisation d’évaluations complémentaires par des organismes indépendants, dont le contenu serait intégré au document rendant compte de l’étude d’impact. Nous pouvons nous féliciter de cette avancée, qui permettra de renforcer l’objectivité de l’information du Parlement, même si, je le répète, nous tenons au caractère public et pluraliste de ces organismes.
D’autre part, comme l’ont déjà souligné d’autres orateurs, l’intégration dans cette proposition de loi des réflexions du groupe de travail sénatorial sur la révision constitutionnelle apporte réellement des éléments discriminants.
Les études d’impact devront désormais intégrer une évaluation des moyens nécessaires pour la mise en œuvre du texte par l’État et les administrations, l’apport du projet de loi en matière de simplification, l’évaluation des coûts induits pour les collectivités et pour les entreprises. En outre, la conférence des présidents disposera d’un délai de trente jours, au lieu de dix, pour apprécier la qualité de l’étude d’impact et s’opposer, s’il y a lieu, à l’inscription de l’examen du projet de loi à son ordre du jour.
Nous approuvons l’ensemble de ces propositions, qui concourront à améliorer la qualité et l’objectivité des études d’impact et à enrichir notre culture de l’évaluation.
Nous voterons bien entendu cette proposition de loi organique, mais nous estimons, comme notre collègue Franck Montaugé, que la réflexion sur les nouveaux indicateurs de richesse doit être poursuivie et que ces indicateurs mériteraient d’être intégrés dans nos grilles d’interprétation pour éviter que l’économie demeure l’unique grammaire de nos politiques.
Pour conclure, si j’étais taquin – mais je ne le suis pas –, je dirais, pour faire suite aux propos de M. le secrétaire d’État et de M. Alain Richard selon lesquels il faut attendre la réforme constitutionnelle et ne pas se hâter de voter ce texte, …
En effet, étant donné l’amour immodéré et le profond respect du Président de la République pour le Parlement, votons pendant que nous le pouvons encore ! (Sourires. – Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Didier Mandelli, pour le groupe Les Républicains.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la révision constitutionnelle de 2008 a introduit une nouvelle procédure législative à l’article 39 de la Constitution. Cette procédure, définie à l’article 8 de la loi organique du 15 avril 2009, prévoit que les projets de loi soient accompagnés d’études d’impact. Ces études doivent être jointes aux projets de loi dès la transmission de ceux-ci au Conseil d’État ; elles sont déposées sur le bureau de la première assemblée saisie, en même temps que les projets de loi auxquels elles se rapportent.
Les études d’impact doivent servir à la fois deux objectifs : relever les effets de la législation en vigueur que l’on envisage de modifier, et anticiper les effets des modifications apportées par le projet de loi à cette législation. Pour être valables, elles doivent satisfaire à neuf obligations définies par la loi organique. Elles ont pour objets essentiels de répondre au problème de l’inflation législative, en faisant état des lois existantes, et d’anticiper les difficultés auxquelles sera confronté le législateur, notamment via l’évaluation des conséquences économiques, financières, sociales et environnementales, ainsi que des coûts et bénéfices financiers attendus de la mise en œuvre des dispositions envisagées pour chaque catégorie d’administrations publiques et de personnes physiques ou morales intéressées.
La proposition de loi de notre collègue Franck Montaugé vise à améliorer la qualité de ces études d’impact. Son article 1er tendait à prendre en compte de nouveaux indicateurs de richesse. L’article 2 prévoit que ces études soient réalisées par « des organismes publics, indépendants et pluralistes ».
Si cette proposition de loi répond à des objectifs louables, sa discussion intervient alors même que l’application de l’article 8 de la loi organique du 15 avril 2009 reste tout à fait partielle et insatisfaisante pour le Parlement.
En effet, les études d’impact n’ont que peu d’influence, ou pas d’influence du tout, sur le sort des projets de loi ; souvent réalisées rapidement, elles ne jouent pas pleinement leur rôle. La conférence des présidents n’a qu’un court délai de dix jours pour examiner l’étude d’impact et, quand bien même elle apparaîtrait incomplète, le Parlement n’a aucun pouvoir, à ce stade, pour demander le retrait du projet de loi auquel elle se rattache.
Cette situation a été clairement mise en évidence lors de l’examen du projet de loi NOTRe, en 2014. À l’unisson, plusieurs groupes politiques du Sénat avaient déploré les lacunes de l’étude d’impact accompagnant ce projet de loi. La conférence des présidents avait entériné ce constat et décidé de retirer le texte de l’ordre du jour. Malgré cette décision, le Conseil constitutionnel, saisi par le Premier ministre, avait jugé que le texte avait été présenté dans des conditions conformes à la loi organique, et s’était déclaré impuissant à juger la qualité de l’étude d’impact.
Il est évident qu’une modification de la loi organique s’impose, afin de rendre indispensable la réalisation d’une étude d’impact reposant sur des indicateurs précis, dont la qualité pourra être appréciée par le Conseil constitutionnel.
Au regard de ces critiques, la commission des lois a modifié en profondeur la proposition de loi, afin d’en faire un texte de simplification des normes.
En 2016, le Conseil national d’évaluation des normes a examiné 544 projets de texte, contre 398 en 2015, soit une progression supérieure à 36 %. En juillet dernier, le Premier ministre annonçait vouloir supprimer deux normes pour toute nouvelle norme créée ; il est temps de se saisir de ces questions, depuis longtemps évoquées mais jamais traitées.
Cette proposition de loi nous permet également d’échanger sur l’application de l’article 39 de la Constitution et de pointer du doigt les défaillances de la législation actuelle concernant la réalisation et l’examen de ces études d’impact. Il est de notre intérêt de revoir en profondeur la manière dont celles-ci sont réalisées et examinées. Elles doivent, à mon sens, permettre au Parlement de statuer sur une loi sur le fondement d’une connaissance approfondie des dispositions de celle-ci. Les neuf obligations inscrites dans la loi organique n’ont pas de valeur si elles ne sont pas correctement respectées et si le Conseil constitutionnel n’a aucun pouvoir pour contester la qualité des études d’impact.
C’est pourquoi il est nécessaire de revoir les modalités de réalisation de ces études afin de pouvoir réellement apprécier l’impact environnemental, sociétal, financier et économique des projets de loi. Depuis la réforme constitutionnelle de 2008, nous avons un formidable outil à notre disposition ; il nous incombe de le rendre plus efficace pour qu’il puisse nous accompagner au mieux dans notre approche des projets de loi, en vue d’améliorer le travail du Parlement. Je souligne à mon tour le rôle essentiel, pour l’équilibre de nos institutions, d’un Parlement fort.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu ’ au banc des commission s .
M. le président. La parole est à Mme Patricia Morhet-Richaud, pour le groupe Les Républicains.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, qui trop embrasse mal étreint, a-t-on coutume de dire. Il est vrai que, au fil des mandatures successives, le législateur a ajouté des contraintes réglementaires, multiplié les dispositifs, complexifié les normes et exigé une étude d’impact pour tout nouveau projet de loi.
Nous voici réunis aujourd’hui pour examiner une proposition de loi organique visant à améliorer la qualité des études d’impact des projets de loi, la réalité de ces études étant, on le sait, très éloignée de l’outil d’aide à la décision publique qui avait été imaginé en 2009. Nous sommes d’ailleurs un certain nombre à avoir cosigné, sur l’initiative de nos collègues Élisabeth Lamure et Olivier Cadic, une autre proposition de loi organique portant sur ce thème, tant les améliorations à apporter sont nombreuses.
En effet, nous sommes bien loin de combattre l’inflation législative, comme le souhaiteraient pourtant vivement nos concitoyens, puisque, outre qu’elles n’apportent rien sur le fond au débat parlementaire, les délais étant trop contraints, les études d’impact sont muettes sur la pertinence du texte et n’abordent pas ses conséquences financières. C’est pourquoi je m’interroge sur l’opportunité d’en étendre le champ et d’en élargir le contenu, comme le propose notre collègue.
Est-il nécessaire de préciser, mes chers collègues, que, au bout du compte, qu’il s’agisse des collectivités territoriales ou des entreprises, ce sont bien les Français qui supportent les coûts de l’inflation normative ? Dans ces conditions, quel bénéfice y aurait-il à prendre en compte des indicateurs de richesse si cela ne permet pas d’améliorer le contenu des projets de loi ? Le surcoût financier affecte directement les impôts locaux et pèse sur la compétitivité des entreprises. Il est toujours utile de rappeler combien nous nous distinguons de bon nombre de nos voisins européens en termes d’obligations réglementaires et de charge administrative, et que cela a un impact très significatif sur l’emploi.
En tant que membre de la délégation sénatoriale aux entreprises, je veux d’ailleurs faire référence à l’excellent rapport d’information de nos collègues Élisabeth Lamure et Olivier Cadic intitulé « Simplifier efficacement pour libérer les entreprises ». On le sait, le fardeau administratif pèse lourd dans la balance commerciale de la France… À ce jour, l’étude d’impact doit satisfaire à pas moins de neuf obligations, sans que le volet économique et financier soit ciblé, sans que la faisabilité soit simplement évoquée.
C’est pourquoi, si nous devons revoir ce dispositif, je souhaite, pour ma part, que cette révision le rende plus efficient, afin que ces études d’impact soient utiles au travail législatif, mais aussi moins pénalisantes pour le secteur économique.
Si vouloir améliorer la qualité des études d’impact est certes louable, il faut aussi introduire, si nous voulons tendre réellement vers l’objectif ambitieux d’une simplification réglementaire et administrative, une obligation d’évaluation a posteriori. Je souhaite que le présent texte soit amendé dans ce sens. L’étude d’impact doit aller au-delà du simple contrôle formel et de l’incidence juridique du projet de loi, pour investir un champ plus pragmatique, conformément à ce qu’attendent les Français.
Dans un monde qui évolue très rapidement, dans une économie mondialisée, il faut évaluer en toute objectivité les politiques mises en œuvre, sans esprit partisan, à l’aide d’éléments factuels. Il ne faut pas craindre une évaluation approfondie des résultats obtenus au regard des objectifs fixés aux lois, bien au contraire. Pour renforcer le rôle du Parlement, il est utile d’évaluer a posteriori les lois qui ont été votées. Je suis donc réservée sur la pertinence de ce texte, qui ne nous permettra pas d’améliorer les règles.
À l’heure où les Français demandent une véritable simplification et davantage de lisibilité, il est grand temps d’améliorer l’efficience des études d’impact. Mes chers collègues, j’espère que l’examen de ce texte permettra d’aller plus loin à cet égard et d’intégrer un certain nombre de préconisations.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
L’amendement n° 9, présenté par Mme Lamure, M. Adnot, Mme Berthet, MM. Bouchet, Cadic et Canevet, Mme Deromedi, MM. Forissier, Kennel, Labbé et D. Laurent, Mme Loisier, M. Meurant, Mme Morhet-Richaud et MM. Nougein, Paul, Pierre et Vaspart, est ainsi libellé :
Avant l’article 1er A
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Au deuxième alinéa de l’article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution, après le mot : « loi », sont insérés les mots : « et les critères d’évaluation de son efficacité au regard de ceux-ci ».
La parole est à Mme Élisabeth Lamure.
Au nom de la délégation sénatoriale aux entreprises, Olivier Cadic et moi-même avons produit un rapport intitulé Simplifier efficacemen t pour libérer les entreprises. Sur ce fondement, nous avons déposé, en septembre dernier, une proposition de loi organique relative aux études d’impact, tendant notamment à prévoir d’emblée quelles données doivent être collectées pour apprécier les effets de la loi et pouvoir valablement comparer la situation initiale à celle qui résulte de la mise en œuvre de la loi.
Cet amendement vise à préciser que l’étude d’impact ex ante d’un projet de loi doit définir non seulement les objectifs du texte, mais aussi les critères de l’évaluation de son efficacité au regard de ces objectifs, afin de rendre possible une évaluation rigoureuse de l’application de la loi ex post.
Il s’agit de la reprise d’un amendement que Mme Lamure avait présenté en commission et que celle-ci n’avait pas retenu, puisqu’il porte sur l’évaluation de la loi, dont nous allons parler lors de l’examen de la proposition de loi suivante. La question de l’évaluation est distincte de celle du contenu de l’étude d’impact.
La commission vous demande, ma chère collègue, de bien vouloir retirer votre amendement.
Le Gouvernement sollicite lui aussi le retrait de cet amendement ; à défaut, l’avis sera défavorable. J’ajoute qu’il nous paraîtrait quelque peu compliqué de fixer les critères d’évaluation d’un texte qui, par nature, peut connaître des évolutions au cours de la navette parlementaire.
Mme Élisabeth Lamure. Si l’on part du principe qu’il ne faut rien faire parce que c’est compliqué, on ne pourra jamais avancer…
M. Jean-Claude Tissot applaudit.
Je veux bien retirer cet amendement, dans la mesure où il n’a guère de chances de prospérer, mais je regrette tout de même que l’on ne prenne pas pleinement conscience de l’intérêt de disposer d’une évaluation chiffrée de l’impact d’un projet de loi.
Je retire l’amendement.
Au huitième alinéa de l’article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution, après le mot : « intéressées, », sont insérés les mots : « en particulier pour les collectivités territoriales et les entreprises, ».
L'article 1 er A est adopté.
(Supprimé)
L’amendement n° 1 rectifié, présenté par MM. Montaugé, Durain, Kerrouche, Kanner et Bérit-Débat, Mme Blondin, MM. Botrel, M. Bourquin, Cabanel, Courteau, Daunis et Duran, Mme Espagnac, M. Jeansannetas, Mme G. Jourda, M. Lalande, Mmes Lepage et Lienemann, MM. Lozach, Manable et Marie, Mmes Monier et Perol-Dumont, M. Raynal, Mme S. Robert, M. Roux, Mme Tocqueville, MM. Tourenne et Vaugrenard, Mme Artigalas, M. J. Bigot, Mmes Bonnefoy, Cartron, Conconne, M. Filleul et Guillemot, MM. Houllegatte, Iacovelli, Jacquin et Madrelle, Mme Préville, MM. Tissot et Todeschini, Mmes Ghali et Meunier, MM. P. Joly, Mazuir, Daudigny et Devinaz, Mme Lubin, MM. Antiste, Jomier, Fichet et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
Après le huitième alinéa de l’article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« - l’évaluation qualitative de l’impact des dispositions envisagées au regard des nouveaux indicateurs de richesse créés par la loi n° 2015-411 du 13 avril 2015 visant à la prise en compte des nouveaux indicateurs de richesse dans la définition des politiques publiques ; ».
La parole est à M. Franck Montaugé.
Il est dommage que, en supprimant l’article 1er de ce texte, la commission n’ait pas voulu prendre en compte la question importante de la pertinence des indicateurs utilisés dans les études d’impact.
Cela a été rappelé, la commission Stiglitz a relancé le débat sur les indicateurs de richesse et sur l’intégration d’objectifs de développement durable dans les politiques publiques, pour aller au-delà de la seule prise en compte du produit intérieur brut. Des initiatives en ce sens se sont multipliées dans de nombreux pays et à l’échelon international. Ainsi, l’Union européenne a mené sa propre démarche, intitulée « au-delà du PIB », de même que l’OCDE et l’ONU, avec les dix-sept objectifs de développement durable. Quant à la France, elle s’est dotée de nouveaux indicateurs de richesse et adhère au système de l’ONU.
Dès lors, la question, pour nous parlementaires, est de savoir comment articuler, de façon cohérente et lisible, les objectifs de développement durable auxquels notre pays a souscrit et les indicateurs dont nous disposons pour la réalisation des études d’impact et, plus largement, l’évaluation des politiques publiques.
Réintroduire l’article 1er du texte initial, qui prévoit l’utilisation des dix indicateurs de richesse de la loi Sas, permettra d’engager cette démarche d’articulation des nouveaux indicateurs de richesse avec les objectifs de développement durable de l’ONU, dont notre travail de législation et d’évaluation des politiques publiques ne doit pas être complètement déconnecté. Tel est mon credo.
M. Montaugé le sait très bien, l’amendement n° 1 rectifié est contraire à la position de la commission. Celle-ci, je tiens à le dire, n’est pas du tout hostile aux critères qualitatifs dont M. Montaugé souligne l’intérêt. Simplement, les critères permettant de mesurer la richesse du point de vue humain – qualité de la vie, de l’environnement, développement durable, …
… égalité – peuvent être nombreux. Il a semblé à la commission qu’il était préférable de les inscrire dans des textes d’application plutôt que dans le corpus législatif lui-même.
Le Gouvernement souscrit à l’argumentation de la commission des lois et émet, pour les mêmes raisons, un avis défavorable.
Le groupe socialiste et républicain soutient cet amendement. Comme Franck Montaugé l’a indiqué, il n’est pas possible d’avoir pour seul prisme de lecture le PIB, indicateur daté qui ne permet que des comparaisons quantitatives et laisse de côté un ensemble de dimensions essentielles, qu’il s’agisse de l’environnement ou des inégalités sociales.
Malgré la sympathie que j’ai pour l’auteur de l’amendement et ses intentions, je suis obligé de dire que nous ne pourrions pas voter ce texte si cet amendement devait être adopté.
Monsieur le président de la commission, cela a au moins le mérite d’être clair…
Il ne s’agit pas que d’un problème de procédure ou métaphysique ; il s’agit d’un problème très concret. J’ai évoqué tout à l’heure la loi NOTRe, je pourrais évoquer toutes les lois de réforme territoriale : on n’a jamais parlé de leurs effets en termes d’égalité – ou d’inégalité – entre collectivités territoriales. Or il est clairement apparu que les résultats ne sont pas exactement ceux que l’on attendait. Je pense qu’un certain nombre d’inconvénients, que l’on découvre progressivement, de cette réforme territoriale auraient au moins pu être atténués si l’on avait disposé de quelques informations sur ses conséquences possibles. On n’en serait pas à déplorer que des territoires soient laissés à l’abandon.
Je veux bien entendre vos raisons, je veux bien admettre que l’on s’oppose à la multiplication des critères, mais je souhaiterais que les critères dont on dispose pour juger soient pertinents. Nous sommes noyés sous les informations, mais, comme je l’ai dit tout à l’heure, il manque celles dont nous aurions besoin…
Je trouve tout de même un peu difficile à avaler que l’on rejette un tel amendement, qui mérite d’être soutenu.
L ’ amendement n ’ est pas adopté.
Après le huitième alinéa de l’article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 précitée, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« – l’évaluation des moyens nécessaires à la mise en œuvre par l’État et les administrations publiques des dispositions envisagées, en termes de crédits et d’emplois, en indiquant la méthode de calcul retenue, ainsi que de mise à niveau des systèmes d’information, et des délais nécessaires à cette mise en œuvre ; ». –
Adopté.
Après le neuvième alinéa de l’article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 précitée, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« – l’apport des dispositions envisagées en matière de simplification et, en cas de création d’une nouvelle norme, les normes dont l’abrogation est proposée ; ».
Cet article prévoit que l’étude d’impact mentionne l’apport des dispositions envisagées en matière de simplification et qu’elle précise, en cas de création d’une nouvelle norme, les normes dont l’abrogation est proposée.
Au nom de la délégation sénatoriale aux entreprises, je me félicite de cette avancée. En effet, depuis sa création à la fin de l’année 2014, la délégation ne cesse d’aller à la rencontre des entrepreneurs dans les territoires, et il n’est jamais arrivé que nous ne les entendions pas déplorer tant le poids des normes que l’instabilité normative. Or le temps que les entreprises doivent consacrer à la gestion de cette complexité normative est perdu pour la conquête de nouveaux marchés et l’innovation ! En 2010, l’OCDE en a estimé le coût à 60 milliards d’euros. Selon le critère du poids de la réglementation, la France est classée au 115e rang sur 138 pays par le Forum économique mondial.
De nombreux pays européens ont bien compris l’enjeu en termes de compétitivité économique. Nous nous sommes rendus dans plusieurs d’entre eux avant d’adopter le rapport d’information intitulé « Simplifier efficacement pour libérer les entreprises ». Les préconisations de ce rapport nous ont conduits à déposer, en septembre dernier, plusieurs textes cosignés par de nombreux membres de la délégation, dont deux propositions de loi : une proposition de loi organique prévoyant que l’étude d’impact mentionne les conséquences du projet de loi en termes de simplification du droit, afin d’inciter le Gouvernement à mieux prendre en compte cet impératif – je me réjouis que la commission des lois ait intégré cette disposition dans son texte – et une proposition de loi constitutionnelle visant à introduire une obligation de compenser la création de toute nouvelle charge pour les entreprises par la suppression d’une charge équivalente.
Dans le même esprit, l’article 1er du présent texte pose le principe de l’abrogation de normes pour toute création de nouvelle norme. Je salue ce progrès.
Toutefois, avec mes collègues de la délégation, je défendrai un amendement tendant à assurer l’efficacité du dispositif, en garantissant que la charge financière que représente la norme abrogée l’emporte sur celle de la norme créée. Nos voisins Allemands, en procédant ainsi, sont parvenus à économiser 14 milliards d’euros en cinq ans. La France doit pouvoir réussir elle aussi à alléger enfin le boulet qui freine ses entreprises dans la course mondiale : à nous de les soutenir !
L’amendement n° 10, présenté par Mme Lamure, M. Adnot, Mme Berthet, MM. Bouchet, Cadic et Canevet, Mme Deromedi, MM. Forissier, Kennel, Labbé et D. Laurent, Mme Loisier, M. Meurant, Mme Morhet-Richaud et MM. Nougein, Paul, Pierre et Vaspart, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Compléter cet alinéa par les mots :
, ainsi que les économies de charges en résultant, en particulier pour les collectivités territoriales et les entreprises
La parole est à Mme Élisabeth Lamure.
La commission des lois propose d’enrichir l’étude d’impact préalable en prévoyant que celle-ci expose l’apport du projet de loi en matière de simplification et, en cas de création d’une nouvelle norme, les normes dont l’abrogation est proposée.
Pour garantir que cette avancée sera substantielle, il convient d’assurer que la simplification normative apporte un allégement effectif, ce qui implique que la charge financière engendrée par les normes nouvellement créées soit inférieure à la charge financière représentée par les normes supprimées en contrepartie.
En janvier 2016, le Sénat a adopté une proposition de loi constitutionnelle qui prévoyait déjà d’assortir toute mesure législative ou réglementaire ayant pour effet de créer ou d’aggraver une charge pour les collectivités territoriales de la suppression de mesures représentant une charge équivalente ou d’une compensation financière.
Cet amendement vise à orienter la simplification de façon à permettre de dégager de réelles économies financières pour les entreprises et pour les collectivités territoriales.
La commission s’est interrogée sur cet amendement. La notion de « charges » peut être critiquée. Elle est peut-être redondante avec ce que la loi organique prévoit déjà, à savoir la mention des coûts et bénéfices attendus. C’est pourquoi la commission a décidé de solliciter le retrait de cet amendement.
Toutefois, eu égard aux insuffisances d’un certain nombre d’études d’impact, je m’en remettrai, à titre personnel, à la sagesse du Sénat.
Le Gouvernement sollicite lui aussi le retrait de l’amendement. À défaut, il émettra un avis défavorable.
En effet, si le dispositif de cet amendement devait être interprété comme non contraignant, l’article ne revêtirait qu’une portée résiduelle, dans la mesure où l’impact sur l’ordre juridique interne mais également l’incidence économique d’une mesure législative doivent déjà être précisés dans les études d’impact, sur le fondement de l’article 8 de la loi organique du 15 avril 2009.
À l’inverse, si le dispositif de l’amendement devait être interprété de manière beaucoup plus contraignante, sa constitutionnalité poserait question, puisqu’il toucherait au pouvoir d’initiative en matière de projets de loi, lequel appartient au seul Premier ministre.
M. Jean-Pierre Grand. Ayant lu l’article sur le droit d’amendement paru dans l’édition d’hier du journal Le Monde, je ne résiste pas, monsieur le secrétaire d’État, au plaisir de vous faire remarquer que, si la réforme constitutionnelle que le Gouvernement s’apprête visiblement à nous soumettre était déjà entrée en vigueur, le texte de la commission s’imposerait à nous sans autre forme de procès
M. Laurent Duplomb applaudit.
et nous aurions été privés d’une discussion qui a permis de faire évoluer la position personnelle du rapporteur, ainsi que de l’avis du ministre, lequel n’a pas l’occasion de s’exprimer en commission. Voilà un exemple concret de ce qu’il convient de faire et, surtout, de ne pas défaire !
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
L’avis exprimé à titre personnel par M. Sueur me conforte dans ma décision de ne pas le retirer. L’obligation de compenser toute création de norme par la suppression d’une autre n’aura guère de portée s’il n’y a pas équivalence de l’impact financier.
L ’ amendement est adopté.
L ’ article 1 er ter est adopté.
L’article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 précitée est complété par deux alinéas ainsi rédigés :
« Les évaluations prévues aux huitième et neuvième alinéas sont également réalisées par des organismes indépendants. Ces évaluations sont incluses dans les documents rendant compte de l’étude d’impact. Un décret en Conseil d’État détermine la liste et les modalités de désignation des organismes concernés ainsi que les modalités de réalisation des évaluations.
« S’il y a lieu, les avis rendus par le conseil national d’évaluation des normes en application de l’article L. 1212-2 du code général des collectivités territoriales sont également inclus dans les documents rendant compte de l’étude d’impact. »
L’article 2 de la proposition de loi prévoyait, dans sa rédaction initiale, que les études d’impact telles que prévues par la loi organique de 2009 soient réalisées par des organismes publics indépendants et pluralistes.
La commission des lois a jugé nécessaire d’étendre aux organismes privés la possibilité de réaliser ces évaluations.
Or nous considérons, pour notre part, que c’est le caractère public de ces organismes qui garantit leur indépendance, en empêchant d’éventuels conflits d’intérêts liés notamment au mode de financement des organismes privés.
L’amendement vise donc à réintroduire le texte initial de la proposition de loi, qui prévoyait que les évaluations des conséquences économiques, sociales, financières et environnementales des projets de loi puissent être réalisées par des organismes publics indépendants.
Je veux rappeler que l’Observatoire français des conjonctures économiques, par exemple, a été créé au tout début des années quatre-vingt, avec d’autres instituts publics de conjoncture et d’analyse économique et sociale, afin de renforcer l’indépendance de l’expertise dans ce domaine par rapport au Gouvernement.
En effet, à la fin des années soixante-dix, des rapports publics avaient dénoncé de manière récurrente le monopole que détenait l’administration dans le domaine de l’expertise économique et sociale. Le rapport de René Lenoir et de Baudouin Prot, commandé par Valéry Giscard d’Estaing en 1979, a joué un rôle extrêmement important dans la démocratisation de l’analyse économique et sociale en France. Ce rapport préconisait la création de plusieurs instituts de conjoncture économique publics indépendants du Gouvernement. Ainsi sont nés, par exemple, l’OFCE et l’Institut de recherches économiques et sociales, l’IRES. De tels organismes, dont les ressources sont constituées de subventions publiques, assurent « le pluralisme dans l’analyse économique, l’évaluation des politiques publiques et l’étude de la conjoncture économique, en France et en Europe », comme l’indiquent les statuts de l’OFCE. Ils ont pour mission de « mettre au service du débat public en économie les fruits de la rigueur scientifique et de l’indépendance universitaire ».
Notre amendement n° 2 rectifié a pour objet de réintroduire le caractère public des organismes visés à l’article 2, afin d’assurer l’indépendance et le pluralisme des évaluations incluses dans les études d’impact des projets de loi.
Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 7, présenté par M. Collombat, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Remplacer cet alinéa par trois alinéas ainsi rédigés :
« Ces évaluations sont réalisées par des organismes publics indépendants et pluralistes comprenant notamment le Conseil économique, social et environnemental, l’Observatoire français des conjonctures économiques, l’Institut national de la statistique et des études économiques.
« Ces organismes publics indépendants préalablement au commencement de leurs travaux, consultent les commissions saisies au fond à l’Assemblée nationale et au Sénat des points et des sujets que ces dernières souhaitent nécessairement voir traiter dans l’étude d’impact.
« Pour réaliser ces évaluations, l’Assemblée nationale et le Sénat peuvent désigner des universitaires et des personnes qualifiées en fonction de leur compétence par rapport aux domaines du projet de loi. Le mode de désignation des universitaires et des personnes qualifiées est déterminé par le règlement de chaque assemblée.
La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.
Cet amendement vise trois objectifs.
Premièrement, comme les amendements n° 2 rectifié et 3 rectifié, il tend à rétablir le caractère public, indépendant et pluraliste des organismes réalisant les évaluations figurant dans les études d’impact.
Deuxièmement, il vise à prévoir que les commissions saisies au fond des assemblées parlementaires soient consultées sur les sujets qu’elles souhaiteraient voir traiter dans l’étude d’impact. Cela éviterait le travers que j’ai dénoncé tout à l’heure, à savoir que l’on trouve tout dans les études d’impact, sauf ce que l’on y cherche…
Troisièmement, l’amendement prévoit que les assemblées puissent désigner des universitaires et des personnes qualifiées en fonction de leur compétence sur les sujets traités, pour que les parlementaires puissent être éclairés sur les dispositions qu’on leur soumet.
L’amendement n° 2 rectifié, présenté par MM. Montaugé, Durain, Kerrouche, Kanner et Bérit-Débat, Mme Blondin, MM. Botrel, M. Bourquin, Cabanel, Courteau, Daunis et Duran, Mme Espagnac, M. Jeansannetas, Mme G. Jourda, M. Lalande, Mmes Lepage et Lienemann, MM. Lozach, Manable et Marie, Mmes Monier et Perol-Dumont, M. Raynal, Mme S. Robert, M. Roux, Mme Tocqueville, MM. Tourenne et Vaugrenard, Mme Artigalas, M. J. Bigot, Mmes Bonnefoy, Cartron, Conconne, M. Filleul et Guillemot, MM. Houllegatte, Iacovelli, Jacquin et Madrelle, Mme Préville, MM. Tissot et Todeschini, Mmes Ghali et Meunier, MM. P. Joly, Mazuir, Daudigny et Devinaz, Mme Lubin, MM. Antiste, Jomier, Fichet et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 2, première phrase
Après le mot :
organismes
insérer le mot :
publics
La parole est à M. Franck Montaugé.
L’amendement n° 3 rectifié, présenté par MM. Montaugé, Durain, Kerrouche, Kanner et Bérit-Débat, Mme Blondin, MM. Botrel, M. Bourquin, Cabanel, Courteau, Daunis et Duran, Mme Espagnac, M. Jeansannetas, Mme G. Jourda, M. Lalande, Mmes Lepage et Lienemann, MM. Lozach, Manable et Marie, Mmes Monier et Perol-Dumont, M. Raynal, Mme S. Robert, M. Roux, Mme Tocqueville, MM. Tourenne et Vaugrenard, Mme Artigalas, M. J. Bigot, Mmes Bonnefoy, Cartron, Conconne, M. Filleul et Guillemot, MM. Houllegatte, Iacovelli, Jacquin et Madrelle, Mme Préville, MM. Tissot et Todeschini, Mmes Ghali et Meunier, MM. P. Joly, Mazuir, Daudigny et Devinaz, Mme Lubin, MM. Antiste, Jomier, Fichet et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 2, première phrase
Compléter cettepremière phrase par les mots :
et pluralistes
La parole est à M. Franck Montaugé.
Je ne cacherai pas la sympathie que j’éprouve, à titre personnel, pour l’amendement n° 2 rectifié, notamment, mais, en ma qualité de rapporteur, je me dois d’indiquer que la commission a émis un défavorable sur ces trois amendements.
Pour les raisons que j’ai évoquées lors de la discussion générale, le Gouvernement est défavorable aux trois amendements.
Nous considérons que la constitutionnalité de l’article 2, dans la version adoptée par la commission, pose déjà question. Les amendements présentés renforcent cette interrogation, et donc nos réserves. Leur dispositif touche lui aussi à l’élaboration de la loi, et non à sa présentation.
Le fait de prévoir que seuls des organismes publics puissent réaliser les évaluations me gêne. Pour ne parler que de mon expérience personnelle, je ne suis pas sûr que, dans l’éducation nationale, les évaluations menées par l’administration aient permis à notre système éducatif d’évoluer dans le bon sens ! Notre régression dans le classement PISA tend plutôt à prouver le contraire… Le fait que les évaluations soient réalisées par des organismes publics n’est pas forcément un gage de qualité.
Nous disposons d’un appareil de recherche public extrêmement performant, avec des organismes de niveau mondial, tels l’INSERM ou le CNRS. Il convient de s’appuyer sur eux.
L ’ amendement n ’ est pas adopté.
L ’ amendement n ’ est pas adopté.
L ’ amendement n ’ est pas adopté.
L ’ article 2 est adopté.
Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 4, présenté par M. Grand, est ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les versions des projets de loi transmis au Conseil d’État, y compris, le cas échéant, celles des saisines rectificatives et l’avis de celui-ci ou, lorsque le Gouvernement estime que des motifs impérieux d’intérêt général s’opposent à sa publication intégrale, une note en synthétisant les principales observations sont joints à l’étude d’impact. »
La parole est à M. Jean-Pierre Grand.
Je défendrai conjointement les amendements n° 4 et 5.
En vertu de l’article 39 de la Constitution, le Conseil d’État est obligatoirement saisi de tous les projets de loi avant leur adoption par le conseil des ministres et leur dépôt devant le Parlement.
Si le Gouvernement n’est pas tenu de suivre l’avis du Conseil d’État, il arrive bien souvent que certaines dispositions du projet de loi soient modifiées entre l’émission de cet avis et le dépôt du texte. Aussi existe-t-il, entre le texte dont le Conseil d’État est saisi et celui qui est déposé devant le Parlement, un décalage qui complexifie le travail parlementaire.
Je propose donc, mes chers collègues, que les différentes versions des projets de loi et les éventuelles saisines rectificatives soient jointes à l’étude d’impact.
Lors de l’examen de l’avant-projet, le Conseil d’État dispose de l’étude d’impact et ne manque pas de s’appuyer sur elle pour rendre son avis. L’étude d’impact étant jointe à l’avant-projet, il ne serait pas aberrant que, symétriquement, l’avant-projet soit joint à l’étude d’impact lors de la transmission du projet de loi au Parlement.
Il est également proposé que l’avis du Conseil d’État soit lui aussi annexé à l’étude d’impact et ainsi rendu public. Dans les faits, ses avis sont rendus publics depuis la fin du précédent quinquennat. Il est donc proposé d’officialiser cette pratique en l’inscrivant dans la loi, tout en permettant au Gouvernement de s’opposer à cette publication intégrale pour des motifs impérieux d’intérêt général. L’avis serait alors remplacé par une note synthétisant les principales observations. Si l’avis du Conseil d’État devait être publié officiellement, il serait fort logique que l’avant-projet l’accompagne.
Plus généralement, mes chers collègues, j’avais souhaité profiter de cette initiative parlementaire pour modifier d’autres dispositions relatives à nos travaux, mais l’irrecevabilité de mes amendements m’a été opposée en commission.
En quelques mots, sans remettre en cause leur droit d’amendement, je considère que le Gouvernement et la commission saisie au fond devraient être soumis aux mêmes délais de dépôt que les parlementaires, sauf pour leurs amendements destinés à assurer le respect de la Constitution, à opérer une coordination avec les textes en cours d’examen ou à corriger une erreur matérielle.
De même, le Gouvernement pourrait être tenu de réaliser une étude d’impact pour ses amendements. En effet, il a aujourd’hui trop souvent tendance à s’exonérer de ses obligations en insérant des dispositions nouvelles par voie d’amendement, donc sans avis du Conseil d’État ni réalisation d’une étude d’impact. De surcroît, ces amendements ne sont souvent déposés que quelques minutes avant la séance…
Il s’agit là, mes chers collègues, de propositions dont nous débattrons lors de la révision constitutionnelle, qui constituera, j’en suis certain, un rendez-vous intéressant.
L’amendement n° 5, présenté par M. Grand, est ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« L’avis du Conseil d’État ou, lorsque le Gouvernement estime que des motifs impérieux d’intérêt général s’opposent à sa publication intégrale, une note en synthétisant les principales observations est joint à l’étude d’impact. »
Cet amendement a été précédemment défendu.
Quel est l’avis de la commission sur les deux amendements ?
J’en suis désolé pour M. Grand, mais la commission est défavorable à ses deux amendements.
C’est le projet de loi qu’il dépose qui engage le Gouvernement, et non ses moutures préalables, dont l’avant-projet soumis au Conseil d’État. Pourquoi vouloir imposer que ces différentes versions soient publiées ? Quand on édite un livre, on n’en publie pas les brouillons, même si ceux-ci présentent sans aucun doute un grand intérêt pour les historiens de la littérature ou pour le brillant agrégé de philosophie qu’est M. Collombat !
Quant à l’avis donné par le Conseil d’État au Gouvernement, doit-il ou non être rendu public ? Le débat sur ce point est légitime, d’autant qu’il y a de nombreux précédents. En tout état de cause, doit-il figurer dans l’étude d’impact ? Non, il n’y a pas sa place.
Telles sont les raisons pour lesquelles la commission est défavorable à l’amendement n° 4, ainsi qu’à l’amendement de repli n° 5.
Le Gouvernement se rallie aux arguments de M. le rapporteur concernant la publication des avant-projets et émet, sur ce fondement, un avis défavorable sur les deux amendements.
Pour ce qui concerne les avis du Conseil d’État, traditionnellement, ceux-ci ne sont pas rendus publics et ne sont pas communicables aux personnes qui en font la demande, car ils entrent dans la catégorie des documents administratifs dont la consultation et la communication porteraient atteinte au secret des délibérations du Gouvernement, tel que défini par le 2° de l’article L. 311-5 du code des relations entre le public et l’administration.
Toutefois, en application d’une décision orale du Président de la République annoncée le 20 janvier 2015 lors de la cérémonie des vœux aux corps constitués, les avis sur les projets de loi sont, depuis le 19 mars 2015, intégralement rendus publics par le Gouvernement sur le site Légifrance dès que ces textes ont été délibérés en conseil des ministres. Le Gouvernement les transmet à la première assemblée saisie au moment du dépôt du projet de loi. Le texte retenu par le Conseil d’État, quant à lui, n’est pas rendu public. Par exception, cette nouvelle pratique ne s’applique pas aux avis sur les projets de loi de finances, de financement de la sécurité sociale ou de ratification d’une ordonnance ni aux avis sur les projets de loi autorisant la ratification d’un engagement international.
Nous considérons que cette pratique, décidée par l’exécutif en 2015, permet d’assurer un juste équilibre entre la préservation du rôle du Conseil d’État en tant que conseil du Gouvernement et la bonne information du Parlement et du citoyen. Il ne nous paraît donc ni nécessaire ni opportun de faire figurer une obligation de transmission des avis du Conseil d’État dans la loi, sauf à méconnaître le rôle et le positionnement de conseiller juridique du Gouvernement du Conseil d’État.
L’article 9 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 précitée est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa, le mot : « dix » est remplacé par le mot : « trente » ;
2° Au second alinéa, les mots : « jusqu’au dixième jour qui précède le début » sont remplacés par les mots : « jusqu’à l’ouverture ». –
Adopté.
Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi organique, je donne la parole à M. Jean-Claude Requier, pour explication de vote.
J’avais déposé un amendement qui visait à mettre sur un pied d’égalité le Sénat et le Gouvernement en rendant l’étude d’impact obligatoire pour les amendements déposés par le Gouvernement au cours de l’examen du texte. Trop d’amendements du Gouvernement nous parviennent à la dernière minute…
Cependant, la commission des lois, dans sa grande sagesse, sans aucun doute, a déclaré cet amendement irrecevable. Je le regrette un peu. Je voterai néanmoins ce texte, qui va dans la bonne direction.
Monsieur le président, je me permets de faire irruption dans ce débat bien réglé pour dire à M. Requier que l’amendement qu’il a présenté traduit une aspiration qui nous est commune.
Nous avons vu, par le passé, des textes, adoptés en première lecture au Sénat, prendre ensuite un volume tout à fait inattendu à l’Assemblée nationale, par l’ajout de mesures nouvelles, pour la plupart émanant du Gouvernement ou inspirées par celui-ci.
Cela a été le cas de la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle. Puisque l’urgence avait été déclarée, il n’y a pas eu de nouvelle lecture par l’Assemblée et le Sénat. Or les sénateurs membres de la commission mixte paritaire n’avaient aucune espèce de mandat du Sénat pour s’exprimer sur toutes les mesures nouvelles qui avaient été introduites à l’Assemblée nationale et ne savaient pas quelle aurait été la position de celui-ci s’il avait pu en discuter. Comment voulez-vous, dans ces conditions, aboutir à un accord en commission mixte paritaire ?
C’est pourquoi l’absence de règles limitant la possibilité, pour la seconde assemblée saisie, d’introduire des mesures nouvelles que la première n’aura l’occasion de discuter avant la tenue de la CMP est, en réalité, une remise en cause sournoise, insidieuse du bicamérisme.
Mon cher collègue, je comprends très bien que vous ayez voulu, par votre amendement, poser une règle pour restreindre cette pratique, mais nous n’y parviendrons pas par cette voie. La seule façon d’obtenir satisfaction est d’inscrire dans la Constitution que les mesures nouvelles votées par la seconde assemblée saisie doivent obligatoirement être délibérées par la première assemblée avant la réunion d’une commission mixte paritaire. Sinon, il n’est pas possible d’aboutir à un accord en CMP.
Applaudissements.
Nous aurions volontiers voté la proposition de loi initiale, mais nous ne pouvons pas suivre nos collègues et soutenir ce qu’il reste de leur texte… Nous nous abstiendrons.
Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi organique visant à améliorer la qualité des études d’impact des projets de loi.
En application de l’article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
Le scrutin a lieu.
Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
Il est procédé au dépouillement du scrutin.
Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 67 :
Le Sénat a adopté.
L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe socialiste et républicain, de la proposition de loi visant à instituer le Conseil parlementaire d’évaluation des politiques publiques et du bien-être, présentée par M. Franck Montaugé et les membres du groupe socialiste et républicain (proposition n° 611 rectifié [2016-2017], résultat des travaux de la commission n° 320, rapport n° 319).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Franck Montaugé, auteur de la proposition de loi.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, messieurs les présidents de commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, comme je l’ai souligné lors de la discussion générale de la proposition de loi organique visant à améliorer la qualité des études d’impact des projets de loi, le texte dont nous allons maintenant discuter a aussi pour objet d’améliorer la fabrique de la loi à partir de l’implication effective et structurée des parlementaires dans le processus d’évaluation des politiques publiques.
L’article 24 de la Constitution donne explicitement au Parlement la mission d’évaluer les politiques publiques. Les missions d’enquête, les rapports d’information y concourent, les études d’impact abordent le sujet, mais aucune démarche ou organisation, propre à chaque chambre ou commune, n’est prévue dans la loi ou dans les règlements intérieurs des assemblées.
Les politiques publiques et leur évaluation constituent un champ de savoir et de recherche à part entière. Cette « science de l’État en action », comme certains l’appellent, est aussi la branche la plus récente de la science politique.
Si tous les acteurs de la société sont concernés de manière générale, au titre de leur citoyenneté, ils le sont aussi en tant qu’acteurs et sujets de politiques publiques sectorielles, spécifiques à tel ou tel champ de la société. Nous, législateurs, sommes particulièrement impliqués dans la fabrique des lois, l’appréciation de leur mise en œuvre et leur évaluation.
Au-delà de l’appréciation personnelle que chacun d’entre nous porte sur son expérience parlementaire, la question de l’efficacité, si ce n’est de l’efficience, de notre action collective et de notre contribution aux évolutions de la société française est posée dans le débat public. Réformer les institutions doit permettre d’y répondre, mais, pour ce qui est de l’évaluation des politiques publiques, la question de fond, selon moi, est de savoir comment s’y prendre pour engager effectivement, concrètement le Parlement dans cette voie.
Pour moi, la réponse est non pas institutionnelle, mais organisationnelle. C’est là tout le sens et la raison d’être de ce texte.
Les expériences antérieures de l’Office parlementaire d’évaluation de la législation, l’OPEL, de l’Office parlementaire d’évaluation des politiques publiques, l’OPEPP, et même de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois n’ont pas été probantes.
Forts de ce constat, nous avons voulu, au travers de ce texte, complémentaire du précédent, faire des propositions visant à nous doter d’une démarche structurée à même de permettre aux parlementaires de monter en connaissance et en compétence sur le sujet, à la fois politique et technique, de l’évaluation des politiques publiques.
Ma conviction est que, en travaillant en lien avec les institutions spécialisées et le monde académique compétent sur ces sujets, en nous appuyant également sur les compétences et l’expertise remarquable des administrations de nos deux chambres, nous pourrions, nous parlementaires, beaucoup mieux remplir le rôle que nous a confié le constituant en matière de contrôle et d’évaluation.
Avant d’entrer dans le détail de cette proposition de loi, j’aimerais proposer une définition de la notion de politique publique : les politiques publiques sont le lieu où des sociétés définissent leur rapport au monde et à elles-mêmes ; une politique publique se présente sous la forme d’un programme d’action gouvernementale dans un secteur de la société ou un espace géographique.
Quant à l’évaluation, c’est l’activité de rassemblement, d’analyse et d’interprétation de l’information concernant la mise en œuvre et l’impact de mesures visant à agir sur une situation sociale, ainsi que la préparation de mesures nouvelles.
À partir de ces considérants, nous proposons, à l’article 1er, d’instituer une délégation parlementaire, dénommée « conseil parlementaire d’évaluation des politiques publiques et du bien-être », composée de dix-huit sénateurs et de dix-huit députés désignés à la proportionnelle des groupes et en respectant la parité hommes-femmes.
Cette délégation serait assistée d’un conseil scientifique pluraliste, composé de trente membres – économistes, sociologues, historiens, anthropologues… – désignés pour trois ans, dans le cadre du règlement de la délégation. La mission de ce conseil serait d’informer le Parlement sur les conséquences des politiques publiques sur le bien-être et sur leur soutenabilité, de mettre en œuvre et d’animer une plateforme participative numérique relative aux nouveaux indicateurs de richesse – il s’agit là de la dimension citoyenne et participative qu’il est indispensable de donner à cette démarche –, d’organiser chaque année, lors de l’examen de la loi de règlement, une conférence citoyenne sur l’état des inégalités en France.
À l’article 2, nous proposons qu’un bilan d’évaluation des nouveaux indicateurs de richesse de la loi Sas soit réalisé tous les trois ans et que soient éventuellement formulées, à cette occasion, des propositions d’amélioration et d’adaptation.
L’article 3 prévoit qu’une contre-expertise indépendante du rapport prévu par la loi Sas soit réalisée en vue de favoriser l’objectivité de l’évaluation des politiques publiques portée au débat public, les organismes chargés de conduire cette étude étant désignés tous les deux ans par décret en Conseil d’État.
Des membres éminents de la commission des lois estimant que le dispositif présenté est trop lourd, trop complexe, le rapporteur proposera dans quelques instants le renvoi du texte à la commission, pour préserver la suite de la réflexion.
Bien entendu, j’aurais préféré que la proposition de loi soit approuvée et que le Sénat engage un dialogue avec l’Assemblée nationale sur cette base. Cependant, peut-être est-il plus sage que la chambre haute s’engage sur la voie de l’évaluation des politiques publiques dans le cadre d’une adaptation de son règlement intérieur donnant aux commissions toutes prérogatives en la matière.
Toutefois, je tiens à attirer l’attention sur un point qui me paraît fondamental : il faudra, si nous voulons être ambitieux – je souhaite que nous le soyons –, que nous travaillions ensemble sur nombre de politiques publiques présentant un caractère transverse. Les enjeux du développement durable, par exemple, ne souffrent pas les raisonnements « en silo », selon le périmètre strict de chaque commission. Il nous faudra bien envisager, à certains moments et sur certains sujets, d’entreprendre un travail commun, à l’aune des grands enjeux devant constituer le substrat, le postulat de nos raisonnements et de nos méthodes d’évaluation.
Si le périmètre des politiques publiques se borne parfois, dans des cas simples, à des secteurs de la société bien délimités, il concerne le plus souvent plusieurs secteurs à la fois, et partant plusieurs de nos commissions permanentes. La complexité de nos sociétés affecte nos politiques publiques. Il nous faudra donc trouver une organisation interne adaptée pour tenter d’appréhender cette complexité du réel dans notre travail d’évaluation.
Les nouveaux indicateurs de richesse, comme les objectifs de développement durable, reflètent la prise en compte de cette complexité. Considérer les premiers comme des éléments de décor et les seconds comme de simples éléments de comparaison serait un contresens manifeste.
C’est aussi pour cette raison que les nouveaux indicateurs de richesse tiennent une place importante dans notre texte et que nous souhaitons que leur pertinence soit évaluée et qu’ils puissent faire l’objet d’évolutions dûment documentées. Nous aurions pu inscrire dans notre texte, avec tout autant de pertinence, les objectifs de développement durable de l’ONU.
Enfin – il s’agit depuis peu d’un point d’accord entre des institutions libérales telles que le FMI et l’OCDE et des institutions moins orthodoxes –, nous pensons que la question des inégalités doit faire l’objet d’un suivi particulier, régulier, et que le Sénat, qui se veut défenseur des libertés, doit donner l’exemple en la matière. Il n’est pas, nous le savons tous, de pleine liberté quand on est victime d’inégalités. La République ne prend tout son sens que dans l’équilibre relatif des trois valeurs de sa devise. C’est dans cet esprit que nous proposons qu’une conférence nationale sur les inégalités soit organisée chaque année au Sénat.
Je voudrais, pour terminer, aborder la dimension démocratique de l’évaluation des politiques publiques.
L’analyse des politiques publiques doit nous permettre, au-delà des valeurs et des options partisanes qui sont les nôtres, de porter un autre regard sur le politique.
Le modèle d’action publique de la France a connu, depuis le XIXe siècle, des transformations profondes. Le mode d’action publique issu de l’après-guerre, qui s’est développé jusque dans les années soixante-dix, était construit sur le rôle central de l’État en matière de développement économique. L’élite politico-administrative de cette période avait développé les politiques publiques à partir d’un modèle fondé sur la place centrale de l’État dans le développement économique.
La place grandissante de l’Union européenne et l’ouverture à une économie de plus en plus mondialisée ont, petit à petit, débouché sur un affaiblissement de la centralité de l’État. La disqualification, voire le rejet, du politique – et des politiques – comme de l’État s’explique par le sentiment d’impuissance qu’éprouve un nombre croissant de nos concitoyens à l’égard des institutions en général. Les syndicats et d’autres formes de représentation collective n’échappent pas non plus à ce phénomène profond.
Selon Pierre Muller, chercheur honoraire au CNRS et spécialiste des politiques publiques, « cette crise […] débouche sur une profonde transformation de l’espace public, entendu à la fois comme lieu de production du sens et comme lieu d’expression des intérêts sociaux en même temps qu’à l’émergence de nouveaux rapports sociaux entre l’individu et l’action collective ».
Il ajoute que cette crise « doit surtout conduire à réfléchir sur la fonction politique aujourd’hui et notamment au découplage croissant entre la fonction d’élaboration des politiques publiques (policies) et la fonction de représentation politique (politics). […] Entre les contraintes liées au contexte extérieur qui déterminent de plus en plus clairement le contenu des politiques publiques et les demandes de nouvelles formes de participation politique formulées par les citoyens, les responsables politiques devront trouver de nouveaux modes de transaction sous peine de voir se développer les différentes formes de populisme porteuses de visions du monde à la fois simplistes et dangereuses. »
La révision constitutionnelle aurait pu être posée en ces termes. Mais ne désespérons pas des débats que, je l’espère, elle suscitera sur le nécessaire regain d’intérêt et d’engagement du citoyen pour la chose publique.
Eu égard aux enjeux de fond qui sous-tendent notre texte, je souhaite que le renvoi de celui-ci à la commission ne constitue pas un enterrement, fût-il de première classe. Si tel devait être le cas, nous aurions perdu une occasion de progrès collectif vers davantage d’efficacité dans notre propre action politique, et donc dans la réhabilitation du politique auprès de nombre de nos concitoyens. L’actualité européenne nous l’a encore rappelé ce week-end.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il est un pouvoir qu’ont tous les membres du Gouvernement : celui de ne pas appliquer la loi… C’est scandaleux, et pourtant vrai : si un ministre décide de ne pas publier un décret d’application, la loi qui prévoit celui-ci ne s’applique pas. C’est scandaleux, car le premier devoir d’un ministre, qui est un serviteur de la loi, est de tout mettre en œuvre pour que la loi votée par le Parlement, fût-ce sur l’initiative de son prédécesseur, soit appliquée.
C’est pourquoi il est essentiel de parler de l’application et de l’évaluation de la loi, les deux étant indissociables.
Certes, tout citoyen peut saisir la justice administrative et demander la condamnation de l’État pour non-application de la loi, mais il s’agit d’une procédure lourde, complexe et assez rarement mise en œuvre.
J’ai vécu, à cet égard, une expérience dont je me souviendrai toujours. En 2004, lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, le Sénat a adopté, contre l’avis du Gouvernement, une disposition s’appliquant aux femmes exposées in utero au distilbène, médicament produisant des effets sur les filles, voire les petites-filles, des femmes auxquelles il a été prescrit. Le Sénat a considéré que ces femmes devaient bénéficier d’un congé maternité adapté. J’avais à l’époque travaillé avec l’association Réseau DES France.
Cette disposition a également été votée par l’Assemblée nationale. La loi a été promulguée le 20 décembre 2004 ; deux décrets d’application étaient prévus, concernant l’un les personnels de la fonction publique, l’autre les salariées du secteur privé. Toutes les femmes concernées ont salué l’adoption de cette disposition.
Or, mes chers collègues, il a fallu un certain temps pour que ces deux décrets paraissent. J’ai dû interpeller successivement trois ministres, multiplier les interventions et les questions, orales et écrites. Le second décret a été publié le 3 juillet 2009, soit exactement cinq ans, six mois et quatorze jours après la promulgation de la loi…
Les femmes qui nous avaient félicités d’avoir adopté cette disposition étaient extrêmement fâchées, contrariées de voir qu’une mesure votée ne s’appliquait pas. Certaines m’ont même demandé si le Gouvernement attendait, pour publier ces décrets, qu’elles ne puissent plus avoir d’enfants…
Une telle situation ne doit plus exister dans la République française. On pourrait citer des centaines d’autres exemples de cet ordre, monsieur le secrétaire d’État. C’est pourquoi il est nécessaire non seulement d’élaborer et de voter la loi, mais aussi de suivre scrupuleusement ses conditions d’application ou de non-application, à commencer par la publication des textes réglementaires. Il s’agit là d’une impérieuse nécessité. La Constitution confie d’ailleurs au Parlement la mission de contrôler le Gouvernement : nous sommes ici au cœur de cette mission de contrôle.
Franck Montaugé propose de créer un nouvel organe qui comprendrait trente-six parlementaires, dix-huit députés et dix-huit sénateurs. Le rapport présente l’historique des différentes instances qui ont été instaurées pour évaluer et contrôler l’application de la loi. La commission a jugé très pertinent l’objet de la proposition de loi de M. Montaugé, mais elle a considéré que l’instrument imaginé n’était pas forcément le plus adapté. Il nous a semblé préférable que le contrôle de l’application de la loi s’opère de la manière la plus concrète possible, c’est-à-dire en commission.
À titre d’exemple, un organe tel que l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques fait un travail remarquable, mais ne se réunit que trois ou quatre fois par an. Une instance créée sur ce modèle serait assez lourde et son mode de fonctionnement ne permettrait pas d’entrer dans le détail de l’écriture et de l’application des lois, ligne à ligne, alinéa après alinéa, paragraphe après paragraphe, article après article… En laissant aux commissions le soin de contrôler l’application des lois sur lesquelles elles ont travaillé, on atteindra sans doute à une plus grande efficacité.
C’est pourquoi, mes chers collègues, j’ai proposé à la commission des lois de voter le renvoi du texte à la commission. Cela ne veut pas dire que nous nous dessaisissions du sujet. Je tiens à rassurer Franck Montaugé : nous allons continuons à y travailler, d’autant qu’il sera certainement abordé dans le cadre de la réforme constitutionnelle à venir.
Je compte d’ailleurs déposer très prochainement avec Franck Montaugé une proposition de résolution relative au règlement du Sénat prévoyant que le rapporteur d’un texte le reste jusqu’à la fin de son mandat et présente chaque année devant la commission une communication sur l’état d’avancement de l’application de la loi. Ainsi, le rapporteur suivrait l’élaboration de la loi, mais aussi son application, année après année, et il pourrait, à ce titre, interpeller le ministre concerné si, par exemple, sur vingt décrets prévus, trois seulement sont parus. Le président de la commission compétente ne manquerait pas d’appuyer sa démarche. Il arrive très souvent que peu de décrets aient été publiés un an après la promulgation de la loi. Il s’agit donc d’une préoccupation tout à fait légitime.
Nous allons ensemble travailler aux différents outils qui nous permettront de progresser, de manière concrète et pragmatique, vers un suivi scrupuleux et vigilant de l’application de la loi.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.
Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, monsieur le sénateur Franck Montaugé, mesdames, messieurs les sénateurs, l’examen de cette proposition de loi nous permet de prolonger le débat entamé au travers de nos échanges sur la proposition de loi organique, et en particulier sur la pertinence du recours aux nouveaux indicateurs de richesse prévus dans la loi Sas.
Si le sort de cette proposition de loi, sans préjuger le vote de votre assemblée, semble ne pas faire de doute – la commission ayant une nouvelle fois déposé une motion tendant à son renvoi à la commission –, son examen représente, pour le Gouvernement et le Parlement, l’occasion de réfléchir ensemble aux formes que pourrait prendre la mission de contrôle et d’évaluation des politiques publiques.
La présente proposition de loi vise en effet « à favoriser le développement de nouveaux indicateurs de richesse, leur utilisation et leur appropriation citoyenne afin de faire rentrer dans les mœurs une autre culture de l’évaluation fondée sur des indicateurs alternatifs au PIB ». À ce titre, elle tend à enrichir la loi du 13 avril 2015, qui se borne à prévoir la remise d’un rapport du Gouvernement au Parlement sur ce sujet.
Ce texte prévoit la création d’une délégation parlementaire dénommée « conseil parlementaire d’évaluation des politiques publiques et du bien-être », sur le modèle de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, chargée « d’informer le Parlement sur la politique suivie par le Gouvernement, notamment en matière de choix budgétaires, au regard de nouveaux indicateurs de richesse ».
La proposition de loi prévoit également que ce conseil parlementaire évalue, tous les trois ans, la pertinence desdits indicateurs de richesse prévus par la loi Sas et formule des propositions.
Enfin, le texte précise que le rapport remis par le Gouvernement au Parlement en application de la loi Sas doit faire l’objet d’une contre-expertise par un ou plusieurs organismes indépendants.
Ce texte soulève en somme deux questions : comment doit s’organiser l’évaluation des politiques publiques ? Sur quels critères doit-elle s’appuyer pour être pertinente ?
La première question rejoint les réflexions dont je vous ai fait part tout à l’heure lors de mon intervention liminaire sur la proposition de loi organique visant à améliorer la qualité des études d’impact des projets de loi.
La volonté du Gouvernement et du Président de la République est de donner au Parlement tous les outils pour renforcer ses méthodes d’évaluation des lois, ses capacités d’expertise des effets emportés par les dispositions votées et pour remplir au mieux sa mission de contrôle de l’action du Gouvernement.
Dans le système actuel, nous passons effectivement trop de temps à discuter des effets anticipés d’une disposition, et trop peu à les vérifier. Nous adorons prédire le meilleur ou le pire pour une réforme, mais rechignons souvent à quantifier et à qualifier ses échecs ou ses succès.
Il n’est pas sain, pour notre démocratie, de sembler n’avoir pas de suite dans les idées. Il n’est pas sain que le Gouvernement n’ait pas plus à rendre compte de son action auprès de la représentation nationale. Il n’est pas sain, donc, que le Parlement ne marche que sur une jambe. La représentation nationale doit pouvoir mieux assumer le deuxième versant de sa mission constitutionnelle : le contrôle de l’action du Gouvernement et l’évaluation des politiques publiques.
Je sais le Sénat très désireux d’améliorer la capacité du Parlement à suivre l’application des lois, à les évaluer dans la durée, à exercer sa mission de contrôle. Les discussions entamées cette semaine par le Premier ministre en vue de la révision constitutionnelle permettront précisément d’atteindre cet objectif et de renforcer cette évaluation.
Je pense, par exemple, au rôle nouveau que pourrait assumer la Cour des comptes dans les missions d’évaluation et de contrôle du Parlement, ou encore à la possibilité d’enrichir la semaine de contrôle, d’en faire l’outil qu’elle aurait dû être depuis sa mise en place, au service d’un contrôle efficace de l’action du Gouvernement et du suivi de l’application des lois.
Je l’ai dit lors de ma précédente intervention : nous devons rééquilibrer le travail et le calendrier parlementaires, favoriser notamment la tenue d’un débat budgétaire de printemps consistant, efficace, permettant de suivre l’application des lois dans la durée et d’analyser au mieux les résultats de l’action gouvernementale.
Là encore, le calendrier de l’examen de cette proposition de loi vient heurter celui de la révision constitutionnelle. L’adoption de ce texte pourrait contribuer à figer inutilement les positions.
À cet élément de calendrier, il faut ajouter quelques remarques de fond.
La présente proposition de loi tend à créer une délégation parlementaire dénommée « conseil parlementaire d’évaluation des politiques publiques et du bien-être », sur le modèle de l’Office parlementaire d’évaluation de la législation, l’OPEL, et de l’Office parlementaire d’évaluation des politiques publiques, l’OPEPP, communs aux deux assemblées et tous deux créés en 1996.
L’OPEPP a été supprimé en 2000, l’OPEL en 2009. Ce dernier a produit, en tout et pour tout, trois rapports en treize ans, malgré des moyens importants. Cela laisse à penser que la formule retenue n’est peut-être pas la bonne.
Par ailleurs, pour ce qui concerne la sphère de l’État, le Gouvernement s’est fixé comme règle de ne plus créer d’instance nouvelle, de conseil ou de comité. Tout en respectant le principe de séparation des pouvoirs, il ne peut donc voir d’un œil particulièrement bienveillant l’apparition d’un nouveau conseil.
Il semble surtout que l’option déjà retenue par le Sénat de confier aux commissions permanentes le soin de veiller au suivi et à l’évaluation des lois soit plus pertinente et plus efficace. En effet, c’est en leur sein que se trouvent déjà toutes les compétences nécessaires à un suivi efficace des textes adoptés. Il est parfaitement logique de confier à la commission qui a longuement travaillé à l’élaboration d’un rapport, qui a ensuite voté un texte, qui s’est positionnée sur des amendements, le soin de se pencher ensuite, plusieurs mois ou années après, sur l’application et l’évaluation de la loi.
Le Gouvernement regardera donc d’un œil attentif le sort réservé à la proposition de résolution présentée par M. Sueur visant à modifier le règlement du Sénat pour que le rapporteur d’un texte puisse en suivre l’application pendant toute la durée de son mandat. Je ne peux m’empêcher, monsieur le rapporteur, en écho à votre intervention, de souligner que le secrétariat général du Gouvernement est désormais chargé d’établir un point semestriel sur la publication des décrets d’application, de manière à éviter les mésaventures que vous avez pu connaître.
Si le Gouvernement a des propositions fortes à faire au Parlement pour renforcer ses missions de contrôle et d’évaluation, il compte aussi sur le Parlement pour se saisir de ses pouvoirs et trouver les meilleures solutions pour renforcer son action de contrôle et d’évaluation.
La seconde question posée par cette proposition de loi a trait aux critères retenus pour mener à bien une évaluation satisfaisante des politiques publiques.
S’il ne revient pas au Gouvernement d’interférer dans le choix des méthodes retenues par le Parlement pour évaluer les lois et les politiques publiques, je puis du moins vous assurer, mesdames, messieurs les sénateurs, que les nouveaux indicateurs de richesse prévus par la loi dite « Sas », que la présente proposition de loi veut promouvoir, sont d’ores et déjà largement pris en compte dans de nombreuses administrations.
Ainsi, à Bercy, les indicateurs de niveau mission, qui rendent compte des grandes priorités des politiques publiques conduites par le Gouvernement, sont, pour la plupart, mis en cohérence avec ces nouveaux indicateurs de richesse dans les projets annuels de performance depuis 2017.
Dans la troisième édition du rapport annuel sur les nouveaux indicateurs de richesse, publiée voilà deux semaines, le Gouvernement s’est engagé à aller encore plus loin. Comme l’a annoncé le Premier ministre, « dès l’année prochaine, les principales réformes engagées par le Gouvernement seront ainsi évaluées à l’aune de ces indicateurs pour juger de leur adéquation avec notre volonté d’engager la France vers une croissance plus verte et plus inclusive ».
L’Assemblée nationale et le Sénat ont également pris les choses en main, avec la mise en place, au sein de leurs commissions du développement durable respectives, d’un groupe de travail chargé d’examiner les expériences étrangères de présentation du budget à l’aune d’objectifs de développement durable. Nous ne sommes encore qu’au début de l’aventure, mais les chantiers sont lancés, et l’ambition politique est là. Nous constatons qu’elle est partagée.
Vous l’aurez compris, le Gouvernement estime utile la contribution de cette proposition de loi au débat sur l’évaluation des politiques publiques. Il est tout à fait vertueux que, dans cette période particulière de la législature – la première année, si importante pour les relations entre le Gouvernement et le Parlement, dans un moment essentiel pour l’avenir de nos institutions, celui des consultations menées par le Premier ministre en vue de la révision constitutionnelle –, nous prenions le temps du dialogue, de l’échange de vues sur des points qui structureront notre travail en commun.
C’est ainsi que, avec la commission des lois et son rapporteur, nous considérons cette proposition de loi comme un texte utile au dialogue et à la réflexion, mais probablement insuffisant pour répondre pleinement à tous les enjeux de l’évaluation des lois. C’est la raison principale pour laquelle le Gouvernement soutiendra la motion de la commission des lois tendant au renvoi du texte à la commission.
Mes chers collègues, je vous rappelle que je devrai suspendre la séance à dix-huit heures quarante, la conférence des présidents se réunissant à dix-huit heures quarante-cinq.
Il y a huit orateurs inscrits dans la discussion générale ; viendra ensuite l’examen de la motion tendant au renvoi de la proposition de loi à la commission. Je demande à chacun de respecter strictement son temps de parole, afin que nous puissions achever l’examen de ce texte avant la suspension de la séance.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Josiane Costes, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, « le bien-être présent dépend à la fois des ressources économiques comme les revenus et des caractéristiques non économiques de la vie des gens : ce qu’ils font et ce qu’ils peuvent faire, leur appréciation de leur vie, leur environnement naturel ». C’est ainsi que le rapport Stiglitz-Sen-Fitoussi, établi en 2008, définissait le « bien-être présent », qu’il distinguait de la soutenabilité.
Depuis la publication de ce rapport commandé par le président Sarkozy et destiné à améliorer la mesure des performances économiques et du progrès social, peu d’initiatives législatives ont visé explicitement à mettre en œuvre ses recommandations. Elles s’adressaient en effet en premier lieu aux instituts produisant les statistiques à partir desquelles sont construites nos politiques publiques, ainsi qu’à la communauté scientifique, afin que soit mieux prise en compte la pluridimensionnalité du bien-être.
Il est important de le souligner, les auteurs du rapport, tous d’éminents membres de la communauté des chercheurs, avaient conscience d’ouvrir un long débat, destiné à « aborder les valeurs sociétales auxquelles nous attachons du prix et déterminer dans quelle mesure nous agissons réellement en faveur de ce qui importe ». Ces préconisations continuent donc de faire leur chemin : le Parlement s’est récemment saisi de la question, en adoptant la loi du 13 avril 2015 visant à la prise en compte des nouveaux indicateurs de richesse dans la définition des politiques publiques.
Dans le même temps, la position de la France dans le classement mondial établi par le PNUD, le Programme des Nations unies pour le développement, à partir de l’indicateur de développement humain s’est dégradée : entre 1995 et 2016, la France est passée de la huitième à la vingt et unième place. La valeur absolue de l’indice calculé par le PNUD s’est également affaiblie, passant de 0, 93 à 0, 89.
C’est à juste titre que les auteurs de cette proposition de loi cherchent à prolonger le débat ouvert en 2008, même si les évolutions suggérées ne nous paraissent pas totalement satisfaisantes.
Tout d’abord, le rapporteur a rappelé l’échec des précédents organes parlementaires dédiés à l’évaluation des politiques publiques, avec les suppressions successives de l’Office parlementaire d’évaluation des politiques publiques et de l’Office parlementaire d’évaluation de la législation, en 2000 et en 2009. La création d’un conseil parlementaire d’évaluation des politiques publiques et du bien-être, à la composition certes innovante, semble viser à ressusciter ces offices, sans que rien permette de penser qu’il ne subirait pas le même sort.
Les autres dispositions, plus anecdotiques, tendent à institutionnaliser une évaluation, tous les trois ans, de la pertinence des indicateurs de richesse existants et à permettre la production de contre-expertises au rapport publié au moment de l’examen de la loi de finances, en application de la loi de 2015 déjà citée.
Ces dispositions ont le mérite de souligner que la prise en compte d’autres indicateurs que le PIB doit être constamment recherchée, tout au long de la chaîne d’élaboration de nos politiques publiques. Elles passent cependant à côté du problème central, à savoir le déficit d’intégration de critères qualitatifs de croissance lors des arbitrages politiques et budgétaires.
Cela s’explique par différents facteurs : le temps qu’il faut pour qu’un changement de paradigme innerve l’ensemble de la chaîne des acteurs, en premier lieu, mais aussi la remise en cause régulière des nouveaux indicateurs de bien-être. Certains se sont par exemple étonnés que, en 2017, l’indice de développement humain de la Libye, alors en guerre, tel que calculé par le PNUD, ait été supérieur à celui du Maroc…
Afin d’accroître l’influence des nouveaux indicateurs de bien-être proposés dans le rapport Stiglitz-Sen-Fitoussi, il aurait été intéressant de les intégrer à la liste des éléments devant figurer dans les études d’impact prévue à l’article 8 de la loi du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution.
Une autre piste à explorer serait le renforcement des liens entre le monde universitaire et les personnes chargées d’élaborer les politiques publiques françaises et européennes. De nombreux chercheurs français se distinguent sur la scène scientifique internationale dans des domaines concernés par les recommandations de la commission Stiglitz, qu’il s’agisse de l’élaboration de nouveaux indicateurs de richesse, de l’évaluation des inégalités, de la prise en compte des activités non marchandes ou encore de l’évaluation de la soutenabilité. Il serait utile de réfléchir à des mécanismes qui permettraient de mieux tenir compte de l’ensemble des résultats de leurs recherches, au-delà des analyses produites par les chercheurs d’instances telles que le Conseil d’analyse économique.
Enfin, la présence de pays à faible densité de population comme la Norvège et le Canada en tête des classements mesurant le bien-être me conduit à penser que cette dimension devrait également être mieux prise en compte en France, dans le cadre de notre politique d’aménagement du territoire. Trop souvent, le mal-être lié aux grandes concentrations de population est sous-estimé dans nos politiques publiques.
Malgré tout l’intérêt du sujet abordé au travers de cette proposition de loi, et dans l’attente de réflexions à venir sur les thèmes que je viens d’évoquer, le groupe du RDSE votera la motion tendant au renvoi du texte à la commission.
Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en 2008, le gouvernement français sollicitait la création de la Commission sur la mesure de la performance économique et du progrès social, dans un contexte de remise en cause croissante de la pertinence des indicateurs de performance économique et de progrès social existants.
Cette commission, présidée par le prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz, était chargée de déterminer les limites de l’utilisation du PIB comme indicateur de performance économique et de progrès social.
De fait, il s’agissait d’une critique formelle de l’utilisation du PIB en tant qu’instrument de mesure central de la « richesse des nations ». Ainsi, dans son rapport final, la commission concluait que « l’adéquation des instruments actuels de mesure des performances économiques, notamment de ceux qui reposent uniquement sur le PIB, pose problème depuis longtemps ». Elle élargissait le champ de la notion de « bien-être présent » à des éléments non économiques.
Devant un tel constat, certaines initiatives ont visé à mettre en place des indicateurs et des instruments de mesure économiques, sociaux, environnementaux ou culturels plus pertinents. Ces « nouveaux indicateurs de prospérité » se sont ainsi multipliés aux échelles locale, nationale et internationale.
En 2012, la conférence des Nations unies sur le développement durable, dite « Rio+20 », a été l’occasion pour l’ONU de proposer un indice de richesse globale, « PIB vert » intégrant un « capital naturel » au PIB classique.
De son côté, la France a adopté en 2015 la loi visant à la prise en compte des nouveaux indicateurs de richesse dans la définition des politiques publiques, sur l’initiative de notre collègue députée Éva Sas. Cette loi prévoyait la prise en compte de dix nouveaux indicateurs de qualité de vie et de développement durable pour l’élaboration des décisions publiques, en sus d’instruments de mesure de la production tels que le produit intérieur brut. Dans cette optique, elle impose au Gouvernement de remettre au Parlement un rapport annuel présentant l’évolution, à moyen terme, de ces indicateurs de qualité de vie et de développement durable.
C’est dans la continuité de ces différentes initiatives que s’inscrit la proposition de loi de notre collègue Franck Montaugé. Elle vise notamment à favoriser l’utilisation et l’appropriation par nos concitoyens de nouveaux indicateurs de richesse.
Ce texte comporte trois articles.
L’article 1er vise à instituer un conseil parlementaire d’évaluation des politiques publiques et du bien-être comprenant dix-huit sénateurs et dix-huit députés. Cette délégation parlementaire serait appuyée par un comité scientifique composé d’universitaires et de représentants d’organismes publics et indépendants. Elle devrait organiser de façon annuelle une conférence « citoyenne » – adjectif galvaudé à force d’être utilisé à tout propos – sur l’état des inégalités en France.
L’article 2 prévoit que le conseil parlementaire d’évaluation des politiques publiques et du bien-être présente tous les trois ans un rapport – un de plus ! – évaluant la pertinence des indicateurs de richesse existants et formulant des propositions d’amélioration de ces derniers et de création de nouveaux indicateurs « plus qualitatifs ».
Enfin, l’article 3 dispose que le rapport gouvernemental visant à la prise en compte des nouveaux indicateurs de richesse dans la définition des politiques publiques prévu par la loi devra désormais inclure une contre-expertise réalisée par des experts indépendants. On le voit bien, cela se complique un peu ! Finalement, dans notre pays, chacun est expert en quelque chose…
L’objet de cette proposition de loi est certes louable, puisqu’il s’agit de faire évoluer nos instruments de mesure de richesse afin que nous puissions disposer d’indicateurs précis et opérationnels. Ce texte ouvre une réflexion intéressante sur la pertinence du PIB. Toutefois, mes chers collègues, gardons à l’esprit que la multiplication de structures en tout genre ne saurait constituer à elle seule une solution satisfaisante. Il est en effet à craindre qu’elle ne se révèle être source de complexification et ne soit finalement contre-productive.
La nécessité de créer de nouveaux indicateurs paraît, quant à elle, discutable, à l’heure où, comme il est d’ailleurs précisé dans l’exposé des motifs, l’utilisation des nouveaux indicateurs à des fins d’action publique ou de pilotage des politiques publiques se révèle encore limitée.
Enfin, les auteurs de la proposition de loi préconisent que le rapport gouvernemental présentant l’évolution des nouveaux indicateurs prévus par la loi Sas inclue une contre-expertise menée par des experts « indépendants », alors même que l’application de cette loi reste à l’heure actuelle insatisfaisante et mériterait d’être améliorée.
En effet, la loi Sas prévoit que le Gouvernement remette au Parlement chaque premier mardi d’octobre un rapport présentant l’évolution des nouveaux indicateurs. Or le rapport de 2017 a paru avec quatre mois de retard. Une meilleure application de la loi Sas devrait donc être envisagée.
En définitive, la révision de nos instruments de mesure de richesse ne saurait se faire au prix de la multiplication des structures et au détriment de la simplification du droit. Vous comprendrez, mes chers collègues, que les réserves que m’inspire ce texte ne me permettent pas de le voter.
La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je serai bref.
Cette proposition de loi prévoit la création d’un conseil parlementaire d’évaluation des politiques publiques et du bien-être chargé d’« informer le Parlement sur la politique suivie […] au regard des nouveaux indicateurs de richesse ». Ce conseil, composé de dix-huit sénateurs et de dix-huit députés, serait assisté d’un comité scientifique encore plus pléthorique, puisque comptant trente membres.
Que faut-il en penser ?
Premièrement, les nouveaux indicateurs de richesse ont quasiment disparu. Par conséquent, la création d’une telle délégation perd l’essentiel de son intérêt.
Deuxièmement, je ne vois pas bien quel bénéfice apporterait la création d’une délégation parlementaire nouvelle chargée d’évaluer et d’améliorer les indicateurs utilisés pour la réalisation des études d’impact, évaluations et améliorations devant elles-mêmes faire l’objet d’une contre-expertise produite par des organismes indépendants. Cela fait beaucoup !
En bonne logique, nous soutiendrons la motion tendant au renvoi du texte à la commission présentée par le rapporteur.
M. le rapporteur applaudit.
La parole est à M. Philippe Bonnecarrère, pour le groupe Union Centriste.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la première question que je me suis permis de poser tout à l’heure, lors de l’examen de la proposition de loi organique, reste d’actualité : est-il ou non pertinent de débattre aujourd’hui de dispositions qui, nous le savons, seront d’une façon ou d’une autre soumises à notre examen dans quelques semaines, à l’occasion de la révision de la Constitution ? Certains peuvent estimer qu’une telle anticipation est une manière d’ouvrir le débat, d’autres peuvent juger préférable, pour la cohérence de celui-ci, d’appréhender les problématiques globalement.
Notre groupe n’est pas opposé au renvoi de ce texte à la commission, essentiellement en raison de l’inadaptation du véhicule proposé. Nous ne sommes pas très favorables à la création de comités supplémentaires. Cette position relève, en quelque sorte, d’une logique de parallélisme des formes : notre assemblée reproche régulièrement au Gouvernement de créer trop d’autorités administratives indépendantes, nous nous plaignons d’une forme d’« agencification » de l’action publique de l’État ; par conséquent, n’alimentons pas, pour notre part, une forme de « comitologie » qui serait le pendant parlementaire des mauvaises pratiques que nous reprochons à l’État !
Plus fondamentalement, nous souhaitons tous que le Parlement assure complètement non seulement sa fonction législative d’élaboration des normes juridiques, mais aussi son rôle d’évaluation des politiques publiques et de contrôle de l’action gouvernementale, conformément à la volonté exprimée par le Président de la République.
En matière d’évaluation de l’application des lois par le Parlement, les marges d’amélioration sont considérables. M. Sueur a proposé en commission que le rapporteur d’un texte en suive l’application après son éventuelle adoption. A minima, il s’assurerait que les décrets d’application soient pris. Dans une interprétation plus large, un rôle d’évaluation de l’application de la loi dans la durée pourrait lui être confié. En tout état de cause, l’idée d’instaurer un continuum dans le suivi de l’application des lois me paraît intéressante.
Cela concerne l’aval. Peut-être conviendrait-il de s’intéresser également à l’amont, en se penchant sur la question de l’intégration. M. Cabanel et moi-même invitons le Sénat à aller plus loin dans la prise en compte de la démocratie participative, en recourant à des modalités assez classiques, pratiquées par exemple par la Commission européenne, qui met en œuvre de façon systématique des mécanismes de consultation numérique avant l’adoption des normes européennes. C’est un sujet que connaît bien notre assemblée, le président Larcher souhaitant promouvoir un Sénat « numérique ».
Sans systématiser les choses, une consultation numérique, des panels citoyens ou des conférences de consensus pourraient être mis en place en amont de l’examen d’un texte de loi, lorsque la commission compétente l’estime pertinent. Cela pourrait valoir, en particulier, pour les textes à vocation sociétale.
Je veux espérer que la motion tendant au renvoi de la proposition de loi à la commission sera adoptée et que, au-delà, nous poursuivrons, les uns et les autres, notre réflexion, dans le cadre de la révision constitutionnelle à venir, bien sûr, pour ce qui concerne le plus haut niveau de la norme juridique, mais aussi dans celui, beaucoup plus modeste, de la modification de notre règlement intérieur. En effet, l’amélioration de l’évaluation de l’application de la loi, en aval, et l’intégration de processus participatifs ou la revitalisation du droit de pétition, en amont, sont des domaines qui relèvent, mes chers collègues, du règlement de notre assemblée.
Je confirme le soutien du groupe Union Centriste à la motion tendant au renvoi du texte à la commission.
Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste. – M. le rapporteur applaudit également.
La parole est à M. Alain Marc, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’article 1er de la proposition de loi que nous examinons cet après-midi institue un « conseil parlementaire d’évaluation des politiques publiques et du bien-être » – un bien-être sans doute fort difficile à évaluer, quels que soient les critères que l’on peut définir à cette fin…
Composé de dix-huit députés et de dix-huit sénateurs, assisté d’un comité scientifique, ce conseil parlementaire aurait pour mission non seulement d’informer le Parlement des conséquences des politiques publiques sur le bien-être des populations, mais aussi de mettre en place une plateforme participative numérique relative aux « nouveaux indicateurs de richesse », afin que les citoyens s’approprient les indicateurs alternatifs au PIB et fassent vivre le débat démocratique.
Cette plateforme a pour vocation l’élaboration et la mise en débat citoyen les nouveaux indicateurs, afin de rétablir le lien entre politiques et citoyens et d’attirer l’attention, notamment des médias, sur l’état de la société au travers des grands enjeux démocratiques. À cet effet, le conseil parlementaire d’évaluation des politiques publiques et du bien-être organiserait chaque année au Sénat une conférence citoyenne sur l’état des inégalités en France.
L’article 2 de la proposition de loi instaure un bilan d’évaluation de la pertinence des nouveaux indicateurs de richesse issus de la loi du 13 avril 2015 visant à la prise en compte des nouveaux indicateurs de richesse dans la définition des politiques publiques, ou loi Sas, laquelle a débouché sur la création de dix nouveaux indicateurs de richesse. Ainsi, tous les trois ans, le conseil parlementaire d’évaluation des politiques publiques et du bien-être évaluerait la pertinence des indicateurs de richesse existants. Il formulerait des propositions d’amélioration ou de création de nouveaux indicateurs.
Enfin, l’article 3 de la proposition de loi prévoit que le rapport issu de la loi Sas et remis par le Gouvernement au Parlement fasse l’objet d’une contre-expertise indépendante. Plus simple, il n’y a pas !
Cette proposition de loi appelle un certain nombre de remarques.
En premier lieu, l’évaluation et le contrôle sont au cœur de la mission du Parlement, comme le dispose l’article 24 de la Constitution. Cette fonction vise à garantir la qualité des textes de loi en amont et à en évaluer les effets en aval. De l’avis général, elle est insuffisamment exercée et valorisée.
Il apparaît donc indispensable de développer les travaux et de renforcer les méthodes et les capacités d’expertise et d’évaluation du Parlement, afin d’améliorer l’évaluation de l’application des lois et, plus largement, l’évaluation des politiques publiques. Cette mission appartient aux commissions permanentes, ainsi qu’aux délégations et autres organes permanents ou temporaires.
En second lieu, de nombreuses réflexions sur le renforcement du contrôle et de l’évaluation ont été entreprises et, déjà, des pistes ont été dégagées.
Ainsi, il paraîtrait intéressant de renforcer l’assistance de la Cour des comptes. Actuellement, seules deux procédures permettent aux instances parlementaires d’être à l’initiative et de passer commande à la Cour des comptes d’enquêtes sur des sujets de leur choix.
Il s’agit, d’abord, de la faculté reconnue aux commissions des finances, puis aux commissions des affaires sociales, d’user d’un droit de tirage dans le cadre du contrôle de l’exécution des lois de finances et de l’application des lois de financement de la sécurité sociale.
Il s’agit, ensuite, de la possibilité ouverte au président de chaque assemblée de demander la réalisation d’enquêtes au titre de l’évaluation des politiques publiques. Étendre à toutes les commissions permanentes la faculté de solliciter la Cour des comptes pour la réalisation d’enquêtes peut constituer une piste intéressante.
De même, lever l’interdiction faite aux assemblées parlementaires de créer des commissions d’enquête sur des faits faisant l’objet de poursuites judiciaires, sous réserve du respect du secret de l’instruction, peut sembler pertinent.
La création d’une commission d’enquête est un outil essentiel du contrôle parlementaire. Toutefois, une règle de recevabilité prohibe la création d’une commission d’enquête sur des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires aussi longtemps que ces poursuites sont en cours. Si une commission a déjà été créée, sa mission prend fin dès l’ouverture d’une information judiciaire relative aux faits sur lesquels elle était chargée d’enquêter. Le respect de cette règle repose, dès lors que la création d’une commission d’enquête est envisagée, sur une saisine systématique du garde des sceaux.
Cette règle de recevabilité a, par le passé, limité les investigations des commissions d’enquête consacrées au Service d’action civique, aux sectes, au régime étudiant de la sécurité sociale ou encore au Crédit lyonnais, par exemple. Le comité Balladur s’était prononcé en faveur de sa suppression. L’abroger ne permettrait pas au Parlement d’interférer dans une procédure judiciaire ni de se substituer à l’autorité judiciaire !
Enfin, prévoir un délai impératif de réponse de deux mois aux questions écrites posées par les parlementaires au Gouvernement irait dans le sens d’une valorisation des activités de contrôle et d’évaluation du Parlement.
Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ces quelques exemples illustrent des voies d’amélioration et de développement des travaux d’évaluation.
Dans ce contexte, la proposition de loi visant à instituer un conseil parlementaire d’évaluation des politiques publiques et du bien-être apporte une contribution utile. Toutefois, au vu de l’importance du sujet, une réflexion plus large semble nécessaire. Pour cette raison, notre groupe votera en faveur de l’adoption de la motion tendant au renvoi du texte à la commission.
M. le rapporteur applaudit.
La parole est à M. Jérôme Durain, pour le groupe socialiste et républicain.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’indicateur du PIB a été instauré en 1945, aux fins de quantifier les besoins des Français, en pleine période de reconstruction. Il s’agissait alors de mesurer le développement de la société, ses progrès, avec l’objectif presque exclusif d’apprécier sa capacité à produire toujours plus de richesses.
Cet indicateur, aujourd’hui au service de la compétitivité, vieux de plus de soixante-dix ans, a besoin d’évoluer en profondeur. En effet, le PIB souffre de plusieurs lacunes : il ne mesure pas la répartition des richesses dans la société ; il ne prend pas en compte les ressources naturelles des pays, en termes énergétiques ou de biodiversité ; pis encore, le PIB, ne permettant pas de prévisions ou d’anticipations, n’étant qu’un indicateur-bilan des résultats économiques du pays, ne mesure pas la pérennité de la croissance.
Notre société doit s’intéresser au bien-être et à la qualité de vie de sa population, être à l’écoute des citoyens et cesser de se focaliser uniquement sur les enjeux économiques, comme cela a pu être le cas par le passé. Ce constat est aujourd’hui largement partagé, sur tous les bords politiques.
Nicolas Sarkozy, en 2008, avait installé la commission Stiglitz, dite « commission sur la mesure de la performance économique et du progrès social ». Cette commission avait engagé une réflexion sur les moyens d’échapper à une approche trop quantitative, trop comptable, de la mesure de nos performances collectives.
En 2000, la région Nord-Pas-de-Calais, devenue depuis lors la région Hauts-de-France et chère à Xavier Bertrand, avait mis en place des indicateurs de richesse complémentaires au PIB, en lien avec l’ARF, l’Association des régions de France. La loi Sas, votée en 2015, a prévu la prise en compte de dix nouveaux indicateurs de richesse, qui donnent lieu à la publication d’un rapport annuel permettant d’évaluer l’état de la France.
Plus récemment, le député du « nouveau monde » Bruno Bonnell – j’ai parcouru l’ensemble du spectre politique ! – s’est créé une certaine notoriété en déclarant : « On n’entend que ça, le pouvoir d’achat, comme si la vie se résumait au pouvoir d’acheter ». Même si je suis en désaccord total avec M. Bonnell en ce qui concerne sa conclusion, je crois, comme lui, comme M. Sarkozy, comme Mme Sas et comme M. Stiglitz, que nous aurions beaucoup à gagner à utiliser des indicateurs plus adaptés à nos évolutions sociétales.
Quels sont les indicateurs à retenir ? Quelles seraient les conclusions que nous pourrions tirer des nouvelles tendances ? Nous n’en savons encore rien.
Une telle évolution permettrait-elle de dissimuler la question du pouvoir d’achat, comme le souhaite M. Bonnell ? Permettrait-elle de mettre au jour de nouvelles inégalités, comme l’estime Amartya Sen, qui déclarait en 2009 : « Les indicateurs de production ou de consommation de marchandises ne disent pas grand-chose de la liberté et du bien-être, qui dépendent de l’organisation de la société, de la distribution des revenus. »
La loi Sas avait défini dix nouveaux indicateurs. Actuellement, nous ne pouvons pas, avec le seul indicateur qu’est le PIB, anticiper l’impact d’une décision sur l’écologie ou sur la soutenabilité de la dette, ses conséquences pour les citoyens. Il s’agit à mon sens d’une problématique beaucoup plus large que celle du seul contrôle des politiques publiques tel qu’il s’exerce déjà dans nos assemblées. Il y va d’une véritable révolution culturelle – M. Montaugé me pardonnera si je trahis sa pensée.
Le PIB mesure le niveau de vie du pays ; c’est donc un indicateur qui évalue, mais qui ne porte pas d’ambition sociale ou transformatrice. Les dix indicateurs de la loi Sas étaient le taux d’emploi, l’effort de recherche, l’endettement, l’espérance de vie en bonne santé, la satisfaction dans la vie, les inégalités de revenus, la pauvreté en conditions de vie, les sorties précoces du système scolaire, l’empreinte carbone, l’artificialisation des sols.
La promotion de ces indicateurs vise donc à changer les pratiques du Gouvernement, à le forcer à prendre en compte des indicateurs qu’il négligeait, afin de répondre aux enjeux d’aujourd’hui et de demain.
Selon les mots d’Édouard Philippe – vous voyez, mes chers collègues, que j’ai toujours de bonnes références – dans le dernier rapport sur ces indicateurs de richesse, « Cette dynamique n’est pas un travail en chambre, elle n’est pas simplement un exercice de spécialistes, elle a un sens politique profond. Il s’agit de savoir ce sur quoi nous fondons collectivement notre appréciation de ce que nous entendons par les termes de croissance, de développement, de bien-être ou de progrès ».
Il est vrai que certains de ces indicateurs sont plus difficilement mesurables, comme le niveau de satisfaction dans la vie. Bien que les réponses apportées soient subjectives, elles n’en restent pas moins révélatrices de l’état actuel de notre société ; à ce titre, les valeurs en question sont à prendre au sérieux.
Il y a donc les indicateurs, et ces nouveaux indicateurs sont une très bonne avancée. Il y a aussi, et c’est tout aussi important, notre capacité collective à les évaluer : non pas comme le fait le Gouvernement, c’est-à-dire de manière annuelle, en mesurant les résultats établis durant l’année, mais dans leur efficacité, leur utilité, leur impact concret. Nous pensons qu’il est important de faire un bilan d’évaluation sur la pertinence de ces indicateurs, avec la possibilité de les compléter, donc d’en ajouter, afin de les rendre plus complets et plus exhaustifs.
Pour vous donner un exemple, nous pourrions ajouter aux indicateurs existants des « blocs d’indicateurs ». Serait ainsi créé un indicateur de soutenabilité sociale, qui regrouperait des indicateurs d’inégalités fondés sur des indicateurs de répartition, mesurant les inégalités de revenus, les inégalités territoriales – elles ont été citées tout à l’heure – concernant l’accès aux dispositifs de l’État et les inégalités des chances.
À ce premier bloc s’ajouterait la création d’un indicateur de l’état du patrimoine national, mesurant, donc, le capital productif de la France, son capital humain, son capital social, mais également son capital naturel, autant de mesures essentielles pour améliorer notre bien-être dans le futur.
Enfin, un dernier bloc consisterait en un indicateur de responsabilité écologique de la France dans le monde, nous permettant de mesurer l’impact écologique de notre pays en recourant aux indicateurs d’empreinte carbone et de consommation carbone.
Pour le moment, le rapport annuel présente l’évaluation de l’impact des principales réformes engagées par le Gouvernement, mais il est principalement utilisé dans le cadre des lois de finances.
Un élargissement de son utilisation, s’agissant notamment du respect de la contrainte écologique, est important. Plusieurs indicateurs concernent l’environnement et doivent donc être utilisés au maximum de leur potentiel. Vous le savez, mes chers collègues, l’enjeu écologique est essentiel ; dans la lignée de la COP 21 et de ses résolutions ambitieuses, il est de notre devoir de prendre très au sérieux les contraintes écologiques dans nos études d’impact, au moyen des indicateurs nouvellement adoptés.
Afin de rendre ces indicateurs vraiment efficaces, une évaluation plus qualitative des projets de loi, via l’intégration des nouveaux indicateurs de richesse dans les études d’impact, est une nécessité. Un renforcement de la prise en compte des nouveaux indicateurs mettrait en lumière ces derniers et permettrait de mieux prévoir les incidences des lois futures sur la vie de nos concitoyens.
Nous proposons en outre, via le texte de Franck Montaugé, que le rapport annuel issu de la loi Sas, qui est remis par le Gouvernement au Parlement, puisse faire l’objet d’une contre-expertise indépendante.
Cette proposition est importante. En effet, le rapport est actuellement rédigé par les services du Premier ministre et vise à évaluer la politique du Gouvernement, ce qui peut créer des conflits d’intérêts et conduire à négliger certaines données révélées par les indicateurs.
Pour cette raison, la rédaction d’un second rapport, qui viserait à garantir l’objectivité du premier, pourrait être réalisée par l’Observatoire français des conjonctures économiques, l’OFCE, qui est un organisme de prévision indépendant. Un rapport de cet observatoire, dont les qualités et l’expertise des agents sont reconnues, garantirait une impartialité des données et un éclairage plus large.
Une contre-expertise serait d’autant plus la bienvenue qu’a été votée, en septembre dernier, la loi pour la confiance dans la vie politique. Permettre au Parlement de demander une contre-expertise irait dans le même sens, celui du contrôle accru des actions du Gouvernement, et octroierait plus de légitimité aux résultats dudit rapport, accroissant ainsi la confiance qui leur est accordée.
Le groupe socialiste et républicain soutient la proposition de création d’un Conseil parlementaire d’évaluation des politiques publiques et du bien-être de notre collègue Franck Montaugé. Composé de dix-huit députés et de dix-huit sénateurs, ce conseil aurait pour ambition de tenir le Parlement informé des conséquences des politiques publiques sur le bien-être des populations, ainsi que de la soutenabilité desdites politiques.
Cette avancée permettrait de prendre en compte la mesure du bien-être, prise en compte déjà amorcée par le biais de l’indicateur de satisfaction dans la vie, mais l’élargirait à d’autres points essentiels, tels que la présence de tel ou tel commerce ou service public, la qualité de l’air, etc., avec des données plus précises. Elle serait beaucoup plus importante que de simples rapports annuels, dont nous mentirions, mes chers collègues, si nous affirmions que nous les dévorons tous in extenso…
J’ai compris que la commission des lois ne partageait pas les intentions de M. Montaugé, dont j’estime que la concrétisation constituerait un réel progrès. L’OPECST, l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, et la délégation aux entreprises auraient-ils la chance d’être créés aujourd’hui si on leur appliquait le même raisonnement que celui de la commission des lois s’agissant de ce nouveau conseil ?
L’évaluation des politiques, angle mort de notre vie publique, nécessite de la créativité. Dans cette perspective, avec sa proposition, Franck Montaugé fait œuvre utile. Il manifeste, avec ses deux textes, une impatience qui fait honneur au Parlement et qui vient répondre à une demande sans cesse formulée : c’est souvent « pour demain », ce n’est jamais le moment…
Aujourd’hui, c’est la question de la réforme constitutionnelle qui nous amène à différer ce travail. Nous avons entendu les arguments de M. le rapporteur, dont l’intention, par le renvoi en commission, est d’améliorer ce texte que nous propose Franck Montaugé.
Nous ne nous opposerons pas au renvoi en commission, pleins d’espoir dans le travail à venir, mais nous nous abstiendrons avec sagesse, en attendant que soient enfin pris en compte ces indicateurs de richesse et engagées ces politiques d’évaluation que l’on nous promet toujours et qui n’arrivent jamais.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, on ne peut évidemment s’en remettre à la seule création de richesse pour mesurer la bonne santé d’un pays et de ses habitants : il est absolument nécessaire de s’assurer de la pérennité et des impacts des politiques publiques en procédant à leur évaluation.
Ces politiques doivent répondre à un objectif de développement durable, ou soutenable, tel qu’il a été défini en 1987 par la Commission mondiale pour l’environnement et le développement de l’Organisation des Nations unies : « […] Un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs ».
Lorsque l’on s’intéresse à un pays, la focalisation sur la seule création de richesses ne reflète absolument pas la réalité du niveau de vie de ses habitants. À l’idée fausse qu’une performance économique entraîne nécessairement une amélioration des conditions sociales, il manque, entre autres, une information sur la répartition de la richesse créée, en écart de rémunération et de patrimoine bien sûr, mais surtout en termes de possibilité pour chacun d’accroître sa rémunération et son patrimoine.
Le critère pécuniaire n’est toutefois pas le seul à prendre en compte dans l’estimation de la qualité de vie d’un individu. Il faut en effet s’intéresser aussi aux facteurs physiques, psychologiques et sociaux, éléments constitutifs du bien-être d’une personne : l’espérance de vie en bonne santé, l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée, les liens sociaux, l’accès à l’éducation pour ses enfants, ou encore le respect des droits fondamentaux.
L’idée d’ajouter une telle grille de lecture au calcul de la richesse d’un pays et à l’évaluation des politiques publiques est tout à fait pertinente.
Il est essentiel également d’inclure dans l’analyse des évaluations de soutenabilité des politiques économiques, afin d’avoir une vision plus prudente de leurs résultats. Il s’agirait ainsi de prévenir de nouvelles crises, comme celle qui est survenue en 2008, lorsque les performances en apparence brillantes de l’économie mondiale entre 2004 et 2007 se révélèrent avoir été obtenues au détriment de la croissance à venir.
En ce sens, la présente proposition de loi visant à instituer le Conseil parlementaire d’évaluation des politiques publiques et du bien-être, présentée par notre collègue Franck Montaugé, va dans le bon sens : elle tente d’apporter une réponse à ces différentes préoccupations. Le dispositif proposé, néanmoins, n’est pas satisfaisant.
Il faut avoir en mémoire toutes les expériences précédentes de ce genre qui se sont révélées peu probantes, tels l’OPEL, l’Office parlementaire d’évaluation de la législation, et l’OPEP, l’Office parlementaire d’évaluation des politiques publiques, organes communs aux deux assemblées, créés en 1996 et supprimés depuis lors, après n’avoir publié que très peu de rapports et avoir souffert des discordances entre les majorités respectives des deux chambres.
Au chapitre de ces expériences figure également la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, créée en 2011 et supprimée à son tour par manque de productivité.
Créer encore une nouvelle structure exigera nécessairement un investissement supplémentaire de temps et d’énergie de la part des parlementaires. À force de dispersion, les élus finissent par travailler de manière moins efficace.
Rappelons aussi que la mission d’évaluation des lois et des politiques publiques est normalement la prérogative des commissions permanentes.
C’est la raison pour laquelle l’OPEPS, l’Office parlementaire d’évaluation des politiques de santé, avait été supprimé lui aussi, malgré sa production relativement importante, au motif que ses travaux pouvaient être menés au sein des commissions des affaires sociales de chaque assemblée.
Il est vrai que l’on s’est aujourd’hui rendu compte du manque de pertinence du PIB dans l’évaluation des politiques publiques, de la nécessité d’intégrer dans cette évaluation des indicateurs supplémentaires, de développement durable ou de bien-être, notamment ; de ce point de vue, la présente proposition de loi va dans le bon sens.
Toutefois, le dispositif proposé, comme je l’ai dit, n’est pas satisfaisant. Il faut comprendre que la critique porte sur le mode d’application choisi et non sur l’esprit de la proposition de loi ; il me semble d’ailleurs pertinent de poursuivre la réflexion de son auteur, afin de la parfaire.
Je souhaite donc le renvoi du texte en commission.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et du groupe Les Indépendants – République et Territoires.
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de la motion tendant au renvoi à la commission.
Je suis saisi, par M. Sueur, au nom de la commission, d’une motion n° 1.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 5, du règlement, le Sénat décide qu’il y a lieu de renvoyer à la commission la proposition de loi visant à instituer le Conseil parlementaire d’évaluation des politiques publiques et du bien-être (n° 611 rectifié, 2016-2017).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seul droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
Aucune explication de vote n’est admise.
La parole est à M. le rapporteur, pour la motion.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, vous comprendrez que je me réfère aux arguments que j’ai invoqués lors de la présentation de mon rapport pour défendre cette motion de renvoi en commission.
Cette motion est non pas une clause de style – j’ai fourni l’illustration concrète de la proposition de résolution que nous allons déposer –, mais une véritable incitation à travailler ardemment, à partir du point de départ que représente cette proposition de loi, sur cette question de l’évaluation des politiques publiques, et principalement de l’application des lois.
Je pense, mes chers collègues, en avoir assez dit !
M. Pierre-Yves Collombat applaudit.
Personne ne demande la parole contre la motion ?…
Quel est l’avis de la commission ?
Puisque la concision du propos de notre rapporteur m’offre l’occasion, sans risquer de faire dériver nos débats vers un horaire qui serait excessif, de prendre la parole, je rappellerai simplement que le groupe de travail présidé par Gérard Larcher et dont François Pillet est le rapporteur, qui poursuit sa tâche pour déterminer les propositions du Sénat en matière de révision des institutions, a été parfaitement conscient du problème soulevé par cette proposition de loi.
C’est la raison pour laquelle il a lui-même formulé des propositions que je crois extrêmement utiles, tant sur le renforcement des études d’impact, dispositif dont la substance n’a pas été suffisamment vérifiée par le Conseil constitutionnel et qui, de ce fait, est resté largement lettre morte, que sur l’évaluation de la mise en œuvre des lois, notamment des dispositions réglementaires nécessaires.
Notre assemblée, quand bien même elle adopterait cette motion, est donc déjà force de proposition. Elle pourra d’ailleurs traduire elle-même ses propositions dans les textes dont elle aura à discuter, pour améliorer la qualité de la loi par des études d’impact, pour renforcer l’indépendance du Parlement par rapport aux organismes gouvernementaux dans l’évaluation des effets des projets de loi adoptés et pour faire en sorte que l’abstention du Gouvernement dans la mise en œuvre des lois par des décrets soit sanctionnée, notamment par les recours devant le Conseil d’État, sous astreinte, que pourront faire, au nom de leur assemblée respective, les présidents de chacune des deux chambres.
Il est très important de le rappeler. Notre débat, en effet, s’inscrit dans un contexte qui est celui de la réforme et de la modernisation de nos institutions. Quand on parle de modernisation des institutions, le Sénat répond évidemment présent !
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et du groupe Les Indépendants – République et Territoires.
Je souhaite simplement remercier les orateurs qui sont intervenus dans la discussion générale de la qualité de leurs propositions et réitérer le souhait du Gouvernement de travailler plus avant sur la question de l’évaluation et de l’application.
J’ai dit tout à l’heure que le Gouvernement était favorable à cette motion de renvoi en commission, pour les raisons qui ont été exposées par M. le rapporteur. Je répète donc, en cet instant, l’avis favorable émis par le Gouvernement sur cette motion.
La motion est adoptée.
En conséquence, le renvoi de la proposition de loi à la commission est ordonné.
Mes chers collègues, je vais à présent suspendre la séance. Je vous rappelle que la conférence des présidents se réunira à dix-huit heures quarante-cinq ; la séance sera reprise à l’issue de cette réunion. Je vous invite à rester à proximité de l’hémicycle.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à dix-huit heures vingt, est reprise à dix-neuf heures trente-cinq.
M. le président. Mes chers collègues, lors de la conférence des présidents, certains groupes ont exprimé le souhait de se réunir, afin de discuter de la situation.
Exclamations sur les travées du groupe La République En Marche.
Protestations sur diverses travées.
La séance, suspendue à dix-neuf heures quarante, est reprise à vingt-et-une heures trente, sous la présidence de M. Vincent Delahaye.