Comme vous le savez, la loi de finances pour 2018 a créé un dégrèvement de taxe d'habitation pour 80 % des Français. Le Sénat s'est opposé à cette initiative - qui ne répondait à aucun souhait ou préconisation des collectivités territoriales. Néanmoins, il nous appartient de veiller à ce qu'elle ne conduise pas à réduire les recettes des collectivités territoriales, ni à diminuer leur dynamisme, a fortiori après les annonces du Président de la République, qui laissent envisager la suppression totale de cette imposition. Je souligne que la décision du Conseil constitutionnel sur la loi de finances pour 2018 - qui est un peu passée sous silence - a des conséquences importantes : si le Conseil constitutionnel n'a pas censuré le dégrèvement, il émet des réserves sérieuses et cette décision implique de supprimer totalement la taxe d'habitation, et donc de trouver des ressources de substitution.
C'est dans ce contexte que notre commission a souhaité créer un groupe de travail chargé de réfléchir à une évolution de la fiscalité locale, afin notamment de compenser la suppression de la taxe d'habitation. Au cours de ses réunions, celui-ci a identifié plusieurs pistes de réflexion, que j'ai souhaité vous présenter aujourd'hui.
Outre notre groupe de travail, plusieurs instances se sont penchées sur cette problématique.
Le Gouvernement a ainsi mis en place, en octobre dernier, une mission présidée par Alain Richard et Dominique Bur « relative au pacte financier entre l'État et les collectivités territoriales ». Celle-ci a notamment été chargée de préciser les contours du mécanisme de contractualisation qui était inscrit dans le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022 et de réfléchir à une évolution de la fiscalité locale. Ses conclusions sur ce deuxième point devraient être rendues très prochainement, au début du deuxième trimestre 2018.
Par ailleurs, le comité des finances locales a également travaillé sur ce sujet et a présenté ses conclusions le 27 février dernier. J'y reviendrai.
Si l'on examine les principales ressources des collectivités territoriales, l'on constate que la suppression de la taxe d'habitation se traduira par un montant à compenser s'élevant à près de 22 milliards d'euros. Ce montant atteint même 23 milliards d'euros si l'on inclut les compensations d'exonérations et même 27 milliards d'euros, en prenant en compte la dynamique de la taxe. Vous pouvez également noter que peu d'impositions locales ont un produit du même ordre de grandeur que celui de la taxe d'habitation aujourd'hui.
À l'heure actuelle, l'État prend déjà à sa charge 4 milliards d'euros au titre des dégrèvements et des compensations d'exonérations. Par ailleurs, la loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022 prend déjà en compte le coût pour l'État du dégrèvement de taxe d'habitation pour 80 % des ménages, estimé à 10 milliards d'euros. Au total, le coût pour l'État d'une suppression complète de la taxe d'habitation s'élèvera à 20 milliards d'euros par an environ, soit 10 milliards d'euros supplémentaires au minimum par rapport à la loi de programmation, à partir de 2020.
S'agissant de la compensation, je rappelle que le Gouvernement a exclu la création d'un nouvel impôt ; dès lors, je considère que ce n'est pas à nous de proposer la mise en place d'une nouvelle taxe. Ainsi, compte tenu des montants en jeu et dès lors que l'on souhaite compenser la perte de recettes pour le bloc communal par de la fiscalité locale, l'hypothèse la plus crédible semble donc être celle d'un transfert de la part départementale de taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) vers le bloc communal. Nous avons a contrario exclu le transfert des droits de mutation à titre onéreux (DMTO) car ils sont extrêmement volatiles.
Cette solution, à laquelle est également parvenu le comité des finances locales, n'est pas sans soulever des difficultés : elle ôte avant tout une recette aux départements sur laquelle ils disposent d'un pouvoir de taux ; ensuite, et c'est le principal inconvénient à mon sens, elle concentre l'impôt local sur les propriétaires fonciers, dans la mesure où les habitants non propriétaires n'acquittent pas la taxe foncière. Cette solution présente néanmoins plusieurs avantages : elle permet au bloc communal de conserver un pouvoir de taux, elle maintient un lien entre le contribuable et la commune et elle assure au bloc communal une ressource dont la dynamique est proche de celle de la taxe d'habitation. C'est donc cette piste qui a été privilégiée par le groupe de travail, car elle apparaissait la plus crédible.
Cette solution, adoptée à l'unanimité par le comité des finances locales, à l'exception des trois voix des représentants des départements, ne permet cependant de répondre qu'à une partie de la problématique. En effet, le transfert intégral de la taxe foncière sur les propriétés bâties des départements au bloc communal ne suffirait pas à compenser la suppression de la taxe d'habitation et il serait nécessaire de compenser la perte de recettes des départements. Au total, ce sont 10 milliards d'euros qui devront être compensés au bloc communal et 14 milliards d'euros aux départements.
Le groupe de travail a réfléchi dans l'optique de maintenir l'autonomie financière des collectivités territoriales et en excluant la création d'un nouvel impôt. Il serait donc nécessaire de transférer une fraction d'impôts nationaux aux collectivités territoriales. Le groupe de travail a donc étudié trois scénarios : un transfert de contribution sociale généralisée (CSG), de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) ou d'impôt sur le revenu.
S'agissant tout d'abord de la CSG, elle peut certes être affectée par des décisions prises au niveau national, mais elle constitue néanmoins une ressource très dynamique. En outre, un transfert de CSG apparaîtrait particulièrement pertinent dans le cas de la compensation aux départements du transfert de la taxe sur le foncier bâti au bloc communal, compte tenu des compétences exercées par ces derniers dans le champ social. Une telle solution soulèverait certes une question juridique, quant à la nature de ce prélèvement, mais celle-ci ne nous semble pas dirimante.
J'en viens à l'hypothèse du transfert d'une fraction de taxe sur la valeur ajoutée (TVA). Là encore il s'agit d'une recette dynamique, bien que sensible à la conjoncture et pouvant aussi être affectée à la hausse comme à la baisse par des décisions prises par l'État. L'affectation d'une fraction de TVA à une catégorie de collectivités territoriales ne poserait en outre pas de problème juridique, dans la mesure où ce schéma existe déjà pour les régions et n'a pas été remis en cause par le Conseil constitutionnel.
Enfin, dernier scénario, celui de l'attribution d'une fraction d'impôt sur le revenu. Une telle solution permettrait plus facilement, en théorie, de donner aux collectivités attributaires un pouvoir de taux. Cette solution est mise en oeuvre en Italie, au niveau communal. Elle comporte cependant d'importantes limites. En premier lieu, les décisions de l'État auront des conséquences sur les ressources des collectivités territoriales ; or les modifications en la matière sont fréquentes et il y a donc un risque non négligeable pour les finances des collectivités. En second lieu, l'éventuel pouvoir de taux laissé aux collectivités territoriales nécessiterait pour l'administration fiscale et les entreprises, après la mise en place du prélèvement à la source, de gérer 36 000 taux communaux et près de 1 300 taux intercommunaux. Il en résulterait une concurrence fiscale qui pourrait pousser les contribuables à se domicilier par exemple chez leur grand-mère... Enfin, le pouvoir de taux serait en fait assez fictif : étant donnée la concentration des revenus, il serait nécessaire de mutualiser une partie de la ressource, ce qui limiterait très fortement ce pouvoir.
J'ajoute que les dynamiques spontanées de la TVA et de la CSG sont très proches : leurs taux de croissance annuel moyens se sont ainsi élevés à un peu plus de 2 % entre 2013 et 2018, même si la TVA est plus sensible à la conjoncture, comme on a pu le voir lors de la crise de 2009.
Compte tenu des différents éléments que je viens de vous exposer, le scénario privilégié par le groupe de travail serait donc celui du transfert de la part départementale de la taxe foncière sur les propriétés bâties au bloc communal, complétée par le transfert d'une fraction de CSG aux départements et de TVA au bloc communal.
Il nous apparaît cependant indispensable que cette réforme de la fiscalité locale s'accompagne d'une révision des valeurs locatives des locaux d'habitation, sur lesquelles continueront d'être assises la taxe foncière sur les propriétés bâties et la taxe d'enlèvement des ordures ménagères (TEOM). Cette révision devra naturellement s'accompagner de mécanismes de lissage et de plafonnement pour éviter des effets trop brutaux. Doit-on repartir de l'expérimentation de 2015 ? Nous entendrons le ministre de l'action et des comptes publics cet après-midi, ce sera l'occasion de l'interroger sur les intentions du Gouvernement à ce sujet. Le groupe de travail a évoqué plusieurs hypothèses : une révision sur une base déclarative, éventuellement département par département, etc. Quoiqu'il en soit, il me semble que nous devons insister sur la nécessité de réviser les bases. Je rappelle néanmoins que nous ne sommes pas les seuls à avoir des valeurs locatives vétustes : les autres pays européens ont parfois recours aux valeurs vénales, mais la plupart du temps il s'agit des valeurs historiques, sans qu'aucune révision n'ait vraiment été menée. Parfois les valeurs de référence ont été fixées en 1941 ! Il n'y a pas de solution miracle pour réviser les valeurs locatives...
Par ailleurs, il est nécessaire de prévoir une compensation réelle des exonérations de fiscalité locale. Je pense en particulier à l'exonération des logements sociaux pour la taxe foncière sur les propriétés bâties.
Le scenario que je vous ai présenté est donc celui qui a été adopté par le bureau de l'association des maires de France et par le comité des finances locales, à l'unanimité des suffrages exprimés mais avec l'abstention des trois représentants des départements. En effet, ceux-ci négocient en parallèle avec le Gouvernement sur le sujet de la compensation du financement des allocations individuelles de solidarité et craignent qu'en combinant ces deux négociations, le Gouvernement n'essaye de leur transférer « deux fois » la même fraction de CSG...
Ce scenario n'est pas le « grand soir » fiscal que nous pouvions espérer, ni une mise à plat de l'ensemble des rapports financiers entre l'État et les collectivités territoriales. Il faudrait également réformer le système fou des dotations et des fonds de péréquation. Mais dans le délai imparti, nous n'étions pas en mesure de révolutionner l'ensemble des finances locales. Cette solution n'est sans doute pas la meilleure... mais au moins la moins mauvaise. Elle me semble satisfaisante car les communes conservent un pouvoir de taux et récupèrent une ressource dynamique, tandis que les départements pourront financer la solidarité nationale à partir d'une ressource nationale, la CSG. Je suis par ailleurs convaincu que la taxe sur le foncier bâti n'est pas la meilleure ressource pour les départements : les plus pauvres d'entre eux ayant des bases fiscales foncières assez limitées...