Mes chers collègues, notre commission d'enquête poursuit ses travaux avec l'audition aujourd'hui de M. Gérard Collomb, ministre d'État, ministre de l'intérieur.
Monsieur le ministre d'État, notre commission d'enquête, qui a débuté ses travaux il y a environ un mois, entend mettre en lumière et analyser les difficultés actuellement rencontrées par les membres des forces de sécurité intérieure dans l'exercice de leur mission.
En effet, les attaques terroristes depuis quelques années ont certes suscité en réaction un élan de solidarité et de confiance de la population en direction des policiers, des gendarmes et de l'opération Sentinelle. Toutefois, parallèlement, des événements comme le double meurtre du 13 juin 2016 à Magnanville ou encore les guets-apens dont les policiers ont été victimes à plusieurs reprises ont contribué à la cristallisation d'un mouvement de colère inédit. Celui-ci a même, en ce qui concerne les policiers, largement débordé les canaux syndicaux traditionnels.
Outre ces événements récents, il existe des facteurs de mal-être, plus anciens, mais toujours actuels, relatifs à la diminution des effectifs, aux relations avec la population, à la formation, aux conditions de travail, à la politique du chiffre ou encore aux relations avec la justice.
Nous souhaiterions ainsi que vous puissiez nous faire part de votre analyse de cette situation et nous expliquer les mesures que vous avez prises ou que vous envisagez de prendre afin d'améliorer la situation dans ces divers domaines.
Peut-être pourrez-vous nous préciser également si, pour vous, les difficultés que rencontrent les forces de sécurité intérieure sont de nature conjoncturelle ou, au contraire, si elles vous semblent profondes, lourdes et graves, et nous dire quelles mesures vous envisagez prendre, s'il s'agit de mesures de fond, quitte à bouleverser l'organisation actuelle des forces de sécurité, ou, au contraire, si vous pensez à des mesures à court terme pour donner des signaux aux forces de sécurité.
Cette audition est ouverte à la presse, elle sera diffusée en direct sur le site internet du Sénat. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié.
Enfin, je rappelle pour la forme qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.
Monsieur le ministre d'État, je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure. »
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Gérard Collomb, ministre d'État, ministre de l'intérieur, prête serment.
Monsieur le ministre d'État, les hommes et les femmes placés sous votre direction, sous votre commandement, sont en souffrance. Ils l'ont exprimée de diverses façons : des manifestations hors champ syndical, des suicides en nombre plus élevé que par rapport à la moyenne nationale. Cela nous a conduits à décider la création de cette commission d'enquête et les auditions auxquelles nous avons déjà procédé nous confirment ce malaise aux causes multifactorielles, mais une cause n'efface pas, n'élude pas les autres. Au contraire, il convient pour nous d'analyser chacune d'entre elles, de leur donner leur juste proportion. Cela nous amènera à faire un certain nombre de préconisations.
D'ores et déjà, nous aimerions savoir quelle est votre perception de ce malaise, de ses causes, et connaître les solutions que vous avez déjà pu apporter ou que vous allez apporter à l'avenir à chacun des problèmes identifiés.
On se rend bien compte que le malaise est profond : policiers et gendarmes sont en quête à la fois de sens et de reconnaissance.
En quête de sens : ils s'interrogent parfois sur l'utilité même de leur action et les risques accrus qu'ils prennent souvent aujourd'hui quand ils ont le sentiment d'une réponse pénale insuffisante ou, à tout le moins, inadaptée.
En quête de reconnaissance : ils se sentent parfois insuffisamment soutenus par leur hiérarchie. Cela vaut, ils nous l'ont dit, plus pour les policiers que pour les gendarmes. Il semblerait qu'il y ait chez les gendarmes, un esprit de corps, alors que certains dénoncent dans la police aujourd'hui plus un esprit de caste, de séparation entre les corps par des cadres formés davantage comme des gestionnaires que comme des meneurs d'hommes.
Ils sont en quête de reconnaissance aussi par les politiques que nous sommes tous - et pas seulement vous, monsieur le ministre d'État -, par les médias, qui ont parfois propension, selon eux, à les incriminer assez injustement, alors même que la vérité n'est pas établie par la justice, alors qu'ils devraient travailler en symbiose. À cet égard, on a perçu de part et d'autre un divorce très profond, une césure culturelle entre ces deux mondes qui ne peuvent rien produire s'ils n'agissent pas en symbiose.
Monsieur le ministre d'État, pourriez-vous nous préciser, après l'annonce de la création de 10 000 postes dans les forces de l'ordre - trois quarts pour la police et un quart pour la gendarmerie, ce qu'elle vit mal parce que jusqu'à présent, c'était plutôt du 40/60 -, combien seront affectés par les nouveaux cycles de travail, notamment par la vacation dite « forte » ? Combien seront finalement « annihilés » par la mise en oeuvre des normes européennes en matière de temps de travail ou surtout de temps de repos ? Quel sera le chiffre des créations nettes en équivalents temps plein en tenant compte de ces facteurs ?
Deuxième question : toutes les personnes auditionnées s'accordent sur les conséquences néfastes de la gestion des effectifs sur la plaque parisienne. Le problème, on le connaît, mais les solutions sont loin d'être évidentes. Aujourd'hui, la région d'Île-de-France concentre le plus grand nombre de zones difficiles, avec les policiers les plus jeunes ou des encadrants eux-mêmes très jeunes. C'est en plus la région qui connaît le plus fort déficit d'effectifs si l'on compare les effectifs théoriques et les effectifs réels. Il y a donc de fortes chances que les nouvelles promotions qui sortiront des écoles dans les années qui viennent soient affectées prioritairement là, ce qui n'aura pas forcément tendance à rééquilibrer la pyramide des âges. Est-ce que vous envisagez un système de fidélisation, voire même des systèmes d'incitation pour que les anciens reviennent en Île-de-France, pour essayer de contrecarrer ce phénomène ?
À propos des jeunes affectés en Île-de-France, beaucoup - dans la police, pas dans la gendarmerie - nous ont fait part de leurs difficultés à se loger. Comment sont-ils accompagnés ? Je sais qu'il existe un accompagnement, mais les moyens sont insuffisants selon tous ceux qui nous ont rapporté leur expérience personnelle très difficile. Lorsque huit policiers sont en colocation dans un même logement, c'est un vrai problème, notamment pour les plus jeunes vivant en Île-de-France.
Ensuite, puisque nous sommes partis de la vague de suicides chez les policiers et gendarmes, nous avons noté les efforts qui ont déjà été faits en matière de prévention des risques psychosociaux. Cependant, les moyens humains et matériels du service de soutien psychologique opérationnel sont-ils, selon vous suffisants ou prévoyez-vous de les augmenter à court terme, même si l'on espère qu'à long terme ce sont des réponses beaucoup plus structurelles à ce malaise qui seront apportées ?
S'agissant de la question de la formation et du management. On parlait autrefois de meneurs d'hommes, aujourd'hui de gestionnaires ; d'un côté d'esprit de corps, de l'autre, parfois, d'esprit de caste. Ce phénomène a aussi été certainement accentué par l'indemnité de responsabilité et de performance (IRP), qui a fixé à la police nationale des objectifs strictement quantitatifs et pas qualitatifs. Envisagez-vous de réformer celle-ci ? Comment comptez-vous privilégier, dans le cadre de l'évaluation des services, des critères plus qualitatifs que quantitatifs ?
Cette politique du chiffre avait suivi une politique de proximité, sur laquelle vous ne revenez pas, et qui consistait parfois à demander aux policiers de faire autre chose que leur métier. A la lumière des expériences des deux dernières décennies, quels correctifs comptez-vous apporter ?
En outre, nous sommes très inquiets de l'état du parc automobile et plus encore du parc immobilier. Alors, certes, on fera un peu mieux en 2018 qu'en 2017 ou les années précédentes, mais la réponse qui consiste à dire que l'on fait mieux que les années précédentes nous paraît insuffisante, compte tenu de l'ampleur du problème aujourd'hui. Avez-vous pu évaluer, de façon exhaustive, les manques à la fois dans le parc immobilier, le parc automobile et le reste des équipements ? À combien estimez-vous le montant nécessaire des crédits pour que le parc immobilier retrouve une situation satisfaisante ? S'agissant du parc automobile, à combien estimez-vous l'âge ou le kilométrage au-delà duquel une voiture ne devrait plus pouvoir rouler ? Quels devraient être l'âge et le kilométrage moyens des véhicules ? Au rythme de 2018, combien faudra-t-il d'années pour en revenir à une situation normale ? Ne pensez-vous pas nécessaire une loi de programmation pour donner à nos forces de l'ordre une réponse solide sur plusieurs années ?
Enfin, il y a la question des tâches indues, qui sont dénoncées. À combien sont-elles évaluées ? Comment pensez-vous pouvoir en libérer policiers et gendarmes, sachant que le nombre d'emplois administratifs créés à cette fin ne suffira probablement pas ? On dit communément que les policiers et gendarmes passent les deux tiers de leur temps en tâches procédurales et un tiers seulement en opérationnel. Comment comptez-vous les soulager ? Par l'emploi de personnels administratifs dans les forces de police et de gendarmerie ? Par un allégement de la procédure pénale ? Un projet de loi est en préparation, mais, entre les propositions initiales évoquées dans le cadre des chantiers de la justice et celles qui sont retenues par la Chancellerie, quelle part de temps pourra être libérée ? S'agira-t-il de mesures complètes ou à la marge ? Combien d'équivalents temps plein de policiers seront ainsi dégagés sur le terrain pour la police de sécurité du quotidien (PSQ) ou la police secours ?
De la même façon, irez-vous plus loin dans les pistes pour déléguer des tâches indues aux policiers municipaux ? Par exemple, alors que nous avons légiféré sur ce sujet il y a deux ans, on n'avance pas sur une chose, pourtant simple, qu'est l'accès des policiers municipaux au fichier des plaques minéralogiques ou des permis de conduire. M. Cazeneuve nous l'avait promis pour le 31 décembre 2016, mais ce n'est toujours pas possible en 2018, alors que la loi le permet depuis 2016. Chaque fois, il faut passer par l'intermédiaire d'un agent de la police nationale ou d'un gendarme pour y avoir accès.
Se pose aussi le problème de l'insuffisante qualification judiciaire des policiers municipaux, qui ne peuvent même pas boucler une procédure de contravention à la réglementation municipale du code de la route sans que le policier national soit obligé d'auditionner avant transmission au parquet, dès lors qu'il ne s'agit pas d'une amende forfaitaire. On pourrait lister ces charges indues qui, aujourd'hui, pèsent sur la police nationale au détriment de la police municipale.
Qu'en est-il aussi de l'administration pénitentiaire ? Celle-ci a-t-elle les moyens aujourd'hui d'assurer les transfèrements ou quand les aura-t-elle et à quelles conditions ? De même, on sait, pour les fréquenter, que beaucoup d'unités de police nationale qui ont une maison d'arrêt dans leur ressort sont très souvent mobilisées par un certain nombre d'événements que l'administration pénitentiaire devrait pouvoir gérer.
L'État a recours depuis un certain nombre d'années à la sécurité privée, par exemple, pour gardienner les ministères non régaliens. Existe-t-il encore des possibilités pour alléger les tâches de la police nationale et de la gendarmerie ?
Enfin, nous terminerons par la question judiciaire - j'ai abordé la question de la procédure pénale -, ce sentiment d'incompréhension qu'ont policiers et gendarmes vis-à-vis des magistrats, dans les rapports interpersonnels parfois, mais surtout du fait des réponses pénales qui leur paraissent inadaptées, ce qui contribue à saper le moral de vos troupes.
Quelles mesures compenseront l'abandon, de fait ou juridique, de l'accord « parcours professionnels, carrières et rémunérations » (PPCR) ? Les personnels avaient quelque espoir, mais, en entendant les syndicats, il est apparu que cet accord était resté lettre morte.
Tout d'abord, je veux vous dire que c'est un plaisir pour moi d'être entendu par votre commission d'enquête. C'est une excellente chose que le Sénat ait décidé d'auditer l'ensemble des forces de police, de gendarmerie, de manière à savoir où on en était du point de vue des forces de sécurité en France.
Je l'ai dit à l'occasion de l'examen de quelques textes de loi : je suis de ceux qui pensent que la sécurité est la première des libertés et donc, quand il n'y a pas de sécurité quelque part, il n'y a pas de liberté.
Pour avoir exercé d'anciennes fonctions, je sais que ce dont nos concitoyens parlent en général à celui que l'on considère, peut-être à tort, comme responsable de la sécurité, à savoir le maire, ce sont les problèmes de chômage, de sécurité, de logement.
Je vais essayer de vous répondre le plus largement possible.
Vous avez souhaité tout d'abord avoir une brève analyse de l'état des forces de sécurité intérieure.
Au travers des rencontres que j'ai pu avoir à la fois sur le terrain, des discussions avec l'ensemble des directions, que ce soit celles de la police ou de la gendarmerie, en l'espace de huit mois, j'ai pu, comme vous, percevoir le malaise qui existait dans nos forces de sécurité.
Ce malaise a des origines tout à fait diverses. La première origine, c'est la baisse des effectifs qui est intervenue dans la période 2007-2012. Je ne porte aucun jugement de valeur parce que nous subissions une crise économique profonde, mais force est de constater qu'entre 2007 et 2012, 12 500 postes ont disparu parmi les forces de sécurité, police et gendarmerie réunies.
Au moment même où nous venions de supprimer ces postes est arrivée la période des attentats. Il y a eu une espèce d'effet ciseau entre la nécessité d'assurer la sécurité au quotidien et, en même temps, la lutte contre le terrorisme, qui nécessitait forcément un engagement autre de nos forces de sécurité.
Le résultat, vous l'avez décrit : nos policiers ont dû enchaîner des heures supplémentaires, avec un stress opérationnel accru et des difficultés effectivement extrêmement fortes à pouvoir concilier à la fois vie professionnelle et vie personnelle.
Lorsqu'on analyse - j'en parlerai plus longuement tout à l'heure - le problème des suicides au cours de cette année ou des dernières années, on s'aperçoit que c'est le cumul du stress professionnel et de difficultés personnelles liées éventuellement à l'éloignement du domicile qui crée des situations de tension et, finalement, des situations de désespoir.
Je parlais de la diminution des effectifs qui est intervenue entre 2007 et 2012. À partir de 2012, on a assisté à la reprise d'un certain nombre de postes puisque, sous le précédent gouvernement, entre 2012 et 2017, ont été créés 8 800 postes. Ces postes ont été plutôt concentrés sur des services spécialisés parce que des problèmes nouveaux étaient nés : renseignement, police aux frontières, CRS pour le maintien de l'ordre. De ce fait, nous avons pris du retard dans la police de sécurité quotidienne, celle que nos concitoyens voient dans la rue.
En outre, il y a toujours une période de décalage entre le moment où la décision de créer des postes est prise et ses effets puisqu'il faut le temps que les promotions sortent des écoles. Pour pallier ces difficultés, on a réduit la durée de la scolarité de 11 mois à 6 mois dans les dernières années. Cela peut expliquer aussi les problèmes d'adaptation : quand on fait 6 mois de scolarité, la formation est moins importante que celle que pouvaient recevoir les générations précédentes.
En 2017, on a enregistré un pic de sortie de scolarité de 4 800 personnes, contre 400 en 2012, ce qui donne une idée du point de chute où l'on était tombé. L'effet déceptif a été d'autant plus important qu'on avait annoncé un certain nombre de postes, mais il fallait évidemment que les élèves sortent de l'école. Sur le terrain, on ne l'a pas tout de suite ressenti et les forces de sécurité, police ou gendarmerie, ont constaté qu'ils n'étaient pas plus nombreux.
Dans le même temps, les problèmes rencontrés par les forces de sécurité se sont accrus. Vous avez cité l'attentat survenu contre les policiers Jessica Schneider et Jean-Baptiste Salvaing, alors même qu'ils n'étaient pas en service, tués l'un devant leur domicile, l'autre à l'intérieur, dans des conditions particulièrement terribles, puisque leur enfant se trouvait à l'étage quand sa mère a été tuée. On comprend qu'il y ait eu ce sentiment de malaise des policiers.
Quelque temps après est survenu l'attentat de Viry-Châtillon, avec l'incendie du véhicule. À ma prise de fonctions, je suis allé voir à l'hôpital l'un des policiers, celui qui avait été le plus gravement atteint. Un an après cet événement, il était encore en opération, parce que son visage avait été totalement brûlé. On comprend donc que les policiers aient exprimé un sentiment de révolte, qui a eu les conséquences que vous connaissez.
Que sommes-nous en train d'essayer de faire ? D'abord, à nouveau, d'augmenter les effectifs, puisque le Président de la République, dans son programme, a souhaité pouvoir embaucher 10 000 policiers et gendarmes supplémentaires au cours du quinquennat, dont 2 000 cette année, avec la répartition que vous avez indiquée. Nous avons toujours ce même effet report, mais moins important que par le passé, puisque nous bénéficions des sorties d'école de 2017.
J'ai demandé quels effectifs de police supplémentaires seraient sur le terrain en 2018 par rapport à 2017 : très exactement 200 gardiens de la paix supplémentaires. Nous embauchons, en outre, 500 agents administratifs cette année pour remettre autant de policiers sur le terrain, ainsi que 215 adjoints de sécurité. Au total, la police nationale devrait compter 1 200 agents supplémentaires dès l'année 2018, ce qui nous permet de mener la police de sécurité du quotidien.
Deuxième origine du malaise des policiers : la vétusté à la fois de l'équipement immobilier et de l'équipement matériel. Pourquoi cette vétusté de l'équipement immobilier, à la fois des casernes de gendarmerie, mais également des commissariats de police, perdure-t-elle ? Tout simplement parce que, dans les dernières années, on a mis l'accent sur l'embauche de policiers supplémentaires au détriment de l'investissement dans l'immobilier. Aujourd'hui, nous avons repris l'investissement dans l'immobilier de manière à répondre aux réels besoins d'aujourd'hui.
Pour cela, nous avons dessiné un profil d'augmentation forte des budgets. Pour l'année 2018, les moyens des forces de sécurité intérieure s'établissent à 12,8 milliards d'euros, police et gendarmerie réunies. Vous connaissez la mécanique des gels budgétaires : j'ai donc comptabilisé non pas ce qui est annoncé, mais ce qui sera exécuté concrètement cette année.
En mettant à part les crédits mis en réserve, les crédits devraient évoluer de la manière suivante : pour la police nationale, après application du gel budgétaire, l'évolution devrait être de 2,9 % par rapport à 2017, soit plus de 109 millions d'euros. Hors masse salariale, les crédits de fonctionnement et d'investissement devraient augmenter de plus de 6,7 % à 72 millions d'euros. Si l'on compare à l'année 2015, la hausse est de 713 millions d'euros, dont 256 millions d'euros pour les budgets de fonctionnement et pour les budgets d'investissement, soit une augmentation de 28,6 %. La pente est donc relativement rapide.
Pour la gendarmerie nationale, la hausse est de 2,1 % par rapport à 2017, soit 110 millions d'euros, dont 76 millions d'euros au titre du budget de fonctionnement et d'investissement, soit une hausse de 6,1 %. Là encore, par rapport à 2015, la hausse est de 9,4 % (452 millions d'euros, dont 194 millions d'euros de budget de fonctionnement et d'investissement, soit 17,4 % de plus).
Nous avons prévu des crédits qui seront pérennisés sur toute la durée du quinquennat.
C'est sur ce scénario que nous avons lancé la police de sécurité du quotidien. Parce que nous ne voulions pas définir une nouvelle doctrine à partir du sommet simplement en consultant les directions de la police nationale et de la gendarmerie, nous avons lancé une grande consultation, qui a recueilli 72 000 réponses. Celles-ci nous permettent de voir ce que sont les préoccupations de la base. Les problématiques que vous avez évoquées, et auxquelles je vais essayer de répondre, ont bien évidemment surgi dans les réponses qui nous ont été faites.
En même temps, les préfets ont organisé 500 réunions comprenant à la fois des élus, des acteurs de la sécurité, qu'ils soient membres des polices municipales, membres des entreprises privées de sécurité, qui sont présentes maintenant dans un certain nombre de manifestations en renfort des forces de sécurité nationale. Nous avons reçu une cinquantaine de contributions d'une trentaine de pages chacune, nous donnant une matière extrêmement riche. Nous avons été obligés de recourir à un institut de sondage pour prioriser les réponses reçues.
Ce qui explique notamment le malaise des forces de sécurité, c'est d'abord le sentiment que l'uniforme n'est plus respecté dans notre société, qu'une partie des policiers et des gendarmes est utilisée pour ce qu'ils appellent les « tâches indues » et les difficultés de la procédure pénale. Les policiers et gendarmes nous disent que, pour une heure d'enquête ou de présence sur le terrain, ils ont sept heures de procédure derrière, et qu'ils ne se sont pas engagés dans la police pour cela. D'où une certaine déception.
Au travers de la police de sécurité du quotidien, nous voulons agir sur l'ensemble de ces points.
D'abord, la PSQ doit être davantage respectée. L'État doit soutenir ses forces de l'ordre dans les épreuves qu'elles peuvent connaître. Cela passe d'abord par la réforme de la procédure pénale, sur laquelle nous travaillons avec la garde des sceaux. Il n'y a plus d'antagonisme entre le ministère de l'intérieur et le ministère de la justice, et vous verrez les fruits de ce travail prochainement puisque cette réforme devrait être soumise au Parlement en juin.
Outre la réforme de la procédure pénale, il faut veiller à l'effectivité des peines. Ce que disent les policiers, mais aussi nos concitoyens, c'est qu'il arrive qu'on revoie dans la rue une personne peu de temps après son arrestation. Pour les policiers, c'est encore plus grave parce que quand vous êtes victime d'un attentat et que la peine n'est pas totalement appliquée, vous doutez de l'utilité de votre travail et de la façon dont la société le prend en compte.
Une police respectée, c'est aussi une police bien dotée. Nous avons annoncé il y a un mois environ un grand plan de rénovation des bâtiments à hauteur de 196 millions d'euros par an pour la police nationale et de 101 millions d'euros cette année et 105 millions d'euros à partir de l'année prochaine pour la gendarmerie. Ces dotations permettront la réalisation de 78 opérations nouvelles.
Compte tenu de la vétusté d'un certain nombre de bâtiments, j'ai souhaité qu'un effort particulier soit fait en faveur non pas d'opérations nouvelles, mais de la maintenance lourde (50 millions d'euros à l'horizon de 2020). En 2005, point le plus bas, nous étions à 14,7 millions d'euros.
Nous avons décidé de décentraliser au niveau des directions départementales de la sécurité publique (DDSP) 50 millions d'euros par an. Les procédures dans la police sont un peu lourdes : pour pouvoir réparer quelque chose, il faut passer des bons de commande, etc. Les DDSP, en relation avec les commissaires de police, auront ainsi la possibilité d'engager de petits travaux à discrétion. Selon des témoignages que j'ai recueillis dans des commissariats de police, plutôt que d'attendre, les policiers se cotisaient pour remplacer dans l'urgence telle ou telle chose. Le fonctionnement n'en sera que plus souple.
Pour l'équipement des forces, un effort significatif sera consenti : 150 millions d'euros pour la police et 83 millions d'euros pour la gendarmerie. Ces chiffres ne sont entièrement significatifs en raison des effets de pic liés aux marchés pluriannuels. Nous tendons vers un achat de 3 000 nouveaux véhicules par force, et nous continuerons à moderniser l'armement par l'achat de tasers, de pistolets, de gilets, etc.
La police de sécurité du quotidien sera une police toujours plus connectée. Nous passerons d'une police du XIXe siècle à une police du XXIe siècle. La gendarmerie est d'ores et déjà équipée presque intégralement en smartphones et tablettes Neogend, dont elle possède 67 000 terminaux, et la police nationale va monter en gamme puisque 22 000 nouveaux dispositifs viendront s'ajouter aux 27 000 déjà déployés. Cela permet à nos forces de gagner un temps précieux : alors qu'un contrôle prenait un quart d'heure, puisqu'il fallait téléphoner au commissariat pour vérifier si la personne contrôlée était dans les fichiers, avec ces terminaux, on dispose de l'ensemble des données en l'espace d'une minute. Cela permettra également la forfaitisation des petits délits : le policier verra immédiatement si la personne contrôlée n'est pas fichée et pourra lui infliger une amende dont il s'agira d'obtenir le recouvrement. À cet égard, nous travaillons avec le ministère des comptes publics sur la facilitation des recouvrements.
Nous déployons également des caméras-piétons : nous en ajouterons 10 400 aux 2 600 déjà en fonctionnement. C'est un changement important : les policiers, sachant que la scène d'interpellation sera filmée, seront obligés à une certaine réserve ; et la personne interpellée ne pourra plus prétendre que les policiers l'ont agressée. Ce ne sera donc plus parole contre parole, comme c'est très souvent le cas aujourd'hui.
Nous développons une police sur mesure. Une des grandes leçons de la consultation est qu'on n'a pas le même type de délinquance et de criminalité partout. Dans certains lieux, c'est le trafic de stupéfiants qui domine, dans d'autres, les cambriolages. Aussi l'organisation de la police doit-elle être adaptée à chaque zone. C'est pourquoi nous donnerons beaucoup plus de latitude aux DDSP. Sur les zones retenues pour être des quartiers de reconquête prioritaire - trente dès cette année et trente autres d'ici à la fin du quinquennat -, nous affecterons entre 15 et 30 personnes supplémentaires, sélectionnées selon leur profil. La discussion entre la direction générale de la police nationale et les DDSP aura pour finalité d'adapter le profil des personnes qui seront affectées au type de délinquance. Nous ferons bénéficier 20 départements d'effectifs supplémentaires, pour un total de 500 fonctionnaires.
La politique du chiffre, dont policiers et gendarmes se plaignent, est une politique de dupes. Les policiers savent que, pour faire du chiffre, il faut aller dans tel quartier et faire dix interpellations, mais on ne s'attaque aucunement au problème. Pour résoudre les problèmes, on ne fait pas du chiffre : l'enquête sera longue, le dispositif à mettre en place sera peu productif. Aussi voulons-nous remplacer les incessants reporting par des contrôles a posteriori et aléatoires, complétés par des sondages sur l'évolution de la perception de la délinquance dans la population.
Enfin, nous voulons une police plus partenariale, dont les stratégies doivent être élaborées avec les élus : nous avons demandé à tous nos policiers et gendarmes de prendre contact avec les maires avant l'été. Déjà, les brigades de contact de la gendarmerie vont voir régulièrement les commerçants ou les directeurs d'écoles, et font remonter ensuite un certain nombre de renseignements. L'idée est d'agir sur ce qu'on appelle le « continuum de sécurité ». Les forces présentes sur le territoire sont bien sûr la police et la gendarmerie, mais il y a aussi beaucoup de polices municipales, car plusieurs villes moyennes se sont professionnalisées, ont investi dans la vidéoprotection ; de plus, pour tous les grands événements, il faut compter avec les agents des entreprises de sécurité privée. Nous avons donc chargé deux députés de faire un rapport dans les prochaines semaines sur ce continuum de sécurité, et d'examiner quelles sont les possibilités d'accroître l'action de la police municipale, ainsi que celle des agents de sécurité privés, sous condition de professionnalisation.
Sur le temps de travail, la première problématique découle de la directive européenne. Le gouvernement précédent avait signé, peu avant la fin du quinquennat, un protocole avec les forces de police, notamment sur la vacation forte. Nous avons demandé un moratoire d'un an sur la vacation, et nous avons chargé l'Inspection générale de l'administration de nous faire un rapport sur cette question. Autant dans les zones denses, où les effectifs sont importants, nous n'avons pas trop de difficultés, autant dans les zones moins denses, les fonctionnaires sont soit en vacation forte, soit sur le terrain, ce qui pose problème. D'où le moratoire.
Il existe déjà un certain nombre de primes, notamment pour fidéliser dans la région parisienne, où l'on effectue généralement ses premières années. Les cinq ou huit ans ne suffisent manifestement pas.
Nous allons donc examiner un certain nombre de revendications. Par exemple, les policiers demandent à bénéficier de la gratuité dans les transports de la région d'Île-de-France. La problématique du logement existe pour les policiers mais aussi, hélas, pour les autres professions. Il est structurellement plus difficile de construire en Île-de-France en raison de l'empilement des couches administratives.
Beaucoup de policiers sont affectés assez loin du lieu où vit leur famille. Quand on partage un appartement à cinq, six ou sept, on ne vit pas dans les meilleures conditions et l'on n'a qu'une envie, celle de repartir chez soi.
La question des suicides m'a particulièrement affecté quand j'ai pris mes fonctions, et j'essayais pour chaque cas de distinguer ce qui relevait de l'institution et ce qui était de l'ordre de la vie personnelle. En fait, les choses s'interpénètrent beaucoup. J'ai donc demandé à la fin de l'année dernière au directeur général de la police nationale et au directeur de la gendarmerie de travailler sur une analyse des causes. Nous ne disposons pas d'une analyse précise de l'environnement, qui nous permettrait sans doute de dégager de grandes tendances et de mettre en place des mesures préventives. J'ai notamment constaté qu'un policier ne dira jamais qu'il a des difficultés psychologiques. Aussi convient-il que chaque policier passe régulièrement des examens devant la médecine du travail.
En effet. Il y avait autrefois dans les commissariats des moments de convivialité. Désormais, les fonctionnaires ont tendance à quitter le poste dès leur tâche achevée. À l'inverse, parce qu'ils vivent ensemble, les gendarmes ont un sentiment d'appartenance à un groupe, qui tend à disparaître dans la police nationale et qu'il nous faut recréer.
Oui, l'entrée en vigueur du protocole PPCR a été reportée d'un an. Pour la police et la gendarmerie, nous avons toutefois maintenu certaines mesures sociales, à hauteur de 59 millions d'euros. Elles seront mises en oeuvre en 2018.
L'approche globale fonctionnait bien. Vous la remplacez par la police du quotidien. L'état d'esprit de l'approche globale sera-t-il préservé ? Il s'agit d'associer tous les acteurs concernés par la sécurité.
En parlant de police partenariale, j'avais justement en tête cet aspect global. Les groupes de sécurité locaux réunissent un commissaire de police et les élus du terrain, car la criminalité - et la réponse à y apporter -se caractérise non pas à l'échelle d'une agglomération, mais quartier par quartier. À Marseille, la guerre des stupéfiants pose de vrais problèmes.
L'approche doit être plus globale : l'urbanisation, l'architecture, l'équipement culturel et sportif jouent beaucoup et la réponse ne peut pas être simplement sécuritaire. Souvent, les policiers disent qu'ils ne sont que le dernier maillon de la chaîne, sur lequel se portent tous les regards. À cet égard, les politiques nationales doivent s'articuler avec les politiques locales ; d'où l'importance du dialogue avec les maires et, pour les politiques de reconquête républicaine, nous travaillons avec le ministère de la justice, mais aussi avec le ministère du logement, l'éducation nationale, les services sociaux...
À Marseille, il manquait du personnel pour la sécurité publique. Ce pourquoi nous y avons concentré des effectifs. Votre dernier préfet chargé de la sécurité n'était pas mauvais, c'est pour cette raison que nous l'avons recruté au ministère de l'intérieur ! Nous allons faire en sorte que son successeur applique les mêmes pratiques.
Vous avez fait un constat. Nous avons entendu quasiment tous les policiers, sauf un syndicat.
Vous soignez avec des pansements. Pourtant, toute la police, tous les préfets font le même constat que vous : il n'y a plus de chefs, ou tellement qu'on ne les identifie plus ; pas de moyens, ou très peu, périmés. Ce n'est pas de votre faute, monsieur le ministre d'État, puisque vous n'êtes là que depuis huit mois. C'est une longue maladie. Les policiers perdent leur identité, ne savent plus où ils vont.
Créez, monsieur le ministre d'État, une nouvelle police ! Il faut tout restructurer. Complètement. Vous faites le généraliste : prenez des spécialistes, mettez-les ensemble, mais pas pour enterrer le sujet, comme disait Clemenceau, en créant une commission. La police va très mal, elle est au bord de l'explosion. Certains nous ont dit qu'ils s'organisaient pour faire porter tout le monde pâle. Quand allons-nous prendre le dossier à bras-le-corps, pour créer une police du XXIe, voire du XXIIe siècle ? Il faut tout refondre. Ne restez pas l'infirmier...
Allez voir les propositions que nous avons faites pour la police de sécurité du quotidien.
Ce ne sont pas simplement des pansements. Le sujet est sensible, on ne peut pas tout changer en quelques mois. Il faut d'abord gagner la confiance, puis lancer des réformes de fond. Mais vous avez raison, j'ai constaté depuis mon arrivée une certaine désespérance, une interrogation sur le sens du métier et la place de la police dans la société : quand il y a urgence, bravo les policiers ; dès qu'il y a un problème, tout le monde nous tombe dessus ! Il faut être vraiment solide pour faire le travail de la police aux frontières, par exemple, dans les Alpes-Maritimes, car les médias y attaquent sans arrêt notre action. Aussi faut-il que notre société s'interroge sur la façon dont elle veut être gérée. Si tout le monde a du mépris pour les forces de l'ordre, il ne restera plus que la loi du plus fort.
La réglementation européenne sur le temps de travail s'applique-t-elle aussi aux militaires ? Et le moratoire ? Si oui, que se passe-t-il en opération ? Rapporteur pour avis du budget de l'administration pénitentiaire, je sais que le problème du logement se pose aussi pour les surveillants de prison affectés à Paris : certains dorment dans leur voiture en attendant de trouver un logement, éventuellement en colocation. J'ai accompagné récemment une brigade de contact de la gendarmerie. Les gendarmes qui en sont membres passent 70 % de leur temps sur le terrain, au contact, et non à travailler sur des procédures, dont l'allégement est indispensable, sauf à les confier à d'autres fonctionnaires. Grâce à ces brigades, les élus et la population sont en contact avec les forces de l'ordre ; même, des gendarmes donnent leur numéro de téléphone portable aux populations rurales. C'est une expérience très intéressante à développer.
Depuis que la police et la gendarmerie sont sous votre égide, on parle beaucoup moins de guerre des polices et de la gendarmerie, et cela fonctionne assez bien. Ce matin, un article dans Le Midi Libre faisait état d'un problème avec la douane, lors d'une saisie au viaduc de Millau. Le procureur de la République a déploré dans la presse que la police et la gendarmerie n'aient pas été mises dans le coup, ce qui aurait permis d'arrêter aussi les éclaireurs. Comptez-vous changer le modus operandi ? Ce n'est pas un cas isolé. On me dit en outre que les douaniers peuvent ouvrir le coffre d'un véhicule, mais pas les policiers, car celui-ci est considéré comme une extension du domicile et qu'il faudrait changer la Constitution pour modifier cet état de choses.
Oui, les brigades de contact sont un outil exceptionnel, et nous allons faire passer leur nombre de 40 à 250 dans les prochaines années. Nous devons donner à la police cette même culture : dans les quartiers, il doit y avoir des référents au sein du commissariat de police, qui aient un correspondant dans les conseils de quartier.
Les interprétations des services sont parfois différentes, mais nous nous efforçons d'améliorer et d'accroître leur coopération. Dans les go fast, on évite en général d'alerter la voiture ouvreuse, mais on essaie d'arrêter tout le monde.
Il serait mieux qu'il porte ses jugements en interne avant de s'exprimer devant la presse.
La crise est vraiment profonde. Elle n'est pas de votre fait. Il convient d'entreprendre une vraie réforme structurelle, avec de véritables mesures qui peuvent être de fond ou, au contraire, très simples. Ainsi, les membres de la police scientifique se plaignent d'avoir à décliner leur identité devant tout le monde lors des interventions. Le désespoir créé par l'éloignement des familles pourrait être traité par un plan d'accompagnement similaire à celui qui a été mis en place pour les forces armées.
Oui, pour que la police soit respectée, la réponse pénale doit être à la hauteur. Nos policiers sont en face de jeunes de douze ans armés, sont brûlés dans leurs voitures par des cocktails Molotov. Peut-on faire évoluer l'ordonnance de 1945 sur les mineurs ? Les règles des mandats de dépôt ? Il faut aussi que les policiers se sentent soutenus et défendus, notamment en cas de polémique. Leur parole doit être considérée par les magistrats.
Pourquoi ne pas faire copiloter les différentes directions qui relèvent du ministère de l'intérieur, comme la DGSE, la DGSI, la SRPJ ou la DRSPN ?
Je propose à nos trois derniers collègues ayant demandé la parole d'intervenir successivement, avant une réponse groupée du ministre.
Je salue les mesures que vous prenez, Monsieur le ministre, tout en soulignant qu'elles seront insuffisantes. On sent, au travers des auditions que nous conduisons, que le management fait défaut dans les forces de sécurité. Le soutien et la reconnaissance à leur égard est insuffisant et une amélioration en la matière passe par un management harmonisé et décloisonné entre les différentes forces de sécurité, à tous les niveaux. Ce soutien et cette reconnaissance passent aussi par une formation adaptée. Mes collègues ont évoqué un tronc commun de formation, voire une académie favorisant les échanges entre la hiérarchie et les forces de l'ordre de tous niveaux. Cela doit également inclure une formation des forces de l'ordre à se confronter à la mort. C'est une cause du mal-être : les policiers notamment ne sont pas suffisamment préparés à affronter la mort. J'ajoute aux causes sur lesquelles il faut agir la réforme de la procédure pénale et la protection des familles. L'angoisse de ces familles, qui sont souvent éloignées géographiquement, est réelle, notamment pour les familles des policiers qui exercent en Île de France et qui habitent souvent loin. Il faut un véritable plan d'accompagnement de ces familles. Enfin, la hiérarchie entre le sommet et la base, même si elle est indispensable, pourrait sans doute être partiellement gommée pour favoriser de meilleurs rapports.
J'ai le sentiment que la problématique du management ne se pose pas de la même manière pour les policiers et les gendarmes. S'agissant de la gendarmerie, il me semble que l'on est davantage dans un problème de reconnaissance, d'où de nombreuses questions concernant les effectifs de gendarmerie. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi le ratio entre policiers et gendarmes évolue au détriment des gendarmes ? On était auparavant dans une répartition à 60 % de postes de policiers créés et 40% de postes de gendarmes. Sur les 10 000 postes créés, on se situe à peine autour de 25 % de gendarmes. Comment l'expliquez-vous ? On observe dans nos territoires ruraux, une véritable carence de la présence de gendarmes. Par ailleurs, pourquoi le nombre de gendarmes recruté par la DGSI est-il si peu important ?
Je souhaite rebondir sur la réponse apportée à notre collègue Henri Leroy. Les chiffres que vous avez évoqués ne sont pas ceux que l'on trouve dans la discussion budgétaire. Vos propos, très complets, laissent entendre qu'il existerait une continuité entre la politique menée à partir de 2012 et aujourd'hui. Dans la réponse apportée à Henri Leroy, vous laissez entrevoir de possibles réformes à cette politique, ce qui est une bonne chose. Ce n'est pas tant un problème d'effectifs qui ressort : la question n'est pas en réalité de savoir s'il fallait ou non diminuer les effectifs en période de crise économique, et s'il faut les augmenter compte tenu des attaques terroristes qui se sont déroulées depuis. Si on compare la dernière loi de règlement dont on dispose, celle pour 2016, et la loi de règlement pour l'année 2006, on s'aperçoit que les crédits sont de 30 % supérieurs à ce qu'ils étaient dix ans auparavant s'agissant des personnels, et 5 % inférieurs pour le fonctionnement. Ce point nous différencie dans le débat budgétaire : si on a des effectifs mais pas de moyens, effectivement vous devenez un infirmier qui panse davantage qu'il ne soigne. Si vous pérennisez la police de sécurité du quotidien, qui ne fait l'objet à ce stade que d'une expérimentation, mais pas de moyens spécifiques, on parviendra effectivement peut-être à diminuer le fossé qui sépare nos approches. Le principal objet de cette commission d'enquête, ce sont les moyens dont nos forces de sécurité ont besoin. J'aimerais donc savoir si vous considérez que le ratio actuel entre fonctionnement et investissement, soit 12,5 % de l'ensemble des moyens affectés au fonctionnement, vous satisfait ? Vos prédécesseurs ont arraché aux précédents Présidents de la République des moyens supplémentaires, par exemple pour payer les loyers. Vous avez, à juste titre, décidé un moratoire pour échelonner les loyers, ce qui montre bien l'état dans lequel les forces se trouvent. Qu'en est-il d'éventuels échanges avec Bercy pour bénéficier d'un plan d'exception ? Allez-vous vous contenter de la situation actuelle ? Sur la politique générale, que ce soit la décentralisation, la numérisation ou la politique pénale, vous avez été très complet, donc c'est plutôt sur la question des moyens que j'attends des éléments.
Tout le monde peut penser que les mesures que prend le ministre de l'intérieur sont insuffisantes. Certains pensent au contraire que je prends des mesures trop sécuritaires et contraignantes. Ceux-là voudraient que le ministre de l'intérieur soit plus détendu, plus « cool », mais j'ai des comptes à rendre et j'ai accepté ce ministère pour résoudre les problèmes de fond qui peuvent exister.
Concernant le management, Monsieur Sol, je suis d'accord avec vous. C'est d'ailleurs pour cela qu'on juge les commissaires sur la façon dont ils obtiennent des résultats concrets et dont la population perçoit ces résultats. On est en train de donner beaucoup plus de pouvoirs déconcentrés à ces commissaires, en contrepartie ils vont devoir rendre compte des résultats obtenus du fait de ces nouveaux pouvoirs : on est responsable des pouvoirs supplémentaires qu'on obtient. Mais cette évaluation ne peut pas se faire au jour le jour, on juge les résultats sur des périodes de 18 mois au moins.
Concernant le soutien appuyé aux forces de sécurité, vous savez tous à quel point je suis admiratif des résultats obtenus par les forces de sécurité en général, au regard des conditions dans lesquelles elles effectuent leurs missions. Les forces de police et de gendarmerie peuvent évidemment compter sur mon entier soutien. Les manquements à la déontologie qui sont partout dénoncés sont loin d'être aussi avérés. Nous avons conduit plusieurs enquêtes, très sérieuses, elles montrent toutes que nos forces de sécurité font un travail formidable, dans le respect de la déontologie. D'ailleurs, nous vous transmettrons les rapports dont vous avez demandé la communication, je suis pour la transparence, ça ne pourra qu'aller dans le sens que je suis en train d'indiquer.
Concernant la formation, on va essayer de tendre vers l'académie que le Président de la République avait évoqué, et dont vous avez parlé, même s'il faut toujours en la matière rester modeste, puisque l'on a beaucoup de progrès à faire tant sur la formation initiale que sur la formation continue. Il ne suffit pas de faire de la formation initiale, il faut mettre à jour les connaissances, mais il faut aussi former différemment pour tenir compte du nouveau contexte sociétal.
Sur la question des familles, vous avez raison, il faut travailler pour favoriser une meilleure qualité de vie de famille des agents, même si on doit bien tenir compte du fait qu'un nombre plus important de membres des forces de sécurité est requis en région parisienne.
Une partie des nouveaux effectifs de la police sera affectée à la police de l'air et des frontières (PAF), une autre à la DGSI ou au renseignement territorial, auquel des gendarmes vont être intégrés car nous souhaitons un travail fluide entre les deux forces. Nous essayons de rapprocher les points de vue entre police et gendarmerie, en ce qui concerne les problématiques d'avenir comme la cybercriminalité. Nous progressons beaucoup. S'agissant des ratios, nous avons accru les moyens de fonctionnement de manière très importante, de presque 30% depuis 2015 en crédits de paiement. L'outil est effectivement fondamental. En l'espace de quelques années, l'équipement en smartphones a transformé la façon dont on travaille sur le terrain. Demain la caméra-piéton changera aussi les choses. Les inventions qui viendront dans le futur changeront complètement la façon d'opérer. La police de demain, ce sera la complémentarité de l'humain et de la technologie. Il faut que l'humain, indispensable, ait les moyens de la réalité augmentée pour appréhender la délinquance. Que ce soit sur les stupéfiants, la prostitution, etc., nous ne sommes plus dans des réseaux locaux mais dans des réseaux organisés à l'échelle mondiale. Pour pouvoir les appréhender, il faut des moyens importants, au moins aussi efficaces que ceux des délinquants. Je suis par exemple impressionné par l'organisation des réseaux internationaux de passeurs. La menace est très forte car le monde s'est globalisé pour l'économie, mais aussi pour la criminalité. Il faut que nous puissions l'appréhender, d'où la nécessité d'une coopération non seulement entre nos services mais aussi à l'international.
À propos des caméras-piéton, que j'avais mises en place dans ma police municipale, il faut espérer une accélération du déploiement de cet équipement, qui n'est pas très onéreux et que les personnels acceptent bien. Sur le logement, il y aurait des pistes à explorer entre police nationale, grands bailleurs sociaux et collectivités. Cette coopération existe déjà entre gendarmerie et collectivités. Je reste un peu sur ma faim sur la question de l'accès des policiers municipaux à certains fichiers. Je voudrais terminer en émettant le voeu que vous nous transmettiez rapidement les rapports que nous avons demandé.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 20 heures.