Intervention de Olivier Dussopt

Réunion du 7 mars 2018 à 14h30
Conseil parlementaire d'évaluation des politiques publiques et du bien-être — Discussion d'une proposition de loi

Olivier Dussopt :

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, monsieur le sénateur Franck Montaugé, mesdames, messieurs les sénateurs, l’examen de cette proposition de loi nous permet de prolonger le débat entamé au travers de nos échanges sur la proposition de loi organique, et en particulier sur la pertinence du recours aux nouveaux indicateurs de richesse prévus dans la loi Sas.

Si le sort de cette proposition de loi, sans préjuger le vote de votre assemblée, semble ne pas faire de doute – la commission ayant une nouvelle fois déposé une motion tendant à son renvoi à la commission –, son examen représente, pour le Gouvernement et le Parlement, l’occasion de réfléchir ensemble aux formes que pourrait prendre la mission de contrôle et d’évaluation des politiques publiques.

La présente proposition de loi vise en effet « à favoriser le développement de nouveaux indicateurs de richesse, leur utilisation et leur appropriation citoyenne afin de faire rentrer dans les mœurs une autre culture de l’évaluation fondée sur des indicateurs alternatifs au PIB ». À ce titre, elle tend à enrichir la loi du 13 avril 2015, qui se borne à prévoir la remise d’un rapport du Gouvernement au Parlement sur ce sujet.

Ce texte prévoit la création d’une délégation parlementaire dénommée « conseil parlementaire d’évaluation des politiques publiques et du bien-être », sur le modèle de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, chargée « d’informer le Parlement sur la politique suivie par le Gouvernement, notamment en matière de choix budgétaires, au regard de nouveaux indicateurs de richesse ».

La proposition de loi prévoit également que ce conseil parlementaire évalue, tous les trois ans, la pertinence desdits indicateurs de richesse prévus par la loi Sas et formule des propositions.

Enfin, le texte précise que le rapport remis par le Gouvernement au Parlement en application de la loi Sas doit faire l’objet d’une contre-expertise par un ou plusieurs organismes indépendants.

Ce texte soulève en somme deux questions : comment doit s’organiser l’évaluation des politiques publiques ? Sur quels critères doit-elle s’appuyer pour être pertinente ?

La première question rejoint les réflexions dont je vous ai fait part tout à l’heure lors de mon intervention liminaire sur la proposition de loi organique visant à améliorer la qualité des études d’impact des projets de loi.

La volonté du Gouvernement et du Président de la République est de donner au Parlement tous les outils pour renforcer ses méthodes d’évaluation des lois, ses capacités d’expertise des effets emportés par les dispositions votées et pour remplir au mieux sa mission de contrôle de l’action du Gouvernement.

Dans le système actuel, nous passons effectivement trop de temps à discuter des effets anticipés d’une disposition, et trop peu à les vérifier. Nous adorons prédire le meilleur ou le pire pour une réforme, mais rechignons souvent à quantifier et à qualifier ses échecs ou ses succès.

Il n’est pas sain, pour notre démocratie, de sembler n’avoir pas de suite dans les idées. Il n’est pas sain que le Gouvernement n’ait pas plus à rendre compte de son action auprès de la représentation nationale. Il n’est pas sain, donc, que le Parlement ne marche que sur une jambe. La représentation nationale doit pouvoir mieux assumer le deuxième versant de sa mission constitutionnelle : le contrôle de l’action du Gouvernement et l’évaluation des politiques publiques.

Je sais le Sénat très désireux d’améliorer la capacité du Parlement à suivre l’application des lois, à les évaluer dans la durée, à exercer sa mission de contrôle. Les discussions entamées cette semaine par le Premier ministre en vue de la révision constitutionnelle permettront précisément d’atteindre cet objectif et de renforcer cette évaluation.

Je pense, par exemple, au rôle nouveau que pourrait assumer la Cour des comptes dans les missions d’évaluation et de contrôle du Parlement, ou encore à la possibilité d’enrichir la semaine de contrôle, d’en faire l’outil qu’elle aurait dû être depuis sa mise en place, au service d’un contrôle efficace de l’action du Gouvernement et du suivi de l’application des lois.

Je l’ai dit lors de ma précédente intervention : nous devons rééquilibrer le travail et le calendrier parlementaires, favoriser notamment la tenue d’un débat budgétaire de printemps consistant, efficace, permettant de suivre l’application des lois dans la durée et d’analyser au mieux les résultats de l’action gouvernementale.

Là encore, le calendrier de l’examen de cette proposition de loi vient heurter celui de la révision constitutionnelle. L’adoption de ce texte pourrait contribuer à figer inutilement les positions.

À cet élément de calendrier, il faut ajouter quelques remarques de fond.

La présente proposition de loi tend à créer une délégation parlementaire dénommée « conseil parlementaire d’évaluation des politiques publiques et du bien-être », sur le modèle de l’Office parlementaire d’évaluation de la législation, l’OPEL, et de l’Office parlementaire d’évaluation des politiques publiques, l’OPEPP, communs aux deux assemblées et tous deux créés en 1996.

L’OPEPP a été supprimé en 2000, l’OPEL en 2009. Ce dernier a produit, en tout et pour tout, trois rapports en treize ans, malgré des moyens importants. Cela laisse à penser que la formule retenue n’est peut-être pas la bonne.

Par ailleurs, pour ce qui concerne la sphère de l’État, le Gouvernement s’est fixé comme règle de ne plus créer d’instance nouvelle, de conseil ou de comité. Tout en respectant le principe de séparation des pouvoirs, il ne peut donc voir d’un œil particulièrement bienveillant l’apparition d’un nouveau conseil.

Il semble surtout que l’option déjà retenue par le Sénat de confier aux commissions permanentes le soin de veiller au suivi et à l’évaluation des lois soit plus pertinente et plus efficace. En effet, c’est en leur sein que se trouvent déjà toutes les compétences nécessaires à un suivi efficace des textes adoptés. Il est parfaitement logique de confier à la commission qui a longuement travaillé à l’élaboration d’un rapport, qui a ensuite voté un texte, qui s’est positionnée sur des amendements, le soin de se pencher ensuite, plusieurs mois ou années après, sur l’application et l’évaluation de la loi.

Le Gouvernement regardera donc d’un œil attentif le sort réservé à la proposition de résolution présentée par M. Sueur visant à modifier le règlement du Sénat pour que le rapporteur d’un texte puisse en suivre l’application pendant toute la durée de son mandat. Je ne peux m’empêcher, monsieur le rapporteur, en écho à votre intervention, de souligner que le secrétariat général du Gouvernement est désormais chargé d’établir un point semestriel sur la publication des décrets d’application, de manière à éviter les mésaventures que vous avez pu connaître.

Si le Gouvernement a des propositions fortes à faire au Parlement pour renforcer ses missions de contrôle et d’évaluation, il compte aussi sur le Parlement pour se saisir de ses pouvoirs et trouver les meilleures solutions pour renforcer son action de contrôle et d’évaluation.

La seconde question posée par cette proposition de loi a trait aux critères retenus pour mener à bien une évaluation satisfaisante des politiques publiques.

S’il ne revient pas au Gouvernement d’interférer dans le choix des méthodes retenues par le Parlement pour évaluer les lois et les politiques publiques, je puis du moins vous assurer, mesdames, messieurs les sénateurs, que les nouveaux indicateurs de richesse prévus par la loi dite « Sas », que la présente proposition de loi veut promouvoir, sont d’ores et déjà largement pris en compte dans de nombreuses administrations.

Ainsi, à Bercy, les indicateurs de niveau mission, qui rendent compte des grandes priorités des politiques publiques conduites par le Gouvernement, sont, pour la plupart, mis en cohérence avec ces nouveaux indicateurs de richesse dans les projets annuels de performance depuis 2017.

Dans la troisième édition du rapport annuel sur les nouveaux indicateurs de richesse, publiée voilà deux semaines, le Gouvernement s’est engagé à aller encore plus loin. Comme l’a annoncé le Premier ministre, « dès l’année prochaine, les principales réformes engagées par le Gouvernement seront ainsi évaluées à l’aune de ces indicateurs pour juger de leur adéquation avec notre volonté d’engager la France vers une croissance plus verte et plus inclusive ».

L’Assemblée nationale et le Sénat ont également pris les choses en main, avec la mise en place, au sein de leurs commissions du développement durable respectives, d’un groupe de travail chargé d’examiner les expériences étrangères de présentation du budget à l’aune d’objectifs de développement durable. Nous ne sommes encore qu’au début de l’aventure, mais les chantiers sont lancés, et l’ambition politique est là. Nous constatons qu’elle est partagée.

Vous l’aurez compris, le Gouvernement estime utile la contribution de cette proposition de loi au débat sur l’évaluation des politiques publiques. Il est tout à fait vertueux que, dans cette période particulière de la législature – la première année, si importante pour les relations entre le Gouvernement et le Parlement, dans un moment essentiel pour l’avenir de nos institutions, celui des consultations menées par le Premier ministre en vue de la révision constitutionnelle –, nous prenions le temps du dialogue, de l’échange de vues sur des points qui structureront notre travail en commun.

C’est ainsi que, avec la commission des lois et son rapporteur, nous considérons cette proposition de loi comme un texte utile au dialogue et à la réflexion, mais probablement insuffisant pour répondre pleinement à tous les enjeux de l’évaluation des lois. C’est la raison principale pour laquelle le Gouvernement soutiendra la motion de la commission des lois tendant au renvoi du texte à la commission.

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