Tout d'abord, je veux vous dire que c'est un plaisir pour moi d'être entendu par votre commission d'enquête. C'est une excellente chose que le Sénat ait décidé d'auditer l'ensemble des forces de police, de gendarmerie, de manière à savoir où on en était du point de vue des forces de sécurité en France.
Je l'ai dit à l'occasion de l'examen de quelques textes de loi : je suis de ceux qui pensent que la sécurité est la première des libertés et donc, quand il n'y a pas de sécurité quelque part, il n'y a pas de liberté.
Pour avoir exercé d'anciennes fonctions, je sais que ce dont nos concitoyens parlent en général à celui que l'on considère, peut-être à tort, comme responsable de la sécurité, à savoir le maire, ce sont les problèmes de chômage, de sécurité, de logement.
Je vais essayer de vous répondre le plus largement possible.
Vous avez souhaité tout d'abord avoir une brève analyse de l'état des forces de sécurité intérieure.
Au travers des rencontres que j'ai pu avoir à la fois sur le terrain, des discussions avec l'ensemble des directions, que ce soit celles de la police ou de la gendarmerie, en l'espace de huit mois, j'ai pu, comme vous, percevoir le malaise qui existait dans nos forces de sécurité.
Ce malaise a des origines tout à fait diverses. La première origine, c'est la baisse des effectifs qui est intervenue dans la période 2007-2012. Je ne porte aucun jugement de valeur parce que nous subissions une crise économique profonde, mais force est de constater qu'entre 2007 et 2012, 12 500 postes ont disparu parmi les forces de sécurité, police et gendarmerie réunies.
Au moment même où nous venions de supprimer ces postes est arrivée la période des attentats. Il y a eu une espèce d'effet ciseau entre la nécessité d'assurer la sécurité au quotidien et, en même temps, la lutte contre le terrorisme, qui nécessitait forcément un engagement autre de nos forces de sécurité.
Le résultat, vous l'avez décrit : nos policiers ont dû enchaîner des heures supplémentaires, avec un stress opérationnel accru et des difficultés effectivement extrêmement fortes à pouvoir concilier à la fois vie professionnelle et vie personnelle.
Lorsqu'on analyse - j'en parlerai plus longuement tout à l'heure - le problème des suicides au cours de cette année ou des dernières années, on s'aperçoit que c'est le cumul du stress professionnel et de difficultés personnelles liées éventuellement à l'éloignement du domicile qui crée des situations de tension et, finalement, des situations de désespoir.
Je parlais de la diminution des effectifs qui est intervenue entre 2007 et 2012. À partir de 2012, on a assisté à la reprise d'un certain nombre de postes puisque, sous le précédent gouvernement, entre 2012 et 2017, ont été créés 8 800 postes. Ces postes ont été plutôt concentrés sur des services spécialisés parce que des problèmes nouveaux étaient nés : renseignement, police aux frontières, CRS pour le maintien de l'ordre. De ce fait, nous avons pris du retard dans la police de sécurité quotidienne, celle que nos concitoyens voient dans la rue.
En outre, il y a toujours une période de décalage entre le moment où la décision de créer des postes est prise et ses effets puisqu'il faut le temps que les promotions sortent des écoles. Pour pallier ces difficultés, on a réduit la durée de la scolarité de 11 mois à 6 mois dans les dernières années. Cela peut expliquer aussi les problèmes d'adaptation : quand on fait 6 mois de scolarité, la formation est moins importante que celle que pouvaient recevoir les générations précédentes.
En 2017, on a enregistré un pic de sortie de scolarité de 4 800 personnes, contre 400 en 2012, ce qui donne une idée du point de chute où l'on était tombé. L'effet déceptif a été d'autant plus important qu'on avait annoncé un certain nombre de postes, mais il fallait évidemment que les élèves sortent de l'école. Sur le terrain, on ne l'a pas tout de suite ressenti et les forces de sécurité, police ou gendarmerie, ont constaté qu'ils n'étaient pas plus nombreux.
Dans le même temps, les problèmes rencontrés par les forces de sécurité se sont accrus. Vous avez cité l'attentat survenu contre les policiers Jessica Schneider et Jean-Baptiste Salvaing, alors même qu'ils n'étaient pas en service, tués l'un devant leur domicile, l'autre à l'intérieur, dans des conditions particulièrement terribles, puisque leur enfant se trouvait à l'étage quand sa mère a été tuée. On comprend qu'il y ait eu ce sentiment de malaise des policiers.
Quelque temps après est survenu l'attentat de Viry-Châtillon, avec l'incendie du véhicule. À ma prise de fonctions, je suis allé voir à l'hôpital l'un des policiers, celui qui avait été le plus gravement atteint. Un an après cet événement, il était encore en opération, parce que son visage avait été totalement brûlé. On comprend donc que les policiers aient exprimé un sentiment de révolte, qui a eu les conséquences que vous connaissez.
Que sommes-nous en train d'essayer de faire ? D'abord, à nouveau, d'augmenter les effectifs, puisque le Président de la République, dans son programme, a souhaité pouvoir embaucher 10 000 policiers et gendarmes supplémentaires au cours du quinquennat, dont 2 000 cette année, avec la répartition que vous avez indiquée. Nous avons toujours ce même effet report, mais moins important que par le passé, puisque nous bénéficions des sorties d'école de 2017.
J'ai demandé quels effectifs de police supplémentaires seraient sur le terrain en 2018 par rapport à 2017 : très exactement 200 gardiens de la paix supplémentaires. Nous embauchons, en outre, 500 agents administratifs cette année pour remettre autant de policiers sur le terrain, ainsi que 215 adjoints de sécurité. Au total, la police nationale devrait compter 1 200 agents supplémentaires dès l'année 2018, ce qui nous permet de mener la police de sécurité du quotidien.
Deuxième origine du malaise des policiers : la vétusté à la fois de l'équipement immobilier et de l'équipement matériel. Pourquoi cette vétusté de l'équipement immobilier, à la fois des casernes de gendarmerie, mais également des commissariats de police, perdure-t-elle ? Tout simplement parce que, dans les dernières années, on a mis l'accent sur l'embauche de policiers supplémentaires au détriment de l'investissement dans l'immobilier. Aujourd'hui, nous avons repris l'investissement dans l'immobilier de manière à répondre aux réels besoins d'aujourd'hui.
Pour cela, nous avons dessiné un profil d'augmentation forte des budgets. Pour l'année 2018, les moyens des forces de sécurité intérieure s'établissent à 12,8 milliards d'euros, police et gendarmerie réunies. Vous connaissez la mécanique des gels budgétaires : j'ai donc comptabilisé non pas ce qui est annoncé, mais ce qui sera exécuté concrètement cette année.
En mettant à part les crédits mis en réserve, les crédits devraient évoluer de la manière suivante : pour la police nationale, après application du gel budgétaire, l'évolution devrait être de 2,9 % par rapport à 2017, soit plus de 109 millions d'euros. Hors masse salariale, les crédits de fonctionnement et d'investissement devraient augmenter de plus de 6,7 % à 72 millions d'euros. Si l'on compare à l'année 2015, la hausse est de 713 millions d'euros, dont 256 millions d'euros pour les budgets de fonctionnement et pour les budgets d'investissement, soit une augmentation de 28,6 %. La pente est donc relativement rapide.
Pour la gendarmerie nationale, la hausse est de 2,1 % par rapport à 2017, soit 110 millions d'euros, dont 76 millions d'euros au titre du budget de fonctionnement et d'investissement, soit une hausse de 6,1 %. Là encore, par rapport à 2015, la hausse est de 9,4 % (452 millions d'euros, dont 194 millions d'euros de budget de fonctionnement et d'investissement, soit 17,4 % de plus).
Nous avons prévu des crédits qui seront pérennisés sur toute la durée du quinquennat.
C'est sur ce scénario que nous avons lancé la police de sécurité du quotidien. Parce que nous ne voulions pas définir une nouvelle doctrine à partir du sommet simplement en consultant les directions de la police nationale et de la gendarmerie, nous avons lancé une grande consultation, qui a recueilli 72 000 réponses. Celles-ci nous permettent de voir ce que sont les préoccupations de la base. Les problématiques que vous avez évoquées, et auxquelles je vais essayer de répondre, ont bien évidemment surgi dans les réponses qui nous ont été faites.
En même temps, les préfets ont organisé 500 réunions comprenant à la fois des élus, des acteurs de la sécurité, qu'ils soient membres des polices municipales, membres des entreprises privées de sécurité, qui sont présentes maintenant dans un certain nombre de manifestations en renfort des forces de sécurité nationale. Nous avons reçu une cinquantaine de contributions d'une trentaine de pages chacune, nous donnant une matière extrêmement riche. Nous avons été obligés de recourir à un institut de sondage pour prioriser les réponses reçues.
Ce qui explique notamment le malaise des forces de sécurité, c'est d'abord le sentiment que l'uniforme n'est plus respecté dans notre société, qu'une partie des policiers et des gendarmes est utilisée pour ce qu'ils appellent les « tâches indues » et les difficultés de la procédure pénale. Les policiers et gendarmes nous disent que, pour une heure d'enquête ou de présence sur le terrain, ils ont sept heures de procédure derrière, et qu'ils ne se sont pas engagés dans la police pour cela. D'où une certaine déception.
Au travers de la police de sécurité du quotidien, nous voulons agir sur l'ensemble de ces points.
D'abord, la PSQ doit être davantage respectée. L'État doit soutenir ses forces de l'ordre dans les épreuves qu'elles peuvent connaître. Cela passe d'abord par la réforme de la procédure pénale, sur laquelle nous travaillons avec la garde des sceaux. Il n'y a plus d'antagonisme entre le ministère de l'intérieur et le ministère de la justice, et vous verrez les fruits de ce travail prochainement puisque cette réforme devrait être soumise au Parlement en juin.
Outre la réforme de la procédure pénale, il faut veiller à l'effectivité des peines. Ce que disent les policiers, mais aussi nos concitoyens, c'est qu'il arrive qu'on revoie dans la rue une personne peu de temps après son arrestation. Pour les policiers, c'est encore plus grave parce que quand vous êtes victime d'un attentat et que la peine n'est pas totalement appliquée, vous doutez de l'utilité de votre travail et de la façon dont la société le prend en compte.
Une police respectée, c'est aussi une police bien dotée. Nous avons annoncé il y a un mois environ un grand plan de rénovation des bâtiments à hauteur de 196 millions d'euros par an pour la police nationale et de 101 millions d'euros cette année et 105 millions d'euros à partir de l'année prochaine pour la gendarmerie. Ces dotations permettront la réalisation de 78 opérations nouvelles.
Compte tenu de la vétusté d'un certain nombre de bâtiments, j'ai souhaité qu'un effort particulier soit fait en faveur non pas d'opérations nouvelles, mais de la maintenance lourde (50 millions d'euros à l'horizon de 2020). En 2005, point le plus bas, nous étions à 14,7 millions d'euros.
Nous avons décidé de décentraliser au niveau des directions départementales de la sécurité publique (DDSP) 50 millions d'euros par an. Les procédures dans la police sont un peu lourdes : pour pouvoir réparer quelque chose, il faut passer des bons de commande, etc. Les DDSP, en relation avec les commissaires de police, auront ainsi la possibilité d'engager de petits travaux à discrétion. Selon des témoignages que j'ai recueillis dans des commissariats de police, plutôt que d'attendre, les policiers se cotisaient pour remplacer dans l'urgence telle ou telle chose. Le fonctionnement n'en sera que plus souple.
Pour l'équipement des forces, un effort significatif sera consenti : 150 millions d'euros pour la police et 83 millions d'euros pour la gendarmerie. Ces chiffres ne sont entièrement significatifs en raison des effets de pic liés aux marchés pluriannuels. Nous tendons vers un achat de 3 000 nouveaux véhicules par force, et nous continuerons à moderniser l'armement par l'achat de tasers, de pistolets, de gilets, etc.
La police de sécurité du quotidien sera une police toujours plus connectée. Nous passerons d'une police du XIXe siècle à une police du XXIe siècle. La gendarmerie est d'ores et déjà équipée presque intégralement en smartphones et tablettes Neogend, dont elle possède 67 000 terminaux, et la police nationale va monter en gamme puisque 22 000 nouveaux dispositifs viendront s'ajouter aux 27 000 déjà déployés. Cela permet à nos forces de gagner un temps précieux : alors qu'un contrôle prenait un quart d'heure, puisqu'il fallait téléphoner au commissariat pour vérifier si la personne contrôlée était dans les fichiers, avec ces terminaux, on dispose de l'ensemble des données en l'espace d'une minute. Cela permettra également la forfaitisation des petits délits : le policier verra immédiatement si la personne contrôlée n'est pas fichée et pourra lui infliger une amende dont il s'agira d'obtenir le recouvrement. À cet égard, nous travaillons avec le ministère des comptes publics sur la facilitation des recouvrements.
Nous déployons également des caméras-piétons : nous en ajouterons 10 400 aux 2 600 déjà en fonctionnement. C'est un changement important : les policiers, sachant que la scène d'interpellation sera filmée, seront obligés à une certaine réserve ; et la personne interpellée ne pourra plus prétendre que les policiers l'ont agressée. Ce ne sera donc plus parole contre parole, comme c'est très souvent le cas aujourd'hui.
Nous développons une police sur mesure. Une des grandes leçons de la consultation est qu'on n'a pas le même type de délinquance et de criminalité partout. Dans certains lieux, c'est le trafic de stupéfiants qui domine, dans d'autres, les cambriolages. Aussi l'organisation de la police doit-elle être adaptée à chaque zone. C'est pourquoi nous donnerons beaucoup plus de latitude aux DDSP. Sur les zones retenues pour être des quartiers de reconquête prioritaire - trente dès cette année et trente autres d'ici à la fin du quinquennat -, nous affecterons entre 15 et 30 personnes supplémentaires, sélectionnées selon leur profil. La discussion entre la direction générale de la police nationale et les DDSP aura pour finalité d'adapter le profil des personnes qui seront affectées au type de délinquance. Nous ferons bénéficier 20 départements d'effectifs supplémentaires, pour un total de 500 fonctionnaires.
La politique du chiffre, dont policiers et gendarmes se plaignent, est une politique de dupes. Les policiers savent que, pour faire du chiffre, il faut aller dans tel quartier et faire dix interpellations, mais on ne s'attaque aucunement au problème. Pour résoudre les problèmes, on ne fait pas du chiffre : l'enquête sera longue, le dispositif à mettre en place sera peu productif. Aussi voulons-nous remplacer les incessants reporting par des contrôles a posteriori et aléatoires, complétés par des sondages sur l'évolution de la perception de la délinquance dans la population.
Enfin, nous voulons une police plus partenariale, dont les stratégies doivent être élaborées avec les élus : nous avons demandé à tous nos policiers et gendarmes de prendre contact avec les maires avant l'été. Déjà, les brigades de contact de la gendarmerie vont voir régulièrement les commerçants ou les directeurs d'écoles, et font remonter ensuite un certain nombre de renseignements. L'idée est d'agir sur ce qu'on appelle le « continuum de sécurité ». Les forces présentes sur le territoire sont bien sûr la police et la gendarmerie, mais il y a aussi beaucoup de polices municipales, car plusieurs villes moyennes se sont professionnalisées, ont investi dans la vidéoprotection ; de plus, pour tous les grands événements, il faut compter avec les agents des entreprises de sécurité privée. Nous avons donc chargé deux députés de faire un rapport dans les prochaines semaines sur ce continuum de sécurité, et d'examiner quelles sont les possibilités d'accroître l'action de la police municipale, ainsi que celle des agents de sécurité privés, sous condition de professionnalisation.
Sur le temps de travail, la première problématique découle de la directive européenne. Le gouvernement précédent avait signé, peu avant la fin du quinquennat, un protocole avec les forces de police, notamment sur la vacation forte. Nous avons demandé un moratoire d'un an sur la vacation, et nous avons chargé l'Inspection générale de l'administration de nous faire un rapport sur cette question. Autant dans les zones denses, où les effectifs sont importants, nous n'avons pas trop de difficultés, autant dans les zones moins denses, les fonctionnaires sont soit en vacation forte, soit sur le terrain, ce qui pose problème. D'où le moratoire.
Il existe déjà un certain nombre de primes, notamment pour fidéliser dans la région parisienne, où l'on effectue généralement ses premières années. Les cinq ou huit ans ne suffisent manifestement pas.