Intervention de Éric Bocquet

Réunion du 13 mars 2018 à 14h30
État au service d'une société de confiance — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Éric BocquetÉric Bocquet :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’ambition affichée par ce projet de loi est « de construire un État conscient de son coût, usant à bon escient de ses prérogatives, et œuvrant tout entier à seconder la vie sociale et favoriser son épanouissement, un État au service d’une société de confiance. » Ce texte traduit la vision d’un État « bienveillant et ouvert », selon l’exposé des motifs. Je ne reviendrai pas sur le titre même du texte, entre novlangue orwellienne et langage publicitaire…

Plus crûment, selon une thématique et un discours déjà largement éprouvés depuis le début de la législature, il faudrait penser que l’État coûte trop cher et qu’il n’agit pas toujours comme il conviendrait. Pour remédier à cela, ce projet de loi hétéroclite et parfois difficile à appréhender dans ses conséquences concrètes prévoit simplement de codifier des pratiques administratives existantes ; loin de simplifier, il vise à cristalliser des pratiques administratives quotidiennes.

De manière assez surprenante, il met en question en bien des domaines, singulièrement en matière de fiscalité des entreprises et des patrimoines, des pratiques qui attestent de longue date de la souplesse et de la flexibilité de l’administration devant l’examen des situations concrètes.

Pour ne prendre qu’un seul exemple, parlons du droit à l’erreur, le produit promotionnel d’affichage du projet de loi, un droit qui n’a rien de nouveau et qui est pratiqué singulièrement en matière fiscale. En effet, le code général des impôts dispose à l’article 1729 que « les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l’indication d’éléments à retenir pour l’assiette ou la liquidation de l’impôt ainsi que la restitution d’une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l’État entraînent l’application » de certaines majorations, détaillées dans la suite de l’article. Pour être tout à fait clair, cela signifie que la bonne foi du contribuable est reconnue a priori sauf dans des cas clairement précisés.

Il en est de même en matière douanière, et le code de la sécurité sociale n’échappe pas à la règle.

Quant à la transaction, elle est déjà fortement pratiquée, ne serait-ce que pour éviter qu’un contribuable indélicat, notamment une entreprise subissant un redressement, ne se retrouve dans la plus parfaite incapacité de payer. Il arrive même aux « implacables » contrôleurs des URSSAF – il y a en moyenne 70 000 contrôles sur place, chaque année, dans les entreprises – de proposer des transactions, et il y a, me semble-t-il, dans le budget de l’État des crédits pour cela.

De plus, tant le Conseil d’État que le Conseil économique, social et environnemental, le CESE, ont signalé les risques d’atteinte au bon fonctionnement des administrations, dans le contexte budgétaire contraint qui leur est imposé depuis plusieurs années.

En effet, ce texte doit être appréhendé dans le contexte actuel de mise en cause du statut des fonctionnaires, avec le « plan 2022 » de réduction d’effectifs et de développement des contrats de mission et autres emplois contractuels. Outre que la recette est passablement ancienne, comment peut-on faire de la bonne administration, avec la sécurité juridique et la confiance qui conviennent, quand on place les acteurs de cette administration en situation d’insécurité professionnelle ?

Ainsi, le Conseil d’État estime que « ce dispositif, dont le champ d’application est extrêmement vaste, pourrait porter atteinte au bon fonctionnement de l’administration dès lors qu’il prévoit que celle-ci est tenue de faire droit à cette demande dans un délai raisonnable sans tenir suffisamment compte de ses moyens et de ses effectifs. Il relève que les moyens des services de l’État ont souvent été fortement réduits et ne lui permettent pas toujours d’assumer ses missions premières, au risque d’exposer la responsabilité de l’État et la responsabilité pénale de ses agents. »

Non seulement ce projet de loi ne remet nullement en question les politiques qui, de révision générale des politiques publiques en modernisation de l’action publique, ont largement entamé la crédibilité du service public par l’abandon marqué de la présence territoriale des services déconcentrés des différentes administrations, mais encore il les prolonge et en accentue les défauts et travers, pour faire de cas d’espèce la matrice de la suraccumulation législative que nous connaissons.

Sur un plan formel de légistique, observons que la majorité des articles du texte consiste en des habilitations à légiférer par ordonnance et en des dispositifs dérogatoires destinés à être expérimentés. Il prive ainsi la représentation nationale de bien des débats.

L’accès au droit, qui aurait pu constituer l’une des finalités du présent projet de loi, en ressort si peu renforcé que le Défenseur des droits, pourtant favorable à la philosophie générale du texte, souligne lui-même dans son avis « le risque de voir les dispositifs envisagés bénéficier essentiellement aux personnes déjà les plus à même de les mobiliser et de renforcer ainsi les inégalités d’accès aux droits ». Il est évident que, dans la société de confiance décrite par le texte, ce sera avocat-conseil pour les uns, et écrivain public pour les autres…

Enfin, la lutte contre la fraude fiscale et sociale, si chère à nos cœurs et priorité absolue des politiques publiques, semble curieusement absente de ce texte. Elle illustre pourtant par excellence la confiance des administrés envers l’État, dès lors qu’elle signe l’égalité de traitement, ainsi que la continuité du service public, en pleine et entière application du principe d’égalité des citoyens devant l’impôt.

Là serait la véritable ambition de ce gouvernement : renforcer les systèmes déjà existants, donner les moyens aux agents d’assurer au mieux leur mission de service public. En effet, la relation de confiance entre l’administration et les usagers ne peut se créer que si le service public garde ses principes d’équité de traitement et de continuité.

Cela, seul le statut actuel de la fonction publique le garantit. Ce n’est pas parce qu’il date de 1945 et qu’il a été rénové en 1984 qu’il ne recèle pas toute la modernité dont nous avons besoin en 2018 !

Améliorer la relation passe par une action publique renforcée sur le plan des moyens budgétaires autant qu’humains.

Les garanties existent déjà pour les citoyens. Il faut donner aux agents du service public les moyens de les mettre en œuvre, la proximité territoriale permettant à chaque citoyen d’être correctement informé de ses droits et obligations.

Ce projet de loi, teinté d’une once de démagogie, n’est qu’une énième couche à l’indigeste millefeuille législatif qui a dévoyé le sens de l’action publique depuis une bonne vingtaine d’années.

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