Intervention de Thani Mohamed Soilihi

Réunion du 8 mars 2018 à 15h00
Simplification du code de commerce — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Thani Mohamed SoilihiThani Mohamed Soilihi :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, lorsque, en 2013, j’ai présenté mon rapport sur le projet de loi habilitant le Gouvernement à simplifier et sécuriser la vie des entreprises, devenu la loi du 2 janvier 2014, j’ai indiqué que de nombreuses suggestions complémentaires de simplification ou de clarification m’avaient été présentées lors de mes auditions.

Compte tenu des délais d’examen de ce texte et de sa composition à base, pour l’essentiel, d’habilitations, j’avais préféré renvoyer l’examen de ces suggestions à un travail complémentaire, susceptible de donner lieu à l’élaboration d’une proposition de loi spécifique. Aussi ai-je déposé, le 4 août 2014, la présente proposition de loi de simplification, de clarification et d’actualisation du code de commerce.

J’ai souhaité passer au crible de l’impératif de simplification, aujourd’hui partagé unanimement, les dispositions du code de commerce laissées de côté, pour formuler dans un texte à l’objet clair et circonscrit des simplifications, des clarifications et des mises à jour concrètes objectivement utiles pour la vie économique.

La finalité de cette proposition de loi est simple, mais ambitieuse : améliorer la compétitivité de l’économie française et réaliser des économies budgétaires.

Il n’était pas question de simplifier pour s’inscrire dans l’air du temps. La complexité de la règle de droit n’est parfois que le reflet de la complexité de la réalité économique. En revanche, lorsque cette complexité n’a pas lieu d’être ou n’a plus de justification dans la réalité, elle n’a pas à être conservée.

Pour autant, la simplification ne doit pas méconnaître l’aspiration des acteurs économiques à la stabilité de la règle de droit. Ces deux exigences ne sont pas contradictoires, mais complémentaires.

À la lumière de ces exigences et à l’aide du regard des praticiens, il est possible de simplifier avec mesure et pragmatisme. C’est ainsi que je conçois toute œuvre de simplification vraiment utile pour nos entreprises.

À cet égard, la succession de trains de simplification depuis de nombreuses années a parfois manqué de lisibilité pour les acteurs et les praticiens du droit des entreprises, contraints de prendre en compte de fréquentes modifications des règles applicables. Comme la complexité du droit, l’instabilité normative a un coût économique, que les pouvoirs publics doivent prendre en compte et chercher à minimiser.

Ainsi, je crois parfois préférable de maintenir une règle complexe ou apparemment lourde, mais comprise et largement acceptée, plutôt que de la changer au profit d’une règle nouvelle certes objectivement plus simple mais qui exigera un effort d’adaptation excessif de la part de tous.

J’avais également à cœur que la simplification de l’environnement juridique des entreprises ne s’opère pas au détriment de la protection des intérêts des tiers, salariés, actionnaires, clients et fournisseurs, à laquelle contribue fortement, entre autres dispositifs, la publicité légale.

Il est indispensable de préserver un équilibre entre simplification du droit, secret des affaires et protection des intérêts des tiers, comme l’a fait, par exemple, l’ordonnance du 30 janvier 2014 allégeant les obligations comptables des microentreprises et petites entreprises.

Il appartient bien au législateur d’arbitrer entre des mesures de simplification réellement utiles et le besoin de stabilité de l’environnement juridique des entreprises et, in fine, de défendre l’intérêt général et de concilier les divers intérêts à l’œuvre dans la vie économique, nécessairement particuliers mais également admissibles, en établissant un cadre juridique simple, stable et compétitif.

Notre droit des entreprises ne doit pas être une cause de délocalisation des activités économiques.

Après vous avoir présenté mon objectif, j’en viens à la méthode retenue pour y parvenir.

J’ai souhaité circonscrire mon travail au droit des sociétés. Dans ce champ restreint clairement identifié, j’ai fait le choix de partir des besoins exprimés par les acteurs de la vie économique – autorités administratives indépendantes, représentants des entreprises, professionnels accompagnant les entreprises, entre autres acteurs – pour déterminer des mesures concrètes et utiles de simplification, de clarification ou d’actualisation.

Supprimer des obligations obsolètes ou n’atteignant pas leur objectif, alléger des contraintes inutilement lourdes, complexes ou disproportionnées, corriger des erreurs ou des incohérences résultant de la sédimentation de textes successifs, clarifier des dispositions ambiguës posant des difficultés d’interprétation, harmoniser des rédactions disparates, renforcer la sécurité juridique, rendre plus efficaces certains mécanismes conformément à leur finalité, faciliter l’accomplissement de certaines procédures ou formalités, parfois en les dématérialisant, éviter les dispositifs trop rigides ou excessifs au profit de la liberté des parties, fluidifier les relations économiques et la vie des affaires sans remettre en cause la protection des divers intérêts en présence : tels sont les axes que j’ai retenus pour élaborer la proposition de loi.

En dépit de ce champ réduit, le présent texte se composait initialement de soixante articles. Après son passage en commission, en 2016, il en comptait toujours cinquante et un.

Depuis lors, de nombreuses mesures ont été reprises dans la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dite loi Macron, et dans la loi du 10 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite loi Sapin II.

Je tiens d’ailleurs à saluer l’excellent travail de notre rapporteur, André Reichardt, qui a su, à l’époque, enrichir ce texte et qui l’a, aujourd’hui, épuré de toutes les dispositions satisfaites.

Il apparaît que, sur les cinquante et un articles du texte de la commission, quarante-deux demeurent en tout ou partie valables au regard du droit en vigueur ; ils devront être examinés en quatre heures, ce qui, vous en conviendrez, relève presque du défi.

Pour corser encore notre exercice, et parce que je nous sais capables de relever ce défi, j’ai souhaité déposer quatre amendements visant à compléter et à actualiser le travail débuté en 2013.

Le premier vise à ratifier quatre ordonnances prises par le Gouvernement en 2017 dans le domaine du droit des sociétés. Ces ordonnances ont repris plusieurs dispositions de la proposition de loi, dans une rédaction parfois différente, ce qui montre bien, en tout cas, la convergence de vues qui existe en matière de simplification du droit des sociétés.

Le deuxième amendement tend à simplifier le dispositif permettant la dématérialisation des assemblées générales d’actionnaires dans les seules sociétés anonymes non cotées, afin de le rendre enfin applicable.

La proposition de loi comporte un dispositif en ce sens. L’ordonnance du 4 mai 2017 sur la participation des actionnaires a mis en place un dispositif qui s’en inspire : les statuts de la société peuvent prévoir la tenue de l’assemblée générale de façon dématérialisée, et, puisque cette faculté relève des statuts, ce sont les actionnaires qui auront à accepter ou non, dans le cadre d’une modification des statuts, une telle faculté.

Or l’ordonnance ajoute un droit d’opposition à la tenue dématérialisée de l’assemblée générale pour les actionnaires représentant au moins 5 % du capital, dans des conditions précisées par décret en Conseil d’État. À ce jour, le décret n’a toujours pas été pris, alors que l’ordonnance date de mai 2017… Ce dispositif, pourtant attendu par les praticiens du droit des sociétés, n’est donc toujours pas opérationnel.

En réalité, ce décret est sans doute très difficile à élaborer pour concevoir les modalités, en particulier chronologiques, du droit d’opposition. Le plus simple est donc de supprimer ce droit d’opposition, dont l’utilité n’est pas avérée dans les sociétés non cotées, dès lors que les actionnaires ont la faculté de s’opposer à la possibilité de réunions dématérialisées au stade de la modification des statuts en assemblée générale extraordinaire, laquelle requiert des niveaux très élevés de quorum et de majorité.

Mon troisième amendement a pour objet de simplifier les règles de rachat par une société non cotée de ses propres actions, en ménageant plus de souplesse. L’objectif est simple : favoriser l’entrée d’investisseurs extérieurs destinés à accompagner la croissance de l’entreprise, en particulier en facilitant leur sortie du capital, le moment venu, par le rachat des actions qu’ils détiennent. Il n’existe pas, en effet, de réel marché pour les actions des sociétés non cotées.

Lorsqu’une telle opération de rachat est soumise à l’assemblée générale des actionnaires, un rapport du commissaire aux comptes suffit, compte tenu des garanties de déontologie et d’indépendance de ce dernier. Le rapport supplémentaire d’un expert indépendant est redondant et ne donne pas une information supplémentaire utile aux actionnaires.

En outre, il est bon de prévoir que l’opération de rachat, autorisée par les actionnaires pour une durée limitée, peut être utilisée pour les différentes finalités permises par la loi, et pas seulement pour une finalité donnée. Cette souplesse restera encadrée par la loi.

Enfin, les actions de préférence ont été créées en 2004, puis réformées en 2008 et 2014, mais sans rencontrer le succès attendu. Elles restent peu utilisées, alors même que, en principe, elles sont très utiles, en permettant de donner des droits particuliers à un investisseur qui s’engage pour accompagner la croissance d’une entreprise, ou de moduler ses droits.

C’est pourquoi mon quatrième et dernier amendement vise à apporter plusieurs améliorations au régime des actions de préférence, pour rendre celles-ci plus attractives.

Certaines sont plus techniques : par exemple, pour les sociétés par actions simplifiées ou pour la suppression du droit préférentiel de souscription en cas d’augmentation de capital. D’autres ont une plus grande portée, comme la possibilité pour le conseil d’administration de garantir le versement de dividendes à des actionnaires détenteurs d’actions de préférence ou la possibilité de rachat des actions de préférence sur l’initiative de leurs détenteurs à l’issue d’une période donnée, qui n’existe pas aujourd’hui.

Comme pour le rachat des actions dans les sociétés non cotées, il s’agit d’encourager l’investissement dans les sociétés en croissance et le capital-risque. C’est indispensable pour la croissance des entreprises françaises.

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’ai tenu à conduire cette démarche dans un esprit consensuel, pragmatique et constructif, dans l’intérêt de nos entreprises. C’est la raison pour laquelle j’invite notre assemblée à voter la proposition de loi, pour que ce travail utile pour nos sociétés ne se perde pas dans les méandres de la procédure parlementaire.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion