Intervention de Jacques Beaume

Commission d'enquête état des forces de sécurité intérieure — Réunion du 8 mars 2018 à 16h15
Audition de Mm. Jacques Beaume procureur général honoraire et franck natali avocat au barreau de l'essonne et ancien bâtonnier coauteurs du rapport « amélioration et simplification de la procédure pénale » livre 2 des chantiers de la justice

Jacques Beaume :

Monsieur le rapporteur, vous décrivez une situation idéale, mais elle n'est pas celle que j'ai rencontrée en tant que procureur général. J'avais d'excellents rapports avec les élus, telle n'est pas la question. Mais au quotidien, un policier municipal ne s'estime pas du tout lié au procureur de la République, y compris lorsqu'il a des tâches judiciaires : il s'estime lié à son maire. Il y a donc toute une culture à changer.

Pour autant, et j'y insiste, je ne suis pas défavorable à ce qu'un policier municipal puisse mener une audition sans garde à vue ni rétention notamment, à l'occasion de la violation d'un arrêté municipal.

Concernant le régime de la nullité des procédures, le débat est colossal. J'avais entrevu dans le rapport de 2014 deux évolutions possibles : une vision « maximale » consistant à transformer notre régime de nullité sur le modèle européen, pour en conférer l'appréciation au juge au coup par coup. Il s'agirait de se demander si l'équité du procès a été ou non globalement altérée par le facteur de nullité soulevé. Si ce n'est pas le cas, on n'annule pas. Si on estime que l'équité du procès a été atteinte, au moins partiellement, on applique alors, comme le font les hollandais, un système de dégrèvement de peine, proportionnel à l'atteinte aux droits constatée. Le juge est alors chargé d'évaluer la bonne proportion de dégrèvement de peine. C'est contraire à notre culture juridique, cela nous choque et j'ai hérissé tous les barreaux de France et de membres de la Cour de cassation en formulant cette proposition, car le droit de la nullité est une « vache sacrée » en France. Cette réforme ne me parait donc pas envisageable en France.

Puisqu'on ne peut malheureusement pas s'engager dans cette voie, la première chose à faire consisterait au moins à différencier les facteurs de nullité. Il doit y en avoir sept ou huit : par exemple la nullité absolue, la nullité relative, la nullité d'ordre public, la nullité sans grief, même si toute nullité fait un peu grief.

La Cour de cassation dit que les choses sont bien rôdées, qu'on sait maintenant ce qui est ou non facteur de grief. Je ne le crois pas : concrètement, on ne peut jamais anticiper ce qui va être décidé : parfois, la jurisprudence de la chambre criminelle en matière de nullité, qui est à ses yeux structurée et clarifiée, surprend. Elle surprend certes le profane, mais ce qui est plus étonnant c'est qu'elle surprend les magistrats eux-mêmes. Je peux même citer un exemple d'annulation d'un arrêt d'une cour d'assises d'appel du simple fait de l'absence d'apposition dans le dossier de la mention indiquant que l'expert-psychiatre avait bien été convoqué, alors même que l'expert en question était effectivement venu et avait déposé. Comme il n'y avait pas cette mention, et qu'en outre il n'y a pas eu de condamnation de l'accusé, le procès a été annulé.

Je suis très favorable à cette conception européenne consistant à fonder la nullité sur l'atteinte effective au procès équitable, et non pas sur de simples critères formels. Mais j'ai bien conscience que n'est pas culturellement envisageable chez nous. Les tergiversations de nos juristes, très latins, qui considèrent qu'une procédure est nulle ou ne l'est pas ; ne le permettent pas.

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