Commission d'enquête état des forces de sécurité intérieure

Réunion du 13 mars 2018 à 16h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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  • intervention
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La réunion

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Le compte rendu ne sera pas publié.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Boutant

Bienvenue aux représentants de l'Union des policiers nationaux indépendants (UPNI) : MM. Christophe Robert Dit Ganier, Abdel Aziz Sakhi, Gbenoukpo Laurent Houndegla, Thomas Nesle, Sébastien Delbaere et Mme Virginie Jacob. Cette association fédère depuis 2016 des associations locales de policiers en colère afin de porter leur expression de manière indépendante des syndicats. Elle s'est notamment illustrée par le lancement, le 6 août dernier, d'un concours de photos ayant pour objectif d'attirer l'attention sur la vétusté des commissariats et qui eut un large retentissement médiatique. Que pensez-vous des mesures déjà prises pour améliorer la situation ? Quels sont les facteurs de blocage ? Que suggérez-vous ?

Cette audition est ouverte à la presse. Elle fera l'objet d'un compte rendu publié. Un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Christophe Robert Dit Ganier, Abdel Aziz Sakhi, Gbenoukpo Laurent Houndegla, Thomas Nesle, Sébastien Delbaere et Mme Virginie Jacob prêtent serment.

Debut de section - PermalienPhoto de François Grosdidier

Notre commission d'enquête a été constituée suite à l'expression d'un malaise policier par des manifestations débordant le cadre syndical et, plus tragiquement, à sa manifestation par une vague de suicide. Nous dressons un état des lieux. Les causes sont toujours multifactorielles. Quelles sont-elles, d'après vous ? Que proposez-vous ? Le législateur aura plusieurs occasions d'intervenir, au sujet de la police de sécurité du quotidien (PSQ), lors de la réforme de la procédure pénale ou encore avec le vote du budget.

La formation, initiale et continue, vous semble-t-elle suffisante ? L'encadrement est-il satisfaisant ? Il semble que les jeunes recrues soient parfois livrées à elles-mêmes. Elles sont en tous cas automatiquement affectées en région parisienne, et notamment en Seine-Saint-Denis, sans qu'aucun correctif ne doive être prochainement apporté à ce problème. Comment renforcer l'attractivité de la région parisienne ?

Que pensez-vous des conditions matérielles ? L'état du parc immobilier a suscité le concours de photos que vous avez lancé. Quid du parc automobile ? Et de l'équipement ? On nous dit que l'informatique est en cours d'amélioration. Nos interlocuteurs institutionnels nous expliquent toujours qu'ils font mieux que l'année passée, mais si la situation de départ était trop dégradée, cela peut être insuffisant.

Et le management ? La police semble avoir été ballottée entre police de proximité, objectifs quantitatifs, évolution du régime des primes... D'ailleurs, police et gendarmerie diffèrent sensiblement : on nous dit qu'à l'esprit de corps des gendarmes répond l'esprit de caste qui règnerait dans la police. Quel est le climat dans la police ? Rêvez-vous d'une autre ambiance de travail ?

Les annonces relatives à la PSQ, les 7 500 recrutements, l'allègement de la procédure pénale : tout cela vous semble-t-il à la hauteur ?

Debut de section - Permalien
Christophe Robert Dit Ganier

Il est rare que nous puissions nous exprimer devant le Parlement. En avril 2015, le médiateur de la police nationale faisait dans son rapport annuel un constat alarmant, et soulignait la nécessité de renforcer la cohésion interne de la police nationale. Malgré ce texte, et malgré un rapport l'année suivante de la commission des finances du Sénat, qui déplorait les carences financières et montrait combien le manque de moyens réduisait les capacités opérationnelles, la situation s'est encore dégradée. Vu le retard pris depuis vingt ans, les mesures annoncées ne suffisent aucunement.

L'irruption de la menace terroriste a conduit des unités qui n'étaient pas formées pour cela à s'investir pour la contrer. En effet, en cas d'attentat, ce sont les unités les plus proches qui interviennent les premières. En général, il s'agit de police-secours et des groupes de sécurité de proximité (GSP), et non des BAC ou des brigades de recherche et d'intervention (BRI). Alors que leur mission normale est de traiter les accidents, les différends familiaux, les flagrants délits ou les cambriolages, elles n'ont reçu pour faire face à la menace terroriste, en tout et pour tout, que deux heures de formation - alors que les unités spécialisées mettent des années à acquérir les logiques d'intervention et les automatismes requis par l'armement collectif - et leurs moyens de protection sont partiels, alors que l'attentat de Charlie Hebdo a montré combien une simple patrouille en VTT pouvait devenir périlleuse.

Debut de section - PermalienPhoto de François Grosdidier

Depuis la vague terroriste, toutes les unités ont-elles bien reçu une formation sur la primo-intervention en cas d'attentat ?

Debut de section - Permalien
Christophe Robert Dit Ganier

En principe, oui.

Debut de section - Permalien
Christophe Robert Dit Ganier

Mes collègues ont reçu cette formation. Mais elle ne dure qu'une demi-journée.

Debut de section - Permalien
Thomas Nesle

Cela dépend du niveau d'intervention. Le niveau 1 correspond à police-secours, qui doit établir un périmètre de sécurité. Le niveau 2 est celui des BAC et des compagnies de sécurisation et d'intervention (CSI). Mais les véhicules des BAC ne sont pas adaptés au matériel qui leur est fourni : on ne peut y transporter, pour quatre fonctionnaires, que deux gilets lourds et aucun casque. Quoi qu'il en soit, la formation ne suffit pas à changer la vocation d'une unité. Les véhicules des BAC sont des Peugeot 308 ou des Ford Focus, parfois des Ford Mondéo. Pour lutter contre la criminalité, elles ont besoin, en effet, de véhicules compacts et qui se faufilent aisément dans la circulation. Il n'est pas facile de trouver le juste milieu...

Debut de section - Permalien
Virginie Jacob

Certains fonctionnaires des BAC en sont réduits à 30 cartouches par an.

Debut de section - Permalien
Gbenoukpo Laurent Houndegla

Mais cela fait des économies !

Debut de section - PermalienPhoto de François Grosdidier

Et en cas d'usage de l'arme, le magistrat vérifie que les séances réglementaires ont bien été faites...

Debut de section - Permalien
Gbenoukpo Laurent Houndegla

Le recrutement de la police nationale a longtemps souffert de la concurrence avec le reste de la fonction publique. En effet, la police offre un métier passionnant mais tarde à intégrer ses jeunes recrues, et celles-ci doivent venir en région parisienne, ce qui occasionne des frais de déplacement et de logement qui font réfléchir les candidats. De plus, la mauvaise publicité qui est faite à notre police les dissuade. Quand on voit qu'il faut 300 pages dans les médias pour que le monde politique s'empare d'un problème, et que ce n'est qu'après celui-ci que notre hiérarchie s'y intéresse, il n'est pas difficile de comprendre qu'un policier suspecté de bavure est vite lâché - ce qui fait également réfléchir les candidats aux concours. Ceux-ci, du reste, ressemblent à la moyenne des jeunes Français, et leur niveau scolaire moyen est le même. Cette année, les écoles de police n'ont pas fait le plein, car une note inférieure à 8/20 à l'écrit était éliminatoire.

La formation initiale fonctionne selon une approche par compétence, où on demande au fonctionnaire de résoudre un cas avant d'organiser une simulation qui servira de base à un nouveau cycle. Cela prend plus de temps que de simples conférences, surtout avec des groupes d'une trentaine d'étudiants au lieu de 24. Le raccourcissement de la formation initiale n'empêchera pas de traiter l'essentiel, mais fera basculer une partie de la formation vers les centres régionaux.

Debut de section - PermalienPhoto de François Grosdidier

Il faut une formation après l'entrée en service opérationnel.

Debut de section - Permalien
Gbenoukpo Laurent Houndegla

D'où l'importance de la formation continue. La formation coûte cher, sans doute, mais son prix est celui de la sécurité de nos fonctionnaires de police - donc de celle de nos concitoyens. Elle est indispensable pour que nos policiers, notamment les plus jeunes, acquièrent un certain nombre de compétences et de savoir-faire. Mais elle ne prendra toute l'ampleur nécessaire que le jour où les chefs de service pourront la comptabiliser comme de l'opérationnel.

Debut de section - Permalien
Gbenoukpo Laurent Houndegla

Sur les statistiques.

Debut de section - Permalien
Christophe Robert Dit Ganier

Du temps de présence sur la voie publique dépend surtout la prime !

Debut de section - Permalien
Sébastien Delbaere

La police a besoin de s'adapter au réel, elle ne peut pas s'enfermer dans la bureaucratie. Voilà le véritable enjeu de management. Capitaine de police en service de nuit, je suis proche de mes hommes, mais une telle situation devient anecdotique, tant l'étirement du corps des officiers, corrélé à l'attrition de celui des commissaires, détache ceux-ci du terrain pour les affecter à des tâches de gestion. Quant aux commissaires, ce sont de purs hauts fonctionnaires, sans aucun contact avec le métier lui-même. En réalité, ce sont désormais les brigadiers chefs qui sont sur le terrain. Nous souhaiterions que cette structure s'aplanisse, notamment par le développement de formations communes.

Debut de section - PermalienPhoto de François Grosdidier

On nous décrit un esprit de caste qui opposerait les trois corps.

Debut de section - Permalien
Sébastien Delbaere

Un apartheid, oui !

Debut de section - PermalienPhoto de François Grosdidier

Comme il n'y a plus d'officiers sur le terrain, les procureurs en viennent à se plaindre de la disparition des OPJ.

Debut de section - Permalien
Sébastien Delbaere

Les chefs de service se plaignent aussi et, pour certains, songent à changer de métier : s'ils sont entrés dans la police, ce n'est pas pour faire de la gestion de ressources humaines !

Debut de section - Permalien
Sébastien Delbaere

Ils s'occupent aussi des moyens, dont il faudrait décentraliser et relocaliser la gestion. Ce n'est pas faire de la police.

Debut de section - Permalien
Thomas Nesle

Dans le Val-de-Marne, les Brigades spécialisées de terrain (BST) ont tout simplement été transformés en PSQ.

Debut de section - Permalien
Thomas Nesle

Il faut attendre pour voir le résultat de cette évolution. Mais certains collègues ne sont pas très enthousiastes à l'idée de changer de métier, car l'objet des BST était la lutte contre les trafics dans les cités, non la prise de contact avec les commerçants...

Debut de section - Permalien
Thomas Nesle

Cela risque d'être le cas dans la plupart des zones.

Debut de section - Permalien
Gbenoukpo Laurent Houndegla

Dans la police, personne ne veille à la cohérence entre ce qu'apprennent les adjoints de sécurité, les gardiens de la paix, les officiers et les commissaires.

Debut de section - Permalien
Gbenoukpo Laurent Houndegla

L'école des commissaires de police est un établissement public à part. Les formations y sont conçues séparément.

Debut de section - Permalien
Gbenoukpo Laurent Houndegla

Il n'y en a pas. Un capitaine de police formé à Cannes-Écluse peut être remplacé parfois par un gardien de la paix qui, à 80 %, aura appris des choses différentes au cours de sa formation.

Debut de section - Permalien
Sébastien Delbaere

Cela ne peut qu'accroître la défiance entre corps. C'est pourquoi nous préconisons la création d'une grande académie de police, où les trois corps recevraient des formations communes, au moins pendant certaines périodes.

Debut de section - Permalien
Gbenoukpo Laurent Houndegla

Cela existe déjà pour les techniciens de police scientifique et technique.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Boutant

Il existe une académie de formation pour le renseignement.

Debut de section - Permalien
Thomas Nesle

Autre sujet : la virulence contre la police ne fait que s'accroître. Il faudrait sanctuariser notre profession - comme celle des pompiers.

Debut de section - PermalienPhoto de François Grosdidier

Les peines pour outrage à policier ont été alignées sur celles relatives aux magistrats - comme celles concernant les pompiers. Le législateur a agi, donc, mais la jurisprudence suit-elle ? Votre administration fait-elle poursuivre ?

Debut de section - Permalien
Sébastien Delbaere

Non, et c'est un problème. À notre recrutement, on nous disait que le danger était désormais plus juridique que physique - mais la donne a changé avec les attentats. Pour autant, l'État a le devoir de défendre ses policiers, comme le stipule l'article R 434-7 du code de déontologie. Or il ne le fait jamais. Et le policier, qu'on attaque si souvent, ne peut se retourner contre l'État quand celui-ci ne remplit pas ses obligations. Cette injustice est de plus en plus insupportable.

Debut de section - PermalienPhoto de François Grosdidier

Comment apporter des preuves tangibles ? Avec des caméras ?

Debut de section - Permalien
Thomas Nesle

Pour les unités en tenue, les caméras-piéton sont une bonne idée. En revanche, elles ne sont pas adaptables aux unités en civil qui ont besoin d'être discrètes.

Debut de section - Permalien
Thomas Nesle

Effectivement.

Je vous ai amené un Néo: c'est un smartphone qui permet de consulter les fichiers, ce qui est un progrès, mais qui n'a pas la fonction téléphone. En civil, je suis donc obligé d'avoir mon téléphone dans une poche, le Néo dans l'autre sans oublier ma radio. C'est d'une totale discrétion... Pourquoi ne pas nous laisser téléphoner sur ce smartphone plutôt que de nous obliger à passer par les ondes ? En outre, si nous avions l'application WhatsApp, nous pourrions converser à plusieurs lors d'une intervention, mais les applications sont bloquées. Enfin, il n'est pas possible de transmettre les fichiers par une application vocale. Un fonctionnaire ne peut donc participer au dispositif puisqu'il s'occupe de la transmission des fichiers.

Debut de section - Permalien
Sébastien Delbaere

Nul besoin d'augmenter les peines pour outrage ; commençons par les faire prononcer. Mes collègues déposent systématiquement plainte pour outrage, mais notre administration ne nous soutient guère. C'est l'OPJ qui la traite.

Debut de section - PermalienPhoto de François Grosdidier

Votre administration ne met pas à votre disposition des avocats ? Les mairies, quant à elles, soutiennent leurs polices municipales.

Debut de section - Permalien
Sébastien Delbaere

Nous devons trouver les formulaires et contacter un avocat.

Debut de section - Permalien
Thomas Nesle

La procédure est dissuasive. Certains collègues ne déposent pas plainte pour outrage en raison des lourdeurs administratives : le fonctionnaire doit être auditionné avant de déposer plainte. Une fois que le juge a rendu sa décision, nous devons saisir le service pour être indemnisé. Rien n'est automatisé.

Debut de section - Permalien
Gbenoukpo Laurent Houndegla

Dans les cas d'outrage, l'État devrait saisir le juge.

Debut de section - PermalienPhoto de Samia Ghali

Certes, il vous faut des véhicules plus performants que ceux des criminels, mais vous dites que vous ne pouvez utiliser le matériel à votre disposition du fait de son encombrement. Comment améliorer la situation ?

Face à une délinquance qui a évolué, j'ai le sentiment que votre école de formation est d'un autre âge.

Je suis atterrée d'apprendre que le chef de service encaisse les primes, et pas les agents sur le terrain. C'est choquant.

La semaine dernière, j'ai assisté à la présentation de la PSQ à Marseille : un vrai catalogue de la Redoute ! J'ai publié un communiqué de presse pour dire que je ne croyais pas une seconde que cette PSQ répondrait à tous les objectifs qu'on lui assigne. En outre, il faudrait des moyens supplémentaires. Or, j'ai plutôt l'impression qu'on déshabille Pierre pour habiller Paul...

La semaine dernière encore, des policiers à la Castellane se sont retrouvés piégés face à une centaine de jeunes. On a frôlé la catastrophe. Alors, demain la PSQ ira dans les cités ? C'est juste impossible !

Debut de section - PermalienPhoto de François Grosdidier

D'après ce qui est dit, la PSQ répondra à des politiques territorialisées en fonction des situations.

Debut de section - PermalienPhoto de Samia Ghali

Le préfet a annoncé que la PSQ serait mise en place en 2019 - ce n'est pas demain ! - et qu'elle se bornerait à aller voir les commerçants, à collecter des renseignements et à mettre des amendes.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Capo-Canellas

En vous écoutant, j'ai le sentiment que vous dénoncez l'absence de cohésion dans la police. Chaque corps a sa formation, ses pratiques, ses méthodes. J'ai même l'impression qu'il manque du lien dans les commissariats. Comment sortir de cette situation ? N'est-ce pas aux patrons de recréer du lien ?

Debut de section - Permalien
Virginie Jacob

Depuis dix à quinze ans, c'est le règne du diviser pour mieux régner dans la police nationale. Ce sont nos patrons qui ont instauré ce climat. La politique du chiffre est insupportable car elle monte les unités les unes contre les autres à coups de statistiques. En Moselle, les chiffres des contraventions sont adressés à tous les commissariats, si bien que ceux qui ont de moins bonnes statistiques sont traités de faignants. Comment demander à notre hiérarchie d'introduire plus de cohésion ? Il faudrait qu'elle commence par revoir sa politique de management.

Debut de section - Permalien
Sébastien Delbaere

La réforme de 1995 a profondément modifié le visage de la police. Dès 1996, un livre écrit par un sociologue sur le management dans la police pointait les dysfonctionnements. Depuis 22 ans, rien n'a changé. Les patrons doivent parvenir aux objectifs qui leur sont assignés. Certains sont très faciles à atteindre, ce qui permet d'attribuer des primes aux fonctionnaires qui sont bien vus. Divers objectifs sont fixés aux officiers et aux gardiens, ce qui permet de distribuer primes et sanctions de façon tout à fait arbitraire. Dans ma commune, on nous demande par exemple d'effectuer des contrôles de vitesse le lundi à 5 heures : vous ne verbalisez que des travailleurs. En même temps, on nous dit qu'il ne faut pas poursuivre les délits de fuite. Pour les policiers de terrain, c'est incompréhensible. Nos chefs devraient être plus près du terrain pour mieux comprendre la réalité vécue au jour le jour par les policiers.

Dans la gendarmerie, les corps correspondant à celui des officiers et celui des commissaires ont fusionné. Chacun a donc une expérience de terrain pour ensuite pouvoir donner des ordres.

Debut de section - Permalien
Thomas Nesle

Les promotions internes devraient être plus nombreuses pour que les patrons soient plus proches du terrain. Peut-être faudrait-il aussi recréer les amicales dans les commissariats, amicales qui ont été supprimées après des abus. Cela permettrait aussi de détecter les collègues qui ne vont pas bien. Aujourd'hui, on est dans un individualisme forcené : chacun mène sa carrière sans se préoccuper de ses collègues. Ce n'est pas le cas dans la police secours et dans les BAC car nous avons besoin de travailler ensemble sur la voie publique.

Pourquoi ne pas construire des commissariats avec des casernes de pompiers ? Cela permettrait de mettre en commun les infrastructures, notamment les gymnases et les salles de sport. Les fonctionnaires de police seraient également mieux formés aux premiers secours.

Debut de section - Permalien
Virginie Jacob

En Moselle, nous avons une belle maison de police à Woippy.

Debut de section - Permalien
Virginie Jacob

Effectivement. Cela fait 16 ans que je travaille à Metz en section d'intervention. Cette maison de police offre une belle infrastructure. La mise en commun d'équipements est une piste très intéressante.

Debut de section - Permalien
Thomas Nesle

Et pourquoi ne pas prévoir des appartements comme dans les casernes des pompiers ? En Région parisienne, ce serait extrêmement utile aux nouveaux promus dans la police qui sont souvent des provinciaux.

Debut de section - Permalien
Gbenoukpo Laurent Houndegla

Au lieu de rapprocher les commissaires des lieutenants-capitaines et commandants, des grades supplémentaires ont été créés pour les commissaires. La police nationale française est une des rares polices où l'on peut devenir chef suprême sans jamais avoir fait de terrain. Un général de gendarmerie a commencé au grade de lieutenant. Un commissaire est entré au grade de commissaire. Si vous ne savez pas à qui vous parlez, vous ne parlez pas le même langage. Si le cadre de référence n'existe pas, le dialogue est impossible.

Debut de section - Permalien
Abdel Aziz Sakhi

Le général Favier est entré en 1994 avec son équipe dans un avion qui avait été détourné. C'est lui qui m'a incité à entrer dans la gendarmerie. J'ai été gendarme pendant trois ans et demi avant d'être CRS. Cet homme a fait du terrain et ses troupes le suivent les yeux fermés. Dans la police, nos dirigeants ne connaissent pas notre quotidien.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Boutant

Vous estimez donc que les commissaires sont trop dans le conceptuel, le théorique, et qu'ils descendent rarement sur le terrain.

Debut de section - Permalien
Gbenoukpo Laurent Houndegla

Ils sont absorbés par la paperasserie.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Boutant

Après la tragédie de Sivens, la général Favier a soutenu dès le soir même les gendarmes qui étaient sur place. Pourquoi être passé à la police, Monsieur Sakhi ?

Debut de section - Permalien
Abdel Aziz Sakhi

J'ai passé les concours de gendarme adjoint et de gardien de la paix et j'ai choisi la police, tout en étant réserviste dans la gendarmerie.

Les CRS sont une entité à part, en dépit du fait qu'ils appartiennent à la police. Dans les véhicules faits pour six personnes, nous ne pouvons être que cinq, étant donné tout le matériel que nous devons transporter avec nous.

Debut de section - PermalienPhoto de François Grosdidier

Pourriez-vous nous faire une note précise sur le sujet ? Nous avons besoin de faits précis, concrets.

Debut de section - Permalien
Abdel Aziz Sakhi

Je suis secouriste opérationnel CRS: je dois donc avoir mon sac de secours, mon gilet de secours, mes affaires de maintien de l'ordre avec mon casque, mes boucliers, mon lanceurs de grenades, mes grenades. Je devrais avoir mes jambières mais je ne les prends plus car cela prend trop de place... Un tireur de précision doit avoir avec lui tout le matériel que j'ai énuméré plus son fusil à lunette et un fusil d'assaut.

Il y a quelques mois, nous avons été pris à partie à Calais par une cinquantaine de personnes : heureusement que les portes n'ont pas lâché !

Debut de section - Permalien
Thomas Nesle

Je déplore le manque de concertation en matière de matériel.

Debut de section - PermalienPhoto de François Grosdidier

Y a-t-il comme dans l'armée un retour systématique d'expérience ?

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Boutant

Disposez-vous d'une instance pour échanger avec votre hiérarchie ?

Debut de section - Permalien
Christophe Robert Dit Ganier

Le plus souvent, on nous dit qu'il n'y a plus de budget, et donc qu'il faut continuer avec le matériel dont on dispose.

Debut de section - Permalien
Thomas Nesle

En BAC départemental, aucun de mes collègues n'a été consulté au moment de la mise en place du plan BAC. Les BAC ne sont pas faites pour intervenir en cas d'acte terroriste. Et pourtant, telle est aussi une des missions qui nous est assignée, si bien que nous sommes dotés de matériels dont nous ne nous servons pas. Nous ne pouvons à la fois faire de l'anti-crime, des filatures et avoir des équipements lourds, avec par exemple un G-36 caché dans un coffre au fond de notre coffre...

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Boutant

Si un acte terroriste se produit dans le quartier où vous êtes, il faut bien intervenir, d'où le matériel dont vous disposez.

Debut de section - Permalien
Virginie Jacob

Des sections d'intervention sont habituées à travailler en unités constituées et elles suivent des formations régulières. Pourquoi demander aux BAC d'intervenir ? C'est n'importe quoi.

Debut de section - PermalienPhoto de Samia Ghali

Les gendarmes sont mieux perçus par la population que les CRS. Pourquoi ?

Debut de section - Permalien
Abdel Aziz Sakhi

Tout est dans la formation. Gendarmes et policiers ont la même passion et les mêmes missions. Les gendarmes mobiles sont bien mieux formés que les CRS. 75 % des effectifs CRS sont sur le terrain tandis que, pour la gendarmerie, c'est 25 %. Pour les 75 % restants, ils sont en différentes alerte, comme l'alerte Puma, ou en formation. En revanche, les CRS remplissent leurs missions, effectuent leurs deux ou trois semaines de déplacements, se reposent, puis repartent en déplacement... Ne restent, par an, que quinze jours de période de recyclage des unités (PRU), c'est-à-dire de formation. Nous n'avons pas le temps d'être formés.

Par exemple, ma formation de secouriste a duré en tout et pour tout une semaine : il a fallu apprendre à mettre un garrot, réagir face à des blessures faites par des armes de guerre, créer des lits de blessés, ce qui veut dire qu'au Bataclan, j'aurais dû trier les blessés en fonction de leur état. Quelle responsabilité !

Debut de section - Permalien
Sébastien Delbaere

À Rome, les unités antiterroristes disposent de véhicules blindés. Nous pourrions en avoir un par circonscription, ce qui permettrait à cette unité de réagir en cas d'attentat. Des solutions sont possibles ; encore faut-il disposer des moyens adéquats.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Boutant

J'aimerais que Mme Jacob nous dise quel est son parcours.

Debut de section - Permalien
Virginie Jacob

En 2013, j'ai tenté de mettre fin à mes jours et j'ai été dans le coma pendant plus d'une semaine. Dans ma section d'intervention, j'étais la seule femme et la seule gradée, ce qui déplaisait à mon supérieur direct, qui était major, et à mon officier, qui était capitaine, et qui depuis est devenu commandant ! J'avais à l'époque demandé à être reçue par le commissaire de police, ce qui m'avait été refusé, et par le directeur départemental, ce qui m'avait été également refusé. À cela s'est ajouté des problèmes personnels, d'où une dépression. Au lieu d'être entendue par ma hiérarchie, on a voulu me désarmer, ce qui signifiait être placée dans une autre unité. D'où le passage à l'acte et c'est ma fille de 15 ans qui m'a sauvé la vie.

Cette histoire est tristement banale : depuis le 1er janvier, 18 suicides dans la police. Les réseaux sociaux permettent de se parler et j'ai fait du suicide mon cheval de bataille car il peut être évité.

En cas de problème, nous avons une psychologue. Mais elle a 23 ans, aucune connaissance du métier de policier, et il faut attendre quinze jours pour un rendez-vous qui a lieu... au sein du service : autant dire que tout le monde est au courant que vous allez mal !

La police que j'ai connue en 1992, lors de mon entrée en poste, n'existe plus : aujourd'hui, elle déshumanise. Il faut être irréprochable aussi bien en service que dans sa vie privée.

À Montauban, une collègue a été défigurée il y a quatre ans à l'occasion d'une intervention. Elle ne voulait pas reprendre son service mais le médecin de l'administration l'y a obligée et elle a été affectée en police secours. Elle a tenté de se suicider mais la hiérarchie a fait courir le bruit qu'elle avait été agressée, peut-être par son mari. Lorsqu'elle est sortie du coma la semaine dernière, elle a confirmé son geste.

Savez-vous ce que m'a demandé le médecin de la police lorsque j'ai repris mon poste début mars ? Il m'a demandé comment j'avais l'intention de mourir : je l'ai enregistré car je savais qu'il avait déjà posé les mêmes questions à des collègues. Cet enregistrement ne vaut hélas rien au pénal.

J'aime mon métier, et si je pouvais modifier mes choix, je ne le ferais pas. Je recommencerais tout de la même manière. Nous vous faisons des propositions concrètes dans le document que nous vous avons transmis, qui portent sur les suicides. La mise en oeuvre de ces propositions ne coûte rien, mais ce mode de management, qui consiste à diviser pour mieux régner, cette déshumanisation, est insupportable.

Un médecin de la police peut annuler un arrêt maladie en quelques secondes, et estimer que les décisions prises par les autres médecins, par exemple le psychiatre qui a prescrit l'arrêt suite à un burn-out, ne sont pas valables.

J'ai, à l'époque, déposé plainte pour harcèlement moral et j'ai été reçu par le substitut du procureur, qui m'a indiqué que ce que je subissais était inadmissible. Ceci m'a valu 70 auditions, 263 jours d'interruption temporaire de travail, mais le procureur de la République de Metz a finalement relevé une « absence de fait ». Un des éléments constitutifs du harcèlement moral est l'intention coupable. Or, le management de la police n'avait évidemment pas cette intention, ils souhaitaient simplement me voir disparaître du service... Mais je ne le voulais pas, je faisais mon métier et j'étais bien noté. En réalité, un procureur ne voudra jamais embêter son ami directeur départemental de la sécurité publique.

J'ai aimé mon métier, mais j'ai également voulu mourir pour lui, car j'étais écoeurée. Au moment où j'étais le plus mal, on m'a mis la tête sous l'eau, et je n'étais pas la seule. Beaucoup de collègues qui ont lu mon histoire m'ont dit avoir vécu la même chose.

Nous vous faisons donc des propositions très concrètes pour que cela change, comme le fait de remettre en place les débriefings. Lors de l'intervention à Woippy contre une personne ayant fait une crise de schizophrénie et éventré sa belle-mère et ses deux enfants, les collègues sont arrivés sur place et ont assisté à une scène extrêmement choquante. Après l'intervention, ils ont dû rentrer chez eux, comme si de rien n'était.

Lorsque je suis entré dans la police, mon chef m'attendait, quelle que soit l'heure à laquelle je rentrais de l'intervention, pour parler avec moi. Nous discutions avec les anciens de la brigade. Cela n'existe plus.

S'agissant de l'accompagnement, il y a de très bonnes structures à l'extérieur dont nous pourrions tirer profit. Un flic se sentant mal doit pouvoir aller à l'extérieur. Dans un tel cas, il ne doit plus y avoir de contact avec l'administration.

Debut de section - Permalien
Gbenoukpo Laurent Houndegla

Je suis à la section des formateurs de formateurs à la division de l'ingénierie pédagogique. Nous sommes chargés de concevoir les formations. Nous sommes en contact avec les psychologues des écoles. Une jeune psychologue en poste à Saint-Malo nous a dit, lors d'un stage, vouloir apprendre aux jeunes gardiens de la paix à travailler en équipe. Nous ne savons plus faire cela dans la police nationale. J'espère donc que ce type de formations sera bientôt proposé aux gardiens de la paix.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Boutant

Je vous remercie pour l'ensemble des éléments que vous nous avez apportés.

La réunion est close à 20 h 10.