Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, en tant que président de la commission spéciale, je reviendrai non pas sur les différentes mesures du présent projet de loi, mais, d’une part, sur la procédure et, d’autre part, sur la philosophie générale qui a inspiré nos travaux.
Les conditions d’examen du texte ont été marquées par deux particularités.
Tout d’abord, nous avons constitué une commission spéciale, réunissant des parlementaires de différentes commissions. Les sept commissions permanentes étaient représentées. Certes, le choix de la commission spéciale soulève encore des réticences quand plusieurs commissions s’estiment compétentes sur un même texte. Au vu de notre expérience, je crois pouvoir dire cependant que cette formule a été appréciée, parce qu’elle permet de réfléchir ensemble, dans la diversité de nos compétences, et de nous enrichir mutuellement de nos expériences respectives.
La commission spéciale a également eu l’honneur de mettre en application, pour la première fois, la procédure de législation en commission, telle qu’elle résulte de la modification de notre règlement en date du 14 décembre 2017, plus précisément sa nouvelle formule, qui est la législation partielle en commission. Nous avons montré, je crois, que cette procédure n’enlevait rien à la qualité des débats ni au sérieux de l’examen des dispositions d’un projet de loi. D’ailleurs, je remercie mes collègues d’avoir accepté ce challenge que je leur avais proposé. Je pense que la généralisation de l’usage de la législation en commission nécessitera un apprentissage progressif et que cette procédure est particulièrement bien adaptée aux textes techniques, les débats sur les politiques lourdes ayant évidemment vocation à demeurer effectués en séance publique, selon la procédure classique.
Pour un bon usage de la législation en commission, il est aussi important de conclure un pacte de confiance entre les parlementaires des différentes sensibilités compte tenu des différentes possibilités d’utilisation du veto qui sont aujourd’hui inscrites dans les textes.
Dans le cas de la législation en commission partielle, le choix des articles est évidemment essentiel. La principale difficulté réside dans les délais très courts qui nous sont donnés pour effectuer ce tri et présenter des propositions satisfaisantes.
En tout état de cause, cette première expérience montre que le Sénat sait moderniser et simplifier son mode de fonctionnement, privilégiant la fluidité et l’efficacité au service de la qualité dans l’élaboration de la loi.
Je dois reconnaître, sur cet aspect de procédure législative, un contraste certain avec les manières du Gouvernement, qui sont à l’opposé de relations de confiance avec le Parlement, avec 12 demandes d’habilitations à légiférer par ordonnance dans le projet de loi de 40 articles que vous avez déposé, monsieur le secrétaire d’État, sur le bureau de l’Assemblée nationale, une procédure accélérée, dont la justification m’échappe toujours, engagée dès le 27 novembre 2017, alors que vous n’avez pas prévu d’inscrire la lecture des conclusions de la commission mixte paritaire ou la nouvelle lecture à l’ordre du jour du Parlement avant le mois de mai prochain, et une étude d’impact médiocre, dénoncée par l’avis du Conseil d’État.
La commission spéciale a cherché à recueillir le plus d’observations et d’avis possibles sur les différentes mesures qui figurent dans le projet de loi, d’abord par le biais des auditions tenues en réunion plénière, mais aussi grâce au travail remarquable de ses deux rapporteurs – je veux de nouveau les féliciter –, qui ont réalisé de nombreuses auditions ouvertes à leurs collègues de la commission. La commission a également recueilli sur internet les contributions de nos concitoyens, acteurs publics ou usagers des services, via un espace participatif que nous avons ouvert. Nous avons été très intéressés par ces contributions, de grande qualité, dont une sélection figure d’ailleurs en annexe au rapport de la commission.
À titre personnel, j’ai aussi organisé des réunions avec les services déconcentrés de l’État, en particulier la direction départementale des finances publiques, la direction départementale des territoires, le préfet et ses services, mais également les élus locaux, maires et présidents d’intercommunalité. Ces réunions ont été très instructives et les opinions qui se sont exprimées ont largement rejoint celles qu’ont manifestées les sénateurs lors des réunions de la commission spéciale.
De manière générale, les réactions que suscite le texte sont d’abord empreintes de curiosité et d’espoir, mais, assez rapidement, on passe à la perplexité, si ce n’est à la déception.
Le sujet que nous abordons au travers de ce projet de loi, celui des relations entre le public et les administrations, soulève, en effet, beaucoup d’attentes : nos concitoyens – particuliers, associations et entreprises – demandent plus de simplicité, plus de bienveillance et de souplesse, plus de rapidité dans le traitement des demandes, plus d’attention et de conseil. Au reste, ces demandes légitimes se renforcent face à deux phénomènes : un droit qui se complexifie et une société qui s’habitue à des réactions rapides, voire immédiates, du fait des technologies numériques – on pose une question et on veut une réponse dans la seconde.
L’intitulé du projet de loi et son annexe renvoient ainsi à une société où tout est réglé en deux clics, où le citoyen-contribuable-usager gère ses situations administratives via internet, dont il maîtrise évidemment toutes les subtilités, et où l’erreur qu’il peut commettre est aussitôt corrigée par une administration disponible et indulgente. C’est merveilleux !
Cette vision idéalisée est pourtant contredite par certaines réalités, et d’abord par les inégalités dans l’accès aux procédures dématérialisées, soit pour des raisons d’infrastructures défaillantes dans nos territoires, soit pour des raisons culturelles et sociales. Pensons à ceux que l’on appelle les « invisibles », les « illettrés » du numérique. En légiférant, nous devons toujours avoir présent à l’esprit le caractère universel de la portée de la loi.
Le scénario idéal qui nous est proposé est également contredit par la réalité d’une administration d’exécution, loin des administrations centrales productrices de normes, qui subit l’inflation réglementaire, qu’il lui revient de mettre en œuvre. Sur ce point, d’ailleurs, arrêtons d’accabler le législateur ! Je rappelle que la loi produit moins de normes que le règlement. On fixe à cette administration des objectifs difficiles, voire impossibles à tenir en même temps : contrôler plus et conseiller mieux, avec des moyens réduits et, malheureusement, des administrés éloignés des lieux possibles de rencontre, de contact et donc de proximité.
Enfin, les moyens de l’administration ne sont pas à la hauteur. Je pense tout particulièrement à l’archaïsme des systèmes d’information de l’État et de leurs applications logicielles.
Dès lors, monsieur le secrétaire d’État, vous comprendrez que nous ayons du mal à croire à cette société idéale ou idyllique du 100 % numérique que vous nous promettez pour 2022. D’ailleurs, nous lui préférons une société 100 % humaine. Au demeurant, devons-nous privilégier un numérique humain ou un humanisme numérique ? Les deux ! Et concilions-les dans ce même objectif.
De fait, ce qui suscite le doute et la réserve de la commission spéciale, c’est le décalage trop souvent constaté entre les ambitions déclarées et les moyens que vous nous donnez. L’histoire récente des relations entre l’administration et les citoyens est malheureusement celle d’une succession de lancements de démarches-qualité sans évaluation des résultats, de plans de communication mal suivis d’effets. Ce n’est pas ainsi que l’on renforce la confiance. Il est à craindre que ce texte ne s’inscrive dans cette lignée.
Vous souhaitez faire passer l’action publique d’une logique de moyens à une logique de résultat. Nous partageons l’objectif. C’est un bouleversement considérable.