Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission spéciale, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, le projet de loi dont nous commençons l’examen est une étape importante dans l’histoire administrative de notre pays. Bien sûr, il y a déjà eu des textes relatifs aux relations entre l’administration et les citoyens, mais celui-ci me paraît revêtir une importance particulière.
Ce texte est important parce qu’il parle de la confiance. Certes, la confiance ne se décrète pas, elle ne se légifère pas, mais les conditions de transformation profonde de l’action publique peuvent – dans cet hémicycle, nous en sommes tous, me semble-t-il, convaincus – être infléchies. Ce que nous demandent ce texte et la disposition qui l’a, en quelque sorte, englouti, c’est de repenser la place de l’erreur dans la société française.
L’erreur est humaine mais ne semble pas toujours française ; reconnaissons-le, la place pour le rebond est moindre dans ce pays qu’outre-Manche, outre-Atlantique ou en Asie. Beaucoup de décisions de vie sonnent encore comme des verdicts irrévocables, comme des choix définitifs et indélébiles. Jusqu’à récemment – admettons que ce soit encore un peu le cas –, notre pays s’est caractérisé par un cercle vicieux : par prévention de l’erreur, par peur de l’échec, par crainte de la sanction, on tente moins, on entreprend moins, on risque moins. Le Léviathan, ce n’est pas l’État, ce n’est pas le marché, c’est la somme terrible des projets reportés, enfouis ou abandonnés, dans un pays qui n’a pas toujours donné sa chance à la chance.
Bien entendu, tout n’est pas justifiable ni pardonnable, mais posons quelques principes. Nous sommes tous faillibles, mais nous sommes souvent de bonne foi. On peut commettre une fois une erreur dans un domaine et se la faire expliquer par l’administration. Le droit à l’erreur cesse évidemment d’exister lorsqu’il devient un abonnement ou un réflexe, mais c’est un atout précieux que de se dire que l’on dispose de ce recours. Oui, chers collègues, tout le monde peut se tromper et c’est cette réalité que le présent texte souhaite rappeler.
La vision que nous avons des pays anglo-saxons, qui relève parfois un peu du poncif, mais qui n’est pas qu’un cliché, souligne la réalité du changement de culture à opérer. Ce changement a évidemment des implications directes sur les relations entre l’administration et les administrés.
Les attentes sont fortes, du côté que ce soit des usagers ou des agents publics. J’insiste sur ce point : les agents publics sont intimement attachés aux valeurs du service public, dont ils sont les garants, dont ils assurent la qualité.
Dans ce contexte, ce projet de loi prévoit un véritable droit au contrôle pour les entreprises, c’est-à-dire la possibilité de demander à une administration de venir la contrôler afin d’assurer sa conformité juridique et de rendre opposables les conclusions de ce contrôle – la commission spéciale a d’ailleurs proposé un dispositif allégé pour les TPE.
Pour ce qui concerne les usagers, le groupe La République en Marche rappelle son attachement à la pratique du rescrit, bien connu de l’administration fiscale ; un accord est souhaitable sur ce point.
La simplification est presque devenue une figure de style de l’action publique. Ce texte se veut une boussole pour les actions de simplification à venir ; il trace des sillons, mais, le Gouvernement a raison d’y insister, il n’a pas vocation, contrairement à ce que j’ai entendu, à être une voiture-balai du concours Lépine de la simplification. Simplifier est une nécessité – je n’ai jamais rencontré d’aficionados de la procédure, de conservateurs de la norme, ni d’inconditionnels de la pièce manquante. C’est pourquoi je ne peux que me féliciter de voir des mesures de bon sens dans ce projet de loi ; c’est le cas du référent unique, mais également de l’interdiction faite aux administrations de recourir à des numéros surtaxés à l’horizon 2021.
Comme La Fontaine avait affligé les animaux de la peste, notre pays est malade de la norme. Ce texte invite le législateur, c’est-à-dire le Gouvernement et nous, parlementaires, à stopper l’hémorragie normative, dont une partie provient de la surtransposition des textes de l’Union européenne.
Ce projet de loi est aussi – peut-être d’abord – un texte qui fait du numérique un levier de transformation du service public. Cela est totalement cohérent avec les mutations profondes qu’internet implique et que le Gouvernement souhaite approfondir au travers de l’ambition de dématérialisation de 100 % des procédures.
Internet constitue une transformation permanente, en raison de l’océan de données qui le traverse et qui est aussi un atout pour améliorer la qualité du service rendu. Nous devons encourager un État plateforme, aux méthodes plus agiles et au déploiement plus souple.
Nous devons également utiliser le numérique comme un moyen d’évaluation des services publics par les usagers. C’est pourquoi le groupe La République en Marche a souhaité amender la stratégie nationale d’orientation de l’action publique en rendant disponibles les enquêtes internes de satisfaction de certaines administrations, en les anonymisant, évidemment. La confiance ne se décrète pas, mais elle peut se mesurer avec des outils désormais accessibles à très grande échelle.
Un mot enfin, au moment où nous réfléchissons à l’avenir de nos institutions, sur la méthode de ce texte, qui se fonde sur un recours accru à l’expérimentation. Celle-ci permet d’étendre à l’ensemble du territoire national les résultats positifs ou, au contraire, de n’en rien faire. Le débat permettra par ailleurs d’éclaircir les recours aux ordonnances sur certains points. Sans abandonner notre mission d’évaluation a posteriori, nous souscrivons à ce choix gouvernemental.
Je tiens également à souligner l’importance de ce qui a été appelé le service après-vote, la nécessité pour les parlementaires de se soucier de l’application des différentes mesures contenues dans ce texte. Il faut que les mesures réglementaires soient prises pour faire en sorte que nos concitoyens perçoivent le changement de logique dans les têtes et dans les faits – c’est toute la philosophie du conseil de la réforme.
Je conclus en indiquant que ce texte, loin d’affaiblir l’autorité de l’État, renforce celle-ci, en permettant aux citoyens, au travers de nouveaux droits, de casser ce que l’économiste Yann Algan a justement appelé la « fabrique de la défiance ».