Intervention de Virginie Jacob

Commission d'enquête état des forces de sécurité intérieure — Réunion du 13 mars 2018 à 16h00
Audition de représentants de l'union des policiers nationaux indépendants upni

Virginie Jacob :

En 2013, j'ai tenté de mettre fin à mes jours et j'ai été dans le coma pendant plus d'une semaine. Dans ma section d'intervention, j'étais la seule femme et la seule gradée, ce qui déplaisait à mon supérieur direct, qui était major, et à mon officier, qui était capitaine, et qui depuis est devenu commandant ! J'avais à l'époque demandé à être reçue par le commissaire de police, ce qui m'avait été refusé, et par le directeur départemental, ce qui m'avait été également refusé. À cela s'est ajouté des problèmes personnels, d'où une dépression. Au lieu d'être entendue par ma hiérarchie, on a voulu me désarmer, ce qui signifiait être placée dans une autre unité. D'où le passage à l'acte et c'est ma fille de 15 ans qui m'a sauvé la vie.

Cette histoire est tristement banale : depuis le 1er janvier, 18 suicides dans la police. Les réseaux sociaux permettent de se parler et j'ai fait du suicide mon cheval de bataille car il peut être évité.

En cas de problème, nous avons une psychologue. Mais elle a 23 ans, aucune connaissance du métier de policier, et il faut attendre quinze jours pour un rendez-vous qui a lieu... au sein du service : autant dire que tout le monde est au courant que vous allez mal !

La police que j'ai connue en 1992, lors de mon entrée en poste, n'existe plus : aujourd'hui, elle déshumanise. Il faut être irréprochable aussi bien en service que dans sa vie privée.

À Montauban, une collègue a été défigurée il y a quatre ans à l'occasion d'une intervention. Elle ne voulait pas reprendre son service mais le médecin de l'administration l'y a obligée et elle a été affectée en police secours. Elle a tenté de se suicider mais la hiérarchie a fait courir le bruit qu'elle avait été agressée, peut-être par son mari. Lorsqu'elle est sortie du coma la semaine dernière, elle a confirmé son geste.

Savez-vous ce que m'a demandé le médecin de la police lorsque j'ai repris mon poste début mars ? Il m'a demandé comment j'avais l'intention de mourir : je l'ai enregistré car je savais qu'il avait déjà posé les mêmes questions à des collègues. Cet enregistrement ne vaut hélas rien au pénal.

J'aime mon métier, et si je pouvais modifier mes choix, je ne le ferais pas. Je recommencerais tout de la même manière. Nous vous faisons des propositions concrètes dans le document que nous vous avons transmis, qui portent sur les suicides. La mise en oeuvre de ces propositions ne coûte rien, mais ce mode de management, qui consiste à diviser pour mieux régner, cette déshumanisation, est insupportable.

Un médecin de la police peut annuler un arrêt maladie en quelques secondes, et estimer que les décisions prises par les autres médecins, par exemple le psychiatre qui a prescrit l'arrêt suite à un burn-out, ne sont pas valables.

J'ai, à l'époque, déposé plainte pour harcèlement moral et j'ai été reçu par le substitut du procureur, qui m'a indiqué que ce que je subissais était inadmissible. Ceci m'a valu 70 auditions, 263 jours d'interruption temporaire de travail, mais le procureur de la République de Metz a finalement relevé une « absence de fait ». Un des éléments constitutifs du harcèlement moral est l'intention coupable. Or, le management de la police n'avait évidemment pas cette intention, ils souhaitaient simplement me voir disparaître du service... Mais je ne le voulais pas, je faisais mon métier et j'étais bien noté. En réalité, un procureur ne voudra jamais embêter son ami directeur départemental de la sécurité publique.

J'ai aimé mon métier, mais j'ai également voulu mourir pour lui, car j'étais écoeurée. Au moment où j'étais le plus mal, on m'a mis la tête sous l'eau, et je n'étais pas la seule. Beaucoup de collègues qui ont lu mon histoire m'ont dit avoir vécu la même chose.

Nous vous faisons donc des propositions très concrètes pour que cela change, comme le fait de remettre en place les débriefings. Lors de l'intervention à Woippy contre une personne ayant fait une crise de schizophrénie et éventré sa belle-mère et ses deux enfants, les collègues sont arrivés sur place et ont assisté à une scène extrêmement choquante. Après l'intervention, ils ont dû rentrer chez eux, comme si de rien n'était.

Lorsque je suis entré dans la police, mon chef m'attendait, quelle que soit l'heure à laquelle je rentrais de l'intervention, pour parler avec moi. Nous discutions avec les anciens de la brigade. Cela n'existe plus.

S'agissant de l'accompagnement, il y a de très bonnes structures à l'extérieur dont nous pourrions tirer profit. Un flic se sentant mal doit pouvoir aller à l'extérieur. Dans un tel cas, il ne doit plus y avoir de contact avec l'administration.

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