Intervention de Olivier Dussopt

Réunion du 13 mars 2018 à 14h30
État au service d'une société de confiance — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Olivier Dussopt :

Monsieur le président, monsieur le président de la commission spéciale, madame le rapporteur, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, depuis dix mois maintenant, la France est engagée dans un mouvement de transformation profond : transformation économique, transformation fiscale, transformation écologique.

Dans notre pays, le service public occupe une place centrale et suscite beaucoup d’attentes chez nos concitoyens. L’administration doit donc être dans ce moment un moteur de transformation, un moteur de progrès.

Pourtant, nous le savons tous, notre pays est frappé d’un paradoxe : les Français aiment leurs services publics, mais ils critiquent et parfois rejettent leur administration. Un chiffre suffit à illustrer cette réalité : la satisfaction des usagers du service public est supérieure de 30 points à l’image qu’en ont les Français dans leur ensemble. Parfois aussi ce sont les agents publics qui doutent de leur propre administration et des moyens qui sont mis à leur disposition.

Le projet de loi pour un État au service d’une société de confiance entend donc libérer les énergies et les initiatives au sein de notre administration. Il porte une vision positive et bienveillante du service public et des agents qui le font vivre. Il leur donne les moyens de jouer un rôle nouveau dans la vie des Françaises et des Français.

C’est pourquoi nous avons voulu affirmer deux grands principes dans ce texte : d’abord, une administration qui conseille avant de sanctionner ; ensuite, une administration qui simplifie plutôt que de complexifier.

Ces principes sont indispensables, car ce sont eux qui montrent le cap et les priorités du texte que nous vous présentons. Mais ce projet de loi apporte surtout des réponses très concrètes aux usagers et aux agents publics, en combinant mesures générales et mesures expérimentales.

Je m’arrêterai d’abord sur le premier pilier de ce texte, celui de la confiance.

C’est le principe même du droit à l’erreur que ce projet de texte consacre, pour les entreprises comme pour les particuliers. Vous le savez, le droit à l’erreur était un engagement du Président de la République. Demain, cette révolution sera à l’œuvre : dans le cadre d’une déclaration à l’administration ou d’un contrôle, l’usager de bonne foi pourra revendiquer un « droit à l’erreur » et l’administration le dispensera de pénalité. Ce principe ne souffrira que d’exceptions de bon sens.

Pour l’administration fiscale et douanière, le texte comporte une disposition supplémentaire puisque, s’agissant des intérêts de retard, le principe qui vaudra sera celui de la « faute avouée à moitié pardonnée », avec des intérêts divisés par deux lorsque la rectification viendra du contribuable lui-même.

Le projet de loi consacre également pour nos entreprises des mesures qui découlent directement de cette philosophie et qui faciliteront leurs relations avec l’administration. J’insisterai sur trois d’entre elles.

Premièrement, il crée un « droit au contrôle », pour que chaque entreprise puisse s’assurer qu’elle est bien en règle et bénéficier des conclusions de ce contrôle comme d’un rescrit.

Deuxièmement, il instaure une limitation de la durée de contrôle pour les PME, sous forme expérimentale, pour que cette durée ne puisse dépasser neuf mois sur trois ans, soit un quart du temps de l’entreprise.

Troisièmement, enfin, il prévoit la création d’un avertissement avant la sanction par l’inspection du travail, parce qu’avant de donner un carton rouge, l’administration doit pouvoir adresser un carton jaune à l’entrepreneur de bonne foi.

Le Gouvernement a donc tenu à intégrer des dispositions spécifiques en ce qui concerne le travail et les PME, mais aussi des dispositions sectorielles, pour fluidifier davantage le fonctionnement de certaines activités. Nous avons ainsi travaillé avec le ministre de l’agriculture pour intégrer des dispositions spécifiques relevant de son champ de compétence. Nous aurons sans doute l’occasion d’y revenir dans nos débats.

Ce projet de texte prévoit également des mesures pour les particuliers, qui pourront bénéficier du droit à l’erreur et du droit au contrôle en plus d’autres mesures spécifiques ; je pense, notamment, au droit à la rectification lors de la réclamation d’indus dans le champ social.

Enfin, ce texte vise aussi à offrir aux agents de la fonction publique la possibilité d’établir le dialogue avec les usagers. Bien souvent, ils le voudraient, mais ils ne disposent pas des outils pour cela. Les agents seront, par exemple, mieux protégés lorsqu’ils souhaitent recourir à la transaction. De la même manière, la médiation sera développée, notamment dans les unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales, les URSSAF.

Un amendement parlementaire est par ailleurs venu consacrer la protection des agents dans l’application du droit à l’erreur.

Le second pilier de ce texte sur lequel je souhaite m’arrêter un instant est celui de la simplicité. Il s’agit, pour les usagers du service public, d’une nécessité absolue. Pour la comprendre, on peut évoquer un chiffre éloquent : la France occupe le cent quinzième rang - sur cent quarante - en matière de complexité administrative. Ici encore, trois mesures sont très emblématiques de l’ambition du Gouvernement.

Tout d’abord, l’expérimentation d’un référent unique afin de n’avoir plus qu’une porte où frapper pour être bien orienté, par exemple pour les allocataires d’aides sociales dans les CAF.

Ensuite, l’adaptation des horaires d’ouverture des services publics aux habitudes de vie des Français, conformément à l’engagement du Président de la République. Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, s’est ainsi proposé d’expérimenter cette adaptation dans deux juridictions de taille importante.

Enfin, un autre engagement trouve ses premières traductions dans ce texte : celui du « zéro papier » d’ici à 2022, avec la dématérialisation de l’ensemble des déclarations administratives.

Des premières annonces ont été faites à l’occasion du comité interministériel de la transformation publique qui s’est tenu le 1er février dernier. Ce texte de loi consacre, par exemple, l’extension par expérimentation du principe « dites-le-nous une fois », qui devient en réalité le principe « dites-le-nous une fois, mais une fois pour toutes » !

Pour promouvoir la confiance et la simplicité dans les relations entre les citoyens et l’administration, nous devons par ailleurs revoir notre rapport à la norme et à la loi, la manière dont nous la concevons et dont nous la faisons connaître.

Ce texte se fixe donc pour ambition de changer les habitudes de l’administration, qui se contente trop souvent d’opposer à nos concitoyens l’adage : « Nul n’est censé ignorer la loi ». Lorsque la loi devient trop complexe, qui peut vraiment la connaître ?

Le projet de loi comporte ainsi de nombreuses mesures qui permettront de repenser en profondeur la fabrique et l’application des lois et des règlements. Le texte s’efforce ainsi d’adapter la norme à la diversité des territoires, que vous connaissez tous, mesdames, messieurs les sénateurs. Cette adaptation est rendue possible, en particulier par l’expérimentation, qui permet de tester la pertinence d’une nouvelle norme, son efficacité, avant de la généraliser ou bien d’y renoncer.

Ce projet de loi met en œuvre bien d’autres outils sur lesquels je souhaite appeler votre attention.

D’abord, la transparence sur les centaines de circulaires qui produisent des effets sur nos concitoyens et sont inconnues d’eux.

Ensuite, la lutte contre la surtransposition des directives européennes. Je pense, par exemple, à la suppression du rapport de gestion pour toutes les petites entreprises, ce qui représente une journée de travail en moins pour 1, 3 million de petites entreprises, soit une économie de 270 millions d’euros.

Enfin, l’inversion complète de notre manière de faire la loi dans certains secteurs : nous souhaitons, par exemple, expérimenter dans le domaine de la construction une nouvelle obligation qui soit une obligation de résultat et non plus une obligation de moyens.

Je veux dire maintenant quelques mots de la méthode singulière qui a conduit à l’élaboration de ce texte.

Il s’agit d’abord d’une loi qui a été coconstruite avec les différents membres du Gouvernement, avec des experts comme le conseiller d’État Thierry Tuot et, bien évidemment, avec le Parlement.

La première lecture à l’Assemblée nationale s’est tenue dans un état d’esprit d’ouverture et nous souhaitons nous inscrire dans la même logique au Sénat.

Vos travaux en commission ont déjà permis d’améliorer substantiellement le projet de texte, sur la forme, avec de nombreuses améliorations légistiques et rédactionnelles, mais également sur le fond. Je pense, par exemple, à la précision apportée à l’article 2 sur le droit à l’erreur : cet article prévoit désormais que l’administration est tenue d’inviter un usager à régulariser sa situation dès qu’elle s’aperçoit de l’erreur, ce qui permettra de rendre ce droit plus effectif.

On peut également citer le dispositif de l’article 4 quater, pour lequel vous avez précisé les conditions dans lesquelles pouvait être accordée la réduction des intérêts de retard en matière douanière.

Par ailleurs, pour la première fois, la procédure dite de « législation en commission » a été utilisée sur certains articles de ce texte, ce qui nous permettra de nous concentrer en séance sur les articles les plus importants. Dans cette nouvelle phase de débats, nous serons le plus à l’écoute possible de vos propositions.

C’est aussi une loi qui s’inspire des bonnes pratiques étrangères. Je vous en donne quelques exemples.

Les Pays-Bas pratiquent depuis longtemps ce que nous appelons la relation de confiance entre les entreprises et l’administration fiscale ; le principe de la suppression de deux anciennes normes pour une nouvelle norme créée est appliqué en Grande-Bretagne ; de la même manière, en ce qui concerne la lutte contre la surtransposition, notre projet s’inspire des mesures mises en œuvre en l’Allemagne et dans d’autres pays.

Pour conclure, ce projet de loi devra faire l’objet d’un suivi renforcé. Le Gouvernement s’efforcera de suivre précisément l’application de la loi à travers la publication des décrets, bien sûr, mais aussi en étudiant les résultats des différentes expérimentations que ce projet contient et en suivant la mise en application concrète des mesures qui auront été adoptées. Nous serions heureux que les parlementaires, notamment ceux de la Haute Assemblée, prennent part directement à ce suivi opérationnel.

Néanmoins, même avec un texte que je crois être de qualité et qui sera enrichi de vos propositions, nous ne devons pas nous arrêter là. En effet, sans vouloir me montrer décourageant, même si le Parlement adopte ce texte, même si nous le mettons rapidement en œuvre, nous n’aurons fait qu’une toute petite partie du chemin. Les changements les plus importants ne sont pas dans les textes, ils sont dans les têtes.

À cet égard, pour ce qui concerne la fonction publique, la formation de nos agents est capitale. Le Gouvernement sera au rendez-vous : dans le cadre du Grand plan d’investissement, 1, 5 milliard d’euros ont ainsi été identifiés et dédiés au financement de la formation des agents publics pour accompagner la transformation des services publics.

Voilà, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, ce qui constitue pour nous la première pierre du programme Action publique 2022. Cet acte I de la transformation publique témoigne de l’ambition qui est celle du Gouvernement de remettre la confiance au cœur des relations entre l’administration et les usagers. Je souhaite que les débats qui s’ouvrent puissent nous permettre d’aller encore plus avant sur ces différents sujets.

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