J'aimerais tout d'abord préciser deux choses. En premier lieu, avant de rédiger ce rapport avec M. Franck Natali, j'avais, en 2014, également contribué au précédent, qui était déjà annonciateur de celui-ci bien qu'il ait été principalement consacré à la conformité de notre procédure pénale au droit européen. En second lieu, je m'exprimerai aujourd'hui certes au titre du rapport que nous avons rédigé, mais j'ai aussi été procureur pendant près de 40 ans et ai donc fréquenté de nombreux officiers de police judiciaire. Je pense ainsi bien connaître la diversité des services, la nature des problèmes rencontrés et les réponses que l'on peut y apporter.
La lourdeur de la procédure pénale est incontestable. Je suis à la retraite depuis deux ans et demi et lorsque la garde des sceaux nous a confié la rédaction de ce rapport, j'ai relu le code de procédure pénale pour remettre à jour mes connaissances : il est illisible, tant pour nos enquêteurs que pour le parquet, le juge d'instruction et la quasi-totalité des intervenants de la procédure pénale. L'effort de conceptualisation qui a conduit à une remise à plat complète du code pénal n'a jamais été fait pour le code de procédure pénale.
Celui-ci résulte ainsi de stratifications successives, qui ne sont elles-mêmes pas raisonnées, mais contraintes. Ceci accentue le caractère désordonné du code. Ainsi, lorsqu'un arrêt de la cour de cassation modifiant le régime de la garde à vue est diffusé dans les juridictions un vendredi après-midi à 16 heures, et qu'un quart d'heure plus tard, il faut transformer toutes les gardes à vue de France de manière prémonitoire en fonction de la réforme légale à venir, il ne s'agit pas d'une réforme, mais d'une contrainte supplémentaire qui s'abat sur les enquêteurs, sur le parquet, sur les juges d'instruction... Si la cour européenne des droits de l'homme rend un arrêt concernant la sonorisation, par exemple, il faut entreprendre la réforme correspondante.
Nous ne maîtrisons donc pas - et n'avons jamais maîtrisé au cours des quinze dernières années - l'évolution de notre code de procédure pénale, qui se fait au coup par coup en fonction de contraintes extérieures et non au terme d'une réflexion structurée et organisée. La logique originelle ou originale que l'on aurait pu déceler dans le code de procédure pénale est donc mise à mal au fil de réformes conjoncturelles.
La première préconisation de M. Franck Natali et moi-même vise donc à réécrire le code de procédure pénal, de manière logique, et à droit constant dans un premier temps. Il faut rétablir une cohérence, avec un tronc commun d'enquête, des exceptions liées par exemple à la flagrance ou à la gravité, etc. Il faut nettoyer le ramassis de dispositions actuel, qui sont non seulement difficiles à suivre mais également jamais en cohérence complète avec les réformes précédentes. À titre d'exemple, il existe aujourd'hui huit ou neuf régimes de garde à vue différents. La plupart des enquêteurs comme des parquetiers sont donc contraints de vérifier à chaque fois quel régime est applicable, selon que l'intéressé est mineur de moins de treize ans, qu'il y a flagrance, qu'il s'agit d'une enquête préliminaire, etc. Ce sera seulement une fois que le travail de réécriture logique du code de procédure pénale aura été effectué que l'on pourra entreprendre de nouvelles réformes de fond.
Par ailleurs, notre retard technologique est en effet considérable. Sa résorption à droit constant faciliterait le travail des enquêteurs, du parquet, des juges et des barreaux. Nous avons fait diverses propositions à ce sujet.
En ce qui concerne l'oralisation totale, j'avais évoqué l'idée dans mon rapport de 2014 par provocation délibérée. En effet, il est impossible d'oraliser complètement une procédure. Dans un monde de garantie des libertés individuelles, qui est établi par les obligations internationales et par notre tradition juridique démocratique nationale, l'oralisation totale n'est pas envisageable.