Certes, personne n’est obligé de partager avec moi ce sentiment, et je respecte parfaitement les positions de mes contradicteurs. Mais cette source me conduit à penser que la science ne peut pas se servir d’un être humain au profit d’un autre pour élaborer une molécule, en l’occurrence un médicament, en vue de guérir un autre patient. Car je crois qu’il y a une vie cachée dans cette cellule initiale.
En fin de compte, ce qu’il estdemandé au législateur, c’est de sortir du labyrinthe que nous avons construit en acceptant de congeler des embryons surnuméraires. Car ce sont aujourd'hui près de 150 000 embryons surnuméraires – l’équivalent de la population d’une ville comme Aix-en-Provence – que nous conservons dans nos congélateurs !
Au-delà des arguments de raison que je m’efforce de mettre en avant depuis sept ans, ce sont des éléments d’information que je veux apporter en abordant cette deuxième lecture.
Le travail de documentation que je mène systématiquement sur les recherches relatives aux cellules souches m’a permis de constater que, depuis la première lecture, quinze découvertes ont fait l’objet d’une publication, majoritairement aux États-Unis, à partir de cellules souches, avec des cellules aussi variées que des cellules souches embryonnaires animales, des cellules à l’origine de l’endoderme pulmonaire, des IPS obtenues à partir de cellules de peau, des cellules souches du sang de cordon – pour reprogrammer des cellules cardiaques et de la moelle osseuse –, et une seule à partir de cellules souches embryonnaires humaines. Madame la secrétaire d'État, je tiens ce tableau à votre disposition.
Cette expérience sur des cellules souches embryonnaires humaines a été menée en Corée du Sud pour reconstituer des rétines endommagées et a été suivie, moins de trois semaines après, d’une découverte similaire, réalisée à l’université Harvard, mais à partir des fameuses cellules IPS. Déjà testée sur des souris, elle pourrait permettre de traiter la cécité, notamment la dégénérescence maculaire, la rétinopathie diabétique et la rétinite pigmentaire.
Il faut d’ailleurs noter que, dans le domaine de la modélisation de pathologies et du criblage, ces nouvelles molécules, les cellules IPS, qui n’ont pas, j’en conviens, monsieur le rapporteur, de vertus thérapeutiques, se révèlent plus efficaces que les cellules embryonnaires. En l’espace de trois ans seulement, les cellules IPS ont permis de modéliser plus d’une dizaine de maladies.
Où est donc, par rapport à cela, la valeur ajoutée de la recherche sur l’embryon ?
De fait, à l’inverse, les Britanniques, qui jouissent depuis vingt ans d’une autorisation absolue en matière de recherches sur l’embryon, n’ont obtenu – les chercheurs présents dans cette enceinte le savent bien – aucun résultat dans ce domaine.
Voilà un premier ensemble de faits, mes chers collègues. Mais ce n’est pas tout !
La révolution scientifique opérée grâce à la découverte, en 2007, du professeur Yamanaka sur les cellules IPS a été récemment suivie par une révolution juridique, et c’est le second élément d’information que je tiens à porter à votre connaissance.
Ainsi, le procureur près la Cour de justice de l’Union européenne a rendu, en mars dernier, un avis sur la brevetabilité et l’utilisation à des fins industrielles ou commerciales de l’embryon humain.
Il a ainsi précisé qu’« une invention doit être exclue de la brevetabilité lorsque la mise en œuvre du procédé technique soumis au brevet utilise des cellules souches embryonnaires dont le prélèvement a impliqué la destruction ou même l’altération de l’embryon ». Selon lui, « donner une application industrielle à une invention utilisant des cellules souches embryonnaires reviendrait à utiliser les embryons humains comme un banal matériau de départ ».
Il a ajouté que « l’exception à l’interdiction de brevetabilité des utilisations d’embryons humains à des fins industrielles ou commerciales concerne les seules inventions ayant un objectif thérapeutique ou de diagnostic qui s’appliquent à l’embryon humain et lui sont utiles ». C’est pourquoi j’ai déposé un sous-amendement à l’amendement de notre collègue Jean-Claude Gaudin pour remplacer : « médicaux » par « thérapeutiques. »
En d’autres termes, si l’embryon est un patient, alors oui, on peut effectuer une recherche sur lui à condition que cela soit à son profit direct. Mais dès lors qu’il devient matériau, on a franchi la limite éthique acceptable pour notre société.
À cet égard, j’ai étudié l’ensemble des protocoles qui ont été autorisés en France par l’Agence de la biomédecine – je tiens d’ailleurs à remercier ici sa directrice de nous les avoir transmis –, et je puis vous dire que je n’en ai pas trouvé un seul qui porte sur des cellules embryonnaires provenant d’un embryon dont il aurait impliqué la destruction, ou qui travaille sur des lignées provenant de la destruction d’un embryon.
C'est la raison pour laquelle, me fondant sur ces arguments à la fois juridiques et scientifiques, j’ai déposé un amendement visant à interdire la recherche sur l’embryon lorsque celle-ci porte atteinte à l’intégrité ou à la viabilité de l’embryon.
Avant de conclure, je voudrais vous soumettre une question, mes chers collègues.
Dans le domaine de l’amélioration des techniques de fécondation in vitro, la recherche sur les embryons de mammifères est, elle aussi, une véritable solution alternative puisque les mécanismes du développement embryonnaire sont communs à tous les mammifères. Encore faudrait-il que l’Union européenne permette aux chercheurs de travailler sur l’embryon animal !
En effet, le projet de révision de la directive 86/609/CEE relative à la protection des animaux utilisés à des fins expérimentales ou à d’autres fins scientifiques exclut désormais les animaux vertébrés non humains vivants, y compris les formes larvaires ou fœtales d’espèces de mammifères. Nous aurons à transposer cette nouvelle directive dans notre droit interne, mes chers collègues. Allons-nous, demain, interdire, avec cette directive européenne, toute expérimentation sur l’embryon animal, mais l’autoriser, aujourd'hui, sur l’embryon humain ?